Texte intégral
FRÉDÉRIC RIVIERE
Bonjour Myriam EL KHOMRI.
MYRIAM EL KHOMRI
Bonjour.
FRÉDÉRIC RIVIERE
Il y a une semaine, à peu près, Manuel VALLS disait qu'un apartheid social, territorial, ethnique, s'était imposé en France, et puis quelques jours plus tard il annonçait la mise en place d'une politique de peuplement dans les banlieues. Vous êtes chargée de mener cette mission, où en êtes-vous aujourd'hui de votre réflexion ?
MYRIAM EL KHOMRI
Le Premier ministre nous a demandé, à Patrick KANNER, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, et moi-même, de travailler pour que début mars nous fassions un comité interministériel de lutte contre les inégalités, afin de proposer des propositions extrêmement concrètes par rapport à la situation des quartiers populaires. Moi j'ai en charge, à peu près, 5,5 millions de Français qui habitent dans ces quartiers populaires, quand on parle de la politique de peuplement, ce qu'a voulu dire le Premier ministre, c'est qu'il faut qu'il y ait des réponses structurelles à ces quartiers. Aujourd'hui les habitants qui en partent, souvent, sont remplacés par des personnes qui sont toujours les plus pauvres, et donc l'objectif c'est d'éviter la concentration des personnes les plus pauvres toujours au même endroit. Donc c'est là-dessus
FREDERIC RIVIERE
Vous voulez mettre des riches dans les cités ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je veux permettre aux personnes de ces cités, quand elles commencent à avoir des ressources, de pouvoir y habiter, d'avoir un vrai parcours résidentiel, permettre en effet une mixité sociale, permettre à des personnes de venir y vivre, donc ça intéresse tous les pans de la politique de la ville, c'est-à-dire à la fois la situation des écoles, la situation de la sécurité, la situation du commerce dans ces quartiers. Donc, c'est à la fois une vision globale, mais néanmoins il y a une fracture en France. Quand on voit qu'il y a des communes qui ont près de 80 % de logements sociaux, et d'autres moins de 5 %, donc !
FREDERIC RIVIERE
La mixité sociale, dans les situations dont on parle, ça veut dire soit prendre une partie de ces populations qui vivent dans les quartiers les plus difficiles et de les faire vivre dans, ce qu'on appellerait pour faire simple, les beaux quartiers, ou l'inverse. Dans les deux cas c'est extrêmement difficile.
MYRIAM EL KHOMRI
Dans les deux cas c'est extrêmement difficile, de toute façon ça ne peut se faire que s'il y a une offre de logements accessible dans d'autres quartiers. Donc, la première question c'est comment la loi SRU est appliquée, l'ordre républicain c'est d'appliquer la loi, donc de pousser à ce qu'elle soit appliquée, et qu'il y ait une offre de logement social. La deuxième réponse c'est véritablement, dans le cadre de la rénovation urbaine, lorsque nous démolissons, par exemple, des immeubles, l'objectif c'est que quand il y a un immeuble qui est reconstruit, il puisse y avoir du social, du moins social, et de l'intermédiaire au sein de ce même immeuble. C'est-à-dire qu'on ait, aussi, immeuble par immeuble, de la mixité.
FREDERIC RIVIERE
Et comment on estime qu'on a atteint le bon stade de mixité ? Ça veut dire quoi, il y a des quotas à établir ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne dirais pas qu'il y a des quotas à établir, je pense que c'est important, quand on construit aujourd'hui un immeuble, qu'il y ait une diversité de l'offre au sein de ce même immeuble. Ces équilibres sont extrêmement importants. Aujourd'hui, la question ce n'est pas 25 % de logements sociaux, ça c'est qu'applique la loi, mais on a des quartiers à près de 80 % de logements sociaux, donc on voit bien que lorsque nous avons des personnes qui ont souvent des mères seules avec enfants, dans un même immeuble, qui sont avec des ressources particulièrement faibles, on voit bien qu'il convient d'apporter un accompagnement spécifique, et de lutter contre cette concentration des mêmes personnes. Donc, en effet, il y a le Premier ministre a eu un mot fort, apartheid, mais c'est aussi la réalité que ressentent les habitants de ces quartiers-là, et donc, répondre de façon structurelle à ces problèmes-là, c'est concevoir, et ça va prendre de nombreuses années bien évidemment, c'est concevoir et éviter justement, essayer de casser un petit peu ces ghettos.
FREDERIC RIVIERE
Il y a quelques jours, Malek BOUTIH, député de l'Essonne, disait, je le cite, « qu'Amédy COULIBALY soit originaire de Grigny n'est pas le simple fait du hasard, il y a dans cette ville une acceptation et une organisation de la violence, de la corruption, qui explique en grande partie pourquoi ce genre de territoire échappe à l'ordre républicain. » Qu'est-ce que pensez de ce que dit Malek BOUTIH ?
MYRIAM EL KHOMRI
Malek BOUTIH est tout à fait légitime, il est député de cette circonscription, il connaît la situation de Grigny depuis très longtemps. Je comprends sa colère, je comprends sa colère, parce qu'en effet, dans certains quartiers, et ce n'est pas le jeu de tous les 1500 quartiers de la politique de la ville, mais en effet, dans certains quartiers, il y a une situation très préoccupante, notamment de liens entre le grand banditisme, entre le trafic des stupéfiants. Et donc, en effet, il faut à la fois permettre beaucoup plus de lutter contre ces trafics-là, donc de réprimer fortement ceux qui les tiennent, et puis en même temps lutter contre le désoeuvrement de certains jeunes. Et donc, en effet, il y a tout un travail à mener, notamment des services de police, des services de justice, mais pas seulement, des bailleurs sociaux, de la collectivité, et en effet, la situation de Grigny est préoccupante.
FREDERIC RIVIERE
Malek BOUTIH estime que les attentats récents, en France, sont le fait, je le cite à nouveau, « d'une nouvelle forme de nazisme, l'islamo-nazisme », et il demande la mise sous tutelle d'un certain nombre de quartiers, la mise sous tutelle par l'Etat. Vous partagez son analyse sur ce qu'il appelle l'islamo-nazisme ?
MYRIAM EL KHOMRI
Ce n'est pas un mot que j'emploierais, mais la question de la lutte contre l'antisémitisme, dans les quartiers, est extrêmement importante. Hier nous étions c'était la commémoration des 70 ans d'Auschwitz, je crois que
FREDERIC RIVIERE
Le président de la République s'est exprimé au Mémorial de la Shoah.
MYRIAM EL KHOMRI
Il s'est exprimé, au Mémorial de la Shoah, il y a un plan de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, avec un renforcement des sanctions, avec un travail qui aboutira d'ici la fin février. Il y a, en effet, une préoccupation par rapport à cela. Il y a à la fois un besoin de sanctionner, de dire que ce n'est pas possible, les événements dramatiques de l'Hyper Cacher nous rappellent que des personnes sont mortes parce qu'elles étaient juives, et en même temps il y a un besoin, un devoir de mémoire, qui est encore plus important, en termes d'accompagnement au sein des écoles, dans ces quartiers-là. Donc, en effet, il y a à la fois, on le voit autour de la théorie du complot, ou on le voit à la fois sur le deux poids, deux mesures, c'est des choses préoccupantes, et il convient véritablement, sur ces questions-là, qu'il y ait un logiciel commun qui soit partagé à la fois par les enseignants, à la fois par les acteurs associatifs, à la fois par tous ceux qui ont une parole publique, et une mobilisation des parents sur ces questions-là, parce qu'elles sont préoccupantes.
FREDERIC RIVIERE
L'antisémitisme progresse en France, les actes antisémites recensés sont en hausse, est-ce que c'est le fait de cet antisémitisme des banlieues ?
MYRIAM EL KHOMRI
Je ne peux aujourd'hui affirmer, ni confirmer, ni infirmer ce que vous dites.
FREDERIC RIVIERE
Parce que Manuel VALLS avait distingué deux antisémitismes, la semaine dernière, un antisémitisme historique et un antisémitisme des quartiers.
MYRIAM EL KHOMRI
Aujourd'hui je ne peux ni confirmer, ni infirmer, néanmoins nous entendons en effet le deux poids, deux mesures, qui est un discours qui est très présent. Il y a une défiance à la fois dans les élus, dans les quartiers populaires, il y a une défiance aussi, beaucoup, en direction des médias, dans ces mêmes quartiers, et donc on voit bien que tout ce qui est fait sur Internet, toute la théorie du complot, sont beaucoup véhiculés. Donc, la question qui est posée face à nous c'est comment on éduque aux réseaux sociaux, comment on n'ait pas trop de temps de retard par rapport à cela, et comment on arrive à montrer une autre parole ? Et pour moi cette parole elle ne doit pas être portée que par les politiques, elle doit l'être par tous les adultes qui sont en direction de ces enfants. Donc peut-être que la République a cédé un peu de terrain sur ces questions-là, que nous ne sommes pas trop, par rapport par exemple aux actes de Créteil, qui avaient été d'une violence inouïe, nous ne nous étions pas suffisamment, nous, la société, suffisamment indignés par rapport à ces actes-là. En tout cas il me semble important, notamment en direction des jeunes de ces quartiers, de pouvoir ouvrir des espaces d'échange et de dialogue avec eux, et de parler la même langue sur ces questions-là.
FREDERIC RIVIERE
On a eu les chiffres du chômage pour 2014, l'année est encore plus mauvaise qu'en 2013, ça n'ouvre pas des horizons pleins d'espoir pour les jeunes des quartiers difficiles, où le chômage est extrêmement élevé.
MYRIAM EL KHOMRI
Le chômage est extrêmement élevé dans ces quartiers, c'est près de 45%. Il y a, quand on regarde les chiffres du chômage sur l'année 2014, il y a un petit recul du chômage des jeunes, mais on voit bien que, malgré les contrats d'avenir, qui ont bénéficié en priorité aux jeunes de ces quartiers, on voit bien qu'on a une question, aussi, qui est relative à la formation. Et donc, j'espère que « la Garantie jeune », qu'a étendue à de nombreux quartiers la politique de la ville dès l'an prochain, permettra de mieux travailler sur la formation de ces jeunes et l'emploi de ces jeunes. C'est une vraie préoccupation, en effet.
FREDERIC RIVIERE
Merci Myriam EL KHOMRI, bonne journée.
MYRIAM EL KHOMRI
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 janvier 2015