Texte intégral
THOMAS SOTTO
L'interview politique d'Europe 1, Jean-Pierre ELKABBACH vous recevez Laurent FABIUS, le ministre des Affaires étrangères, messieurs c'est à vous.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le grand voyageur. Bienvenue Laurent FABIUS, bonjour.
LAURENT FABIUS
Merci à vous, bonjour.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comme disait CANTELOUP, vous êtes arrivé cette nuit d'Arabie Saoudite, de Qatar, etc.
LAURENT FABIUS
Oui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et puis la politique française, on en parlera un petit peu, simplement parce que François HOLLANDE est président de la République depuis 3 ans, c'est jour pour jour, qu'est-ce qu'il lui manque pour que les deux tiers de son mandat soient réussis ?
LAURENT FABIUS
Je pense que les remarques critiques qui sont faites c'est par rapport aux résultats sur le chômage, et c'est vrai que pour l'instant ça n'a pas donné encore de résultat suffisant. Mais ce qui me frappe, je réfléchissais à ça en venant, parce que j'imaginais que vous me posiez une question là-dessus, c'est qu'il y a des réformes qui en tout état de cause resteront, ça me frappe. Bon, il y a des choses qu'on peut discuter, mais, par exemple, ce qui vient d'être décidé sur la réduction du nombre des régions, et les nouvelles compétences des régions, ça restera. Ce qui a été décidé alors il y a eu beaucoup de controverses - sur le mariage pour tous, ça restera. Ce qui a décidé sur le tiers payant, c'est-à-dire le fait que les gens n'ont plus à payer leurs médicaments etc., c'est contesté, mais ça restera. Ce que nous essayons de faire en matière de diplomatie économique, ça restera. Donc, c'est vrai que la situation économique était plus dégradée que ce que nous avions anticipé, ça il faut le reconnaître, notamment sur le plan industriel, et donc ça met du temps à remonter, et c'est là-dessus évidemment que les gens réagissent.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça c'est la version optimiste.
LAURENT FABIUS
Non, je crois que c'est la version
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour ne pas dire idyllique.
LAURENT FABIUS
Moi, vous savez, vous le souligniez, moi je passe mon temps à l'étranger, c'est normal, un ministre des Affaires étrangères il est souvent à l'étranger, donc je fais vraiment la comparaison, et je pense qu'on est en train de regagner en compétitivité, donc ça aura des résultats sur l'emploi, mais c'est long. Et quand je me retourne vers mon long parcours la dernière fois que j'étais au gouvernement, j'étais ministre de l'Economie et des Finances, c'était dans l'année 2000 je reviens au gouvernement en l'an 2012, avec le président HOLLANDE, et je me suis aperçu que la compétitivité de la France avait complètement chuté, et donc il faut remonter ça, parce que si on veut créer de l'emploi il faut évidemment que les entreprises soient compétentes.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous dites ce matin, le bilan est moins pire, à ce stade, qu'on le dit.
LAURENT FABIUS
Non, mais bilan, là on est dans l'action, on n'est pas dans le bilan, le bilan il sera dressé par les Français au moment de l'élection, c'est-à-dire dans 2 ans.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, par exemple, ce matin dans Le Figaro Nicolas SARKOZY dit « François HOLLANDE a tant promis et au final si peu tenu, trois années de tromperies, de mensonges, c'est un triste anniversaire. »
LAURENT FABIUS
Oui, mais ça c'est des phrases toutes faites, je crois qu'il ne faut pas s'arrêter à ça, il faut être dans l'action, continuer les réformes, et surtout, surtout, remonter, redresser, l'économie française.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous le connaissez, vous le voyez évoluer François HOLLANDE, mais quel est le vrai HOLLANDE, celui de 2012, celui de 2015, puisqu'apparemment il bouge ?
LAURENT FABIUS
La vie c'est des mouvements. Non, là je pense qu'il a pris tout à fait la mesure de la fonction, et moi c'est surtout sur le plan international, et ce que je constate c'est que la France est vraiment un pays très respecté et très crédible sur le plan international.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'en dépit des sondages qui sont décourageants, etc., pour le moment, on voit bien qu'il veut rencontrer les Français, tout à l'heure Caroline ROUX disait il prépare la rentrée de combat, il s'organise pour être à nouveau candidat, il y a des insatisfaits, etc. Est-ce que vous lui dites, quand vous êtes à côté de lui en avion, « François vas-y, tu peux être réélu » ?
LAURENT FABIUS
Non, on parle très peu de la politique intérieure française, très très peu, mais vous savez, MITTERRAND, qui n'était pas mauvais en politique, disait « la vie c'est du judo. »
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est-à-dire ?
LAURENT FABIUS
C'est-à-dire qu'une situation difficile, on peut s'en servir comme d'un point d'appui pour la rendre plus facile, et en même temps, quand la situation est très bonne, il faut se méfier, parce qu'elle risque de descendre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous nous annoncez que François HOLLANDE est un judoka.
LAURENT FABIUS
J'espère, mais le problème ce n'est pas simplement d'être judoka, c'est d'être ceinture noire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et ça ?
LAURENT FABIUS
Non, non, je pense qu'il fait bien le métier.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il est sur le, comme on dit, le tatami tatami, en attendant la ceinture noire. L'Arabie Saoudite, le Qatar, les Emirats, lui ont accordé, vous ont accordé, un traitement, alors privilégié, d'invités d'honneur, partenaires spéciaux de confiance, avec ces pays. Est-ce que trop ce n'est pas trop ?
LAURENT FABIUS
Non. C'était d'ailleurs très émouvant, parce que François HOLLANDE, comme moi-même, on a de l'expérience, mais là, voir que ces six pays, de ce qu'on appelle le Conseil du Golfe, c'est la première fois depuis 81 qu'ils recevaient un président étranger, c'est le président français. Et on dit souvent est-ce qu'il y a une politique arabe de la France ? Là vous aviez tous les pays du Golfe qui étaient là pour dire « écoutez, la France est crédible. » Nous, quel est notre objectif là-dedans, parce que souvent il y a beaucoup de crises bon ! Premier objectif, paix et sécurité. Ce qu'on fait là-bas, ce qu'on a fait au Mali, ce qu'on fait en Centrafrique, ce qu'on essaye de faire en Ukraine pour arriver à une situation
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez dire que tout ça c'est très bien vu par les pays, les monarchies sunnites.
LAURENT FABIUS
Non, pas seulement, par tout le monde.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce que ce n'est pas aussi parce qu'elles vous voient négocier, vous, avec les Américains et les puissants
LAURENT FABIUS
Sur l'Iran.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sur l'Iran, et que pour eux c'est la plus grande crainte.
LAURENT FABIUS
Ils ont la crainte, et dans le communiqué que nous avons fait, nous disons nous souhaitons avoir un accord avec l'Iran, mais cet accord doit être solide, robuste, crédible, car sinon, il va aboutir paradoxalement à une prolifération nucléaire dans toute cette région, alors que l'objectif c'est, l'Iran peut parfaitement faire de la recherche nucléaire civile, mais la bombe atomique, non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ils ont des doutes à l'égard de monsieur OBAMA.
LAURENT FABIUS
Ecoutez, moi je verrai John KERRY, qui sera là vendredi matin, on discute, chacun a sa politique, mais, enfin, nous sommes alliés et amis des Américains, il ne faut jamais oublier ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, à Riyad, juste avant de partir, vous avez annoncé 20 projets économiques de plusieurs dizaines de milliards en cours de négociations, c'est pour faire beau, est-ce que c'est vrai, est-ce que vous les confirmez, est-ce que c'est dans les annexes
LAURENT FABIUS
Non, ce n'est pas le genre de la maison.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dans les annexes des traités que vous signez ?
LAURENT FABIUS
D'abord, vous le signaliez, il faut quand même souligner les contrats Rafale, qui viennent à point nommé, bien sûr c'est un produit, enfin un avion formidable, mais il y a quand même un certain rapport entre la conjoncture, la situation politique, et le fait qu'on en ait vendus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y en a 84 pour le moment
LAURENT FABIUS
Je n'ai pas le sentiment qu'avant on en ait beaucoup vendus.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y en a 84, est-ce qu'il y en aura d'autres avec les Emirats par exemple, oui ?
LAURENT FABIUS
J'ai dit jamais trois sans quatre.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jamais trois sans quatre.
LAURENT FABIUS
Cela dit, en ce qui concerne l'Arabie Saoudite, nous avons discuté évidemment de notre relation générale, et nous avons aussi discuté économie, et il y a une annexe, qui ne sera pas publiée, qui comprend 20 projets, sur lesquels le fils du roi, du côté saoudien, et moi-même du côté français, qui ne suis pas fils du roi, nous devons mettre les choses en musique. Il y aura un premier rapport d'étape en juin, deuxième rapport d'étape en octobre, parce qu'il y a un forum
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça veut dire pas seulement des armes
LAURENT FABIUS
Non, bien sûr que non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pas seulement des armes, c'est dans des domaines différents que vous voulez dire.
LAURENT FABIUS
Ça veut dire du transport, ça veut dire de la santé, ça veut dire beaucoup de choses dans le domaine de l'énergie, et ça veut dire beaucoup d'emplois en France, c'est toujours ça qu'il faut avoir à l'idée, et ce sont des contrats qui représentent, s'ils sont exécutés, je maintiens ce chiffre, plusieurs dizaines de milliards d'euros. J'ajoute, je ne veux pas faire de triomphalisme, d'autant que là le gouvernement n'y est pour rien, mais nous apprenions dans la nuit que AVIANCA, qui est la compagnie colombienne, avait commandé ferme 100 AIRBUS, 10 milliards de dollars.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Cette nuit, 100 AIRBUS
LAURENT FABIUS
Dix milliards de dollars, de l'emploi en France.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc CANTELOUP s'est trompé, ce n'est pas seulement 6 milliards que vous avez dans les poches
LAURENT FABIUS
Non, non, mais nous, qu'est-ce qu'on cherche à faire, pas nous, nous ne remplaçons pas les entreprises, mais il faut que l'Etat, il faut que l'administration, aident les entreprises
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous ouvrez la voie à des entreprises grandes et
LAURENT FABIUS
Par notre politique générale et par notre organisation, c'est ça la diplomatie économique.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais, dans le voyage que vous venez de faire, décidément, c'était François, Jean-Yves et Laurent d'Arabie, au passage !
LAURENT FABIUS
Mais nous nous entendons bien. Vous savez, évidemment c'est la qualité des productions qui permet de les vendre, mais le fait qu'il y ait une vraie équipe, professionnelle, ça aide.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le Népal ne sort ni de la catastrophe, no du deuil, les Français aussi ont perdu des membres qui étaient là-bas.
LAURENT FABIUS
Situation très très difficile, j'ai fait le point juste avant de venir, nous avons quatre personnes françaises dont il est avéré, malheureusement, qu'elles ont perdu la vie, nous avons neuf personnes sur lesquelles nous sommes extrêmement inquiets, et il y a 30 personnes qui n'ont pas encore été localisées. Ça c'est pour les Français. Au total ça va être une catastrophe épouvantable, puisqu'on va être probablement, malheureusement, autour de 10.000 morts, et le pays est complètement ravagé. Et je veux rendre hommage, vraiment, à toutes les ONG, aux administrations, etc., qui ont fait un travail magnifique. C'est un pays très très pauvre et il faut l'aider.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut l'aider, presque malgré lui, parce qu'il paraît qu'il y a une administration paralysée, enfin un pays paralysé par sa bureaucratie.
LAURENT FABIUS
C'est un pays très pauvre qui n'a pas une administration solide, mais en plus quand vous avez un chaos de cette sorte, il faut comprendre que tout est désorganisé.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous avez tout fait pour rapatrier les Français ?
LAURENT FABIUS
Bien sûr, nous sommes organisés pour cela, et en particulier ce qu'on appelle le centre de crise, qui est au Quai d'Orsay, qui a reçu déjà près de 20.000 appels téléphoniques, il est là pour aider.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, à l'extérieur, et vous le montrez, on sait ce que sont la France et les Français, à l'intérieur les Français s'interrogent sur, le communautarisme, vous entendez, les haines interreligieuses, l'identité. Comment vous répondez à ce malaise, vous ?
LAURENT FABIUS
On ne peut pas répondre en 3 minutes, mais c'est vrai que c'est une chose très profonde. Je pense qu'un certain nombre d'éléments qui étaient fondamentaux dans les cadres de la société sont mis en cause, et donc les gens sont déboussolés, mais c'est vraiment très profond, la séparation entre intellectuels et manuels, le clivage entre les sexes, la place de la religion, le rôle des syndicats, tout ça est mis en cause, pour des raisons qu'on peut très bien comprendre. Et donc, nous n'avons pas, comme c'est le cas aux Etats-Unis, le drapeau qui joue un rôle de solidification, nous n'avons pas un projet comme la Chine, et c'est ça qu'on doit essayer de faire.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donnez le projet, c'est vous qui gouvernez.
LAURENT FABIUS
Je l'ai noté, oui. La politique c'est ça, c'est donner des perspectives, donner un dessein. On essaie de le faire, mais sans sectarisme, mais je crois que c'est autour de ça, créer le rassemblement autour de ça.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Je vais vous poser une dernière question. Samedi, à Moscou, vous allez représenter la France à la commémoration de la victoire de la Russie sur le Troisième Reich. Aucun chef d'Etat et de gouvernement de l'Europe, et occidental, ne sera sur la Place Rouge. Pourquoi ? Est-ce que c'est pour ne pas assister au défilé de la puissance militaire russe, ou pour ne pas fâcher Barack OBAMA ?
LAURENT FABIUS
Donnez-moi une minute pour répondre s'il vous voulez bien. D'abord, c'est l'histoire. Les Russes ont perdu plusieurs dizaines de millions de personnes dans la guerre, et l'histoire on ne la change pas. Il y aura, pour cette cérémonie, qui a lieu le 9 mai à cause du décalage, c'est le 8 mai en Europe et puis c'est le 9 mai en Russie, il y aura Ban KI-MOON, le secrétaire général des Nations Unies, il y aura le président chinois, d'autres présidents, en Europe ce sera à un moindre niveau. En ce qui me concerne le président de la République ne peut pas y aller, en plus il sera à Cuba mais nous voulons être représentés à un niveau ministériel. Moi je ne serai pas au défilé proprement dit, mais j'irai mettre une gerbe, et ensuite j'irai au Kremlin. On ne peut pas ne pas tenir compte de l'histoire, et en même temps, vous savez que nous jouons un rôle très important pour essayer de trouver une solution en Ukraine, nous discutons avec les Russes on ne peut pas discuter un jour et ne pas être là le lendemain. J'ajoute que Madame MERKEL, autre partie prenante très importante
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Elle sera là le lendemain.
LAURENT FABIUS
Aura une visite officielle le lendemain.
THOMAS SOTTO
Merci Laurent FABIUS d'être venu en direct sur Europe 1 ce matin.
LAURENT FABIUS
Merci à vous.
THOMAS SOTTO
Merci Jean-Pierre ELKABBACH, on vous retrouve demain.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il part pour la Chine et l'Algérie.
THOMAS SOTTO
Eh bien bon voyage !
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas totalement anormal qu'un ministre des Affaires étrangères soit de temps en temps à l'étranger.
THOMAS SOTTO
Ce n'est pas complètement choquant, c'est vrai.
LAURENT FABIUS
Ce n'est pas uniquement le goût des voyages.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bien de vous saisir quand vous passez à Paris.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 mai 2015