Déclaration de M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'Etat aux anciens combattants et à la mémoire, sur le rôle des attachés de défense, à Paris le 31 mars 2015.

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Circonstance : Discours aux futurs attachés de défense, à Paris le 31 mars 2015

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les officiers,
Mesdames et Messieurs,
Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, souhaitait être avec vous ce soir, mais une actualité particulièrement chargée l'empêche finalement de se joindre à nous. En son nom, je vous souhaite donc la bienvenue à l'Hôtel de Brienne. Au terme de votre formation et alors que vous allez intégrer cet été l'un des réseaux diplomatiques les plus denses au monde, je suis heureux de vous donner notre vision du rôle de l'attaché de défense.
Jean-Yves Le Drian vous aurait sans doute dit qu'en trois années d'exercice, il a parcouru plus de 1 000 000 km, effectué plus de 150 déplacements à l'étranger et visité près de 50 pays.
Je sais qu'il retient de cet engagement à l'international une triple conviction, que je partage aussi : la mission que vous vous apprêtez à remplir est en tout point essentielle, elle est souvent complexe mais elle est toujours passionnante.
Votre mission est essentielle parce que vous allez être placés au cœur de l'action de la Défense dans votre pays de résidence. Vous assumerez ainsi la responsabilité de représenter le ministère sous toutes ses composantes et singulièrement le ministre lui-même. Relais mais aussi acteur de l'action internationale de la France, vous allez devoir, non seulement animer, mais également faire progresser la relation bilatérale de défense avec votre pays hôte. C'est notre exigence.
Pour vous, prochainement expatriés, cela veut dire connaitre les objectifs de notre pays et de votre ministère, et en particulier les besoins de l'état-major des armées, les attentes de la direction générale de l'armement mais aussi les orientations de la direction générale des relations internationales et de la stratégie.
Portée sur les fonts baptismaux ce 2 janvier 2015, j'ai en effet confié à la DGRIS la mission particulière d'assurer le pilotage et la coordination de l'action internationale du ministère, en y associant les autres grands acteurs.
La création de la DGRIS procède de la mise en cohérence de l'action du ministère : la situation précédente, marquée par une fragmentation et un cloisonnement excessifs, constituait un handicap que nous ne pouvions plus nous permettre.
Piloter ne veut pas dire pour autant faire le travail du voisin, cela veut dire pour nous « amener le navire à bon port » en s'assurant que chacun se concentre sur ses missions propres mais que tous convergent in fine vers un objectif commun.
Cette organisation nouvelle n'est donc pas un simple organigramme imposant une nouvelle hiérarchie et des procédures bureaucratiques asphyxiantes, mais bien au contraire la mise en place d'un mode de fonctionnement plus fluide et plus collaboratif pour mieux couvrir et coordonner nos relations internationales. En deux mots, il s'agit d'être plus efficace et plus efficient.
Il s'agit avant de tout de satisfaire nos ambitions politiques et stratégiques, de renforcer notre coopération militaire et opérationnelle, domaine qui demeure de la responsabilité du chef d'état-major des armées, de développer notre relation d'armement et le soutien aux exportations, deux prérogatives au cœur des missions du délégué général pour l'armement.
Aujourd'hui, aucun de ces piliers ne peut se concevoir indépendamment les uns des autres et sans l'apport et l'appui de tous. Il me semblait ainsi nécessaire de rassembler « cette équipe France » autour d'un projet et d'une dynamique nouvelle, répondant à nos priorités et à une mise en synergie des moyens alloués, principalement humains.
Le déménagement vers Balard dans quelques semaines offre ce nouveau cadre de décloisonnement et de travail « en plateau ». Dans un monde chaque jour plus dangereux, plus concurrentiel et plus incertain, ce sont en effet les hommes et les femmes de ce ministère, leur compétence et leur conviction qui sont la clef de notre efficacité et qui forgent le succès de nos missions.
« Cette équipe France », c'est par exemple celle qui ressort victorieuse dans l'attribution récente des contrats Rafale et FREMM par notre partenaire égyptien. Dans « cette équipe France », votre place est déterminante pour contribuer à l'alchimie et à l'ingénierie qui conduit au succès.
La « promotion » 2015 des attachés de défense sera en effet la première à porter et mettre en œuvre la réforme de la fonction internationale.
Une des applications concrètes de cette réforme est que la DGRIS assure désormais le pilotage du réseau diplomatique de défense.
Les attachés de défense, ainsi que les représentants militaires auprès des organisations internationales, sont donc directement placés sous son autorité hiérarchique, ce qui ne remet pas en cause l'autorité qu'exercent chacun en ce qui le concerne, le CEMA ou le DGA dans le périmètre de leurs attributions.
Ce rattachement à la DGRIS est surtout pleinement cohérent avec la mission des attachés de défense qui est de représenter le ministère de la défense dans son ensemble. Je vous demande de vous y engager avec conviction. Evitez de travailler « en silos » et veillez à associer l'ensemble des grands acteurs du ministère à votre action et à vos communications.
La direction générale des relations internationales et de la stratégie engage actuellement, en y associant les autres composantes du ministère, l'élaboration d'une directive relative aux relations internationales de défense. Ce document, qui sera soumis à l'approbation du ministre, sera pour vous une référence essentielle.
Il servira de base à l'établissement de lettres de mission pour les attachés de défense couvrant l'ensemble des domaines de l'action internationale du ministère. Il vous sera demandé ensuite, quelques mois après votre prise de poste, de proposer un plan d'action déclinant les objectifs et priorités figurant dans votre lettre de mission.
Ce dispositif, mis en place dans un premier temps pour la relève 2015 des AD, va nécessiter, j'en suis conscient, un investissement considérable des directions et Etats-majors dans des délais resserrés. Il doit vous permettre de votre côté d'être mieux armés pour aborder votre mission dans toutes ses dimensions.
Votre mission sera en effet souvent complexe. Cette complexité justifie d'ailleurs le stage dense et complet que vous venez de suivre, et que votre directeur, le colonel Brücker a bien voulu, une nouvelle fois, préparer et accompagner.
A chaque époque ses troubles, et la nôtre ne fait pas exception. 2015 nous place devant une complexité géopolitique et d'une incertitude stratégique qui ont rarement été aussi grandes.
Qui aurait pu penser il y a quelques semaines que nous serions aujourd'hui confrontés à une grave crise sur le sol national ? Ce terrorisme d'inspiration djihadiste met en lumière l'imbrication croissante entre la sécurité de nos concitoyens sur notre propre territoire et la défense à l'extérieur de nos frontières, où l'attaché de défense se positionne comme un maillon essentiel.
Cette situation, inédite par son ampleur, s'inscrit à présent dans la durée et sur un vaste champ de confrontation, à la fois géographique et fonctionnel. Elle mobilise nos moyens à un niveau élevé et met sous tension notre système de forces.
Il serait impropre de parler ici de « rupture stratégique », puisque ce même Livre blanc fait bonne place au terrorisme et que les modes d'action de nos forces sont très conformes au modèle d'armée retenu dans la Loi de Programmation Militaire. Ce qui ressort aujourd'hui, c'est plutôt la soudaineté des crises, leur intensité, et le plus préoccupant pour ce qui nous concerne, leur simultanéité.
Vous serez demain, pour certains d'entre vous, les premiers témoins de ces crises. Outre le travail admirable de nos attachés de défense dans la bande sahélo-saharienne, dans la région du bassin du lac Tchad, en Afrique centrale ou au Levant, travail que je souhaite saluer ici, je pense également aux exemples récents de Tripoli puis de Sanaa où nous avons dû évacuer nos ambassades, voire à Tunis ce 18 mars lors de l'attentat du Bardo.
A chaque fois, le rôle, la disponibilité et l'intelligence des situations de nos attachés de défense ont été soulignés.
Je souhaite ici vous donner quelques conseils :
Dans un premier temps, placez votre énergie dans la création d'un réseau personnel en plus des liens formels. Ce réseau, développé au bon niveau et patiemment entretenu dans le temps, vous permettra d'être reconnu comme un attaché compétent, de confiance et efficace, à la fois au sein de votre ambassade mais surtout auprès des autorités politiques et militaires que vous pourrez rencontrer. Cette méthode a fait ses preuves et me semble correspondre à la méthode des petits-pas à laquelle Jean-Yves Le Drian est très attaché.
Deuxièmement, soyez les yeux et les oreilles du ministère de la défense. Souvent seul représentant militaire français, vous contribuerez directement à l'alerte initiale sur une crise à venir et surtout à éclairer Paris de l'état d'esprit et des attentes de nos interlocuteurs.
Votre capacité à nous orienter dans les situations confuses qui parfois s'entrechoquent, qui nous permet, grâce à votre jugement, de distinguer le sûr de l'incertain, l'essentiel de l'accessoire, le signal faible du bruit de fond, est pour nous précieuse. C'est votre raison d'être. Là encore, les exemples sont nombreux et permettent souvent aux cabinets et aux services du ministère d'anticiper et de répondre rapidement aux questions et enjeux qui se présentent.
Soyez exigeants envers vous-même et habités par les intérêts de la France. J'attends de chacun de vous qu'il soit la parole et les actes du ministère de la Défense. Cela veut dire s'intégrer au meilleur niveau dans le dispositif interministériel animé par votre ambassadeur et s'appuyer sur les services et états-majors pour dynamiser nos relations de défense. Parfois, aussi, et je tiens à vous le dire personnellement, pour défendre les intérêts de notre pays, il vous faudra assumer des positions inconfortables, les expliquer auprès de vos interlocuteurs et les tenir dans la durée.
Enfin, soyez réactifs car les relations de défense, la coopération militaire et les relations d'armement exigent de suivre un tempo fait de périodes calmes et de pics d'activité. Répondre présent est bien la marque de fabrique de nos armées. C'est vrai dans le domaine opérationnel – Serval, Sangaris, Barkhane, Chammal et Tamarin sont là pour démontrer la réalité de cette capacité de réaction dans l'urgence, unique et enviée par nombre de nos alliés. Cela est vrai aussi dans le domaine de l'armement où devancer la concurrence et répondre dans les temps exigés par le client sont deux facteurs clefs d'une solide relation. Enfin, c'est aussi le cas dans le domaine politique, où le ministre sera parfois la cause de ces accélérations comme certains de vos prédécesseurs ont pu le constater.
Votre mission, essentielle et souvent complexe, sera toujours passionnante.
Avec Jean-Yves Le Drian, nous avons confiance en vous pour mener à bien cette mission que nous vous confions aujourd'hui, et pour laquelle vous donnerez le meilleur de vous-mêmes.
J'ai pu mesurer lors de mes déplacements, l'investissement et le professionnalisme de vos prédécesseurs. Et permettez-moi à cet instant d'évoquer en quelques mots le portefeuille dont j'ai la responsabilité.
Relais précieux au sein de nos réseaux d'ambassades, vous serez les vecteurs de la politique de mémoire de l'Etat dont les initiatives sont très nombreuses à l'étranger, à l'heure où coexistent deux grands cycles commémoratifs : le centenaire de la Grande Guerre et le 70eanniversaire de la Libération et de la fin de la Seconde Guerre mondiale.
La mémoire partagée est un vecteur d'échanges et d'amitié entre deux Nations. Je l'ai observé récemment en Grèce, en Serbie, en Macédoine et en Roumanie, sur les traces des soldats du front d'Orient.
Elle renforce la relation bilatérale – je pense au Canada et à l'Australie, très engagées dans les commémorations de la Grande Guerre – mais peut aussi en constituer le cœur.
Que serait le couple franco-allemand sans la réconciliation de nos deux peuples ?
La France a su dessiner avec plusieurs nations étrangères un avenir commun sur la base d'une mémoire partagée, comme ce fut le cas avec ses anciennes colonies (Algérie, Mali, Sénégal pour ne citer que ceux-là) dont elle rappelle l'engagement et le sacrifice des soldats pour la reconquête de notre liberté.
Voilà pourquoi notre diplomatie reposera aussi ces prochaines années sur votre capacité à préserver, maintenir et renforcer la mémoire partagée avec chacun de nos partenaires étrangers.
Mesdames et messieurs les officiers, cette mission est difficile et exaltante pour toutes les raisons que j'ai pu évoquer, mais pour laquelle vous avez été choisis, au terme d'une sévère sélection qui vous honore en même temps qu'elle vous oblige.
Le succès de votre mission dépendra en bonne partie de l'équilibre personnel que vous saurez trouver. Je veux dire ici que la mobilité est au cœur de votre vocation militaire.
Cette affectation à l'étranger est bien souvent une chance pour vos familles, celle de découvrir avec vous de nouveaux horizons. Elle réclame néanmoins de construire un projet partagé, et que toujours, conjoints et enfants soient associés, d'une façon ou d'une autre, à l'aventure dans laquelle vous vous lancez aujourd'hui.
Et en disant cela, je me tourne naturellement vers les conjoints que je suis très heureux de saluer parmi vous ce soir. Ils ont pour cette raison toute leur place parmi nous.
Vous débutez donc une nouvelle étape de votre parcours, une étape importante, singulière par les responsabilités qui seront les vôtres, par l'univers dans lequel vous évoluerez, mais je suis sûr que, loin du cadre familier de nos armées, vous demeurerez au plus près des missions et des valeurs de la Défense.
Je vous remercie.
Source http://www.defense.gouv.fr, le 2 avril 2015