Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, dans "Les Echos" du 16 mars 2015, sur les investissements internationaux en France, la reprise économique et sur les réformes futures.

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Q - Les projets d'investissements internationaux en France ont progressé de 8 % l'année dernière. Quelle analyse faites-vous de cette évolution ?
R - Ce qui est important, c'est que le niveau d'investissements atteint est le deuxième plus élevé depuis dix ans, ce qui est positif. Nous attirons des investissements surtout dans les fonctions stratégiques, par exemple la recherche et les quartiers généraux. Je me réjouis également d'une diversité des pays d'origine : plus de la moitié viennent d'Europe naturellement, mais 22 % viennent d'Amérique du Nord et 12 % d'Asie.
Q - En revanche, ces investissements génèrent moins d'emplois...
R - Légèrement moins, mais cela s'explique : les investissements que nous attirons sont à forte valeur ajoutée et créent des emplois très qualifiés. Je note également que l'ensemble du territoire français est concerné par ces créations.
Q - Comment expliquez-vous ce qui témoignerait d'un changement d'état d'esprit des milieux d'affaires vis-à-vis de la France, plutôt associée depuis 2012 à la taxe à 75 % sur les très hauts revenus et à la hausse des impôts ?
R - Il faut rester prudent avec les chiffres, mais je constate que le «French bashing» a perdu du terrain depuis le milieu de l'année dernière. Et cela se constatera sans doute davantage en 2015. Je voyage toute l'année et je le vois : le regard sur la France n'est plus le même. La France est une puissance majeure, chacun le sait ; la volonté de réformes est désormais entendue, même si elles sont difficiles et souvent lentes.
Q - La reprise économique, selon vous, est-elle acquise en Europe et en France ?
R - Le frémissement est indiscutable. On constate, partout dans le monde, que l'Europe connaît en ce moment un ensemble de conditions objectives favorables à son redémarrage : la chute du prix de l'énergie, une politique monétaire accommodante, des taux d'intérêt bas et une baisse rapide de l'euro. Quant à la France, je le redis, elle ne suscite plus les critiques qu'elle attirait l'an dernier.
Q - La croissance peut-elle dépasser cette année le 1 % prévu pour l'instant par le gouvernement ?
R - Le contexte est favorable. Mais je préfère dépasser les objectifs prudents qui ont été fixés plutôt que l'inverse.
Q - Le niveau de l'euro est-il actuellement le bon, autour de 1,05 dollar ?
R - Nous l'avons déjà connu à moins de 1 dollar... J'ai toujours dit qu'il était non pas trop fort, mais trop cher. Ce qui est exceptionnel, c'est la conjonction d'un euro bon marché et d'une énergie moins chère. Nous ne subissons pas les inconvénients d'une remontée des prix des matières importées avec son incidence sur le pouvoir d'achat. Quel est le bon niveau ? Probablement celui de la parité 1 euro = 1 dollar. Bien sûr, il faut que cette situation dure pour produire ses effets sérieusement. Tout comme il est nécessaire que le plan Juncker d'investissements, dont j'aurais aimé qu'il soit plus important pour doper la croissance, entre en vigueur rapidement. Enfin, en France même, les réformes doivent continuer.
Q - Sur ce point des réformes d'ici à 2017, on entend davantage parler d'intentions que de projets concrets...
R - Nous devons poursuivre notre action de modernisation, en nous concentrant sur la compétitivité des entreprises.
L'investissement, la formation et la fluidité du marché du travail doivent être nos priorités. Ce sont les clefs pour la nouvelle croissance, donc pour l'emploi.
Q - La loi Macron prévoit que le gouvernement délimitera lui-même les zones touristiques internationales - comme le boulevard Haussmann et l'avenue Montaigne à Paris - dans lesquelles le travail sera largement facilité. À quelle date souhaitez-vous que le nouveau dispositif s'applique ?
R - Le plus vite possible, et l'été qui arrive, ce serait bien. Cette réforme relève du bon sens. Nous recevons 85 millions de touristes étrangers par an aujourd'hui et nous visons 100 millions. Si c'est fermé le dimanche, ils ne reviendront pas le lundi et préféreront Londres ou ailleurs. Je veux que, le plus souvent, le plus longtemps et les plus nombreux possible, ils choisissent la France.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2015