Texte intégral
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM, MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est chose faite, le décret sur la réforme du collège déjà ce matin au Journal officiel, le jour d'après la grève. Pourquoi cette précipitation ? pourquoi si vite ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il n'y a pas de précipitation. Tous les délais sont tels que nous les avions prévus depuis le début. C'est-à-dire que je vous rappelle que cette réforme du collège a été adoptée, c'était le 10 avril dernier, en conseil supérieur de l'éducation et qu'aujourd'hui le décret est publié pour qu'elle puisse être mise en oeuvre concrètement à la rentrée 2016.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Donc, c'est la version officielle.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, mais c'est la version
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous avez attendu, en fait, de voir comment tournait cette mobilisation. Est-ce à dire qu'elle aura été faible à vos yeux ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Vous savez, moi une mobilisation m'intéresse dès lors qu'il y a un gréviste ou un manifestant. Je suis sincèrement intéressée, préoccupée par les inquiétudes qui se sont révélées.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Un seul, ç'aurait été un succès pour vous franchement.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En l'occurrence, il y en a eu beaucoup plus qu'un, c'est vrai. Ce que je veux dire par-là, c'est que le sujet ça n'est pas le nombre de professeurs qui ont été mobilisés. Le sujet, c'est les inquiétudes qu'ils manifestent et la façon dont on y répond. Donc, pourquoi est-ce qu'il fallait publier ce décret ? Je vais vous répondre. Pour pouvoir passer à l'étape suivante qui est celle que j'ai annoncée hier, à savoir les textes d'application qui vont permettre de répondre à leurs inquiétudes et d'apporter les garanties sur le fait que l'interdisciplinarité se fera dans de bonnes conditions sans que les disciplines y perdent de temps, que le travail en équipe qu'on leur demande, on leur laissera le temps de préparation nécessaire pour le faire dans les établissements scolaires. C'est ça qui intéresse les enseignants.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Moi, je vous ai laissé le temps d'expliquer ça mais vous avez quand même un peu braqué les syndicats. « Provocation » dit ce matin le SNES-FSU ; écoutez ce que dit sa secrétaire générale Frédérique ROLET qui a été jointe tout à l'heure par Lucie BARBARIN. Ecoutez bien.
FREDERIQUE ROLET, SECRETAIRE GENERALE DU SYNDICAT SNES-FSU
C'est une provocation. On a eu un mouvement important hier avec une grève majoritaire dans le second degré. Je pense que c'est vraiment une très mauvaise méthode. C'est une faute politique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Pas contente. Faute politique ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ecoutez, Frédérique ROLET, que je reçois d'ailleurs et avec elle ma porte est ouverte, grande ouverte, Frédérique ROLET exprime ici un avis, une opinion. Moi, ce que je crois, c'est que nous avons besoin sur cette réforme du collège de ne plus perdre de temps. Nous devons aller vite, précisément pour pouvoir répondre aux interrogations de Frédérique ROLET, c'est-à-dire veiller à ce que tous les professeurs soient bien accompagnés pour mettre en oeuvre cette réforme, bien formés. Que demande le SNES en l'occurrence, ce syndicat ? que demande-t-il ? Il ne demande pas le retrait de la réforme, entendez-le, il demande à ce qu'elle puisse entrer en vigueur dans de bonnes conditions, c'est-à-dire que les enseignants puissent être bien accompagnés.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le SNES demande la suspension pour discuter.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, pour discuter des conditions de mise en oeuvre de cette réforme. Comment faire pour que cette réforme soit mise en oeuvre dans les meilleures conditions possibles ? En offrant pendant plusieurs mois de l'accompagnement et de la formation continue aux enseignants qui seront amenés à l'appliquer à la rentrée 2016. Si vous ne publiez pas maintenant le décret, quand est-ce que vous commencez cette formation ? Soyons juste un peu sérieux.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est symbolique quand même. Ça veut dire : « Ecoutez, c'est bien. Finie la récréation, on avance ! »
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est une façon de dire
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
« Circulez ! », quoi.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Au cas où tout le monde ne l'aurait pas encore compris que cette réforme se fera, que nous y sommes attachés, et que nous donnons les moyens qu'elle entre en vigueur à la rentrée scolaire 2016 dans les meilleures conditions possibles, c'est-à-dire avec une préparation en amont de tous les établissements qui seront amenés à l'appliquer. Préparer en amont tous les collèges de France qui seront amenés à l'appliquer, ça veut dire des mois de travail, d'accompagnement, de formation et donc il faut aller en effet vite.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Des syndicats déjà menacent. Le SNALC parle de boycott du brevet des collèges, le même SNES-FSU grève du zèle peut-être pour l'examen. Vous allez les recevoir ? Qu'est-ce que vous leur dites ce matin à ces formations syndicales ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais bien sûr que je les reçois et je le leur ai dit hier.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
« Venez mais on discute après ».
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Au fond, je vais vous dire : les discussions n'ont jamais été rompues entre nous contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là. Donc ces organisations syndicales savent très bien que ma porte est ouverte pour que nous travaillions sur la suite, que nous fassions en sorte que les enseignants qui seront ceux qui appliqueront cette réforme se l'approprient totalement, parce que je sais bien ce qu'on reproche souvent aux réformes de l'éducation nationale. C'est d'avoir été conçues finalement dans les limbes de la rue de Grenelle et puis ensuite de ne pas trouver prise avec la réalité. Celle-ci, elle trouvera prise avec la réalité pour deux raisons, si vous me le permettez. La première, c'est que chacune de ces mesures a été conçue à partir d'expérimentations qui ont été conduites par les professeurs eux-mêmes.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous pensez aux EPI, c'est ça ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Par exemple l'interdisciplinarité, par exemple l'accompagnement personnalisé.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ça a été testé et vous estimez que ça va marcher.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
On sait que ça marche parce que ce sont des professeurs eux-mêmes qui l'ont inventée et que ça a marché. Deuxièmement, cette réforme marchera parce que nous mettons les moyens pour accompagner les équipes et les former à le faire.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mais qu'est-ce qui s'est passé ? Vous pensez que vous l'aurez mal expliquée pour que ça dérape comme ça ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non. Sur certaines questions j'allais dire de principe, il y a des organisations syndicales qui expriment des inquiétudes. Par exemple l'autonomie qu'on laisse au collège, qui nous semble être une bonne chose parce que ça va permettre à chaque collège en fonction de la réalité des élèves qu'il accueille, de son territoire, et cætera, d'adapter des réponses.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
D'autres disent que c'est un risque de libéralisation. D'ailleurs même Jean-Luc MELENCHON le redoute. Jean-Luc MELENCHON, ce n'est pas la droite.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'autres en effet s'inquiètent de ce surcroît d'autonomie, craignant par exemple et j'ai bien entendu ça chez certaines organisations syndicales que ça revienne à avoir des chefs d'établissement qui auraient tout le pouvoir, là où précisément nous répondons, nous, que c'est important qu'un chef d'établissement ait du pouvoir pour manager, pour organiser. Mais c'est bien l'ensemble de l'équipe pédagogique qui participera à définir cette autonomie et qui contribuera à dire si, dans tel collège, il faut renforcer l'apprentissage du français parce que c'est là que les élèves ont des lacunes, ou si dans tel autre il faut plutôt construire un projet avec le monde professionnel qui entoure le collège, parce que c'est la meilleure façon de stimuler aussi les élèves. C'est très important, cette question. Donc vous voyez que c'est un clivage philosophique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Justement. Sur la méthode, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET qui était à votre place ici-même hier matin, a parlé d'une forme d'arrogance de votre part. C'est ce qu'elle dit, « arrogance », parce qu'elle dit : « Au fond, tous ceux qui s'opposent ont tort et moi j'ai raison, moi Najat VALLAUD-BELKACEM. J'ai raison ». Voilà, arrogance.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Mais je crois que dans la vie politique de manière générale, et en particulier à la tête d'un ministère comme celui-là, si vous n'avez pas quelques convictions fortes, quelques arêtes fortes, vous n'avancez pas. Parce que bien sûr que c'est important d'écouter tout le monde, et honnêtement je crois que vous me connaissez suffisamment pour savoir que je suis quelqu'un à l'écoute et je vais le démontrer à nouveau dans les jours et les semaines qui viennent avec les organisations syndicales ; mais en même temps, si vous n'avez pas une idée, un projet de société et si vous ne vous donnez pas les moyens d'avancer, alors vous ne réformez jamais rien et vous en restez au statu quo actuel. Et moi, je ne voulais pas rester sur le statu quo, donc j'avance.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous avez vu la polémique autour de l'utilisation de votre prénom. Le Parisien-Aujourd'hui en France, notre confrère titrait hier matin : « L'épreuve du feu pour Najat », votre nom a disparu. Ça a choqué votre collègue Patrick KANNER qui dit « familiarité ». Ça vous a choquée, vous ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En fait, depuis le début de ma vie politique il en est ainsi, donc j'ai fini par m'y habituer. Je ne sais pas s'il faut trouver cela choquant ou pas. De façon claire, on est souvent plus familier avec les femmes qu'avec les hommes en politique.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
C'est regrettable ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ça dépend comment c'est fait, dans quel esprit c'est fait. Parfois c'est sympathique, parfois, oui, on aimerait simplement être vue comme un homme politique comme les autres et donc ne pas avoir de traitement particulier.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors le chef de l'Etat semble être déjà en campagne, en témoigne son meeting républicain ça s'appelait comme ça hier soir à Carcassonne dans l'Aude. Il est candidat, François HOLLANDE ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ecoutez, François HOLLANDE était dans l'Aude notamment pour revenir sur le bilan de ses trois dernières années et pour se projeter dans l'avenir.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Oui, 2017. Tout le monde l'a compris.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pour vous répondre, je souhaite que cet avenir dure. Clairement, il nous reste beaucoup de choses à faire même si
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il a raison d'être en campagne comme ça déjà ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il a raison en tout cas de se rendre sur le terrain pour faire de la pédagogie autour des réformes déjà entreprises et montrer le cap et le chemin qu'il nous reste à parcourir. Oui, il a raison. D'ailleurs il a été très chaleureusement accueilli.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous vous rappelez qu'il était reproché à Nicolas SARKOZY d'organiser le même type de vrai-faux meeting. On disait : « Ce sont des meetings UMP déguisés. La commission des comptes de campagne devra se pencher dessus ». Au fond, François HOLLANDE pratique la même chose ; il est déjà quelque part en campagne de réélection.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je ne crois vraiment pas qu'on puisse comparer François HOLLANDE et Nicolas SARKOZY en particulier
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Non, c'est le meeting républicain, le principe, ouvert à tous mais
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
En particulier sur la question des dépenses de communication de l'Elysée, par exemple, dont on sait bien qu'elles ont été divisées par je ne sais plus, quatre ou cinq depuis l'arrivée de François HOLLANDE à l'Elysée. Mais en tout cas, pour ce qui est de se rendre sur le terrain, d'organiser des réunions publiques ouvertes à tous comme vous le disiez, je crois au contraire que c'est une très bonne façon de faire de la politique puisque c'est une façon d'aller rendre des comptes.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et sa campagne.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Aussi d'aller rendre des comptes. Après tout, il n'a pas parlé que d'avenir. Il est revenu sur le bilan et je pense que c'est important parce qu'il y a besoin de pédagogie, on s'en est bien rendu compte autour de la réforme du collège, entre ce que nous concevons, ce que nous expliquons et puis la façon dont les Française peuvent le percevoir. Parfois, il y a besoin d'aller au contact au plus proche, et c'est ce qu'il a fait et il le fait bien.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Najat VALLAUD-BELKACEM, un dernier mot rapide. Ce matin, exclu France Info : notre reporter Sophie PARMENTIER est allée suivre Mourad BENCHELLALI, ancien détenu français de Guantanamo qui, lui, est allé prendre la parole devant des élèves à Lunel avec l'accord de l'éducation nationale. Selon vous, ce peut être dissuasif ? Est-ce que l'école doit aussi servir à cela, régler les problèmes de société ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, l'école a un rôle à jouer - pas seule c'est sûr - mais a un rôle à jouer en effet pour venir répondre aux défis qui sont ceux que rencontrent aujourd'hui les jeunes gens et notamment cette tentation du repli sur soi, cette tentation parfois de la radicalisation, du fanatisme. Que Mourad BENCHELLALI se prête à ce jeu-là, je crois que c'est une chose très importante tout comme tous les Français qui ont accepté de rejoindre notre réserve citoyenne puisque nous avons proposé aux Français qui veulent aider l'école de venir témoigner dans des classes, venir stimuler les élèves, les encourager, de pouvoir le faire en ouvrant plus largement les portes de l'école. C'est important parce que les seuls enseignants n'arriveront pas à, en effet, régler tous les défis de la société que l'on retrouve concentrés dans une salle de classe.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci. Merci à vous, Najat VALLAUD-BELKACEM.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 mai 2015