Texte intégral
Monsieur le président,
Mesdames et messieurs,
Tous les orateurs qui se sont succédé à la tribune ont souligné le malaise qui entoure depuis plusieurs années le débat européen, et c'est vrai : l'Europe aujourd'hui n'est plus une évidence pour les Français, et ce qui lui manque le plus, c'est un projet.
Voilà pourquoi je tiens à saluer l'initiative qui vous a conduit à soumettre cette question au débat et voilà pourquoi je suis heureux de l'occasion qui nous est offerte de redonner du sens à ce débat et de rappeler à tous le cap qui est celui de la France.
Ce cap, il se résume en deux mots : la croissance et l'emploi. Et contrairement à ce que certains pourraient penser ou faire croire, cette préoccupation, c'est celle de l'ensemble des collègues ministres des Finances avec lesquels je suis amené à travailler.
On a trop souvent tendance à ramener l'Europe à la question budgétaire ; certains se laissent même prendre au piège d'un jeu de rôles où l'Europe aurait d'abord vocation à punir et à sanctionner. Mais rien n'est plus éloigné de la réalité des préoccupations des responsables politiques de l'Europe. Partout où je me déplace comme membre du Conseil et de l'Eurogroupe, la préoccupation de mes homologues est d'abord celle de la stratégie européenne de croissance qui permettra à notre continent, c'est-à-dire à toutes nos économies nationales, de renouer avec la reprise.
Ce débat, la France l'a soutenu, elle a fait valoir ses arguments, et la recommandation finale de la Commission européenne de nous accorder deux ans de délai en plus pour atteindre les 3% de déficit, recommandation adoptée par le Conseil en mars, valide largement la démarche que nous avons engagée à l'été dernier.
Au-delà du délai, c'est bien la trajectoire de réduction des déficits, année après année, qui a été validée : une trajectoire que nous avons fixée à l'automne 2014 et que vous avez votée souverainement.
Hier encore, ce sont nos prévisions macro-économiques qui ont été confortées par la Commission européenne. Ce qui veut dire quoi ? Que, pour la première fois depuis très longtemps, nous sommes sortis d'une situation où la France était constamment suspectée de ne pas tenir ses engagements. Pour la première fois depuis de longues années, nous sommes entrés dans une véritable convergence avec les institutions européennes.
Certes, il reste des divergences, et certains débats doivent continuer à être menés sur les conditions nécessaires au retour de la croissance. Car que constate-t-on aujourd'hui ? C'est que la croissance renaît, mais timidement, et que tout doit être fait pour la confirmer, l'amplifier, la solidifier, en France et en Europe.
Aujourd'hui, l'INSEE rend publique son enquête dans laquelle les chefs d'entreprises industrielles anticipent une croissance de leurs investissements plus forte que prévu, à 7%. La reprise est là mais nous devons la conforter. Cela nous confère un devoir de vigilance, car la politique de sérieux budgétaire que nous menons ne doit pas risquer de remettre en cause la reprise économique.
Voilà pourquoi, après avoir analysé les conséquences qu'aurait une application littérale des recommandations de la Commission, avec l'effort structurel demandé pour 2016 et 2017, et après avoir constaté que leur mise en œuvre aurait fait chuter la croissance et nous aurait empêchés de faire reculer le chômage, nous avons considéré qu'une autre voie était possible, pour atteindre les mêmes objectifs de déficits, même un peu meilleurs, sans pour autant mettre en danger le niveau de croissance.
C'est cette stratégie budgétaire que nous avons discutée avec la Commission et je suis persuadé que le débat, public et totalement légitime, permettra à chacun d'avancer et de constater que la France est en situation de respecter les objectifs de réduction du déficit qu'elle s'est fixés et que le Conseil lui a recommandés. En 2014, nous avons fait mieux que prévu, avec 4% de déficit malgré une croissance encore très faible. En 2015 et au-delà, nous construisons notre stratégie sur des prévisions prudentes. Et ce qui compte au fond, c'est que, pour la première fois depuis 15 ans, la France sera au rendez-vous de moins de 3%.
Cela implique évidemment des efforts, c'est indéniable, mais chacun doit avoir conscience que ces efforts, nous les menons d'abord pour nous-mêmes, pour la France et au nom des responsabilités qui sont les nôtres vis-à-vis de nos partenaires.
C'est l'esprit du projet européen dont il s'agit : l'Europe est un espace de coopération où chacun doit prendre ses responsabilités pour permettre aux autres de le faire aussi. L'Europe, ce ne sont pas des pays qui s'opposent, ce ne sont pas des pays qui cherchent chez leurs voisins une excuse ou une explication pour leurs propres échecs. Il n'y a pas d'avenir pour la France sans ses partenaires européens, et encore moins contre eux. Il n'y a pas de croissance possible en Europe dans le conflit ou la désunion de ses Etats membres.
C'est dans cet esprit de solidarité et d'intégration que nous travaillons aujourd'hui sur des projets concrets, positifs et susceptibles de faire bouger les lignes en Europe. Je vais prendre trois exemples :
- l'enjeu, c'est le renforcement du pilotage de la zone euro. Comme nous partageons une même monnaie, nous partageons un destin commun, qu'il faut décider ensemble : avant d'examiner l'application à chaque pays, un par un, des règles budgétaires et les réformes structurelles, ce qui est nécessaire, il faut commencer par définir la stratégie de la zone euro dans son ensemble. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une analyse régulière et globale sur la stratégie économique de la zone euro, c'est d'une réflexion qui prenne en compte tous les leviers publics dont nous disposons (les politiques de change, les politiques budgétaires, les politiques fiscales). Nous en avons d'ailleurs parlé aujourd'hui encore avec le président de l'Eurogroupe, Jeroen Dijsselbloem, qui est venu à Paris spécialement pour échanger sur l'avenir de l'Union économique et monétaire.
- l'enjeu, c'est de lutter contre les concurrences déloyales qui peuvent se développer entre Etats. Car là encore, il y a des choses qui ne sont plus acceptables pour les peuples européens : la crise a montré que l'Europe était capable de solidarité dans l'épreuve commune. Après tant d'efforts communs pour sauver l'euro, peut-on encore tolérer qu'une concurrence sans limite s'instaure entre partenaires sur le terrain fiscal ou le terrain social ? Au profit le plus souvent de multinationales, au détriment des peuples ? La réponse est évidemment non !
Profiter de nos différences, tirer avantage de libertés garanties par les traités pour s'exonérer d'un effort que nos entreprises et nos concitoyens, pour leur part, consentent, cela n'est plus acceptable.
Nous avons écrit, avec mes collègues allemand et italien, pour demander à la Commission d'avancer ensemble sur la transparence et la lutte contre l'optimisation fiscale agressive. Et de fait, des propositions sont aujourd'hui sur la table.
C'est le cas en matière de transparence avec l'échange automatique d'information en matière de rescrits fiscaux transfrontaliers. Une directive a été préparée en ce sens et j'espère qu'elle sera adoptée rapidement.
C'est le cas aussi en matière de lutte contre l'optimisation fiscale agressive. Nous considérons en effet qu'un profit doit au moins être imposé une fois, peu importe où en Europe, mais au moins une fois et de façon effective. Or, soyons bien clairs : si des taux d'impôts sur les sociétés sont acceptables, une imposition effective à 1 ou 2 ou même 5% n'est pas dans mon esprit une imposition effective.
Dans les années 1990, l'Europe a adopté des directives pour éliminer les doubles impositions. Nous avons donc des critères pour définir quel Etat a le droit d'imposer. Mais il arrive que cet Etat membre ne souhaite pas imposer un revenu ou une transaction. C'est son choix, mais dans ce cas-là, le droit européen interdit à l'autre Etat membre de récupérer ce droit d'imposer.
- enfin, dernier exemple, celui du secteur financier, du financement de l'économie.
Nous avons fait depuis 2012 une avancée majeure avec l'union bancaire qui vient d'entrer en vigueur. C'est un pas considérable et qui n'a pas été suffisamment expliqué : avec l'union bancaire, nous avons en effet coupé le lien qui existait entre le risque bancaire et les Etats, nous avons créé les conditions pour que le risque bancaire soit assumé par les banques elles-mêmes, renvoyant définitivement au passé l'époque où les pertes et les menaces de faillites bancaires se traduisaient presque mécaniquement par un appel à l'intervention de capitaux publics. Cette époque-là est révolue !
Mais le financement de l'économie se fera à l'avenir largement aussi sur les marchés de capitaux et de moins en moins exclusivement par l'intermédiaire des banques. C'est une évolution majeure, tout particulièrement pour la zone euro : pour que la politique monétaire de la BCE soit efficace, il faut que le système bancaire fonctionne bien, et nous en avons tiré les conséquences avec l'union bancaire, mais il faut aussi que les marchés de capitaux fonctionnent bien.
Nous devons en tirer la conséquence, pour que ce financement des entreprises par les marchés se fasse dans les meilleures conditions de sécurité et de transparence : il serait hors de question de répéter les errements de la finance américaine d'avant 2008 ! Il faudra donc des règles européennes renforcées, donc harmoniser la surveillance de ces règles. C'est une nécessité si nous voulons éviter une course au moins disant entre places financières en fonction de leur application de la réglementation européenne.
A terme, il y a des domaines où il faudra harmoniser le droit lui-même (il y aurait par exemple des choses à faire en matière de droit des faillites, d'information financière pour les épargnants : comment un fonds allemand qui place l'épargne des ménages allemands pourrait-il investir dans des PME espagnoles qui en ont besoin s'il n'a pas d'assurances sur leur santé, s'il ne sait pas de quelle manière il sera traité ?), et il y a des domaines dans lesquels il faudra un superviseur unifié, comme cela a été le cas pour les banques.
Voilà, mesdames et messieurs, quelques exemples de chantiers stratégiques qui nous occupent actuellement et sur lesquels nous escomptons des avancées concrètes à court terme. Et si j'ai souhaité les développer devant vous, ce n'est pas pour rejeter des perspectives de plus long terme, bien au contraire : sur chacune de nos priorités, ces avancées de court terme nous rapprochent de nos objectifs de long terme que sont plus d'intégration, d'harmonisation et plus la solidarité.
Car s'il y a bien une leçon à retenir des années récentes, c'est qu'en réalité, et contrairement aux idées reçues, les lignes peuvent désormais bouger beaucoup plus vite qu'on ne le pense.
Qui aurait pu imaginer, il y a trois ans, que certains de nos partenaires, comme l'Allemagne, se doteraient d'un salaire minimum ?
Qui aurait pu imaginer, il y a trois ans, que nous mettrions fin au secret bancaire sur le continent et que nous ferions face aussi vite à des afflux de demandes de régularisation ?
Qui aurait pu imaginer que nous trouverions un accord sur les travailleurs détachés pour lutter contre la concurrence déloyale en matière sociale ?
Sur tous ces chantiers, des avancées désormais irréversibles ont été obtenues, les lignes ont bougé et ce que nous vous proposons, c'est d'intensifier cet effort pour amplifier ce mouvement dans lequel nous voyons, pour notre part, une "réorientation de l'Europe", mais qui est d'abord et avant tout la volonté de faire prévaloir l'intérêt collectif de l'Europe tel que la France l'a toujours porté dans son histoire.
Je vous remercie.
Source http://www.economie.gouv.fr, le 7 mai 2015