Interview de Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche à RTL le 30 avril 2015, sur la réforme des collèges et les matières enseignées.

Prononcé le

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral


JEAN-MICHEL APHATIE
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
JEAN-MICHEL APHATIE
Beaucoup de gens reprochent beaucoup de choses à la réforme des collèges, que vous avez présentée il y a quelques semaines, enterrement du latin, du grec, affaiblissement de l'enseignement de l'allemand, les historiens sont très, très fâchés, je vais en citer un, Patrice GUENIFFEY, dans Le Figaro : c'est une réforme de lâcheté politique, on ne veut plus enseigner le roman national. Une pétition va circuler demandant la réforme du retrait des collèges (sic) est-ce que vous allez tenir bon, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Demandant le retrait de la réforme du collège plutôt…
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui. Qu'est-ce que j'ai dit ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
La réforme du retrait des collèges.
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah oui, d'accord. Oui, je me suis un peu embrouillé…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
N'embrouillons pas davantage encore les auditeurs. Non, pardonnez-moi. Alors, oui, il y a beaucoup, beaucoup de commentaires qui circulent…
JEAN-MICHEL APHATIE
Beaucoup, et peu de positifs !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et en particulier depuis une dizaine de jour, un phénomène assez curieux qui est à l'oeuvre, c'est que des éditorialistes, des polémistes, des pseudo-intellectuels, pardonnez-moi, je vais expliquer…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pseudo-intellectuels ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je vais expliquer ce que j'entends par ce terme, parce que pour moi, un intellectuel, lorsqu'il s'exprime sur un sujet, a la rigueur intellectuelle d'aller d'abord vérifier de quoi il parle. Donc des gens, en effet, s'expriment sur cette question de la réforme du collège, sans avoir lu le contenu de cette réforme. Ce qui leur faire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ah, comment vous pouvez le dire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, je l'affirme ici haut et fort, ce qui les fait généralement commenter des contrevérités, des mensonges absolus, avec, de la part de certains, bien sûr, cette idée que vous répétez un mensonge dix fois, il finit par apparaître comme une vérité. Alors, prenons chacun des sujets que vous avez évoqués…
JEAN-MICHEL APHATIE
Rapidement, oui…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
1°) : est-ce que le latin disparaît dans la réforme du collège ? Non. C'était jusqu'à aujourd'hui une option qui était réservée à 18 % des collégiens, il sera généralisé et accessible à tous les collégiens demain. Les professeurs de latin seront bien là devant leurs élèves, le nombre de postes au CAPES de professeurs de latin augmente. 2°) : Est-ce que l'allemand est mis à mal par la réforme du collège ?
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est ce qu'a dit l'ambassadrice d'Allemagne…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non.
JEAN-MICHEL APHATIE
Qui, exceptionnellement, a donné une interview, c'est rare !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, oui, parce que…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est une pseudo-intellectuelle, elle ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Est-ce qu'il faut s'étonner de ce que nos partenaires allemands s'inquiètent lorsqu'ils entendent les détracteurs de la réforme du collège en France dire : au secours, l'allemand va disparaître ? Non, on réagirait exactement de la même façon si on entendait la même chose en Allemagne. Mais, maintenant, revenons à la réalité, vous savez, c'est simple la réalité, c'est simple comme une lecture d'un texte qu'on trouve sur le site de l'Education nationale, qui est accessible à tous. Alors, que dit la réforme du collège sur les langues ? Elle dit : nous avançons d'un an l'apprentissage de la langue vivante 2 pour tous les collégiens, l'allemand va évidemment en bénéficier, puisque ça veut dire : l'allemand qui est souvent choisi en LV2, plus de cours d'allemand, car le fait de commencer en 5ème, sur l'ensemble d'une scolarité, ça voudra dire pour les collégiens 54 heures de plus de LV2 en tout. Donc c'est évidemment un gain…
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc c'est l'inverse de ce que l'on vous reproche…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bien sûr. C'est évidemment un gain pour les LV2.
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est curieux ça…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et c'est même, s'agissant de l'allemand, un double gain, puisque dans la réforme, nous prévoyons que nous promouverons l'apprentissage de l'allemand et des autres langues que l'anglais en LV1, en classe de CP, jusqu'à présent, il y avait très peu de diversités dans le choix de la LV1, c'était à 98 % de l'anglais qui était choisi, pourquoi ? Parce qu'on n'avait pas ce travail de fléchage de postes de professeurs d'école en primaire qui soient capables d'apprendre d'autres langues vivantes que l'anglais aux enfants. A partir de cette réforme, nous pourrons le faire. Nous donnons les garanties de le faire.
JEAN-MICHEL APHATIE
Et alors l'histoire, l'histoire, vous n'enseignerez plus le roman national ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
3°) : l'histoire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Il est un historien…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, oui, je sais…
JEAN-MICHEL APHATIE
Patrice GUENIFFEY n'est pas un pseudo-intellectuel, il doit savoir de quoi il parle !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, Patrice GUENIFFEY, Pascal BRUCKNER, qui s'exprime sur l'histoire en nous expliquant que la réforme des programmes va mettre fin à la chronologie, pour les spécialistes de la question, ce sont les programmes actuels, ceux qu'on utilise aujourd'hui, qui avaient supprimé cette notion de chronologie, qui est un vrai problème, parce que ça veut dire qu'on n'a plus de repères spatiotemporels pour les élèves. Les nouveaux programmes préparés par le Conseil supérieur des programmes la remettent, la rétablissent. Donc vous voyez, c'est n'importe quoi !
JEAN-MICHEL APHATIE
J'ai été assez alerté par ce que vous disiez au début de cette interview, et puis, vous le redites, c'est n'importe quoi…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je voudrais juste terminer par une chose sur l'histoire…
JEAN-MICHEL APHATIE
Editorialistes…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pardonnez-moi…
JEAN-MICHEL APHATIE
Polémistes…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, éditorialistes, oui…
JEAN-MICHEL APHATIE
Pseudo-intellectuels, vous êtes victime d'une cabale, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pas du tout, mais attendez, je ne prends pas ça à titre personnel…
JEAN-MICHEL APHATIE
Eh bien, tous ces gens font ça chacun dans leur coin, ils racontent n'importe quoi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais moi, je ne prends pas ça à titre personnel, je constate simplement qu'on est rentré dans le grand n'importe quoi. Pour finir sur l'histoire par exemple, cette idée que, on rendrait l'étude de l'islam obligatoire contrairement à celle du christianisme qui serait facultative, enfin, là encore, il suffit d'aller lire les textes…
JEAN-MICHEL APHATIE
Ça, c'est faux, on est d'accord…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais c'est archi faux, mais oui, mais sauf que ça circule, Jean-Michel APHATIE !
JEAN-MICHEL APHATIE
Mais alors pourquoi ? Mais pourquoi ? On vous en veut ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous mettez bout à bout chacun…
JEAN-MICHEL APHATIE
Qu'est-ce qui se passe ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous mettez bout à bout chacun de ces arguments et de ces contrevérités…
JEAN-MICHEL APHATIE
Comment vous expliquez ce phénomène ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et ça finit par créer des inquiétudes chez les auditeurs qui, de bonne foi, nous écoutent. Donc j'invite ces derniers à aller lire les textes…
JEAN-MICHEL APHATIE
Comment vous expliquez cette accumulation de contrevérités ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, comment j'explique, bonne question, bonne question…
JEAN-MICHEL APHATIE
De temps en temps, j'en pose une, c'est rare, profitons-en !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, non, non, c'est une très bonne question. Je crois, parce que, au fond, ce n'est pas sur l'essentiel de la réforme que ces gens bataillent, ce n'est pas sur ce qu'il y a dans la réforme, concernant l'autonomie supplémentaire qu'on va laisser au collège, concernant l'interdisciplinarité pour que les élèves apprennent mieux, concernant l'accompagnement personnalisé qu'on offre enfin aux élèves en créant 4.000 postes, tout ça, les détracteurs de la réforme le laissent de côté, comme si c'étaient des petits sujets. Sur quoi se concentrent-ils et se focalisent-ils ? Sur la disparition des classes bi-langues, et sur le fait que le latin, qui était jusqu'à présent réservé à 20 % d'élèves, soit désormais généralisé à tous, ce qu'ils traduisent, dans leur langage, par : suppression du latin. Allez comprendre ! Pourquoi se focalisent-ils sur ces points ? Eh bien…
JEAN-MICHEL APHATIE
Oui, parce que ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce que, en réalité, ce qui gêne, ces commentateurs, c'est que, on puisse rendre accessible à tous les collégiens des choses qui jusqu'à présent n'étaient réservées qu'à 15 % d'entre eux.
JEAN-MICHEL APHATIE
Pourquoi ça les gênerait ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais parce que du coup, ça leur fait perdre un avantage comparatif, pardonnez-moi de le dire aussi crument, mais ils pensent à leurs enfants, que ces filières, en effet sélectives, que ces options, en effet de contournement, permettaient, eh bien, de protéger, d'une certaine façon, à qui elles permettaient de donner, oui, un avantage comparatif parce qu'on connaissait les codes…
JEAN-MICHEL APHATIE
C'est de l'élitisme qui ne dit pas son nom…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, je voudrais préciser une chose à ce stade…
JEAN-MICHEL APHATIE
Rapidement, oui…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce ne sont pas les matières qui sont élitistes, j'entends dire que : je prétendrais que le latin ou l'allemand seraient élitistes, non, une matière, c'est une matière, point. En revanche, il est des options qui sont aujourd'hui pensées, organisées, de fait, comme des options et des filières de sélection, de contournement, qui permettent à certains collégiens qui ont les codes, ou dont les familles ont les codes et les connaissances, de pouvoir se mettre à part du reste des collégiens, et pendant ce temps-là, le reste des collégiens, lui, ne bénéficie pas des vertus merveilleuses, je partage cela avec mes détracteurs, du latin, de l'allemand, du fait d'avoir un bilinguisme précocement dans sa scolarité. Donc j'en terminerai par-là, Jean-Michel APHATIE…
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc vous n'êtes pas prête à céder à ceux qui vous critiquent ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais sûrement pas, j'en terminerai par-là…
JEAN-MICHEL APHATIE
Sûrement pas ! Là, vous êtes décidée ce matin…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, mais Jean-Michel APHATIE, je vais m'adresser directement à vos auditeurs qui sont sans doute des parents de collégiens…
JEAN-MICHEL APHATIE
Rapidement…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je vais leur dire une chose simple, aujourd'hui, ce que les détracteurs de la réforme du collège vous proposent, en réalité, c'est que nous renoncions à supprimer ces classes bi-langues, qui concernaient 15 % d'élèves, nous renoncions à les supprimer, ils voudraient qu'on les rétablisse, et que, en contrepartie, on renonce à avancer pour tous les collégiens l'apprentissage d'une seconde langue dès la classe de 5ème. Parce que, vous savez, on ne peut pas tout avoir dans la vie, donc il faut faire un choix. Alors moi, mon choix, c'est celui de la démocratisation de la réussite pour tous les collégiens. Donc j'offre à tous les collégiens la possibilité de pratiquer du bilinguisme dès la classe de 5ème. Nos détracteurs voudraient que ce soit réservé à une certaine partie…
JEAN-MICHEL APHATIE
D'accord, vous l'avez dit, d'accord. Les éditorialistes, les polémistes et les pseudo-intellectuels vous répondront…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Voilà, et j'espère qu'ils auront bien entendu le message.
JEAN-MICHEL APHATIE
Rapidement, un autre front s'est ouvert, la jupe à Charleville-Mézières, ces enseignants qui ne permettent pas à une jeune fille qui porte une longue jupe noire d'accéder au collège, ont-ils bien agi, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors là encore une fois, il faut être très clair, aucun élève, aucune élève ne peut être exclu, et d'ailleurs, n'a été exclu de fait, en raison…
JEAN-MICHEL APHATIE
Non, elle a été interdite à deux reprises d'entrer dans le collège…
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En raison de la longueur ou de la couleur de sa jupe, voilà, que les choses soient très claires.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc vous désavouez les enseignants de Charleville-Mézières ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça n'est pas ça la réalité de ce qui s'est passé dans cet établissement scolaire, c'est que l'équipe pédagogique a fait preuve du discernement qu'on attend d'ailleurs d'elle, pour juger du caractère prosélyte ou pas, nono pas de la tenue, mais de l'attitude de l'élève, en l'occurrence, il a été jugé qu'il y avait du prosélytisme de la part de l'élève, et ça n'est pas une exclusion qui a été prononcée, contrairement à ce que j'ai vu écrit ici ou là, mais un dialogue qui a été ouvert avec sa famille. Et je note, en particulier, que sa mère s'est exprimée pour demander à ce que les choses s'apaisent, et je crois que c'est important que ce dialogue se fasse avec les équipes, c'est ce qu'on attend d'elles.
JEAN-MICHEL APHATIE
Donc pour résumer, l'équipe de Charleville-Mézières, l'équipe éducative a agi avec discernement selon vous ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
On attend en effet des équipes éducatives qu'elles agissent avec discernement, on connaît la loi de 2004, on sait ce qu'elle interdit exactement en termes de port ostentatoire de signes religieux, il faut que les équipes puissent, sur le terrain, juger par elles-mêmes de l'attitude ou pas.
JEAN-MICHEL APHATIE
Najat VALLAUD-BELKACEM, ministre de l'Education, invitée de RTL ce matin.
YVES CALVI
Il va donc falloir que Jean-Marc AYRAULT fasse preuve de discernement, puisqu'il a signé la pétition pour l'allemand, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Sauf que Jean-Marc AYRAULT est revenu sur ses propos en se disant rassuré lorsque je lui ai apporté les arguments qui confortent en réalité l'apprentissage de l'allemand, et qu'il a même dit qu'il soutenait de tout son coeur cette réforme du collège ; ce qui est passé un peu inaperçu dans la version médiatique…
JEAN-MICHEL APHATIE
De tout son coeur, ça, c'est beau !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je le sais.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2015