Déclaration de Mme Pascale Boistard, secrétaire d'Etat aux droits des femmes, sur le renforcement de la lutte contre le système prostitutionnel, Paris le 30 mars 2015.

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Je prends la parole aujourd'hui devant vous, consciente de l'importance du débat qui nous réunit. Il s'agit en effet d'échanger sur un sujet souvent tabou, rarement abordé par notre société : la prostitution.
Non pas la prostitution seule mais le système prostitutionnel qui unit les trois acteurs : le proxénète, la prostituée et le client.
Je veux d'abord rappeler l'engagement international de la France, qui fait d'elle un pays abolitionniste depuis 1960.
A cette date, elle a ratifié la convention de l'Organisation des Nations unies (ONU) du 2 décembre 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui. Déjà cette convention établit un lien direct entre prostitution et traite des êtres humains. Son préambule affirme que « la prostitution et… la traite des êtres humains en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la dignité et la valeur de la personne humaine».
Se sont ensuite succédé, en 1979 la convention de l'ONU pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes, en 2000 le protocole de Palerme contre la traite des femmes, et en 2005 la convention du Conseil de l'Europe de lutte contre la traite des êtres humains.
La directive européenne de 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains prévoit que « les autorités nationales aient le pouvoir de ne pas poursuivre les victimes de la traite ».
Tous ces textes internationaux sont rappelés dans la résolution de l'Assemblée Nationale du 6 décembre 2011, réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.
Enfin le parlement européen a adopté le 26 février 2014 une résolution (non contraignante) qui affirme que « la prostitution…est contraire aux principes de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, notamment l'objectif et le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes ».
Aujourd'hui, en mars 2015, il s'agit de savoir ce que dit la France et sachez que nous sommes regardés partout dans le monde. Je reviens de l'ONU à New York et je peux témoigner que nombreux sont ceux qui attendent et espèrent un geste fort de la France.
En effet le débat qui vient ce jour devant vous est un débat de société. La sémantique a son importance. Qu'est ce que l'abolitionnisme ?
C'est un système qui vise à abolir toute forme de réglementation de la prostitution, dans le but de ne pas l'encourager. Il s'agit de décourager les réseaux de prostitution en instaurant un contexte défavorable à leurs activités. Et cette posture de l'Etat a des résultats, la police suédoise le constate dans les écoutes téléphoniques : les réseaux de proxénète qualifient désormais la Suède de « dead market », zone non accueillante pour leur trafic.
Bien sur il ne s'agit pas de se satisfaire que les réseaux migrent et se déplacent chez nos voisins, mais bien à terme que toute l'Europe soit considérée comme un continent où les réseaux de traite ne peuvent agir librement et où les prostituées sont des victimes à protéger et non des objets de consommation sur le marché de la sexualité.
Abolir en France c'est poser un interdit, c'est donner un signe.
A ceux qui pensent encore que le réglementarisme est une solution, il faut se rappeler qu'il a été appliqué en France de 1830 à 1946 (loi Marthe Richard) avec fichage des prostituées, maisons closes avec pignon sur rue et contrôle sanitaire obligatoire. Mais ce système n'a pas été convaincant et a laissé se développer un trafic d'êtres humains destinés à alimenter ces maisons dîtes « de tolérance ». Après guerre la France choisit donc de fermer ces maisons, qui loin de la vision romantique que l'on se plait parfois à véhiculer, mettaient les femmes en situation de se soumettre à 70 passes par jour.
Qu'on ne s'y trompe pas, c'est ce qui se passe encore aujourd'hui en Allemagne ou en Suisse dans ces immenses Eros Center qui fleurissent à l'entrée des villes. Ces pays, réglementaristes, sont en plein débat sur leurs choix qui sont contestés par une partie de la population.
En France, pas de supermarchés du sexe, mais une transformation profonde de la prostitution. L'OCRETH nous dit que désormais c'est 97 % des filles qui proviennent directement de la traite des êtres humains : roumaines, ukrainiennes, nigérianes, chinoises. Elles ont été arrachées à leur famille, ou achetées. Elles ont payé leur passeur pour le rêve d'une vie en Europe et vivent sous la menace du remboursement de cette dette. Elles sont parquées dans les dortoirs et mises sur le trottoir le soir. Elles sont tatouées, scarifiées, droguées, violentées, assassinées. La prostitution est une violence. Je suis allée, comme vous, voir au plus près, leur réalité et personne ne peut prétendre qu'elles sont libres de leur activité. Il est faux de le dire, et pire de le croire.
Le corps des femmes est donc l'objet d'un marché lucratif. Les profits tirés de l'exploitation des êtres humains s'élèvent, selon le bureau international du travail à 150 milliards de dollars par an. Cette estimation fait de la traite, notamment sexuelle, la deuxième forme de criminalité la plus lucrative derrière le trafic de drogue.
Les réseaux ne s'y trompent pas car ils investissement massivement dans cette activité et s'organisent, telles des multinationales.
C'est que nous explique l'OCRETH qui a démantelé en 2014, 50 réseaux pour un total de 590 proxénètes.
Les prostituées sont suivies par des associations, auxquelles il convient de rendre hommage pour leur remarquable travail de terrain. Elles alertent sur la situation dramatique des prostituées en termes de santé et le rapport de l'IGAS de décembre 2012 « prostitution : les enjeux sanitaires » confirme leur fragilité : sida, Maladies Sexuellement Transmissibles bien sûr mais aussi risque de tuberculose, dermatoses, pathologies hépatiques, troubles digestifs liés au stress, troubles musculo-squelettiques, de déséquilibres alimentaires et de problèmes dentaires.
Une tribune d'un collectif de médecins, dont Axel Kahn, Xavier Emmanuelli et Israël Nisand rappelle que les personnes prostituées sont victimes de violences graves qui portent atteinte à leur intégrité physique et psychique. Leur taux de mortalité est six fois plus élevé que celui du reste de la population.
Selon une étude de l'Observatoire des drogues et de la toxicomanie publiée en 2004 l'usage de l'alcool et de produits stupéfiants est fréquent. Ils peuvent apparaitre comme l'unique moyen de «tenir» dans un univers anxiogène et violent.
Une étude de l'Institut de veille sanitaire (InVS) menée en 2010 et 2011 indique que 29 % des personnes prostituées déclaraient avoir eu des pensées suicidaires contre 3 % à 4 % en population générale.
Il faut donc apporter une attention sanitaire particulière aux prostituées.
La prostitution n'est pas une activité comme une autre. Elle n'est pour personne un projet de vie. Les survivantes de la prostitution, parlent de ces actes sexuels répétés, consentis mais non désirés. Elles disent à quel point l'estime de soi est rapidement mise à mal, comment une dissociation de personnalité permet seule de tenir. C'est une violence avec de lourdes conséquences physiques et psychiques sur ces personnes.
D'autre part, si ce texte devait comporter à la fois le délit de racolage et aucune responsabilisation du client, nous serions dans le statu quo et vous conforteriez les réseaux de traite des prostituées, et leur financement par l'achat d'actes sexuels.
La responsabilisation du client permet au troisième acteur du système prostitutionnel de ne pas rester invisible. Le client. C'est lui qui crée la demande.
Permettez moi d'abord de rappeler qu'en France, depuis 2002, l'achat d'acte sexuel est sanctionné lorsque la personne prostituée est mineure ou particulièrement vulnérable (handicapée ou enceinte).
Il ne s'agit donc pas de créer une nouvelle infraction mais de l'étendre à tous les achats d'acte sexuel quelques soient les caractéristiques de la personne prostituée. Il a été choisi de ne pas en faire un délit mais une contravention de 5ème classe (pas de peine de prison encourue, 1 500 euros d'amende).
Mais l'enjeu est au-delà du droit, c'est aussi un message clair qui est envoyé.
La loi vient dire au client, qu'acheter un corps, est punissable et qu'il participe, par ses actes au financement du système prostitutionnel.
Enfin, la loi vient dire aux réseaux qu'ils ne sont pas les bienvenus en France.
Pour assurer la cohérence du texte, il faut protéger les prostituées. La suppression du délit de racolage, au profit de l'instauration d'un parcours de sortie de la prostitution, renverse totalement l'approche. D'une délinquante, la loi fait une victime. Cela est juste.
Il faudra que l'État assume son rôle en abondant le fonds, prévu à la mesure 11 du plan de lutte contre la traite des êtres humains, qui vise à financer les parcours de retour à une vie normale.
Pour finir mon propos, je tiens à dire que plus globalement encore, ce choix de lutte contre le système prostitutionnel s'inscrit dans un contexte plus large : l'égalité entre les femmes et les hommes. Celle-ci ne sera pas possible, tant que le corps des femmes restera un objet que l'on peut s'acheter.
Victor Hugo écrivait : « On dit que l'esclavage a disparu de la civilisation européenne. C'est une erreur. Il existe toujours. Mais il ne pèse plus que sur la femme, et il s'appelle prostitution ».
Alors soyons à la hauteur de nos engagements.
Source http://femmes.gouv.fr, le 17 avril 2015