Conférence de presse de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, les enjeux et les objectifs de la campagne de sensibilisation au vote pour l'élection européenne et sur le rôle du Parlement européen, le 25 mai 1999.

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Circonstance : Lancement de la campagne d'incitation au vote pour les élections européennes le 25 mai 1999

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Députés européens,
Mesdames et Messieurs,
Je suis très heureux de vous retrouver aujourd'hui dans le Salon de l'Horloge, qui, je ne le répéterais jamais assez, appartient à l'histoire de notre pays et à celle de l'Europe. C'est ici même que fut signé le 18 avril 1951 le traité de Paris instituant la Communauté européenne du Charbon et de l'Acier, la CECA. Dès cette époque, était créée, au titre des institutions de la CECA, une Assemblée commune, embryon du Parlement européen d'aujourd'hui.
Environ 48 ans après, nos concitoyens seront, une nouvelle fois, appelés le 13 juin prochain à élire leurs députés au Parlement de Strasbourg.
C'est dans cette perspective que le gouvernement a décidé de conduire une campagne d'incitation au vote. Sa mise en oeuvre m'a été confiée, avec le soutien actif du Service d'information du gouvernement dont je tiens à saluer le directeur, Bernard Candiard, présent ici aujourd'hui. Tel est l'objet de l'initiative qui nous rassemble aujourd'hui.
Je voudrais commencer par vous dire, bien sûr, que, à la fois l'actualité européenne et les défis du futur justifient grandement le vote aux élections européennes.
Comment ne pas voir que nous sommes dans une année européenne qui a commencé avec l'euro, qui s'est poursuivie avec la ratification du Traité d'Amsterdam, également avec les soubresauts qui ont agité la Commission, mais aussi avec les solutions qui ont été trouvées pour cela.
Et puis, nous allons continuer avec un Sommet européen à Cologne qui va lancer de très importants chantiers. Je crois que les rappeler, c'est déjà indiquer pourquoi il faut voter aux élections européennes. Si nous lançons une réflexion forte sur l'Europe de la Défense, si nous adoptons à Cologne un Pacte européen pour l'emploi, si nous nous projetons dans la préparation des réformes institutionnelles et donc de l'Europe politique, si à Cologne toujours nous commençons à réfléchir encore à l'élargissement, si nous nommons à Cologne, comme c'est plus que probable, Monsieur PESC, l'Europe aura ouvert les chantiers de l'avenir. Elle se sera préparée à être l'Europe élargie, l'Europe politique, l'Europe de la Défense que nous souhaitons.
Tout cela fait qu'il serait paradoxal, alors même que l'Europe se trouve à un moment crucial de son histoire, alors que, dans les cinq ans qui viennent, elle va avoir à affronter des défis qui représentent un changement de dimension et de nature, il serait paradoxal que les députés européens élus le 13 juin le soient avec une assise populaire trop faible.
D'où la nécessité, je crois, de cette campagne de sensibilisation au vote.
J'en viens à tout ce qui concerne le phénomène de l'abstentionnisme qui est le premier combat que nous devons mener dans cette campagne européenne. Il faut voir les choses en face, de ce point de vue-là : les élections européennes se traduisent par un taux de participation électorale relativement faible, si on le compare à celui d'autres pays. Je m'entretenais à l'instant avec Peter Mandelson, qui est un conseiller proche du Premier ministre britannique. Il me disait qu'il s'attendait à moins de 30% en Grande-Bretagne pour les élections européennes. Mais, soyons francs, le taux de participation aux élections européennes est très faible pour la France : c'est le plus faible de toutes les élections nationales. La prochaine élection sera la 5ème du genre depuis 1979. A chaque fois, le taux d'abstention et de vote blancs et nuls s'est établi entre 40 et 50 %. En 1994, le taux d'abstention s'est ainsi élevé à 46,5 % auxquels il faut rajouter 2,8 % de votes blancs et nuls.
Cette situation résulte de la conjonction de différents facteurs, à la fois européens et internes.
Il y a évidemment la relative méconnaissance du Parlement européen, de son rôle, et plus généralement du cadre institutionnel dans lequel l'Assemblée de Strasbourg s'inscrit, aux côtés du Conseil des ministres, du Conseil européen et de la Commission. Il faut des événements spectaculaires, et heureusement peu fréquents, comme la démission collective de la Commission, pour que l'actualité projette au premier plan ces institutions, sans faciliter pour autant, me semble-t-il, la compréhension proche de ces mécanismes politiques par le grand public.
Pour ma part, je ne crois pas qu'il faille voir dans ce comportement électoral une désaffection généralisée pour l'Europe qui serait d'ailleurs infirmé par la plupart des sondages et des scrutins passés. Par exemple, rappelons que le taux d'abstention au référendum sur le traité de Maastricht n'avait été que de 30,3 % ; alors que, moins de deux ans après, on a une toute autre participation aux élections européennes.
Ce comportement semble en fait refléter la perception que ces élections ne correspondent pas à un véritable enjeu pour la construction européenne, perception qui est radicalement fausse. On y retrouve le principe élémentaire selon lequel l'abstention est d'autant plus faible que les enjeux sont le mieux ressentis par les électeurs. C'est à partir de ce cahier des charges-là que l'on a défini la campagne. Cette perception doit être évidemment corrigée, car le Parlement européen voit ses pouvoirs renforcés par le traité d'Amsterdam et car il joue un rôle évidemment irremplaçable pour tous ceux qui aspirent à la construction d'une Europe encore plus démocratique. Il faut voir aussi dans l'abstentionnisme une identification encore faible à l'identité de citoyen européen, le caractère encore abstrait de la notion d'espace politique européen.
J'ajoute au passage que cette situation n'est pas propre à la France. Car, mis à part les Etats membres où le vote est obligatoire (Belgique, Luxembourg, Grèce et, dans une certaine mesure, l'Italie), les taux de participation sont relativement faibles chez nos partenaires.
A ces facteurs d'ordre européen s'ajoutent des données spécifiquement nationales. Je mentionnerai en particulier le mode de scrutin pour les élections europénnes dont certains effets, par exemple éloigner l'élu de l'électeur, sont bien connus. C'est un autre débat.
Au delà de ce constat, il faut comprendre le phénomène afin d'essayer de le réduire. Pour fixer simplement et rapidement les idées, la distinction courante des politologues marque trois grands types d'abstentionnisme :
- l'abstentionnisme social lié au degré d'intégration dans les groupes sociaux et dans les réseaux de relations. Ainsi, l'abstention dépend de l'âge : plus forte chez les jeunes, elle baisse régulièrement pour remonter ensuite chez les 65-75 ans. Elle varie également selon les catégories socio-professionnelles, en fonction du niveau social et scolaire. Elle est ainsi importante chez les demandeurs d'emploi et les personnes à emploi partiel et précaire.
- l'abstentionnisme "anti-politicien", je mets des guillemets, vous l'aurez compris. Ce discours est connu : déception devant la "politique politicienne", des partis et des hommes politiques qui ont parfois mauvaise presse, des notions de gauche et de droite pouvant apparaître moins pertinentes qu'autrefois.
- l'abstentionnisme de conjoncture. Certains électeurs, en quelque sorte intermittents, ne se mobilisent que s'ils sentent l'enjeu de l'élection, d'où les écarts importants d'une élection à l'autre. Il fallait faire cette terminologie car elle a compté dans la définition de notre campagne.
J'en viens maintenant à la présentation de la campagne d'information, en commencant par vous expliquer les principes qui ont présidé à sa conception :
- Cette opération de nature civique a été conçue en étroite collaboration avec le Service d'information du gouvernement. Elle a bénéficié également du concours du ministère de l'Intérieur. Que leurs représentants, ici présents, soient remerciés.
- Je tiens aussi à souligner la contribution des partenaires c'est-à-dire toutes les chaînes de télévision et de radio qui ont accepté de diffuser le film et les spots radiophoniques. Un site internet spécifique complète le dispositif média. Je ne doute pas que beaucoup d'internautes le consulteront grâce au très aimable concours des multiples organismes qui ont accepté d'héberger un bandeau "élections européennes", pour le faire connaître.
- Je mentionnerai aussi la campagne d'incitation au vote déjà lancée par le Parlement européen, en saluant à cette occasion les députés européens présents parmi nous, M. Jean-Pierre Cot, Mme Catherine Lalumière, Mme Pervenche Bérès, M. Bourlanges et M. Bernard Chevallier, le directeur de son bureau de Paris. Nous avons travaillé dans le respect des compétences de chacun, mais nous avons aussi veillé à assurer une bonne complémentarité, notamment en termes de plan média, entre ces deux initiatives, gouvernemental et du Parlement européen.
Quant à l'objectif de cette campagne, il s'agit, vous l'avez compris, de mobiliser les électeurs, en les responsabilisant, sur un mode mêlant l'humour et l'incitation, comme vous le verrez en découvrant le spot TV et les spots radio.
Il fallait faire des choix, optimiser des moyens budgétaires modestes d'où - et c'est là que prend son sens ce que je disais sur l'abstentionnisme il y a quelques instants - un effort particulier visant la cible des 18-35 ans, catégorie la plus abstentionniste, plus indifférente qu'hostile au vote. Il ne s'agit pas pour autant de délivrer un message réservé aux jeunes. Mais, c'est à travers eux que nous voulons viser l'ensemble des abstentionnistes.
C'est ainsi que le contenu de la campagne a été défini sous la signature "Aujourd'hui en Europe, voter c'est exister". Son dispositif média a été concentré sur une période relativement courte puisque les actions se dérouleront d'ici au 12 juin, avec . Cette campagne comprend :
- un spot TV
- deux spots radio
- une affichette qui sera présente dans les lieux institutionnels (mairies, préfectures et bureaux de vote)
- enfin un site Internet hébergé par le ministère des Affaires étrangères. Il sera en démonstration, après la conférence de presse.
Quelques mots enfin avant la projection du spot. Je voudrais conclure sur deux réflexions :
- Pour nous tous qui sommes profondément attachés à la démocratie incarnée dans les valeurs de la République et, pour certains, dans leur engagement européen, voter est un temps privilégié de la vie de la Cité.
Force est cependant de constater que la maxime qui figure sur nos cartes d'électeurs "voter est un droit, c'est aussi un devoir civique", n'a plus aujourd'hui le même écho qu'autrefois. On peut le regretter mais c'est la réalité. C'est pourquoi, je suis convaincu qu'il faut jouer sur un autre registre que celui de la morale. C'est ce que nous nous efforçons de faire et je suis convaincu que de nos jours, nos concitoyens ont d'abord besoin d'être reconnus, écoutés, et de s'exprimer. C'est, me semble-t-il, ce que l'on appelle tout simplement exister.
- Je me plais souvent - c'est ma deuxième réflexion - à répéter que les questions européennes sont de moins en moins des affaires étrangères et de plus en plus des affaires intérieures tant elles imprègnent la vie de notre pays et déterminent son avenir. Comment ne pas comprendre que cette entreprise formidable, avec ses hauts et ses bas, son rythme trop rapide pour certains ou trop lent pour d'autres, suscite autant de sentiments contrastés, où se retrouvent mêlés l'espoir, l'enthousiasme, l'hostilité ou la crainte ? Mon premier souci, devant vous, mais aussi au-delà de cette présentation de campagne de presse, est de combattre l'indifférence que notre Europe ne mérite certainement pas.
Je m'exprime dans des fonctions strictement ministérielles. Chacun votera comme il l'entend. Mon premier souhait est que le taux d'abstention soit le plus faible possible le soir du 13 juin. C'est important pour donner à ce Parlement européen, qui est fondamental dans le cadre des institutions européennes, la légitimité populaire dont il a besoin.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)