Déclaration de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur le Mécanisme de règlement des différends entre entreprises et États, à Bruxelles le 7 mai 2015.

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Circonstance : Conférence de presse conjointe de M. Matthias Fekl et de son homologue allemand Matthias Machnig à l'issue du Conseil-Commerce, à Bruxelles (Belgique) le 7 mai 2015

Texte intégral


"Mesdames et messieurs,
Je veux à mon tour remercier Matthias Machnig pour le travail que nous menons ensemble. Il n'y aura pas besoin de traduction car ce que l'un dit en allemand, l'autre le dit en français car depuis plusieurs mois maintenant, la France et l'Allemagne travaillent ensemble sur le sujet de l'ISDS comme d'ailleurs sur l'ensemble des sujets de politique commerciale et nous avons très régulièrement l'occasion d'échanger.
Ce que nous avons noté ces derniers temps et encore aujourd'hui, c'est que suite à nos initiatives communes, en particulier à la déclaration franco-allemande du mois de janvier dernier que nous avons faite avec Matthias, avec Sigmar Gabriel, les choses ont commencé à changer en Europe. Il y a quelques mois encore, pour les mécanismes d'arbitrage, que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes et qu'il ne fallait surtout pas retoucher à ces questions.
Aujourd'hui, il y a, si ce n'est un consensus, du moins un débat très fort et une convergence de vues sur le fait que l'ISDS tel qu'il est prévu aujourd'hui, soit dans les négociations, soit dans les accords, ne peut plus être le standard pour le règlement des différends. Il y a dans les esprits et dans les mots un accord pour dire qu'il faut inventer un mécanisme totalement nouveau, adapté à la réalité du commerce international tel qu'il existe aujourd'hui, capable aussi de rétablir un équilibre entre les Etats et les entreprises, car en réalité depuis des décennies, on a assisté avec d'une certaine manière la victoire dans les pensées de l'Ecole de Chicago d'un déséquilibre et d'une inéquité progressive entre les entreprises et les Etats et ça s'est constaté aussi dans les questions d'arbitrage.
Je note que la crise que traverse l'Europe, et d'une certaine manière le monde, n'est pas étrangère à ces évolutions-là, et donc ce qu'il se passe aujourd'hui en Europe, et ce que nous poussons –la France, l'Allemagne et d'autres Etats- va dans le sens de rétablir l'équilibre entre les Etats et les entreprises privées. Le rapport de la Commission, tel qu'il a été présenté aujourd'hui au Conseil des ministres du commerce extérieur et hier au Parlement européen constitue une étape, et c'est un document intéressant qui trace des perspectives, et nous considérons qu'il y a une première évolution politique très importante, mais elle doit maintenant se concrétiser. Et je rejoins là-dessus tout à fait ce qu'a dit mon homologue allemand, il y a des pistes, des réflexions, mais il n'y a pas aujourd'hui encore de proposition concrète pour que nous puissions nous prononcer là-dessus.
Comme l'Allemagne et comme beaucoup d'autres Etats et d'opinions publiques, surtout en Europe mais aussi outre-Atlantique, nous attirons l'attention sur un certain nombre de points qui sont essentiels pour nous.
D'abord, il y a besoin d'inventer un mécanisme de règlement des différends totalement nouveau, qui respecte le droit à réguler des Etats, qui soit un mécanisme encadré, à la fois sur les questions de procédure, les questions de transparence et les questions de conflits d'intérêt ; un mécanisme tellement encadré qu'il doit redevenir un mécanisme d'exception qui ne peut être saisi que dans certains cas bien précis et qui ne saurait devenir en aucun cas le règlement de droit commun en outrepassant les justices nationales et en outrepassant les juridictions publiques. Nous sommes très attentifs à la question des relations avec les juridictions nationales, à l'élaboration d'un mécanisme d'appel des décisions qui peuvent intervenir, à la clarification des concepts qui sont aujourd'hui tellement flous qu'ils créent de l'insécurité, de l'instabilité et en réalité de l'imprévisibilité.
Nous souhaitons aussi, c'est une idée qui fait son chemin, que puisse être établie une Cour permanente de règlement des différends, avec une perspective multilatérale. La France est très attachée à cette proposition que j'ai formulée devant le Parlement français et que l'Allemagne porte aussi.
De même, nous souhaitons, toujours dans l'idée de rétablir l'équilibre entre les Etats et les entreprises, que puissent être prononcées des sanctions lorsque les entreprises introduisent des plaintes abusives contre les Etats et il n'est pas normal qu'aujourd'hui les Etats aient pour seule possibilité soit d'être condamnés, soit tout au plus de ne pas payer les frais d'avocat. Lorsqu'une entreprise fait le choix d'attaquer un Etat, elle doit y réfléchir à deux fois ; si les choses sont fondées, et qu'il y a des décisions abusives, c'est normal qu'il y ait des suites, mais ça ne peut pas rester sans conséquence lorsque ce n'est pas le cas.
Nous sommes favorables aussi à une approche extrêmement ambitieuse de la lutte contre les conflits d'intérêt qui existe aujourd'hui, avec notamment la proposition de « quarantaines » qui interdisent l'exercice successif des professions d'arbitre et d'avocat ; il n'est pas normal et il ne serait acceptable dans aucune juridiction nationale d'un pays qui correspond aux exigences de la Cour européenne des droits de l'homme, que l'on puisse être un jour juge, et quelques mois après, avocat dans une affaire qui implique les mêmes parties.
Voilà ce qui a été dit ce matin sur ce sujet, beaucoup d'autres choses ont été bien sur évoquées concernant le dernier round de négociations qui s'est tenu : les progrès sont largement insuffisants aujourd'hui, et sur la transparence, et sur les intérêts offensifs que nous défendons dans cette affaire, que ce soit les indications géographiques, que ce soit l'ouverture des marchés publics américains, que ce soit beaucoup d'autres sujets."source http://www.rpfrance.eu, le 18 mai 2015