Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs,
" Une initiative toute simple, d'un collectif de citoyens qui appelle à la définition d'une politique citoyenne de santé mentale . "
Ainsi définissez-vous, monsieur Ladsous, ce forum.
Je reconnais là tout à la fois votre extrême modestie, et votre farouche énergie au service des autres.
J'ai déjà eu l'occasion de rappeler, lors du dernier conseil supérieur du travail social, les qualités qui sont les votre et la grande capacité que vous développez pour mobiliser et pour fédérer, simplement les personnes et les associations qui ont lancé ce forum et plus particulièrement :
les CEMEA, Centres d'entraînements aux méthodes d'éducation active, dans leur action en faveur du décloisonnement des champs de la santé mentale et de l'éducation nationale,
la Fédération mondiale de santé mentale, qui uvre pour la prise en compte, dans la cité, des personnes souffrant de troubles mentaux,
mais aussi d'autres associations, témoins du foisonnement des lieux de vie en France, alternatives aux concentrations asilaires ou médico-sociales encore présentes.
C'est un collectif qui partage le même souci : ne pas exclure les personnes ayant des troubles mentaux, faire du soin et de l'insertion, des droits fondamentaux.
Vous avez souhaité que votre forum soit le lieu de valorisation et de publicité des expériences innovantes en France.
Pendant deux journées, vous allez donner la parole au sein d'ateliers nombreux et complémentaires à ces acteurs du terrain porteurs d'actions innovantes dans le champ social et sanitaire.
J'ai demandé à un de mes collaborateurs de participer, demain, à la restitution des travaux des ateliers, des propositions et des conclusions que vous serez amenés à tirer.
J'ai besoin de vos travaux car ces pratiques innovantes accompagnent le formidable outil de santé publique qu'a représenté depuis 1960, le secteur psychiatrique.
Mais nous le savons, celui-ci doit encore plus évoluer et s'ouvrir.
Il doit se rapprocher des citoyens et devenir un outil radical de lutte contre l'exclusion.
Ayant en charge le secteur de l'emploi et de la solidarité, je souhaite insister sur le fait qu'une politique de santé mentale réellement pertinente ne comporte pas seulement la nécessaire rénovation des soins psychiatriques s'intégrant dans des programmes rénovés de santé publique, comme le soulignera demain Bernard Kouchner, lors de la clôture de vos travaux.
Mais une politique de santé mentale implique aussi que cette prise en charge sanitaire vienne s'inscrire dans une politique sociale, mobilisant toute la société.
La Santé Mentale en effet est l'affaire de tous les citoyens.
Elle concerne leurs droits et leurs devoirs. Les droits de l'homme et du citoyen sont inaliénables. Ces droits essentiels à la santé, à l'éducation et à la formation, à l'insertion, au logement, au travail, à la culture sont à garantir pour toute personne, qu'elle soit malade ou non.
Hélas, les personnes qui souffrent de troubles mentaux sont encore l'objet d'une stigmatisation et d'une discrimination très forte dans la société, surtout dans le domaine du travail.
Or, la santé mentale traverse tout le champ social. Il suffit pour s'en convaincre de dresser la liste des principales populations concernées par la souffrance psychique : victimes de catastrophe, personnes en situation de stress au travail, populations confrontées à des pratiques addictives, familles déstructurées ou en difficulté, enfants désinsérés ou présentant des troubles du comportement, adolescents violents ou suicidants, jeunes en errance, populations en situation de précarité et d'exclusion, personnes âgées notamment celles présentant une détérioration intellectuelle, personnes dont le handicap résulte d'une affection psychique grave et durable, le plus souvent appelées dorénavant " handicapés psychiques ".
L'organisation mondiale de la santé précise que, dans le monde, ce sont 450 millions de personnes qui souffrent de troubles mentaux, " trop souvent négligés par les gouvernements et les autorités de santé publique " précise l'OMS.
" Au-delà des souffrances et de l'absence de soins, ce sont la stigmatisation, la honte, l'exclusion et, plus souvent que nous ne voulons l'admettre, la mort qui les menace ".
Ces commentaires sévères de la directrice générale de l'OMS Madame Gro Harlem Brundtland, nous rappellent, à juste titre, que ces populations, confrontées durablement à une souffrance psychique, doivent non seulement bénéficier de soins diligents et adaptés mais aussi d'un accompagnement social et d'un projet d'insertion mettant en jeu de nombreux intervenants agissant en contrepoint des prestations thérapeutiques nécessaires.
À ce titre, je souhaite aborder avec vous en ouverture de cette journée deux thèmes dont l'importance me paraît majeure.
Le premier concerne l'articulation du sanitaire et du social en santé mentale et les outils à développer ou à promouvoir pour garantir la cohérence et la synergie des actions issues de ces deux champs.
Le second a trait à la conception et à la mise en œuvre de trois programmes prioritaires :
celui relatif à l'insertion sociale et professionnelle des handicapés psychiques,
le second concerne les actions de santé mentale en faveur des personnes en situation d'exclusion,
Le dernier a trait au rôle des professionnels du champ social dans le secteur de la santé mentale.
I La nécessaire articulation du sanitaire et du social :
Les malades mentaux, les plus invalidés, après la phase aiguë de leur affection, doivent en effet bénéficier de prises en charge médico-sociales conjuguant les soins qui restent nécessaires et un véritable projet de vie, d'animation et de socialisation, pouvant être le prélude à une insertion en milieu ordinaire.
Or, le code de la santé publique, offre à la psychiatrie la possibilité de diversifier son action en lui permettant de créer et gérer des établissements et services sociaux et médico-sociaux.
Cet outil a jusqu'à présent été peu utilisé en psychiatrie, alors même que nous nous accordons à souligner que les concentrations hospitalières psychiatriques sont nombreuses en France et souvent trop éloignés des usagers.
Ces lits sont souvent occupés par des personnes dont la prise en charge relève du social ou des institutions médico-sociales : ateliers protégés, centres d'aide par le travail, foyers d'hébergement, maisons d'accueil spécialisé, en lien avec un système de soins de proximité représentés, par exemple, par les centres médico-psychologiques, les centres d'accueil thérapeutique à temps partiel, les appartements thérapeutiques.
Ma seconde réflexion concerne le projet de loi rénovant l'action sociale et médico-sociale et venant réformer en profondeur la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions concernées par ce champ.
Ce texte, voté le 1er février à l'unanimité par les députés en première lecture, va faire l'objet d'un examen par le sénat, le 30 et le 31octobre.
Il comporte notamment des dispositions qui favoriseront le nécessaire décloisonnement entre le sanitaire et le social : la possibilité de créer des structures expérimentales innovantes, la mise en place d'une planification sociale et médico-sociale clairement articulée avec les schémas régionaux d'organisation sanitaire, incluant la psychiatrie, la promotion de réseaux coordonnés et décloisonnés.
Sur ce dernier point des dispositions sont en effet prévues pour stimuler les complémentarités entre établissements et services ou entre les institutions et le milieu ouvert, par la mise en place d'une palette diversifiée de formules de coopération et de coordination : conventions, GIE, GIP, syndicats à vocation sociale et médico-sociale, communautés d'établissements, réseaux sociaux et médico-sociaux coordonnés.
Le projet prévoit non seulement l'articulation des établissements et services sociaux et médico-sociaux entre eux, mais aussi un décloisonnement entre le sanitaire et le social : possibilité pour des établissements de santé d'adhérer à une formule de coopération sociale et, inversement, possibilité pour un établissement social ou médico-social de s'intégrer dans une coopération ou un réseau sanitaire.
Outre ces dispositifs qui viendront utilement compléter ceux instaurés par la législation hospitalière, il y a lieu, également, d'utiliser dans le champ de la santé mentale (ce n'est pas le cas aujourd'hui) les filières et réseaux mentionnés dans le code de la sécurité sociale : ces dispositifs expérimentaux offrent en effet l'avantage de permettre explicitement l'émergence d'organisations nouvelles articulant le sanitaire et le médico-social.
Ma troisième observation portera sur la nécessité de disposer d'un nouvel outil pour institutionnaliser un partenariat fort entre les services de l'État et ceux des collectivités territoriales afin de concevoir des programmes coordonnés de santé mentale impliquant les principaux décideurs et financeurs et organisant des actions communes de prévention, d'accompagnement et d'insertion sociale et professionnelle.
À cet effet, nous travaillons avec Bernard KOUCHNER sur le concept des contrats pluriannuels de santé mentale.
Ils pourraient constituer un appui indispensable pour impulser les partenariats et créer un réseau d'acteurs médicaux et sociaux d'un même territoire autour d'une personne dont le projet de prise en charge devrait être global et individualisé, au sein même de la communauté.
II J'en viens maintenant aux trois programmes prioritaires que j'évoquais précédemment.
l Le premier concerne l'insertion sociale et professionnelle des personnes que l'Union Nationale des Familles de Malades(UNAFAM) appelle handicapées psychiques.
Les personnes qui sont en situation de handicap du fait de troubles psychiques graves et durables ne trouvent pas actuellement dans notre pays l'aide qui leur serait nécessaire, pour une insertion sociale et professionnelle de qualité, en complément des soins qui leurs sont prodigués et en bonne articulation avec ceux-ci.
Cette situation résulte d'un ensemble de facteurs, où l'on peut reconnaître une certaine confusion entre les notions mêmes de maladie mentale et de handicap psychique, une grande méconnaissance des besoins d'aide des personnes concernées, et même une certaine crainte à leur égard.
Si des actions ont été entreprises en matière d'aide à la vie quotidienne et d'aide à l'insertion professionnelle, notamment sur l'initiative des associations de familles et de certaines équipes de santé mentale -on consultera sur ce point l'excellent " livre blanc des partenaires de santé mentale " édité conjointement par l'UNAFAM, la Fédération nationale des associations d'(ex) patients en psychiatrie (la FNAT-PSY) et les professionnels concernés-, force est de constater qu'elles sont restées isolées et n'ont pas encore suffisamment inspiré les autorités publiques et les institutions sociales normalement en charge de l'aide aux personnes handicapées.
Au titre des expériences réussies dont j'ai eu connaissance, je tiens citer celles menées par l'association MESSIDOR implantée en de multiples points de la région Rhône-Alpes : ces professionnels conduisent des actions particulièrement efficaces en matière d'insertion professionnelle pour des personnes présentant un handicap psychique : 280 personnes handicapées psychiques travaillent dans 40 unités de production (centres d'aide par le travail, ateliers protégés) et chaque année 30 % des sortants sont insérés en milieu ordinaire de travail. Par ailleurs, une étude réalisée sur ces placements en entreprises donne un taux de pérennisation, au-delà de deux ans, de 68 %. Il s'agit là d'une expérience réussie, où l'économique est au service du social, et qui devrait servir d'exemple.
Au regard de l'ampleur des problèmes à résoudre, Ségolène ROYAL a confié à Michel CHARZAT, député de Paris et Maire du XXème arrondissement, une mission destinée à nous éclairer sur les difficultés et les attentes des personnes handicapées psychiques et de leurs proches et sur les meilleures réponses possibles à leur apporter notamment en matière de soutien dans leur vie sociale, d'aide au logement, d'accompagnement pour leur insertion professionnelle
Cette réflexion alimentera des programmes sociaux et médico-sociaux, qui seront élaborés par la direction générale de l'action sociale.
Elle apportera également, j'en suis sûre, des éclairages utiles à la réforme de la loi d'orientation en faveur des personnes handicapées que nous mettons en chantier.
Je veille également avec Ségolène ROYAL à ce que les plans d'action pluriannuels sur le handicap décidés par le Premier ministre en janvier 2000 soient également accessibles aux personnes handicapées psychiques.
l Le second programme concerne les problèmes de santé mentale des personnes en situation de précarité sociale et d'exclusion.
Certaines études montrent qu'au regard de la population générale une " surmorbidité " de l'ordre de + 59 % peut être observée chez les allocataires du RMI au titre de troubles de santé mentale si l'on inclue certaines conduites addictives, telles l'alcoolisme ou la toxico-dépendance.
La prévalence des problèmes de santé mentale et des troubles du comportement est, à l'évidence, lourde de conséquences quant à l'efficacité des projets d'insertion des personnes en situation d'exclusion et ce, d'autant plus que les troubles mentaux sont à l'origine d'environ 50 % des cas d'inaptitude professionnelle.
Il convient de souligner que treize programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins (PRAPS) sur vingt deux ont posé la souffrance psychique comme thème à traiter en priorité.
Il est encore trop tôt pour disposer d'une synthèse précise des modes d'intervention adoptés par la majorité des PRAPS. Semblent émerger toutefois des dispositifs d'aide à la santé mentale des exclus comportant trois niveaux fonctionnant en réseau : un premier niveau correspondant à des équipes mobiles pluridisciplinaires, une seconde ligne d'intervention composée de postes avancés intégrés dans la cité (Samu Sociaux, boutiques de solidarité), un troisième niveau enfin correspondant aux institutions spécialisées de psychiatrie (consultations externes hospitalières, psychiatrie de secteur).
Nous pourrons juger en 2002, lorsque les contenus des PRAPS seront finement évalués, si le schéma d'organisation que je viens brièvement d'évoquer se retrouve le plus souvent et peut faire l'objet d'une généralisation.
l Venons en maintenant à mon dernier point : les liens à promouvoir entre santé mentale et travail social.
Nous avons vu qu'il n'est pratiquement pas d'action sociale aujourd'hui qui ne mette en évidence la souffrance psychique des populations auxquelles elle s'adresse.
Il en résulte un croisement des demandes et des offres entre :
d'une part les acteurs sociaux en première ligne (élus, professionnels socio-éducatifs, enseignants, responsables d'entreprises), qui se trouvent démunis et attendent de la psychiatrie des interventions de soins pour les personnes en souffrance mais aussi une aide pour leur exercice auprès des populations qu'ils desservent (soutien, conseil, supervision) ;
d'autre part les professionnels du soin psychiatrique, débordés par cette nouvelle demande sociale, qui se sentent sollicités au-delà de leurs rôles et de leurs compétences de soignants et qui sont eux-mêmes à la recherche de relais sociaux au titre de l'insertion sociale ou professionnelle de leurs patients.
Il y a donc nécessité de rencontres, d'articulations et de meilleurs positionnements des uns et des autres.
À titre d'exemple, nous commettrions une erreur de considérer les professionnels de l'action sociale comme des auxiliaires médicaux, exclusivement formés à dépister et orienter vers les professionnels du soin, selon une logique médicale.
C'est la raison pour laquelle je vais demander au conseil supérieur du travail social, au titre de son prochain mandat, de mettre en priorité à l'ordre du jour de ses travaux la place des professionnels du social dans le champ de la santé mentale et qu'il formalise la composante " santé mentale " s'inscrivant dans le travail social.
Je lui suggère quatre axes de travail :
Dresser l'état des lieux concernant les partenariats ou conventions entre travail social et psychiatrie.
Recenser et valoriser les expériences innovantes en santé mentale dans lesquelles sont impliqués les travailleurs sociaux.
Analyser les différences et les points communs entre les identités et les cultures professionnelles des intervenants des deux champs.
Préparer enfin des propositions qui concerneraient notamment les formations initiales et continues des professionnels du social.
Je conclurai en soulignant qu'il est temps de donner du sens et du corps à la notion de santé mentale.
Le travail en santé mentale doit être nourri des pratiques innovantes des professionnels et s'appuyer sur l'expérience des associations d'usagers de santé mentale, de celle des familles, des élus -les maires notamment qui sont à la rencontre de la communauté-, des travailleurs socio-éducatifs, des enseignants, des artistes, comme nous le montre la pratique professionnelle du Docteur Roelandt au sein de son secteur de santé mentale et qui vient de nous remettre son rapport rédigé en collaboration avec le docteur PIEL.
Dans un tel contexte, il est essentiel de penser des réponses ajustées à des besoins multiples, mouvants, qui dépassent les grandes catégories de populations touchées par l'exclusion sociale avec, souvent, un mélange de difficultés économiques et sociales, d'anxiété, de dépression, de dépendances plus ou moins pathologiques
Pour autant, le besoin d'un soutien psychologique ne signe pas l'existence d'une maladie mentale et il n'y a aucune raison de psychiatriser la souffrance existentielle.
Encore faut-il pouvoir répondre à des situations de détresse, de dégradation de la santé, et pour cela favoriser la combinaison des interventions des travailleurs sociaux et des équipes psychiatriques.
J'ai bien conscience, qu'en la matière, il est plus facile de poser les problèmes que de les résoudre.
Mais j'ai bon espoir que nous parviendrons, ensemble, à concevoir des dispositifs partenariaux équilibrés.
Je vous souhaite, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, une réflexion fructueuse dans le cadre de cette journée.
Je vous remercie de votre attention.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 15 octobre 2001)