Interview de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à France-Inter le 10 février 2015, sur le harcèlement scolaire et la violence à l'école.

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Média : France Inter

Texte intégral


PATRICK COHEN
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
PATRICK COHEN
Vous êtes à Marseille, aux côtés de Manuel VALLS pour cette visite de deux jours, qui a donc été précédée par ces tirs d'armes automatiques contre la police, dans une cité. C'est grave, c'est désespérant ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est inacceptable. C'est inacceptable que certains croient pouvoir tirer en plein jour, au milieu des habitants d'un quartier, et poussant même l'école maternelle du coin à confiner ses élèves, par peur pour leur sécurité. C'est donc inacceptable, et le Premier ministre a redit la fermeté du gouvernement, qui d'ailleurs a déjà commencé à obtenir quelques résultats, il l'a rappelé hier en termes de vols armés, de vols à main armée, pardon, il a eu une baisse de près de 30 % en deux ans, en termes de violences physiques sur les personnes, pareil, près de…
PATRICK COHEN
Inacceptable, oui, mais pas exceptionnel, si on en croit ce que dit la maire du secteur, Samia GAHLI, elle a dit hier : « On est en état de guerre, c'est la Syrie dans nos quartiers », Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pas exceptionnel, en effet, et ça montre que nous avons encore beaucoup de travail à faire si nous voulons rétablir une situation qui s'était dégradée depuis malheureusement des années, maintenant, et il faut se mettre à la place des habitants de ces quartiers, que j'ai rencontrés, pour ce qui me concerne, hier, et c'est vrai que quand on va à leur rencontre pour parler d'école et qu'on se rend compte que la première des garanties de la réussite scolaire, qui est quand même le fait de ne pas aller à l'école le matin avec la boule au ventre, eh bien ils ont le sentiment de ne pas l'avoir, il y a du travail, et je le dis depuis deux ans, avec notamment les Zones de sécurité prioritaire, nous avons obtenu un certain nombre de résultats, il faut aller plus loin, y compris en termes de rénovation urbaine, la Castellane méritait une rénovation urbaine, qu'elle n'a toujours pas eue, à la hauteur des enjeux et donc c'est tout cela que nous sommes venus dire avec le Premier ministre hier à Marseille, c'est la mobilisation de l'Etat pour cette grande et belle ville, mais qui connait des difficultés qui n'ont cessé de s'aggraver ces dernières années.
PATRICK COHEN
Deux autres sujets, deux autres questions, rapidement, avant d'aborder le dossier du harcèlement scolaire. On l'a entendu, d'abord, à 07h30, près de Valenciennes, une maire a été condamnée par la justice, pour l'absentéiste de son fils, un collégien de 12 ans, quatre mois de prison avec sursis. C'est une bonne solution ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, évidemment que non. Il semblerait, je n'ai pas les détails de cette affaire, mais il semblerait que ce soit un cas très exceptionnel, dans lequel, au nom de la protection de l'enfant lui-même, que l'on a convoqué sa mère pour instruire le dossier. Moi, vous savez quel est mon attachement à ce que l'école et les parents puissent travailler ensemble, pour co-éduquer les enfants et donc à ce qu'il y ai un rapprochement qui permette de ne pas en arriver à ces extrémités-là, bien sûr, et ça signifie qu'il faut que l'école s'ouvre davantage aux parents, qu'elle puisse les entendre, les écouter en temps utiles et puis aussi, et je pense notamment à ce que nous allons développer dans tous les quartiers populaires, prioritaires, à ce qu'il y ait des mécanismes, comme le Programme de réussite éducative, qui permette d'aborder avec les familles, à la fois les question éducatives, mais aussi les questions sociales, les questions de santé, d'environnement de l'enfant, pour éviter les drames.
PATRICK COHEN
Et puis un mot, Najat VALLAUD-BELKACEM, de la rentrée scolaire 2015, puisque comme l'an dernier, les syndicats d'enseignants se mobilisent pour faire décaler la prérentrée des enseignants, qui est prévue le 28 août, pas question disent-ils de rogner sur le mois d'août. Ils ont raison ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y a eu, comme vous venez de le rappeler, un report de la prérentrée des enseignants pour l'année scolaire 2014/2015, donc il a fallu, et nous nous sommes engagés dans ces travaux-là, faire en sorte d'anticiper pour les prochaines rentrées, les mêmes types de difficultés, donc, moi, ce que je fais en ce moment même, c'est que je mène une réflexion qui est plus large que celle de la date de rentrée scolaire, parce que l'on va avoir à gérer aussi, comme préoccupation, c'est les conséquences de la réforme territoriale, par exemple, qui vont modifier les zones de vacances scolaires, puisque l'on va retrouver dans une seule grande région, plusieurs académies qui auparavant relevaient de zones différentes, de congés, je veux dire, donc il va falloir…
PATRICK COHEN
On va casser les zones actuelles ? Il n'y aura plus, comme aujourd'hui, A, B, C ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Eh bien, le fait qu'on ait une réforme territoriale qui divise par deux le nombre de régions, comme vous le savez, ça va mettre dans la même région, des territoires qui, auparavant, relevaient de zones de vacances différentes, je ne sais pas, par exemple l'Aquitaine, le Limousin, Poitou-Charentes, donc à un moment donné il va falloir bien sûr coordonner tout cela, donc ça veut dire qu'il y a un calendrier, de manière générale, sur l'année scolaire, qui est à revoir, qui intègrera d'ailleurs d'autres réflexions comme celle des vacances de printemps, sur lesquelles, c'est vrai, les élus de la montagne ont régulièrement évoqué des contraintes nombreuses de ce calendrier, y compris pour l'activité des stations de ski, donc tout cela méritait une réflexion globale, qui est engagée et qui passera évidemment par une concertation, parce que c'est comme ça que ça fonctionne, avec les partenaires sociaux, avec toute la communauté éducative, et au cours du printemps, je fixerai le calendrier des prochaines années scolaires à venir, et qui traitera de tous ces sujets.
PATRICK COHEN
Et donc pour les zones, ça sera modifié dès la prochaine saison scolaire.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà, au printemps, j'annoncerai donc les mesures sur l'ensemble de ces points.
PATRICK COHEN
Pour la rentrée 2015.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà.
PATRICK COHEN
Alors, le harcèlement scolaire, Najat VALLAUD-BELKACEM, objet d'un manifeste et d'un documentaire qu'on reçoit comme un coup de poing, qui sera diffusé ce soir sur France 2, à 22h30 « Souffre douleur », témoignages de parents et d'adolescents moqués, harcelés, frappés, désespérés jusqu'à parfois se donne la mort. Vous avez vu ce documentaire, Najat VALLAUD-BELKACEM, avant d'en parler et de nous dire ce qui doit changer à l'école, un extrait où l'on entend les parents de Matéo.
Extrait de « Souffre douleur »
MERE DE MATEO
Notre fils Matéo a été victime de brimades et de coups, de la 6ème à la 4ème, du fait de sa couleur de cheveux, il était roux. Deux semaines avant le geste de Matéo, il a eu encore, oui, un phénomène de violence du à un vol de bonnet.
PERE DE MATEO
Parce que Matéo, en fait, il mettait un bonnet, parce qu'il voulait cacher, tout simplement, sa couleur de cheveux, et forcément on lui enlevait son bonnet, et puis on le jetait.
MERE DE MATEO
Et là je crois que Matéo, il en avait vraiment marre. Lui, a réagi violemment aussi, et donc ça a dégénéré, et comme c'était un plus grand que lui, c'est lui qui a pris le plus. 15 jours après, Matéo a fait un geste…
PERE DE MATEO
Fatal, il s'est pendu.
PATRICK COHEN
Il avait 13 ans. Najat VALLAUD-BELKACEM, on se dit que tous les parents devraient voir ce document, mais aussi tous les enseignants, tous les personnels éducatifs et tous ceux qui, trop souvent, n'ont pas voulu voir. C'est votre sentiment ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, absolument. Il faut le voir, il faut en parler, et je vous remercie de le faire et nous, de notre côté, c'est la priorité de notre action que de faire prendre conscience à tout le monde, parce que tout le monde est concerné, de cette gravité du harcèlement scolaire, qui peut prendre les formes qui viennent d'être décrites, et conduire jusqu'à la tragédie, jusqu'au suicide, mais qui peuvent aussi prendre des formes plus banales, et pourtant être cause de beaucoup de souffrances et donc c'est pour cela que nous communiquons sur les chiffres, c'est pour cela que nous renforçons nos actions de formation, à l'attention à la fois des enseignants et des équipes pédagogiques, mais aussi à l'attention des élèves eux-mêmes, parce que ce sont les élèves qui souvent peuvent rompre, vraiment, le silence, parce que le harcèlement scolaire se fait souvent dans une relation de triangulation, c'est-à-dire que vous avez l'auteur du harcèlement, la victime, mais vous avez aussi des spectateurs. Et si les spectateurs comprennent, apprennent qu'il faut refuser cela, eh bien c'est la meilleure façon d'y mettre fin le plus tôt possible, c'est pour ça que nous faisons participer tous les élèves, toutes les classes de France, à un prix qui s'appelle « Mobilisons-nous contre le harcèlement scolaire », et qui permet à chaque fois de réaliser des outils, des bandes dessinées, des petites vidéos, qui ensuite sont réutilisées dans d'autres classes, c'est un prix qui rencontre un grand succès. Nous allons continuer à le faire, et puis surtout…
PATRICK COHEN
On a le sentiment quand même, à la vue de ce document, que la France, d'abord, a pris un retard considérable dans la lutte contre ce phénomène, et deuxièmement, qu'il y a, je le disais tout à l'heure, l'envie de ne pas voir, beaucoup des témoignages qui sont rapportés dans ce document, rapportent la passivité ou la cécité des équipes pédagogiques, qui disent, quand les parents alertent, vont voir le prof principal, ou le principal, du collège, « ce sont des gamineries, ça va passer, il faut bien un souffre douleur dans la classe », vous avez entendu ces mots, Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, absolument, et je confirme que la France avait beaucoup de retard sur cette question. Ça fait seulement trois ans maintenant que l'on a commencé à s'en saisir avec une première campagne de sensibilisation qui a été conduite à l'époque, c'était par Luc CHATEL, et puis surtout, avec Vincent PEILLON, depuis maintenant un an, le lancement d'une dynamique que je compte amplifier de notre côté, qui nous a conduit à créer, par exemple, une équipe dédiée à cette question de la prévention et de la lutte contre les violences en milieu scolaire, une équipe de sept personnes, au national, qui ne s'occupe que de ça, et qui va donc se déplacer dans les académies, former, produire des outils nécessaires. Ça c'est pour ce qui est de notre propre personnel, qui doit être accompagné dans la détection précoce de ce phénomène et pas le minimiser, et puis il y a la réponse que l'on apporte aux parents eux-mêmes et nous avons mis en place un numéro vert, le : 0808 807 010, que j'invite tous les parents, qui ont des doutes sur le comportement de leur enfant ou sur sa souffrance, à appeler, parce que c'est là qu'ils trouveront des conseils, des orientations, et qu'ils seront même mis en contact avec la bonne personne au sein de l'établissement scolaire, au sein de l'académie, pour les aider à gérer ça le plus rapidement possible. Depuis qu'on l'a ouvert, ce numéro, ça fait donc un an à peu près, il y a eu plus de 3 000 appels qui sont arrivés, ce qui veut dire qu'il y a vraiment une demande forte.
PATRICK COHEN
Il y a besoin.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et notamment, beaucoup d'appels qui concernent le cyber-harcèlement, parce que ça aussi c'est une réalité, c'est que les enfants, malheureusement, maintenant, peuvent continuer à être harcelés, y compris quand ils sont en dehors de l'école, dans leur lit…
PATRICK COHEN
Quand ils sont chez eux, le soir, à domicile.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
… chez eux, là où ils devraient être en sécurité, ils continuent à l'être, et pour cela, pour cette question du cyber-harcèlement, rien de mieux quand même que de prévenir les enfants des dangers d'Internet, c'est pour cela que nous faisons intervenir, régulièrement, dans les salles de classes, notamment une association que nous avons mandatée pour cela, qui s'appelle « E-enfance » et qui explique aux enfants, avec les mots des enfants, comment se protéger sur Internet.
PATRICK COHEN
Najat VALLAUD-BELKACEM, vous restez avec nous, pour répondre dans quelques minutes aux questions des auditeurs de France Inter, sur le harcèlement ou sur d'autres sujets, évidemment, qui vous concernent.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 février 2015