Déclaration de M. Michel Sapin, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, sur la sécurisation de l'emploi et la formation professionnelle tout au long de la vie, Paris le 19 septembre 2013.

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Circonstance : Colloque du CEREQ "quand l'entreprise forme, quand la formation sécurise" à Paris le 19 septembre 2013

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Permettez-moi de vous dire en préambule le plaisir que j’ai d’introduire ce colloque. L’articulation entre recherche et action politique est toujours complexe, rarement opérante sur le temps court, mais elle se synchronise sur le temps long.
Le progrès de la réflexion sur le concept de « sécurisation » en est un bon exemple. Il montre comment les recherches en économie, sociologie ou droit du travail finissent par entrer dans le champ de la politique. Je vais y revenir dans quelques instants.
Permettez-moi aussi d’avoir à l’ouverture de cette Biennale –comme beaucoup d’entre vous j’en suis certain- une pensée pour Vincent Merle, qui a dirigé votre Centre, et qui a tant apporté à la recherche et au débat social sur la formation. Sa pertinence et son engagement vont nous manquer, encore aujourd’hui et sans doute pour longtemps, mais vont aussi nous inspirer, nous rappeler en permanence l’exigence intellectuelle qui doit être la nôtre. Cette journée en est une belle illustration.
Je voudrais commencer par parler du Cereq. Entre la recherche et la politique, il est des institutions –pas si nombreuses- qui parviennent à faire le lien, à donner de la profondeur à la décision autant que des prolongements concrets à la réflexion. Je veux donc saluer ici les chercheurs du Cereq pour leur capacité à éclairer la décision publique, comme celle des divers acteurs du champ emploi et formation, à travers études, statistiques ou comparaison internationale, en passant par les enquêtes de terrain. Il est utile d’avoir des études ET des recommandations quand l’on est aux responsabilités, particulièrement dans un moment de grand bouleversement du champ qui est le nôtre.
J’en viens au cœur du sujet qui nous occupe ce matin, dans cette 3ème biennale formation-emploi intitulée : « quand l’entreprise forme, quand la formation sécurise : sécuriser les parcours professionnels par la formation, sécuriser la transition de l’école à l’emploi par l’apprentissage ».
Sécuriser, voilà le mot de cette biennale. Permettez-moi de faire moi-même, modestement et juste pour quelques instants, le philosophe ou le sociologue.
Le regretté Robert Castel disait que l’insécurité sociale avait changé de forme. Il fut un temps où l’insécurité voulait dire « absence totale de protection sociale ».
La sécurité s’appelait alors statut, CDI, acquis sociaux… les choses étaient assez simples, binaires, entre deux types de travailleurs bien distincts. Et il avait fallu toute l’œuvre des réformateurs sociaux, la construction du droit du travail, pour faire de la condition salariale la norme de l’emploi. Mais, paradoxe, c’est au moment où le salariat paraît s’imposer définitivement que l’édifice se fissure, remettant à l’ordre du jour la vieille obsession populaire d’avoir à vivre « au jour la journée » ou, pour le dire en termes d’aujourd’hui : la précarité.
Sauf que cette situation n’est pas un retour en arrière. L’insécurité sociale du présent est d’une tout autre forme que par le passé.
Qu’est-ce que l’insécurité aujourd’hui ? Ce n’est pas de n’avoir aucune protection, situation heureusement rare dans notre pays.
L’insécurité, c’est tanguer entre des filets de sécurité mais ne bénéficier réellement d’aucun, de tomber dans des trous, des angles morts, des recoins sombres, soit par ignorance -confère le RSA-activité - , soit par complexité, soit par décrochage personnel (je pense ici aux jeunes décrocheurs). L’insécurité, c’est être à la fois inséré et exclu (les travailleurs pauvres), en emploi et au chômage (les autres demandeurs d’emploi des catégories B ou C)… Et toujours isolé dans sa situation propre.
L’insécurité, sur le marché de l’emploi, c’est appartenir à cette nébuleuse de travailleurs qui gravitent autour de l’emploi à durée indéterminée et qui ne trouvent pas une place stable dans la société, sans pour autant être exclus de toute protection. Il n’y a guère d’unité entre toutes ces situations qui vont de la précarité des femmes de ménages qui n’arrivent pas à cumuler suffisamment d’heures à celles des diplômés-chômeurs qui ne parviennent pas à s’insérer dans le monde du travail et enchaînent les petits boulots –y compris d’ailleurs dans la recherche.
Telle est bien la difficulté du présent. Dans notre société, l’incertitude a été réintroduite, à tous les niveaux. C’est la production « juste à temps », c’est l’embauche qui se fait aujourd’hui à 80% en CDD. Dès lors la protection sociale doit profondément muter.
Et voilà que s’impose le concept de sécurisation, et que la recherche -qui y réfléchit depuis longtemps- rencontre la demande sociale et syndicale et la politique.
Que veut-il dire ? Que l’exigence de sécurité individuelle doit être repensée non pas contre le risque exceptionnel, mais face à un aléa devenu omniprésent. Il s’agit donc d’intégrer la gestion de l’incertitude dans la définition même de la sécurité, en somme d’inventer une dynamique de la sécurité. C’est bien ce que dit le terme de « sécurisation » : pas un « état » mais un processus, un mouvement, une adaptation chemin faisant.
A mes yeux c’est bien cela l’enjeu du moment et je remercie les organisateurs de le poser aujourd’hui. Nous tenons le bon concept.
L’enjeu de la décennie est de redéfinir le statut professionnel de façon à garantir la continuité d’une trajectoire plutôt que la stabilité des emplois. Il s’agit donc d’abord de protéger le travailleur dans les phases de transition entre des emplois. En effet, quand nos parents changeaient en moyenne une fois et demie d’emploi dans leur vie, nos enfants changeront quatre fois et demie. Souvent ces ruptures sont voulues, parfois, trop souvent, elles sont subies. C’est là que doit porter l’effort.
Dès lors, il nous faudra être particulièrement attentif au couplage entre formation et emploi ; entre chômage et formation, et au début de la vie professionnelle entre école et entreprise. Partout, nous aurons à imaginer les maillons juridiques, sociaux, économiques qui conjureront l’insécurité sociale.
Voilà ce qu’est la « sécurisation », une politique moderne de l’emploi.
Alors comment faire ? Si l’on regarde l’action du gouvernement, c’est bien vers cela que sont tendus nos efforts : travailler sur les dynamiques économiques et sociales, accompagner les transitions, rompre avec une approche statique.
Concrètement cela prend différentes formes :
- sécuriser l’emploi en donnant aux acteurs le pouvoir de négocier des alternatives à la destruction de l’emploi : accords de maintien de l’emploi, activité partielle, nouvelles procédures PSE. C’est l’accord du 11 janvier et la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin.
- sécuriser l’activité en construisant des dispositifs -à commencer par les filières- qui rassemblent les forces productives et leur font partager une stratégie et des actions communes…
- Sécuriser les transitions car, si on ne peut contrer le mouvement de l’économie, on peut le devancer, l’organiser et faire en sorte que de moins en moins de salariés passent par la case chômage entre différents emplois. A froid, c’est la GPEC de branche, la GPEC d’entreprise ou celle de territoire, c’est le bilan de compétences, la VAE, le congé de mobilité. A chaud, ce sont les cellules de reclassement, le congé de reclassement, le contrat de sécurisation professionnelle qui sont autant de pièces d’une sécurité sociale professionnelle en gestation.
- Sécuriser les compétences, matière première de notre économie moderne, qu’il faut préserver et défendre. Pour cela, il faut reformer la formation professionnelle.
Nous voilà donc au sujet de la formation professionnelle, central dans l’optique de sécurisation.
Le document d’orientation que j’ai adressé aux partenaires sociaux le 8 juillet pour la négociation interprofessionnelle qui s’ouvre en fait un objectif, un impératif même : « réformer la formation professionnelle pour la sécurisation des personnes et la compétitivité des entreprises ».
Et l’un des axes du document de cadrage pour la concertation apprentissage que j’ai également lancée il y a quelques semaines est « la sécurisation du parcours des jeunes ».
* Les enjeux de la réforme
Concrètement, cela veut dire qu’il y a deux enjeux majeurs dans la négociation qui va commencer la semaine prochaine, le 24 septembre :
- Favoriser l’accès à la formation des salariés qui sont généralement les plus exposés au risque de chômage, les peu ou pas qualifiés, ceux pour qui les ruptures et les transitions sont fréquentes. Cela peut impliquer de revoir à la fois le contenu du plan de formation et ses modalités de financement en ciblant mieux les fonds de la formation professionnelle vers ces publics fragiles au sein de l’entreprise.
- Faire de la formation professionnelle un véritable investissement collectif pour l’emploi au sein de l’entreprise. C’est à dire sortir d’une pratique jugée parfois bureaucratique et formaliste de la formation à la fois par les représentants des employeurs et des salariés, pour en faire l’expression d’une stratégie de l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, l’employeur et les salariés par l’intermédiaire de leurs représentants.
L’une des études qui sera présentée lors de votre biennale interroge la responsabilité respective de l’entreprise et des pouvoirs publics en matière de flexibilité et de sécurité. Je ne veux pas m’immiscer dans l’échange à venir, mais vous le dis clairement : pour moi la sécurisation des parcours ne se joue pas seulement en-dehors de l’entreprise, du côté des pouvoirs publics tandis que les entreprises se concentreraient sur la performance ; celles-ci doivent assumer la responsabilité qui est la leur en contribuant pleinement à la sécurité professionnelle des actifs. En couplant plus et mieux emploi et formation, en consolidant leur effort en faveur de la formation des plus fragiles, et en permettant au dialogue social dans l’entreprise d’assortir les usages de la formation de garanties collectives.
Ce faisant, elles renforceront leur compétitivité. Car j’affirme qu’il y a un lien insécable entre formation et compétitivité. Alors j’en profite pour compléter le titre de votre journée : « quand l’entreprise forme… elle gagne en performance et en mobilisation des salariés ».
* Sécuriser, c’est lier davantage emploi et formation
Œuvrer pour la sécurité professionnelle c’est ensuite pour ceux qui veulent évoluer professionnellement, pour ceux qui occupent un emploi fragilisé par les mutations économiques, et aussi pour ceux qui malheureusement ont perdu leur emploi. Promotion sociale et évolution professionnelle, maintien et consolidation de l’emploi, accès et retour à un emploi durable et de qualité : autant d’enjeux au cœur de la mise en œuvre opérationnelle du compte personnel de formation, qui sera la pierre angulaire de la réforme de la formation professionnelle.
L’ANI du 11 janvier et la loi relative à la sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 en ont posé les principes, mais leur transcription dans la réalité quotidienne de nos concitoyens sera la grande affaire à la fois de la nouvelle négociation qui s’engage entre partenaires sociaux et de la concertation quadripartite qu’animera Jean-Marie Marx.
L’un des enjeux de la sécurisation sera de permettre le passage d’un état à un autre, de casser le mur qui se dresse entre les chômeurs et l’emploi. Les actifs français aujourd’hui ne sont plus assignables à des cases : ceux qui sont en emploi, ceux qui sont au chômage, ceux qui créent une entreprise… Nombre de nos concitoyens connaissent des mouvements nombreux entre ces « cases » devenues perméables, qu’on le veuille ou non. Alors le compte personnel de formation, la portabilité des droits qu’il instaure, est un bon outil de sécurisation des parcours, résistant au choc de l’incertitude et permettant à chacun de construire au mieux sa migration sur le marché du travail sans être bloqué par les effets de frontière.
* Sécuriser, c’est savoir orienter tout au long de la vie
Œuvrer pour la sécurité professionnelle c’est aussi prendre à bras le corps l’enjeu majeur de l’orientation professionnelle tout au long de la vie.
Raisonner parcours et trajectoire avec l’évolution du marché du travail est devenu nécessaire. Mais tout le monde n’est pas égal devant la mobilité, que celle-ci soit géographique ou professionnelle. Tout le monde n’a pas les mêmes ressources pour se situer dans les méandres des dispositifs, les mêmes connaissances des métiers, la même capacité d’autonomie pour choisir à bon escient.
Afin d’éviter que des dispositifs comme le compte personnel de formation ne creusent encore des inégalités entre ceux qui sauront le mobiliser et ceux qui ne le sauront pas, il faut mieux accompagner chacun dans son orientation.
La réforme de la formation professionnelle devra mettre l’accent sur cet aspect à travers notamment deux initiatives complémentaires :
- La mise en œuvre d’un nouveau service de conseil en évolution professionnelle. Il constituera un vrai plus, permettant notamment aux salariés qui souhaitent évoluer de recevoir conseil dans un lieu neutre, extérieur à l’entreprise, en prise avec les réalités du marché du travail local.
- De nouvelles modalités d’organisation du service public d’orientation. La réforme de la formation professionnelle contribuera à une nouvelle étape de décentralisation en confiant aux régions la responsabilité d’animer et de coordonner sur le territoire, les différents acteurs de l’orientation professionnelle pour les jeunes et les adultes. Nous attendons de cette évolution plusieurs effets bénéfiques en termes de sécurisation des parcours professionnels : une politique d’orientation professionnelle plus en phase avec les réalités locales de l’emploi ; une image valorisée de l’alternance facilitant les transitions de l’école au travail ; un échange de bonnes pratiques plus fructueux via une animation plus proche des acteurs.
* Sécuriser, c’est coupler école et entreprise
Enfin, première modalité de transition à sécuriser, les premiers pas professionnels des jeunes en « couplant mieux école et entreprise ».
Votre Biennale traitera cet après-midi d’un sujet important : « sécuriser la transition de l’école à l’emploi par l’apprentissage ».
La première étape du parcours d’un apprenti, c’est la recherche d’un employeur. Exercice très difficile pour beaucoup d’entre eux, et pour lequel ils doivent être soutenus. Les réseaux consulaires et les organisations professionnelles ont une responsabilité sur ce registre, mais cela doit faire également partie des missions des CFA, que nous ambitionnons de préciser et d’enrichir dans le cadre de la réforme.
L’étape suivante, c’est la formation elle-même, dans le CFA et dans l’entreprise, avec un rôle central des maîtres d’apprentissage, qui doivent être mieux formés encore pour jouer ce rôle. C’est pendant cette étape, surtout au cours des premiers mois, que le risque de rupture est le plus élevé, particulièrement quand l’apprenti se trouve dans une petite entreprise. C’est là que le besoin d’accompagnement est le plus fort, pour les jeunes mais aussi pour les employeurs. En la matière, l’expérimentation qui a eu lieu à Beaune et que vous allez évoquer dans l’après-midi, est riche d’enseignements.
Enfin, la dernière étape du parcours, après l’obtention de la qualification, c’est l’insertion dans l’emploi. Elle n’a pas toujours lieu dans l’entreprise qui a formé l’apprenti, mais toutes les études montrent que le fait d’avoir obtenu une qualification facilite grandement l’embauche dans une autre. Sur ce point nous nous discutons avec les acteurs de l’opportunité d’ouvrir la faculté de conclure un contrat d’apprentissage en CDI.
Et puis un jour, à l’issue de sa carrière, celui qui était apprenti prendra sa retraite. Et je veux ici mentionner ce qu’apporte à cet égard le projet de loi sur les retraites : tout apprenti validera demain un nombre de trimestres égal à la durée de son contrat, contre quelques trimestres seulement aujourd’hui pour les plus jeunes. Qui a dit que cette réforme n’était pas faite pour les jeunes ? C’est tout le parcours de vie de l’apprenti que nous sécurisons ainsi ! Et c’est justice !
Voilà, mesdames et messieurs, pardon d’avoir été un peu long. Mais vous l’avez compris : vos travaux, vos débats, vos questionnements, touchent au cœur de la politique de l’emploi et de la formation de ce Gouvernement, au cœur des négociations des partenaires sociaux. Nous avons ouvert le gigantesque chantier de la sécurisation des parcours et des transitions, c’est une politique d’emploi pour le XXIe siècle. Je compte sur vous, chercheurs, experts, acteurs pour l’éclairer et la guider.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 20 septembre 2013