Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur l'égalité professionnelle entre les femmes et les homems, Paris le 6 mars 2015.

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Je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui. Je sais qu'à deux jours de la journée internationale des droits des femmes, vous êtes toutes et tous particulièrement sollicités. C'est une date importante de l'année pour toutes celles et tous ceux qui son mobilisés pour faire progresser les droits des femmes, moi la première.
Si nous sommes nombreuses et nombreux ce matin pour la remise de ce rapport, c'est parce qu'il est très attendu.
Il traite un sujet injustement méconnu : le sexisme dans le monde du travail. C'est un rapport inédit qui fera date. Il est à ce jour le seul à traiter de la question des comportements sexistes au travail, à identifier précisément ces comportements et leurs conséquences, et à formuler des propositions qui rassemblent les partenaires sociaux, syndicats de salariés comme organisations patronales.
Je salue l'ampleur du travail réalisé par le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle. Je remercie l'ensemble de ses membres pour leur engagement, ainsi que l'équipe qui y a travaillé, Brigitte GRESY, secrétaire générale, et Marie BECKER.
1) Dans ce rapport, vous appelez les pouvoirs publics à nommer le sexisme
Je crois en effet que c'est indispensable. Car comment lever un tabou sans nommer ce qu'il masque ? Comment libérer la parole sans penser les phénomènes auxquels on souhaite s'attaquer ?
Il en va du sexisme comme des violences : ce sont des phénomènes trop souvent niés, impensés et finalement banalisés.
Il est d'autant plus difficile d'identifier le sexisme qu'il est rarement frontal. Votre rapport souligne les différents visages du sexisme :
- Bien sûr, le sexisme peut être direct et brutal, quand il exprime violemment la croyance que les femmes et les hommes sont inégaux et doivent le rester. Ce sexisme-là recule. Une étude de la DREES parue ce matin révèle que moins d'un Français sur cinq pense que les femmes doivent rester au foyer pour élever leurs enfants ou estiment que les hommes sont plus aptes naturellement que les femmes au raisonnement mathématique. Ces représentations machistes sont en net recul, c'est très encourageant !
- Mais le sexisme peut être déguisé, quand il s'exprime sur le ton de l'humour par exemple.
- Il peut aussi être ambigu, quand il attribue aux femmes des qualités naturelles, en les valorisant. Sous couvert de bienveillance, ce sexisme-là ne fait que reproduire une répartition sexuée et immuable des rôles sociaux. Ce sexisme là n'est pas moins grave.
Le sexisme est donc parfois difficile à débusquer. Et pourtant, il est partout, dans le quotidien de chacune et de chacun, dans les manuels scolaires, dans la communication institutionnelle, dans les médias, et même à l'Assemblée nationale !
Le sexisme est aussi présent dans le monde du travail. L'entreprise, ou l'administration, n'est pas imperméable aux inégalités et aux rapports de domination qui traversent la société.
L'enquête menée en 2013 sur les relations professionnelles entre les femmes et les hommes permet d'objectiver la situation : 80% des femmes salariées considèrent qu'elles sont régulièrement confrontées à des attitudes ou décisions sexistes, avec des répercussions sur leur confiance en elles, leurs performances et leur bien-être au travail.
Nous tirons de ce chiffre un constat évident : nous ne pourrons réaliser l'égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes tant que ces comportements perdureront.
C'est ma conviction : les comportements sexistes ont un coût. L'hégémonie masculine, l'exclusion ou l'auto-exclusion des femmes des postes à responsabilité ont un coût. Un coût économique, puisque les entreprises se privent de talents. Un coût démocratique aussi, puisqu'il ne peut y avoir de société apaisée si la moitié de la population est discriminée. Un coût humain, enfin, tout simplement.
2) Il faut donc commencer par mieux connaitre les manifestations et les conséquences du sexisme
Cela induit de ne plus dénier aux femmes la spécificité des comportements sexistes qu'elles subissent. De pouvoir comparer, précisément, le ressenti des hommes et des femmes sur leur environnement de travail. De donner aux femmes la parole.
Vous recommandez à juste titre d'introduire des questions sur le sexisme dans les enquêtes publiques, pour évaluer sa prévalence et son coût, ainsi que dans les enquêtes de climat social réalisées par les entreprises.
Nous solliciterons l'ajout de questions dédiées au sexisme au travail dans les enquêtes périodiques portées par les administrations et qui concernent les conditions de travail. La future enquête sur les risques psycho-sociaux comportera une question sur les blagues sur les femmes. C'est une démarche que nous devons généraliser.
Le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle devra nous aider dans cette démarche, en constituant des modules de questions pertinentes sur le sexisme.
3) Il faut, ensuite, faire connaitre ces connaissances, les diffuser et s'appuyer sur ces données pour former tous les acteurs concernés.
L'objectif principal est celui que vous identifiez dans votre rapport : créer une culture organisationnelle d'entreprise exempte de sexisme. Le préalable est une prise de conscience de toutes et de tous : les salariés et notamment les managers et dirigeants d'entreprise, les partenaires sociaux, les avocats et les magistrats. Ces acteurs doivent devenir des agents de la lutte contre le sexisme dans leur environnement de travail.
Je souhaite donc que le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle nous accompagne dans cette démarche de formation et fournisse aux entreprises tous les outils dont elles ont besoin. Il s'agira dans un premier temps d'un module de formation et d'un kit clé-en-main, proposant par exemple un modèle de règlement intérieur et de note de service, une méthode d'évaluation des risques et des mesures de prévention.
En ce qui concerne les magistrats, et notamment les conseillers prudhommaux, le projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques prévoit une amélioration de leur formation initiale et continue. Je proposerai au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique que ces formations intègrent la question du sexisme, ses manifestations et ses conséquences, afin qu'ils puissent mieux l'identifier dans les affaires qu'ils ont à juger. Le CSEP pourra utilement participer à l'élaboration de ces formations.
Mesdames et messieurs,
Je souhaite vous dire que ce rapport est d'une richesse rare et qu'il ne restera pas lettre morte.
Je présenterai devant le Conseil supérieur de l'égalité professionnelle un état des lieux des avancées et des actions du gouvernement sur le sexisme au travail avant la fin de l'année.
Le traitement du sexisme au travail est une aspiration puissante de la société, et en particulier des femmes qui travaillent. Je suis très heureuse que les partenaires sociaux, tous conscients de son importance, aient manifesté leur désir d'aborder ensemble ce sujet. Et ce, même si les moyens pour lutter contre le sexisme peuvent, selon les convictions de chacune et de chacun, emprunter des chemins différents.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 23 mars 2015