Déclaration de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, sur les droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie, Paris le 16 juin 2015.

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« Quand la crainte de la vie l'emporte sur la crainte de la mort ».
Ces mots de Victor HUGO trouvent un écho chez tous ceux qui ont eu à affronter la fin de vie difficile d'un proche. Arriver au point de vouloir partir pour ne plus souffrir, c'est sans doute la plus terrible des appréhensions.
La fin de vie est intime, mais elle ne saurait être restreinte à la sphère privée. Le rapport à la maladie, à la mort, résulte de règles, de codes, d'une culture. Jamais depuis des siècles, les évolutions n'ont été aussi rapides, sous la pression des aspirations à la liberté, la responsabilité, l'autonomie. Nous avons le devoir d'apaiser, sans jamais remettre en cause l'autonomie. Le devoir de poser des limites, sans jamais ignorer la souffrance. Oui, la modernité d'une société se mesure, pour beaucoup, à son rapport aux malades et aux souffrants, à sa capacité à faire évoluer des règles acceptées de tous.
Notre rapport à la fin de vie a changé. Les soins palliatifs ne sont pas accessibles à tous dans les mêmes conditions. Nos concitoyens ne connaissent pas suffisamment leurs droits. Les progrès de la science et de la médecine nous permettent de vivre plus longtemps, ce qui est indéniablement une chance. Et dans le même temps, les traitements peuvent faire durer la maladie et maintenir en vie, à tel point que la frontière entre la vie et la mort s'estompe souvent.
Faire évoluer le cadre législatif relève donc d'une exigence. Morale peut-être. Politique assurément. Les malades et leurs familles, les associations, les professionnels de santé, nous enjoignent de nous saisir avec responsabilité de ce sujet délicat.
C'est pour répondre à cette attente que le Président de la République a pris l'engagement de mieux accompagner la fin de vie dans le contexte d'une maladie incurable et d'une souffrance insupportable.
Il fallait d'abord permettre à la société de s'exprimer le plus directement possible. La mission confiée au professeur Sicard, puis les travaux du Comité consultatif national d'éthique, ont permis aux Français de s'emparer de ce sujet à travers des débats régionaux et une conférence citoyenne. Patients, professionnels de santé, représentants des grandes familles de pensée ou religieuses : tous ont pu faire valoir leur point de vue.
Puis est venu le temps d'élaborer un texte. Le Président de la République en a fixé le cadre : parvenir à un consensus le plus large possible pour proposer une étape législative nouvelle. Une mission a été confiée aux députés Alain CLAEYS et Jean LEONETTI. Ils ont rendu leurs travaux en décembre dernier et rédigé la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Elle marque de grandes avancées.
I - D'abord, le texte renforce l'accès aux soins palliatifs, aujourd'hui insuffisant.
Depuis dix ans, les unités de soins palliatifs se sont développées partout en France et le nombre de lits a été multiplié par vingt. Pourtant, si les deux tiers des Français qui meurent de maladie ont besoin de soins palliatifs, une grande partie d'entre eux n'y a pas accès, ou trop tardivement. Cette injustice est à la fois sociale et territoriale, ce qu'a montré la Cour des comptes dans son rapport annuel de 2015.
Le Président de la République a annoncé un nouveau plan triennal de développement des soins palliatifs. Ce plan doit permettre de développer la culture palliative dans notre pays en mettant en avant plusieurs priorités :
- le renforcement de l'accès aux soins palliatifs dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), partout sur le territoire ;
- le développement des soins palliatifs à domicile, où la majorité de nos concitoyens veut pouvoir finir ses jours ;
- une meilleure formation des personnels soignants,en intégrant un enseignement spécifique consacré à l'accompagnement des malades dans toutes les formations sanitaires ;
- la création des outils communs aux professionnels de santé pour accompagner la sortie d'hôpital des patients nécessitant des soins palliatifs vers le domicile ou l'EHPAD. La Haute autorité de santé (HAS) y travaille actuellement.
Ce projet sera soumis la semaine prochaine à un comité de pilotage, composé des acteurs des soins palliatifs, qui éclairera et complètera si nécessaire les orientations que je propose. D'ici la fin du mois, je présenterai ce plan finalisé.
Le texte que nous examinons propose de reconnaître à toute personne malade un droit universel à accéder aux soins palliatifs sur l'ensemble du territoire. Charge pour les agences régionales de santé de veiller à sa bonne application.
II - Ensuite, cette proposition de loi renforce la possibilité donnée à nos concitoyens de faire valoir leurs droits.
Les Français ne connaissent pas suffisamment leurs droits. Près de la moitié d'entre eux ignore que la loi autorise le patient à demander l'arrêt des traitements qui le maintiennent en vie. Seuls 2,5% de nos concitoyens ont rédigé des directives anticipées, alors que nous savons qu'elles pourraient résoudre nombre de situations difficiles.
La situation de Vincent Lambert - qui n'est pas en fin de vie, il faut le préciser - rappelle la nécessité de tout faire pour que puisse s'exprimer la volonté de chacun. Pour cela, le cadre de notre expression personnelle doit être clarifié, renforcé.
Le texte propose donc de rendre les directives anticipées contraignantes et d'en supprimer la durée de validité. C'est une avancée majeure. Aujourd'hui, ces directives ne constituent que l'un des éléments à prendre en compte dans la décision médiale. Demain, c'est bien la volonté du patient qui sera déterminante pour l'issue de sa vie. Rester maître de sa vie jusqu'au moment où on la quitte, voilà l'enjeu de dignité auquel ce texte s'attache.
Le second enjeu est de renforcer l'information sur ces directives. L'information du patient, qui doit connaître son droit pour pouvoir l'exercer. L'information de l'équipe médicale, qui doit avoir connaissance le plus rapidement et le plus clairement possible des volontés du malade.
Les amendements adoptés par l'Assemblée nationale renforcent ce volet du texte. Concrètement, un formulaire-type de directive anticipée sera élaboré sous l'égide de la HAS et un registre national automatisé permettra à chaque Français de rédiger une directive anticipée de la manière la plus simple qui soit. Ces dispositifs permettront de donner aux médecins une visibilité rapide et immédiate sur les directives anticipées. Ils pourront facilement consulter ce registre qui, bien évidemment, garantira le respect de la confidentialité. Il nous revient de trouver les moyens d'informer utilement nos concitoyens sur ce droit nouveau.
III - Enfin, la troisième orientation de ce texte, c'est de consacrer une plus grande autonomie des personnes.
L'encadrement de l'arrêt des traitements, permis par la loi d'avril 2005, a constitué un progrès indéniable pour la dignité des malades. Personne ne peut le contester.
Mais il nous faut aujourd'hui franchir une étape supplémentaire. Parce qu'en l'état actuel de notre droit, c'est au seul médecin que revient la décision d'interrompre ou de ne pas initier les traitements Si un dialogue a évidemment lieu au sein des équipes soignantes, des médecins m'ont dit être parfois désemparés lorsqu'ils sont confrontés à la décision d'interrompre ou non les traitements. Et, dans le même temps, trop de patients, trop de familles, ont le sentiment de pas êtres entendus. Les droits des malades en fin de vie doivent être renforcés.
C'est ce que propose ce texte, qui précise les modalités d'interruption des traitements. Il clarifie la notion « d'obstination déraisonnable » et propose d'instaurer un droit à bénéficier d'une sédation profonde et continue jusqu'au décès, lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. A l'heure actuelle, ce traitement relève de la seule appréciation médicale. Son application dépend donc largement du territoire, de l'établissement ou du service. Il s'agira désormais d'un droit concret, reconnu à tous et partout.
Mesdames et messieurs les sénateurs,
La fin de vie est un sujet qui concerne toute la société française. Par delà les croyances, les engagements, les parcours et les points de vue, nous avons une grande mission collective, celle de répondre aux attentes exprimées par nos concitoyens.
Ce texte permet de franchir une étape considérable. L'opposabilité des directives anticipées, couplée à la reconnaissance de la sédation profonde et continue jusqu'au décès, renverse la logique de décision : c'est le patient, et non plus le médecin, qui devient le maître de son destin. Il s'agit de redonner de la vie à la mort pour que chacun, jusqu'au dernier instant, soit respecté dans sa personne.
Ce sujet fait appel à la conscience de chacun. Nul ne détient la vérité et chacun doit pouvoir exprimer sa conviction profonde. Sur vos bancs, certains considèrent ce texte insuffisant et estiment qu'il faudrait aller plus loin. D'autres, au contraire, ne soutiennent pas ce texte et s'opposent à toute évolution du cadre juridique de la fin de vie. Il n'appartient à personne de porter un jugement sur ces convictions, toutes aussi respectables les unes que les autres. Il s'agit aujourd'hui de considérer que ce texte rassemble très largement et qu'il constitue un point d'équilibre dans la société.
Le Président de la République a fixé un cap clair : franchir une étape de liberté pour les malades, et le faire dans le rassemblement. Le Sénat est sans doute le lieu le plus à même de répondre à cette double exigence. Parce que l'engagement historique des sénatrices et des sénateurs sur ce sujet montre bien qu'il dépasse les clivages partisans et peut largement rassembler. Parce que vous avez à cœur, comme moi, de franchir un pas supplémentaire en faveur de la dignité des personnes en fin de vie.
Je vous remercie.
Source http://www.social-sante.gouv.fr, le 19 juin 2015