Déclaration de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, sur les relations entre le PCF et les syndicats et mouvements sociaux, notamment la CGT, ainsi que sur le syndicalisme, Paris le 17 juillet 2001.

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Circonstance : Rencontre PCF - CGT à Paris le 17 juillet 2001

Texte intégral

Il n'est pas banal qu'au milieu de l'été, deux délégations de la CGT et du PCF., conduites par leurs premiers responsables respectifs, se rencontrent pendant plus de trois heures. Pas banal non plus qu'elles décident, d'un commun accord, de rendre publics, simultanément, deux documents, qui explicitent comment chaque organisation appréhende la situation ; quelle démarche l'anime ; sa conception des rapports entre syndicats et partis politiques et, singulièrement, entre la CGT et le PCF. Pas banal enfin qu'à l'issue de leur rencontre, les deux formations s'engagent à échanger, dans la prochaine période, sur des dossiers au cur des préoccupations de nos concitoyens : la sécurité sociale, la démocratie sociale, l'emploi, la formation professionnelle et le nouveau statut des salariés.
L'histoire politique et sociale de notre pays a été jalonnée de nombreux rendez-vous entre la CGT et le PCF. J'ai la conviction que celui qui vient d'avoir lieu le 17 juillet dernier fera date et qu'il ouvre une page nouvelle - riche de promesses et de perspectives - de nos relations au service d'une vie meilleure du monde du travail et de la création.
La démarche du Parti communiste français
L'époque que nous vivons porte l'espérance d'un monde plus humain, plus riche de ses potentialités culturelles, scientifiques, technologiques, informationnelles ; plus ouvert à sa diversité.
Cette espérance se heurte, sans doute comme jamais, à l'omniprésence du pouvoir de l'argent dans toutes les sphères de la société.
Alors que s'expriment avec force les aspirations à la liberté, à la dignité, l'égalité, la souveraineté populaire et que grandit le sentiment d'être citoyen-ne du monde, le nouvel ordre marchand semble mettre ces choix hors de la portée de chacune et de chacun, hors de portée des nations elles-mêmes. Les évolutions du capitalisme, la mondialisation des dominations ne les rendent pas pour autant plus fatales.
La conviction du Parti communiste est qu'une autre logique est possible ; qu'elle est, d'une certaine façon à l'uvre, dans la mobilisation, les révoltes, les espérances qui travaillent la réalité au quotidien, dans le sens d'une contestation antilibérale et de la recherche d'une alternative civilisatrice.
Les communistes ont en commun la volonté que les progrès de l'humanité elle-même cessent d'être dévoyés, gaspillés ; qu'ils légitiment les valeurs de partage, de solidarité, de fraternité, de coopération, de justice sociale, de citoyenneté et fassent reculer jusqu'à leur dépassement les dominations, les exploitations, les discriminations, les aliénations qui toutes ne trouvent pas leur origine dans le système capitaliste.
Nous avons acquis la conviction que la réponse à ces défis ne pouvait être apportée de l'extérieur aux mouvements sociaux par une force politique, à la réflexion et aux propositions de laquelle, ces mouvements n'auraient plus qu'à se rallier.
La toute puissance d'une théorie dont on déduirait l'avenir ou le prima du politique sur le social ont définitivement fait leur temps.
Nul ne peut prétendre faire le bonheur de l'humanité, sinon l'humanité elle-même. A l'oublier, le bonheur se meut toujours en son contraire.
C'est une leçon douloureuse de l'histoire.
Elle nous pousse à tirer un trait sur des conceptions marquées par le centralisme, l'étatisme, le productivisme ou encore le collectivisme.
Tout le travail de profonde rénovation que nous avons entrepris vise précisément à contribuer partout à un essor sans précédent de la démocratie. Ce sont les citoyennes et les citoyens, leurs interventions et actions, leurs votes exprimés par le suffrage universel qui déterminent le sens et le rythme de la transformation sociale.
Rien ne changera vraiment si la majorité d'entre eux ne s'en fixe pas l'objectif.
Ce sont les potentialités, les espérances et les souffrances de notre temps qui légitiment notre engagement émancipateur. Nous voulons donner aux aspirations qui émergent dans ce mouvement, la force d'une visée claire, partagée. Et nous considérons que cela n'ira pas sans dépasser la crise de la politique en ce qu'elle sanctionne une perte de sens, de perspective et renforce l'idée de fatalité, de repli.
Au rythme des débats, des luttes, des rassemblements qu'appellent les défis de notre époque, la promotion effective et à égalité des droits, des pouvoirs et des libertés de chaque homme, chaque femme, est pour nous, la garantie que les choix faits collectivement seront efficaces, conformes à l'intérêt commun et qu'ils permettront le plein épanouissement de chaque individu.
Comme parti politique, nous avons l'ambition, par nos propositions, notre activité et nos initiatives, de favoriser leur rassemblement pour obtenir des améliorations immédiates et de leur soumettre des perspectives politiques neuves libératrices d'humanité.
Que faut-il changer ? Pour quelles valeurs communes ? Comment ?
Nous avons proposé à la réflexion et au débat des pistes pour apporter à ces questions des réponses communistes. Elles ne sont pas posées qu'à nous. D'autres y réfléchissent, qu'ils appartiennent à la sphère politique, syndicale ou associative. Ce pluralisme, cette diversité dans la quête du nouveau représentent à nos yeux une telle richesse qu'ils commandent un respect scrupuleux de la personnalité et de l'indépendance de chacun.
Les enjeux de la lutte pour libérer notre société de toutes les dominations s'étendent à de nouveaux terrains, de nouvelles forces. Leur dimension est de plus en plus européenne, mondiale. Elle n'en requiert pas moins la confrontation politique selon que l'on est pour se conformer à l'ordre établi ou le bousculer.
Les communistes sont partie prenante de cette confrontation, dans les mobilisations, les luttes émancipatrices. Leur action, la radicalité de leurs critiques et de leur volonté transformatrice de la société se conjuguent avec leur prise de responsabilité dans les institutions, institutions qu'ils entendent aussi voir profondément transformées.
Notre appartenance à la gauche plurielle et notre participation gouvernementale, loyales, exigeantes et constructives en sont l'illustration.
Mais, d'une part, elles ne recoupent pas - loin s'en faut - la totalité de notre projet et de nos ambitions et, d'autre part, ce que d'aucuns ont pu qualifier de "nouvelle posture" du PCF, témoigne de notre volonté de toujours mieux répondre aux attentes populaires en associant activité de terrain, présence dans les luttes et rôle dans les institutions, jusqu'au gouvernement.
Notre ambition vise à favoriser le rassemblement et l'intervention politique, à égalité de droit, de toutes les femmes, de tous les hommes qui luttent contre les dominations et les forces qui les incarnent. Nous voulons avec eux construire une nouvelle organisation de la vie en société qui la rende plus humaine et plus belle.
Face à un capitalisme mondialisé, nous avons tous à affronter les mêmes et immenses défis ambivalents de la révolution informationnelle et du besoin de renouvellement en profondeur de la démocratie. Ils sont au cur des enjeux qui traversent les grandes questions sur lesquelles nous sommes convenus d'échanger dans la prochaine période.
Le rapport du PCF aux mouvements sociaux, aux syndicats
On entend souvent parler du "mouvement social". Cette expression émergeant des grèves et des manifestations de 1995, fait souvent aujourd'hui référence à ce qui bouge dans le pays, à l'intervention de la société civile. Sans jouer sur les mots, nous préférons toutefois parler de "mouvements sociaux", en respectant le rôle spécifique et l'apport de chacune des forces qui peuvent les faire naître, les animer. Nous ne sommes pas en présence d'un bloc monolithique, ni d'une simple addition de mouvements catégoriels. Au contraire, les mouvements sociaux se caractérisent par une grande diversité de contenus et de formes d'expression. Ils se sont considérablement élargis ces toutes dernières années.
Des femmes, des hommes, des jeunes, s'y impliquent dans des organisations syndicales, de chômeurs, pour le droit au logement, le droit de vote des résidents étrangers, des associations féministes, de sans papiers, de défense des droits et des libertés, de l'environnement, de la citoyenneté, de l'anti-racisme, d'une mondialisation solidaire Ce sont des militants et des militantes qui dans leur vie quotidienne, leur travail, dans leurs besoins culturels, de santé, d'éducation, de logement revendiquent la dignité, le respect et la liberté.
Pour nous, les refus et les exigences qu'ils portent sont autant de leviers de la transformation sociale. Les débats qui se développent en leur sein sur le besoin de s'émanciper des marchés financiers par exemple, sur les objectifs et les moyens de transformer la société, posent la question de leurs rapports au politique et au pouvoir.
Notre conception et notre attitude sont claires : reconnaissance et respect des rôles spécifiques de chacune des forces, des syndicats, des associations, des mutuelles, des collectifs et réseaux ; rapport d'égalité et de respect mutuel, recherche de convergences communes.
Cette recherche nous invite à une écoute active, à vouloir mieux connaître chacun de nos interlocuteurs pour apprécier leurs revendications et leurs attentes, leurs évolutions, leurs choix d'intervention et les formes qu'ils prennent. Bref, nous nous efforçons de comprendre, de repérer comment cheminer ensemble. Avec les uns, ceci peut se traduire par des échanges, l'approfondissement de réflexions, avec les autres cela peut se concrétiser par l'élaboration en commun d'objectifs et de prise d'initiatives ponctuelles ou persévérantes, afin de rendre des idées majoritaires, de gagner de nouveaux droits. Cela peut aller jusqu'à la construction de rassemblements, de manifestations dont les objectifs, les modalités auront été, de bout en bout, élaborés et décidés ensemble, en toute transparence. Avec esprit d'ouverture, nous voulons nous rendre disponibles, actifs et déterminés, pour être le plus utile possible aux forces qui animent les mouvements sociaux. Utile à leur rassemblement et à leur unité.
Dans ce paysage social et citoyen, nous attachons beaucoup d'importance au syndicalisme, à son développement, son unité et à sa reconnaissance.
Le syndicalisme a lui aussi connu ces dernières années de nettes évolutions. Il en est ainsi notamment dans les syndicats de salariés, de paysans, d'enseignants Des syndicats d'étudiants ont choisi la réunification.
Concernant les confédérations et syndicats de salariés, si leur nombre a augmenté, celui des salariés syndiqués reste toujours extrêmement faible : 90 % d'entre eux ne le sont pas. Il y a à cela des raisons objectives qui tiennent, pour beaucoup, à la politique de l'emploi, à l'explosion de l'intérim et d'une précarité toujours plus poussée, à l'attitude répressive du patronat, au terrible manque de démocratie dans les entreprises. Un salarié sur deux ne bénéficie pas de comité d'entreprise, n'est jamais appelé à voter. Cela tient aussi à la multiplication de petites unités de production, de services et de recherche ou, à l'inverse, au développement de grandes zones industrielles qui compliquent la présence syndicale. Les pouvoirs publics ont également leur part de responsabilité dans la mesure où ils n'accordent pas au dialogue, à l'écoute des organisations syndicales la place irremplaçable qui devrait être la leur, pour une meilleure réponse aux exigences sociales et démocratiques.
Il est d'ailleurs significatif qu'en matière de démocratie sociale, et notamment de droits des salariés et de leurs organisations syndicales dans les entreprises, de représentativité réelle et reconnue, de liberté d'expression et de moyens d'existence, ces questions continuent pour l'essentiel d'être considérées comme tabou par le patronat et trop souvent par l'Etat.
Le débat autour de la loi de "modernisation sociale" vient encore d'en administrer la preuve et il a fallu les mobilisations du 21 avril à Calais à l'appel du PCF, du 22 mai à l'appel de la CGT et du 9 juin à l'appel de nombreuses organisations, pour que des garanties et des possibilités nouvelles d'intervention leurs soient reconnues, en particulier face aux licenciements boursiers.
A mes yeux, une autre grande question conditionne un nouvel élan du syndicalisme français, je veux bien sûr parler de sa capacité à répondre à ce qu'attendent de lui les salariés en matière de défense de leurs revendications, de démocratie syndicale et de recherche permanente de l'unité d'action la plus large pour plus d'efficacité. Nous y sommes très attentifs, à notre place et dans le respect des prérogatives de chacun.
Dans ce contexte et face à un MEDEF qui tend à jouer un rôle de force politique, nous considérons avec beaucoup d'intérêt la recherche de la CGT en faveur d'un syndicalisme rassemblé.
Les rapports du PCF et de la CGT
Chacun l'aura compris, les rapports du PCF avec la CGT ont connu d'importantes évolutions et nous les considérons comme positives et efficaces. Les liens historiques qui sont les nôtres et dont nous sommes fiers, témoignent pour beaucoup de la dignité de la France et de son peuple, dans nos engagements respectifs et communs pour la justice sociale, l'indépendance de notre pays et la paix. Ils témoignent de l'histoire du mouvement ouvrier français et de ses luttes solidaires pour un monde plus humain. Ils témoignent aussi de conceptions qui ne sont plus aujourd'hui ni celles de la CGT ni celles du PCF.
De nombreux communistes sont adhérents de la CGT dans laquelle ils se retrouvent avec des salariés de toutes opinions politiques, philosophiques ou religieuses. Certains s'y voient confier des responsabilités qu'ils exercent en étant respectueux de cette riche diversité, de la démocratie et de l'indépendance syndicales.
Les évolutions stratégiques intervenues dans chacune de nos organisations naissent d'un long processus, dans un monde complexe et en perpétuel mouvement. Pour notre part, si nous sommes conscients du chemin déjà parcouru, nous sommes tout autant lucides sur ce qu'il reste à faire. En particulier, nous savons combien d'efforts il nous faut accomplir pour que notre parti et ses adhérent-e-s s'imprègnent, dans leurs comportements, de cette réalité nouvelle : comme avec toute autre organisation, entre la CGT et le PCF, il y a des convergences nombreuses et des divergences, assumées sereinement de part et d'autre. Il y a aussi une immense volonté d'échanger, de coopérer et d'agir afin que les salariés obtiennent des succès, fassent bouger les rapports de force et y puisent des éléments de confiance et d'espoir.?
(Source http://www.pcf.fr, le 26 juillet 2001)