Interview de M. Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics, à "France Inter" le 16 avril 2015, sur la poursuite du programme d'économie budgétaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

BRUNO DUVIC
Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics, est ce matin l'invité de France Inter, bonjour Monsieur.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
BRUNO DUVIC
Un peu de croissance, reprise de la consommation, un peu plus de marges pour les entreprises, est-ce que la reprise est là ?
MICHEL SAPIN
Elle est là, mais elle est encore insuffisante. C'est, au fond, le diagnostic que nous faisons, mais que tous les observateurs objectifs, indépendamment du gouvernement, font aujourd'hui. La reprise est là parce que, vous venez de le dire, il y a une reprise de la consommation. La consommation c'est quoi ? C'est les ménages, même s'il peut y avoir des très grandes différences évidemment d'un ménage à l'autre, mais globalement les ménages français ont un peu plus de pouvoir d'achat, et donc consomment un peu plus, ce qui fait fonctionner un peu mieux l'économie française. Il y a aussi la question à l'extérieur. Nous avons une capacité plus importante, aujourd'hui, de nous battre contre les produits qui viennent de l'extérieur, ou de nous battre à l'extérieur pour conquérir des marchés avec un euro – nous le voulions, et c'est le cas maintenant – qui est plus faible qu'il ne l'était. Mais il manque un élément, c'est peut-être cela dont vous voulez parler, qui est la question dite de l'investissement. Les marges entreprises sont plus élevées, maintenant on passe à la phase de l'investissement.
BRUNO DUVIC
Avant l'investissement, Michel SAPIN, c'est un début de reprise, pas créateur d'emploi. Vous prévoyez pour l'année prochaine 1,5 % de croissance, généralement, c'est le chiffre que donnent les économistes pour dire qu'une économie crée de l'emploi à partir de ce moment-là. Est-ce que ça veut dire qu'à partir de l'année prochaine les conditions seront réunies pour une baisse du chômage ?
MICHEL SAPIN
Oui, je pense même qu'elles le seront un peu avant l'année prochaine. Qu'est-ce qui compte ? C'est ce qu'on appelle le rythme de croissance. Je ne vais pas rentrer dans tous ces détails statistiques où chacun peut démontrer tout et le contraire de tout. Mais, ce que nous souhaitons, ce que nous voulons, ce que là aussi les observateurs extérieurs, le Fonds Monétaire International, la Commission européenne, remarquent, c'est que d'ici la fin de cette année, nous devrions être sur un rythme de l'ordre de 1,5 % de croissance. Et quand je dis, pour l'année prochaine, 1,5 % de croissance, et en 2017, tout le monde me dit « tant mieux, c'est prudent. » Prudent, ça veut dire quoi ? Ça peut être supérieur.
BRUNO DUVIC
Parce que c'est en deçà de la prévision de certains économistes.
MICHEL SAPIN
Oui, voilà, c'est prudent, ça veut dire que ça peut être sup… nous allons nous battre pour que ce soit supérieur. Plus nous aurons de croissance, plus nous pourrons faire reculer le chômage.
BRUNO DUVIC
Alors, pas de recul du chômage. Pour l'instant la période est marquée par toute une série de plans sociaux, dans les transports, le textile, l'agroalimentaire, GEFCO, MORYGLOBAL, VIVARTE, DIM, et toute une série d'autres entreprises moins médiatisées, mais qui concernent des dizaines et des centaines de salariés. Comment est-ce que vous expliquez cette vague de plans sociaux ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas sûr qu'il y ait une vague, il y a la concrétisation d'un certain nombre de situations qui sont toujours difficiles, qui sont d'ailleurs traitées de manière très différente par rapport à ce qui pouvait être le cas il y a 2 ans, dans le cadre d'une loi, que je connais bien, qui s'appelle sur la sécurisation de l'emploi, où, en particulier, pour ces nouvelles vagues, on accompagne beaucoup plus chacun des salariés pour leur permettre de retrouver un emploi. Vous pourriez aussi parler en sens inverse, mais c'est normal, on en parle moins, des créations d'emplois que, par exemple, je ne sais pas, dans l'aéronautique, on est en capacité de créer. Cet équilibre-là… c'est vrai que certains emplois disparaissent, et il faut absolument accompagner les salariés qui sont en situation difficile, d'autres se créent, il faut parfois d'ailleurs accompagner les chômeurs pour leur permettre d'occuper les emplois qui se créent. C'est ça une économie vivante, mais aussi une économie juste, une vision juste de la société, c'est accompagner dans la difficulté, accompagner pour réussir.
BRUNO DUVIC
Sur les plans sociaux, les annonces arrivent maintenant comme si on les avait reportées après les élections départementales.
MICHEL SAPIN
Non, on n'est pas en 2012, on n'est pas juste avant ou juste après une élection présidentielle…
BRUNO DUVIC
Ça pas du tout, du tout ? Ça ne se pratique plus du tout ?
MICHEL SAPIN
Vous croyez que les entreprises vont se préoccuper de savoir s'il y a une élection départementale ou pas d'élection départementale ? Ce n'est pas comme ça que ça se passe dans l'économie d'aujourd'hui. C'est ainsi, c'est comme ça que ça se présente. Sur certains points, je pense à MORY, ou autres, les difficultés ne datent pas d'aujourd'hui, c'est la poursuite de difficultés. Nous avons fait beaucoup d'efforts du côté de l'Etat pour essayer de permettre à cette entreprise de surmonter ses difficultés, elle ne le réussit pas, en tout cas pas du tout comme nous le souhaitions, voilà. Je ne dis pas ça du tout pour minimiser ces situations, elles sont extrêmement douloureuses, elles sont difficiles, et ça rend d'autant plus nécessaire – je le redis – la mobilisation pour accompagner ceux qui sont en situation difficile, pour leur permettre de traverser cette période. Les transitions, comme on dit aujourd'hui, ces transitions il faut les faciliter, on ne peut pas les éviter.
BRUNO DUVIC
Le programme de stabilité que vous présentez, la trajectoire des finances publiques pour les années 2015, 2016, 2017, il fallait 4 milliards d'économies supplémentaires, 5 milliards l'année prochaine, vous avez commencé à détailler cela hier. Toujours, toujours, plus d'économies ?
MICHEL SAPIN
Non, enfin, pardon de le dire comme ça, mais ce n'est pas la description exacte. Je vais le redire autrement. Nous nous étions fixés l'année dernière, et le Parlement d'ailleurs l'avait voté, un plan d'économies – souvenez-vous ce chiffre, parce qu'il était rond, il était facile à retenir…
BRUNO DUVIC
50 milliards.
MICHEL SAPIN
50 milliards, dont 21 milliards pour l'année 2015, et puis le reste en 2016, 2017. C'est indispensable ces économies. Pourquoi ? parce que si on ne veut pas augmenter les impôts, et maintenant on a arrêté d'augmenter les impôts, et on diminue – on y reviendra peut-être – si on ne veut pas augmenter les impôts, si on veut continuer à diminuer les déficits, et si on veut financer nos priorités, l'éducation, la sécurité, etc., le seul moyen c'est de faire des économies. Nous avions dont programmé 21 milliards cette année.
BRUNO DUVIC
Et il en manquait 4.
MICHEL SAPIN
Il en manquait 4. Pourquoi ?
BRUNO DUVIC
Et 5 l'année prochaine.
MICHEL SAPIN
Et 5 l'année prochaine. Pourquoi ? Parce qu'il y a un phénomène que les gens n'ont pas forcément perçu, c'est que, l'inflation, qui aurait dû être aux alentours de 1 %, est à 0, elle est même peut-être négative. Ce n'est pas mauvais pour le pouvoir d'achat, même si les gens ne s'en rendent pas véritablement compte, mais la réalité économique est celle-là, mais sauf ça fait « disparaître » les économies que nous avions prévues. Donc, il ne s'agit pas de rajouter 4 milliards à 21 milliards, il s'agit d'atteindre les objectifs que nous nous étions fixés. Et nous le faisons pourquoi ? Parce que nous l'avons décidé, la France l'a décidé, le Parlement l'a décidé, et pas parce qu'on nous l'imposerait de je ne sais trop où.
BRUNO DUVIC
Pas de vote sur ce programme de stabilité, alors qu'il y avait un vote l'année dernière. C'est parce que l'année dernière c'est le moment où les frondeurs se sont réveillés ?
MICHEL SAPIN
Non, mais il y avait un vote l'année d'avant, il n'y avait pas de vote en 2012, il n'y a pas d'obligation de vote, il y a une obligation légitime d'information…
BRUNO DUVIC
Et on ne veut pas étaler les divisions de la gauche sur le sujet.
MICHEL SAPIN
Si vous voulez que je vous explique pourquoi il n'y a pas de vote, vous savez ce qui se passe pendant les 15 jours qui viennent ?
BRUNO DUVIC
Calendrier parlementaire, vous allez me dire.
MICHEL SAPIN
Oui, le calendrier parlementaire. Ça veut dire quoi ?
BRUNO DUVIC
Ce qui ne convainc qu'à moitié.
MICHEL SAPIN
Ils sont en vacances, voilà, donc moi je ne vais pas les réunir, alors que je dois envoyer d'ici à la fin de ce mois-ci, à Bruxelles, le document. Mais, j'ai été en commission des Finances hier, je serai en commission des Finances la semaine prochaine. Je vous assure que le débat a lieu, il est animé, il est même plutôt intéressant, et je n'entends pas que des critiques sur le programme de stabilité que je viens de présenter.
BRUNO DUVIC
Pas de hausse d'impôts, disiez-vous à l'instant, ce qui augmente en revanche, Michel SAPIN, ce sont les impôts locaux, taxe d'habitation, taxe foncière, dans les villes, pas seulement les villes de droite. On paye en impôts locaux ce qu'on ne payera plus en « impôts nationaux » ?
MICHEL SAPIN
Il y a une forme…
BRUNO DUVIC
Il y a un vase communiquant ?
MICHEL SAPIN
Il y a une forme de supercherie, non pas dans ce que vous dites, mais dans la manière dont s'est présenté par, par exemple quelqu'un qui milite pour la baisse des impôts, qui considère qu'il faut lutter contre les dépenses publiques, je veux dire par là le président de l'UMP, qui est en train de faire tout un tralala sur les impôts locaux qui augmentent. Mais, qui augmente les impôts locaux ?
BRUNO DUVIC
Des maires de droite, comme des maires de gauche.
MICHEL SAPIN
Les élus, locaux.
BRUNO DUVIC
Oui.
MICHEL SAPIN
Impôt local, élu local.
BRUNO DUVIC
Parce que, disent-ils, les dotations de l'Etat sont en baisse, on ne peut pas faire autrement.
MICHEL SAPIN
Tout est facile. Vous croyez qu'ils les augmentent du montant correspondant à la baisse des dotations ? Pas du tout, ils les augmentent bien plus. Ce qui me choque…
BRUNO DUVIC
Il n'y a pas un vase communiquant là-dessus, Michel SAPIN ?
MICHEL SAPIN
Est-ce que tous les maires de France augmentent les impôts ?
BRUNO DUVIC
Tous, certes non.
MICHEL SAPIN
Est-ce que vous croyez que le maire d'Argenton-sur-Creuse a augmenté les impôts ? Il ne les a jamais augmentés depuis 1196.
BRUNO DUVIC
Non, mais à Lille, à Lyon, à Strasbourg, à Toulouse, à Bordeaux.
MICHEL SAPIN
Est-ce que vous croyez que, globalement, les maires augmentent les impôts ? La réponse est non, il y en a quelques-uns, et je pense en particulier aux maires de droite qui ont conquis des villes en disant « jamais je n'augmenterai les impôts », c'est Toulouse, et qui commencent, 1 an après, uniquement par renier leur parole. Eh bien écoutez, qu'ils assument leurs responsabilités devant leurs électeurs et les électeurs sauront leur rappeler.
BRUNO DUVIC
Mariage entre ALCATEL et NOKIA, ou plutôt rachat d'ALCATEL par NOKIA. C'est une bonne nouvelle ?
MICHEL SAPIN
C'est une bonne nouvelle si, c'est une bonne nouvelle parce qu'on ne peut pas. Vous voyez de quoi il s'agit, il s'agit de tous nos Smartphones, autres mécanismes…
BRUNO DUVIC
Les équipements télécoms.
MICHEL SAPIN
On est dans une concurrence internationale totale, absolue, et donc ce n'est pas une entreprise française, ou une entreprise finlandaise, ou une entreprise allemande, ou une entreprise américaine, qui peut lutter seule sur ces marchés-là. Parce qu'il faut de l'innovation, parce qu'il faut de la productivité, parce qu'il faut de l'imagination. Bref, se marier pour être plus fort et conquérir, tenir le coup par rapport…
BRUNO DUVIC
C'est l'esprit du temps.
MICHEL SAPIN
Ça c'est bien.
BRUNO DUVIC
Bonne nouvelle, si emplois…
MICHEL SAPIN
Mais si, si, bien entendu, ce sont les questions en termes d'emploi, de maintien de l'emploi, mais aussi de maintien des capacités de recherche, nous avons aussi besoin de notre innovation. Donc, l'emploi, la recherche, l'intelligence, ça doit être maintenu en France.
BRUNO DUVIC
Patriotisme économique à géométrie variable tout de même, Michel SAPIN. Dailymotion, on leur a fait des ennuis lorsqu'il y avait un projet d'alliance avec un chinois, là, ALCATEL est racheté par NOKIA, le siège social sera en Finlande, le top management, comme on dit, sera en Finlande, les deux tiers du capital seront finlandais, et ça ne pose pas de problème sur ce coup-là ?
MICHEL SAPIN
Mais, comme dirait Monsieur GUETTA, Finlande, Europe, Finlande, euro, même monnaie, même destin, même bataille…
BRUNO DUVIC
Donc, pas de problème !
MICHEL SAPIN
Même combat. Ce n'est pas exactement la même chose que dans la relation, par exemple avec les Chinois, même s'il est tout à fait légitime, aussi, de faire des alliances avec les Chinois, qui ont des capacités, et d'investissement, et d'innovation, et qui sont un énorme marché, y compris pour nous-mêmes.
BRUNO DUVIC
Cela dit, sur cette question du patriotisme économique, cela vient après ALSTOM racheté par GENERAL ELECTRIC, le CLUB MED racheté par un chinois, la fusion LAFARGE avec un groupe suisse qui penche plutôt côté Suisse. Pourquoi toujours dans ce sens-là, jamais dans un autre sens ?
MICHEL SAPIN
Parce que vous ne les lisez pas quand ils sont dans l'autre sens, donc vous pourriez parler de AIRBUS qui rachète, etc. etc.…
BRUNO DUVIC
Dites-vous. Dites-vous.
MICHEL SAPIN
Non mais, c'est normal, je le comprends tout à fait, on s'inquiète et on s'interroge sur ce qui inquiète, on ne s'interroge pas sur ce qui rassure, c'est la vie, c'est ainsi fait, c'est pour ça d'ailleurs que les gouvernements ne reçoivent que des critiques et rarement des compliments.
BRUNO DUVIC
Mais c'est une question dépassée, d'une certaine manière ?
MICHEL SAPIN
D'une certaine manière, c'est dépassé, mais, je le répète, à condition de. Ce n'est pas bon ou mauvais en soi, c'est bon ou mauvais en fonction des modalités qui permettent de mettre en oeuvre des grandes entreprises internationales, sinon on disparaît, quand on est dans ces grands secteurs là. Quand on est le bâtiment, qu'on construit une maison, sur le territoire français, on est en concurrence avec soi-même, on est en concurrence avec l'autre constructeur de maisons de l'autre côté de la rue, mais là c'est de l'autre côté de l'océan, c'est tout à fait autre chose. On veut mourir tranquillement tout seul dans notre coin ? Non. On veut réagir, on veut construire, et construire avec d'autres, pour créer quoi ? Des emplois.
BRUNO DUVIC
Michel SAPIN, ministre des Finances et des Comptes publics, est l'invité de France Inter jusqu'à 08H55, 01.45.24.7000, franceinter.fr et Twitter mot clé « interactive » pour vos questions, réflexions et témoignages.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 avril 2015