Interviews de M. François Bayrou, président de l'UDF et candidat à l'élection présidentielle, dans "Le Républicain lorrain" et dans "L"Est républicain" du 7 septembre 2001, sur le lancement de sa campagne électorale et sur son projet de "France humaine".

Prononcé le

Média : L'Est républicain - Le Républicain lorrain

Texte intégral

INTERVIEW DANS "LE REPUBLICAIN LORRAIN" :
Après avoir lancé sa campagne présidentielle à l'université d'été de la formation centriste à Ramatuelle, le président de l'UDF a entamé hier une tournée de l'Hexagone qui, à raison de quatre journées par semaine, lui permettra de regarder la France au fond des yeux. Ayant commencé son périple hier à Strasbourg, où il siège au Parlement européen, le candidat centriste est pour deux jours en Lorraine, où il compte se pencher sur l'environnement et la reconversion de la sidérurgie et du secteur minier.
Vous souhaitez "faire pour la droite française ce que Tony Blair a fait pour la gauche anglaise". Mais encore?
Qu'a fait Tony Blair ? Il a changé le parti travailliste, qui n'arrivait jamais à garder le pouvoir, en lui donnant des idées plus modernes et un style plus ouvert. Il a occupé le centre. Ainsi il a réussi, il a gagné et, plus encore, il a fait bouger son pays. Je veux faire bouger le mien.
Comme un Français parmi d'autres, j'en ai marre de l'impuissance en France. Prenez par exemple la sécurité : tout le monde en parle tous les jours et à toutes les heures. Tout le monde fait de grandes déclarations en disant : "C'est ma grande priorité !" Et qu'est-ce qui change ? Rien ! Si ça n'était pas si triste, ce serait presque risible. C'est donc l'approche qu'il faut changer : aucun des deux camps ne possède à lui seul la clé de ces questions. Ce sont des problèmes si graves qu'ils méritent une véritable union nationale autour d'un projet assez fort pour rassembler. Je suis convaincu que l'élection présidentielle est la seule occasion de changer en profondeur l'esprit de notre pays et de lui proposer une voie nouvelle.
Vous avez l'ambition d'incarner une "troisième voie". Mais une fois au pouvoir, les politiques ne sont-ils pas confrontés à une "réalité unique" - globalisation, euro, construction européenne - conduisant à une politique unique? Dans ces conditions, les promesses d'aujourd'hui ne sont-elles pas lourdes des échecs de demain, comme votre camp en a déjà fait l'expérience en 1997, lorsque vous étiez ministre d'Alain Juppé après avoir été celui d'Edouard Balladur?
Qu'est-ce qui a fait échouer nombre de projets de ces gouvernements? Le fait que la moitié gauche du pays s'est dressée contre la moitié droite. Or, sur tous les grands sujets, à mes yeux, ce clivage est dépassé. Naturellement, chacun des citoyens que nous sommes garde son identité, les uns sont de droite, les autres de gauche, les autres encore du centre. Mais prenez tous les grands sujets, l'Europe, par exemple, ou la sécurité, les clivages passent à l'intérieur des camps. Chevènement vient de la gauche : sur l'Europe, il n'est pas sur la même ligne que Delors. Et moi, dans l'opposition, je ne suis pas sur la même ligne que Pasqua. Cela ne nous empêche pas de nous respecter. Mais il n'y aurait pas de meilleure nouvelle pour la France que de parler enfin des sujets de fond. Car, face à la réalité de la mondialisation, en vérité, il y a plusieurs politiques possibles : une vraie Europe ou moins d'Europe, par exemple. Songez que nous allons vers l'élargissement de l'Union aux pays de l'Est : voulons-nous que l'Europe existe avant que l'élargissement vienne encore la fragiliser? C'est un si grand sujet qu'il mérite que nous soyons capables, pour le résoudre, d'une vraie union nationale autour de projets clairs. On n'a jamais abordé les problèmes de cette façon. C'est vraiment une "troisième voie" entre les deux autres tour à tour essayées et rejetées depuis vingt ans.
Ce à quoi les Français aspirent, c'est une pratique de la politique qui soit modeste. Pensez-vous raisonnablement être l'homme de la situation?
Je pense exactement comme vous. Et c'est pourquoi je pars sur les routes de France en bus, le moyen de transport le plus simple, le plus modeste. Je suis certain que plus le monde est virtuel, télévisé, passe par Internet, plus il faut privilégier la présence physique et les rencontres les yeux dans les yeux. Plus les débats sont parisiens, plus il faut aller à la rencontre de la province. Cela tombe bien: je suis un provincial, de la province la plus éloignée de Paris, et j'en suis fier.
Baisse des charges, réaménagement des 35 heures, réduction des taux les plus élevés de l'impôt sur le revenu: ce n'est pas à l'électorat populaire que vous semblez vous adresser en priorité...
Le Smic à 1 000 euros nets, soit 6 500 francs, par la baisse des charges, sans coûter plus cher à l'entreprise, c'est une augmentation de quelque 1 000 francs par mois. Et vous dites que cette idée ne s'adresse pas à l'électorat populaire ? On voit bien que vous ne travaillez pas au Smic!
"La banalisation de la Lorraine inacceptable"
Chirac et Bayrou, est-ce que ça ne fait pas un centriste de trop? Et votre électorat étant de droite, ne prenez-vous pas le risque d'indisposer ce dernier à critiquer Jacques Chirac comme vous le faites en ce moment ?
Quand on se présente à une élection, il faut expliquer pourquoi. Si je me présente, c'est parce que les deux sortants ne me conviennent pas. Je le dis. J'appelle un chat un chat. C'est exactement, à mon avis, ce que les électeurs attendent : qu'on y voie clair, qu'on s'explique vraiment. Autrefois, on disait que le centre était mou. Eh bien, figurez-vous qu'il peut y avoir un centre vigoureux!
Avez-vous le sentiment que les gouvernements qui se sont succédé depuis le début des crises charbonnière et sidérurgique ont agi comme ils l'auraient dû pour la Lorraine?
Il y a eu une grande faute en 1981, quand on a fait croire aux Lorrains, et notamment à ceux du bassin minier, qu'un coup de baguette magique rose allait pouvoir éviter les reconversions. Après, il me semble que les gouvernements successifs, notamment sous l'influence de Jacques Chérèque et de Gérard Longuet, ont fait ce qu'ils ont pu. Depuis le pacte charbonnier de 1994, il n'y a pas eu un seul licenciement. Maintenant, il y a un grand enjeu : ce sont les près de 6 000 emplois qu'il faut compenser d'ici 2005 dans l'Est mosellan. Charlie Stirnweiss m'en parle souvent. La banalisation de la Lorraine serait donc inacceptable car son problème reste exceptionnel.
Recueilli par Philippe WAUCAMPT

(Source http://www.udf.org, le 11 septembre 2001)
INREVIEW DANS "L'EST REPUBLICAIN" :
François Bayrou à la rencontre des Français
Le président de l'UDF commence aujourd'hui son périple en bus sur les routes de France. Il descendra ce matin dans la mine de la Houve à Creutzwald (57), sera à Pompey (54) dans l'après-midi et en Meuse demain. Interview.
- Vous commencez aujourd'hui un voyage en bus dans les régions de France. Qu'allez-vous dire aux Français?
- Je viens d'abord les écouter. Aujourd'hui, il y a deux France. Il y a la France des puissants à Paris et la France des autres, de ceux que l'on n'entend jamais, que l'on n'écoute jamais et à qui l'on parle avec des mots tellement prétentieux que personne n'en comprend le sens. Je me suis fixé un seul programme pour les mois qui viennent: rencontrer ces Français là où ils sont et là où ils vivent. C'est avec eux que je veux préparer l'élection présidentielle .
-De quelle manière?
- Je suis persuadé que les Français veulent changer de politique, d'hommes, de société. Comment faire? En passant de l'idée qu'il n'y a que deux favoris pour cette élection à celle d'un troisième homme. Je veux être le grain de sable dans cette élection décidée à l'avance. Avec des débats vrais. Le débat que j'ai avec Chevènement est utile pour la France: est-on européen ou anti-européen? Les électeurs eux-mêmes vont imposer le changement, ce ne sont pas les appareils. Il faut que sur les grands problèmes du pays comme la sécurité ou le travail, par exemple, on sache se mettre ensemble pour trouver des solutions nouvelles, même si, au départ, on n'est pas du même camp.
" La France humaine "
- Vous envisagez éventuellement des alliances?
- Un projet nouveau peut faire travailler ensemble des hommes venus de la droite républicaine et de la gauche réaliste, celle qui voit que la politique Jospin, ça ne marche pas. Voilà comment on trouvera une troisième voie.
- C'est quoi la troisième voie?
- Aujourd'hui, l'argent et la finance dominent le monde. Le modèle néo-libéral justifie la marchandisation de la vie humaine, de la conception jusqu'à la mort. L'embryon, la culture, l'éducation: tout cela devient marchand. Or, je n'accepte pas ce modèle matérialiste. Je veux que ce soit ce qui est humain qui soit le plus important. D'où le titre de mon projet: ''la France humaine''. Si l'on construisait une politique nouvelle à partir de là, tout changerait. Il ne faut pas des idées compliquées, en politique. Il faut des idées fortes. Ce sont souvent des idées simples.
- Comment déclinez-vous ''la France humaine''?
- Le projet de France humaine repose sur trois piliers: l'Europe, l'énergie, la justice. Nous voulons faire l'Europe politique, avec une constitution, un président, des dirigeants élus. Ensuite, il faut aller vers un Etat fort qui dépense peu et non pas le contraire. Enfin, la justice: c'est la première des valeurs humaines. Il n'est pas juste que l'on vive en France dans un climat d'insécurité, il n'est pas juste de laisser 15% des enfants sur le bord de la route, il n'est pas juste que les retraites des agriculteurs ou des artisans soient à leur niveau actuel. Il faut changer tout cela. Je propose douze objectifs qui forment notre projet.
Régime sportif
- Vous avez été très applaudi, à Ramatuelle, lorsque vous avez parlé de la sécurité...
- C'est une grande préoccupation nationale. Tout le monde en parle. Mais personne ne dit de choses claires et simples. Moi j'en dit deux. Premièrement: il faut trouver une moralisation de la vie publique ou privée. Deuxièmement: aujourd'hui, il y a impunité. On nous dit qu'on ne peut pas envoyer des gamins de 13 ans en prison car ils en sortiraient encore plus corrompus. Mais il y a une chose que l'on peut faire: c'est obliger à la réparation envers la victime. Qu'elle soit automatique. Il ne devrait pas y avoir de discussion là-dessus: graffiti, tags, vols etc., avant toute chose, on oblige tout délinquant à réparer le préjudice qu'il a causé .
- Les sondages vous créditent de cinq ou six points seulement. Où irez-vous chercher vos électeurs.
- Les électeurs n'appartiennent pas aux partis. Ils sont libres de leurs votes. Les grands courants politiques se forment à partir de mouvements de l'opinion. Encore une fois ce sont les électeurs qui comptent, pas les appareils.
- Comment vous préparez-vous psychologiquement à mener cette rude bataille de la campagne électorale?
- Régime sportif et volonté de fer. C'est de la volonté que vient la force de se battre. Elle se forge au long des années. Il faut avoir beaucoup réfléchi, beaucoup espéré, avoir été beaucoup déçu aussi. Et un jour on se dit: c'est le moment. Il y a aussi une responsabilité de génération. Ceux qui ont 20, 30, 50 ans, ils sont dans la vie active. Mais en politique il faut attendre la retraite pour y entrer. Changeons tout cela. Maintenant.
Propos recueillis par Marcel GAY
(Source http://www.udf.org, le 11 septembre 2001)