Texte intégral
BRUCE TOUSSAINT
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Et merci d'être avec nous ce matin sur I TELE. On va peut-être commencer par une curiosité, y aura-t-il bientôt des cours d'improvisation théâtrale, ou de stand-up, à l'école, comme l'a laissé entendre le Premier ministre ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le Premier ministre évoquait la réforme des rythmes scolaires, des rythmes éducatifs, donc qui permet en effet aujourd'hui d'avoir des temps périscolaires pendant lesquels les enfants peuvent découvrir des activités artistiques, et l'improvisation théâtrale est une activité extrêmement intéressante, y compris, d'ailleurs, pour mieux maîtriser la langue française. Pour en avoir vues moi-même, c'est vrai que c'est assez efficace.
BRUCE TOUSSAINT
Ça serait dans le cadre périscolaire, ça ne rentrait pas dans le, j'allais dire dans le calendrier des cours normaux ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais, au-delà du cadre périscolaire il y a une éducation artistique et culturelle, que nous voulons développer avec Fleur PELLERIN, ma collègue en charge de la culture, avec un véritable parcours d'éducation artistique et culturelle, que nous sommes en train d'organiser, qui sera y compris dans les programmes qui sont en train d'être rénovés, et donc bien sûr il y a des choses qu'on peut construire en la matière. Je pense qu'il faut profiter du temps de la scolarité pour ouvrir les élèves au maximum d'expériences artistiques et culturelles possibles, pour les laisser ensuite, eh bien faire leur choix.
BRUCE TOUSSAINT
Ça serait sur la base du volontariat, j'imagine, dans un premier temps, ou c'est quelque chose qui pourrait être étendu, enfin en tout cas vous souhaiteriez que ce soit étendu le plus possible, ce genre d'activités ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
L'éducation artistique et culturelle, dans les écoles, collèges, lycées, ce doit être aussi intrinsèquement lié à l'environnement culturel de l'établissement scolaire, donc, évidemment, on va faire autre chose si on est à proximité d'un théâtre, d'un musée, donc il faut laisser une certaine liberté pédagogique aux équipes. En revanche, dire et c'est ce que nous disons dans ce parcours à tous les établissements scolaires, qu'ils doivent dans leur projet d'école avoir un partenariat avec l'institution culturelle du territoire pour permettre à leurs élèves de faire la rencontre de l'oeuvre, et d'expérimenter eux aussi, eh bien c'est ce que nous disons et c'est ce qui vaudra dès la rentrée prochaine.
BRUCE TOUSSAINT
Dans cette interview le Premier ministre cite Jamel DEBBOUZE, qui a lui-même démarré par des cours d'improvisation. Il peut être un exemple, Jamel ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En tout cas ce théâtre d'improvisation, qu'il a beaucoup porté, de fait il fait des petits, parce que maintenant, donc ça a commencé à Trappes, mais c'est dans une dizaine de villes qu'on retrouve ce type de choses. Moi c'est quelqu'un pour qui j'ai beaucoup d'admiration, honnêtement, Jamel DEBBOUZE, et je pense que je ne suis pas la seule, et de ce fait il peut avoir une parole qui porte auprès des jeunes, parce que c'est quelqu'un de très engagé, qui ne s'en est jamais tenu simplement à son rôle d'humoriste, mais qui est capable d'avoir une parole forte sur des sujets de société et puis de vivre ensemble, et précisément l'improvisation c'est aussi une façon d'apprendre à vivre ensemble.
BRUCE TOUSSAINT
Et ça va créer des futurs Jamel ou des futurs Dieudonné ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Des Jamel, tant qu'à faire !
BRUCE TOUSSAINT
Je vous pose cette question, parce que dimanche dans l'émission de CANAL+ « Le Supplément », le président de la République était face à des adolescents, des lycéens, et il a été question de Dieudonné, et ces lycéens ont raconté qu'ils regardaient les sketchs de cet humoriste, si on peut dire, il ne l'est plus vraiment aux yeux de beaucoup. Qu'est-ce que ça vous a inspiré d'ailleurs cette séquence, cette parole libérée de ces jeunes, qui, au fond, pour certains d'entre eux, ne voyaient pas tellement où était le problème ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi ça fait des années que ça me préoccupe, mais vraiment grandement. Lorsque le Premier ministre a fait le choix de s'attaquer à Dieudonné et de faire en sorte que ses spectacles soient interdits, c'est vrai que je m'étais fait la réflexion qu'il avait été assez seul dans ce combat et qu'on aurait sans doute dû être plus nombreux derrière lui, plus forts, y compris, je ne parle pas simplement des responsables politiques, mais de la société civile, des intellectuels, voilà. De fait, Dieudonné a fait énormément de mal dans la jeunesse française. Au lendemain de Charlie, j'ai visité beaucoup d'établissements scolaires, des collèges, des lycées, j'ai été frappée de voir à quel point ce discours sur le deux poids, deux mesures, pourquoi est-ce qu'on permet la liberté de la presse et d'expression à Charlie et pas à Dieudonné ? Ce discours, finalement, était présent dans les esprits des enfants et qu'il en venait finalement à faire perdre toute notion de hiérarchie des valeurs, de hiérarchie des valeurs. C'est ce discours-là qui conduit certains de nos jeunes à finir par penser que ce qui est arrivé à Charlie Hebdo finalement ce n'est pas si grave parce qu'ils l'avaient bien cherché. Donc Dieudonné a fait énormément de mal, et on l'a vu à nouveau d'ailleurs dans « Le Supplément », dans cette émission avec François HOLLANDE, des jeunes qui ont l'air parfaitement raisonnables, de réfléchir par eux-mêmes, et qui en arrivent à des interrogations qui nous perturbent. C'est bien qu'ils les expriment, moi je trouve que c'est mieux qu'ils les expriment plutôt qu'ils les gardent pour eux et qu'ils s'enferment dans des théories du complot, mais maintenant qu'ils les expriment, à nous de leur répondre aussi que le racisme, l'antisémitisme, l'apologie du terrorisme, ce sont des délits et pas des opinions. A nous de les aider à faire la différence entre ce qui relève de la liberté d'opinion et ce qui relève du délit.
BRUCE TOUSSAINT
On parle de la réforme du collège. L'enseignement de l'allemand va-t-il disparaître, comme le craignent certains professeurs ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, l'enseignement de l'allemand ne va sûrement pas disparaître. De quoi s'agit-il exactement, d'une réforme du collège qui a vocation à faire apprendre et réussir mieux tous les collégiens. Vous savez quand même que le constat en la matière n'est pas terrible, nos collégiens sont de moins en moins bons à la sortie du collège, dans les fondamentaux, ils ont des résultats qui sont de plus en plus inégalitaires, puisque la reproduction sociale est à l'oeuvre, puisque l'écart entre les meilleurs et les moins bons n'a cessé de se creuser ces dernières années, et donc on reprend ce sujet collège et on y apporte des réponses. S'agissant des langues vivantes, pour en venir à votre question, on n'est vraiment pas bons les petits Français, dans les classements internationaux on apparaît généralement tout en bas de la liste, donc on s'est dit qu'on allait faire apprendre la langue vivante 2 à tous les collégiens plus tôt que ce qui est pratiqué aujourd'hui.
BRUCE TOUSSAINT
Dès la 5ème.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Aujourd'hui c'est 4ème, demain ce sera dès la 5ème. Or, il se trouve que jusqu'à présent existaient des dispositifs dérogatoires qui permettaient à certains collégiens, 15 % des collégiens, de commencer leur langue vivante 2 plus tôt. A partir du moment où on généralise cet apprentissage plus précoce de la langue vivante 2 pour tous les collégiens, oui, on met fin à des dispositifs dérogatoires qui concernaient 15 %, mais parce que 100 % vont être concernés. Est-ce que ça veut dire qu'on fait disparaître l'allemand ? Pas du tout, au contraire, il y aura plus de collégiens qui pratiqueront plus tôt leur langue vivante 2, l'allemand est souvent la langue vivante 2
BRUCE TOUSSAINT
Ça pourrait être l'effet pervers, c'est ce que disent les détracteurs.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, honnêtement, je ne vois pas en quoi est-ce qu'il y aurait un effet pervers de faire disparaître l'allemand, d'autant que pardonnez-moi, je finis sur ce point d'autant que nous avons une politique volontariste pour que l'allemand soit choisi en langue vivante 1, aussi non, mais c'est important, parce que ce qu'il faut comprendre c'est qu'en 2016, ce qui change, c'est que votre langue vivante 1 sera en CP, et votre langue vivante 2, donc je l'ai dit, en 5ème. Donc, pour ne pas que tous les parents ne prennent que l'anglais en langue vivante 1, ce qui pourrait être leur tentation spontanée, nous avons une politique volontariste, académie par académie, pour avoir une carte des langues, où l'allemand trouve bien sa place, et où les enfants soient incités à prendre LV1 allemand grâce à des jumelages entre écoles françaises et écoles allemandes.
BRUCE TOUSSAINT
Donc il y aura encore des classes européennes
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais bien sûr.
BRUCE TOUSSAINT
Ça ne s'appellera plus comme ça, mais il y aura encore des classes européennes ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il y aura une ambition, il y a une ambition, avérée, de développer l'allemand en France, parce que là où ceux qui s'inquiètent, malgré tout, ont toujours eu raison de s'inquiéter à propos de l'allemand, c'est que cette langue il nous faut la promouvoir peut-être plus que les autres en France. Pourquoi ? Parce que nous avons une histoire commune, parce que nous avons une envie de vivre ensemble, avec les Allemands, qui est évidente, et qu'il faut porter cela à l'école. Donc oui, ce n'est pas une langue comme les autres, et c'est la raison pour laquelle, quand vous voyez je crois que c'est vraiment la preuve ultime quand vous voyez les postes que nous ouvrons au CAPES, à l'agrég. Vous vous rendez compte que nous ouvrons, pour la rentrée prochaine, plus de 500 postes de professeurs d'allemand, je vous rappelle que quand nous sommes arrivés aux responsabilités il y en avait 200 par an. Comment peut-on nous accuser de vouloir faire disparaître l'allemand lorsqu'on double quasiment le nombre de postes de professeurs ?
BRUCE TOUSSAINT
Autre question, soulevée par Jacques ATTALI hier soir sur Twitter. « La disparition des classes bi-langues et européennes pousserait les meilleurs élèves vers le privé » dit Jacques ATTALI, « au détriment de la mixité sociale. » Ce n'est pas aussi un effet pervers de cette réforme, qui risque de se produire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous savez, moi je suis prête à écouter tout le monde, sur le sujet de la réforme du collège, il y a des avis plus ou moins intéressants, plus ou moins de bonne foi, mais j'écoute tout le monde, parce que tout le monde appartient à la communauté éducative. Entre parenthèse je rappelle que cette communauté éducative elle a son instance qui s'appelle le Conseil Supérieur de l'Education, qui, il y a 10 jours, a adopté à une très large majorité cette réforme du collège. Mais enfin, ce n'est pas grave, écoutons, au-delà, tout le monde. Cela étant, j'ai beau écouter, être ministre de l'Education nationale ce n'est pas faire l'addition de tous les désidératas, parce que sinon on ne change jamais rien au système, et on n'améliore surtout jamais rien dans l'intérêt de nos enfants. Etre ministre de l'Education nationale c'est se demander ce qui va dans le sens de l'intérêt général de tous les collégiens en l'occurrence, qu'est-ce qui les faits réussir le plus. Bien sûr que les classes bi-langues, et les classes européennes, vous donnez davantage de moyens, avec des dispositifs dérogatoires à certains, font réussir davantage, c'est certain, mais est-ce que vous ne voulez pas, plutôt, répartir les moyens pour que tous soient tirés vers le haut ? J'insiste là-dessus Bruce TOUSSAINT, parce que, au fond, certains nous disent « mais, tirer tout le monde vers le haut c'est niveler par le bas. » Non. Tirer tout le monde vers le haut c'est bien démocratiser la réussite scolaire et c'est mon intention.
BRUCE TOUSSAINT
Najat VALLAUD-BELKACEM, nous sommes fin avril, le troisième trimestre a démarré pour les élèves, la question du redoublement va se poser pour de très nombreux élèves, pour de très nombreux parents, et professeurs. Alors, c'est un sujet qui est toujours extrêmement sensible, on le voit bien, vous avez dit qu'il ne fallait pas supprimer le redoublement, mais dans les faits, ce qui va se passer là, à la fin de ce troisième trimestre, est-ce qu'il y aura encore des redoublements en France ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Le redoublement, de manière générale, depuis quelques années, est de moins en moins utilisé, pour une raison simple, c'est que toutes les études vous démontrent qu'il n'est pas efficace. Au fond, quand vous regardez la scolarité d'un enfant qui a pu redoubler, eh bien elle n'est pas plus réussie qu'un enfant qui n'aurait pas redoublé, mais auquel on aurait proposé évidemment d'autres aides, d'autres accompagnements personnalisés, pour l'aider à rattraper son retard.
BRUCE TOUSSAINT
Pourquoi ne pas le dire alors, pourquoi ne pas l'assumer ? Pourquoi ne pas dire on arrête ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ah mais c'est parfaitement assumé, c'est parfaitement assumé que la philosophie aujourd'hui de l'Education nationale c'est de ne pas recourir au redoublement, sauf, sauf cas où l'enfant a été malade pendant une longue durée et qu'évidemment il vaut mieux refaire son année, ou cas où les parents le demandent expressément pour des raisons qui leur appartiennent, mais à part ces situations-là, le redoublement est considéré aujourd'hui comme n'étant pas la solution optimale pour faire réussir les enfants. Ce qui l'est en revanche
BRUCE TOUSSAINT
C'est encore un discours un peu diplomatique.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non. Non
BRUCE TOUSSAINT
Vous pourriez dire le redoublement n'existe plus.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je viens de vous dire qu'il y avait des situations où il pouvait exister.
BRUCE TOUSSAINT
Non, vous avez dit ce n'est pas la solution
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, parce que ce que je cherche à vous dire c'est que ce n'est pas une question idéologique, en fait
BRUCE TOUSSAINT
Ça pourrait.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais non
BRUCE TOUSSAINT
Ça pourrait.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Peut-être que ça pourrait l'être pour certains, mais moi je ne suis pas une idéologue, moi je suis pragmatique et j'essaye de trouver les meilleures solutions, donc pour en revenir
BRUCE TOUSSAINT
Vous ne voulez pas être la ministre de l'Education qui supprimera le redoublement.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais, le redoublement
BRUCE TOUSSAINT
Parce que ça provoquerait des remous dans cette administration.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non. Alors, je vais le dire plus simplement encore. Le redoublement n'étant pas la meilleure solution pour faire réussir les élèves en difficulté, nous lui préférons d'autres solutions, que sont les temps de rattrapage scolaire, l'accompagnement personnalisé, ce que nous sommes en train de développer, y compris, vous voyez, pour prendre les enfants à la fin de l'été et leur faire rattraper pendant une certaine séquence les cours qu'ils n'ont pas compris l'année précédente. Mais nous préférons en effet ce type de réponses au redoublement, qui n'a pas prouvé son efficacité.
BRUCE TOUSSAINT
François HOLLANDE va-t-il redoubler en 2017 ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'était pour en arriver à cette question-là en fait ?
BRUCE TOUSSAINT
Non, pas que pour ça.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
S'il devait recommencer en 2017, ce serait plutôt une récompense.
BRUCE TOUSSAINT
Non, mais il va passer dans la classe supérieure, c'est-à-dire être réélu ou pas ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce serait une récompense pour son travail.
BRUCE TOUSSAINT
Vous y croyez ? Il y a plein de responsables qui disent il n'y a aucune chance, il ne sera même pas au second tour, c'est ce qu'a dit Benoît HAMON par exemple. C'est quoi votre sentiment ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Moi je pense qu'il fait arrêter de tirer des plans sur la comète, de commenter la vie politique et plutôt de la faire, moi je suis dans l'action. On a encore 2 ans pour convaincre les Français, avec des résultats, qu'ils attendent, qui se sont faits attendre, sans doute, sur la question économique, sur la question du chômage, sans doute plus longtemps que ce que nous aurions voulu, mais enfin, les réformes, en revanche, nous les avons bien adoptées, en temps utiles, et je pense qu'elles vont produire leurs effets. Moi je suis relativement optimiste.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup Najat VALLAUD-BELKACEM. Bonne journée à vous.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 avril 2015