Texte intégral
Permettez-moi de vous dire en préambule le plaisir que jai dintroduire ce colloque. Larticulation entre recherche et action politique est toujours complexe, rarement opérante sur le temps court, mais elle se synchronise sur le temps long.
Le progrès de la réflexion sur le concept de « sécurisation » en est un bon exemple. Il montre comment les recherches en économie, sociologie ou droit du travail finissent par entrer dans le champ de la politique. Je vais y revenir dans quelques instants.
Permettez-moi aussi davoir à louverture de cette Biennale comme beaucoup dentre vous jen suis certain- une pensée pour Vincent Merle, qui a dirigé votre Centre, et qui a tant apporté à la recherche et au débat social sur la formation. Sa pertinence et son engagement vont nous manquer, encore aujourdhui et sans doute pour longtemps, mais vont aussi nous inspirer, nous rappeler en permanence lexigence intellectuelle qui doit être la nôtre. Cette journée en est une belle illustration.
Je voudrais commencer par parler du Cereq. Entre la recherche et la politique, il est des institutions pas si nombreuses- qui parviennent à faire le lien, à donner de la profondeur à la décision autant que des prolongements concrets à la réflexion. Je veux donc saluer ici les chercheurs du Cereq pour leur capacité à éclairer la décision publique, comme celle des divers acteurs du champ emploi et formation, à travers études, statistiques ou comparaison internationale, en passant par les enquêtes de terrain. Il est utile davoir des études ET des recommandations quand lon est aux responsabilités, particulièrement dans un moment de grand bouleversement du champ qui est le nôtre.
Jen viens au cur du sujet qui nous occupe ce matin, dans cette 3ème biennale formation-emploi intitulée : « quand lentreprise forme, quand la formation sécurise : sécuriser les parcours professionnels par la formation, sécuriser la transition de lécole à lemploi par lapprentissage ».
Sécuriser, voilà le mot de cette biennale. Permettez-moi de faire moi-même, modestement et juste pour quelques instants, le philosophe ou le sociologue.
Le regretté Robert Castel disait que linsécurité sociale avait changé de forme. Il fut un temps où linsécurité voulait dire « absence totale de protection sociale ».
La sécurité sappelait alors statut, CDI, acquis sociaux les choses étaient assez simples, binaires, entre deux types de travailleurs bien distincts. Et il avait fallu toute luvre des réformateurs sociaux, la construction du droit du travail, pour faire de la condition salariale la norme de lemploi. Mais, paradoxe, cest au moment où le salariat paraît simposer définitivement que lédifice se fissure, remettant à lordre du jour la vieille obsession populaire davoir à vivre « au jour la journée » ou, pour le dire en termes daujourdhui : la précarité.
Sauf que cette situation nest pas un retour en arrière. Linsécurité sociale du présent est dune tout autre forme que par le passé.
Quest-ce que linsécurité aujourdhui ? Ce nest pas de navoir aucune protection, situation heureusement rare dans notre pays.
Linsécurité, cest tanguer entre des filets de sécurité mais ne bénéficier réellement daucun, de tomber dans des trous, des angles morts, des recoins sombres, soit par ignorance -confère le RSA-activité - , soit par complexité, soit par décrochage personnel (je pense ici aux jeunes décrocheurs). Linsécurité, cest être à la fois inséré et exclu (les travailleurs pauvres), en emploi et au chômage (les autres demandeurs demploi des catégories B ou C) Et toujours isolé dans sa situation propre.
Linsécurité, sur le marché de lemploi, cest appartenir à cette nébuleuse de travailleurs qui gravitent autour de lemploi à durée indéterminée et qui ne trouvent pas une place stable dans la société, sans pour autant être exclus de toute protection. Il ny a guère dunité entre toutes ces situations qui vont de la précarité des femmes de ménages qui narrivent pas à cumuler suffisamment dheures à celles des diplômés-chômeurs qui ne parviennent pas à sinsérer dans le monde du travail et enchaînent les petits boulots y compris dailleurs dans la recherche.
Telle est bien la difficulté du présent. Dans notre société, lincertitude a été réintroduite, à tous les niveaux. Cest la production « juste à temps », cest lembauche qui se fait aujourdhui à 80% en CDD. Dès lors la protection sociale doit profondément muter.
Et voilà que simpose le concept de sécurisation, et que la recherche -qui y réfléchit depuis longtemps- rencontre la demande sociale et syndicale et la politique.
Que veut-il dire ? Que lexigence de sécurité individuelle doit être repensée non pas contre le risque exceptionnel, mais face à un aléa devenu omniprésent. Il sagit donc dintégrer la gestion de lincertitude dans la définition même de la sécurité, en somme dinventer une dynamique de la sécurité. Cest bien ce que dit le terme de « sécurisation » : pas un « état » mais un processus, un mouvement, une adaptation chemin faisant.
A mes yeux cest bien cela lenjeu du moment et je remercie les organisateurs de le poser aujourdhui. Nous tenons le bon concept.
Lenjeu de la décennie est de redéfinir le statut professionnel de façon à garantir la continuité dune trajectoire plutôt que la stabilité des emplois. Il sagit donc dabord de protéger le travailleur dans les phases de transition entre des emplois. En effet, quand nos parents changeaient en moyenne une fois et demie demploi dans leur vie, nos enfants changeront quatre fois et demie. Souvent ces ruptures sont voulues, parfois, trop souvent, elles sont subies. Cest là que doit porter leffort.
Dès lors, il nous faudra être particulièrement attentif au couplage entre formation et emploi ; entre chômage et formation, et au début de la vie professionnelle entre école et entreprise. Partout, nous aurons à imaginer les maillons juridiques, sociaux, économiques qui conjureront linsécurité sociale.
Voilà ce quest la « sécurisation », une politique moderne de lemploi.
Alors comment faire ? Si lon regarde laction du gouvernement, cest bien vers cela que sont tendus nos efforts : travailler sur les dynamiques économiques et sociales, accompagner les transitions, rompre avec une approche statique.
Concrètement cela prend différentes formes :
- sécuriser lemploi en donnant aux acteurs le pouvoir de négocier des alternatives à la destruction de lemploi : accords de maintien de lemploi, activité partielle, nouvelles procédures PSE. Cest laccord du 11 janvier et la loi de sécurisation de lemploi du 14 juin.
- sécuriser lactivité en construisant des dispositifs -à commencer par les filières- qui rassemblent les forces productives et leur font partager une stratégie et des actions communes
- Sécuriser les transitions car, si on ne peut contrer le mouvement de léconomie, on peut le devancer, lorganiser et faire en sorte que de moins en moins de salariés passent par la case chômage entre différents emplois. A froid, cest la GPEC de branche, la GPEC dentreprise ou celle de territoire, cest le bilan de compétences, la VAE, le congé de mobilité. A chaud, ce sont les cellules de reclassement, le congé de reclassement, le contrat de sécurisation professionnelle qui sont autant de pièces dune sécurité sociale professionnelle en gestation.
- Sécuriser les compétences, matière première de notre économie moderne, quil faut préserver et défendre. Pour cela, il faut reformer la formation professionnelle.
Nous voilà donc au sujet de la formation professionnelle, central dans loptique de sécurisation.
Le document dorientation que jai adressé aux partenaires sociaux le 8 juillet pour la négociation interprofessionnelle qui souvre en fait un objectif, un impératif même : « réformer la formation professionnelle pour la sécurisation des personnes et la compétitivité des entreprises ».
Et lun des axes du document de cadrage pour la concertation apprentissage que jai également lancée il y a quelques semaines est « la sécurisation du parcours des jeunes ».
* Les enjeux de la réforme
Concrètement, cela veut dire quil y a deux enjeux majeurs dans la négociation qui va commencer la semaine prochaine, le 24 septembre :
- Favoriser laccès à la formation des salariés qui sont généralement les plus exposés au risque de chômage, les peu ou pas qualifiés, ceux pour qui les ruptures et les transitions sont fréquentes. Cela peut impliquer de revoir à la fois le contenu du plan de formation et ses modalités de financement en ciblant mieux les fonds de la formation professionnelle vers ces publics fragiles au sein de lentreprise.
- Faire de la formation professionnelle un véritable investissement collectif pour lemploi au sein de lentreprise. Cest à dire sortir dune pratique jugée parfois bureaucratique et formaliste de la formation à la fois par les représentants des employeurs et des salariés, pour en faire lexpression dune stratégie de lensemble des parties prenantes de lentreprise, lemployeur et les salariés par lintermédiaire de leurs représentants.
Lune des études qui sera présentée lors de votre biennale interroge la responsabilité respective de lentreprise et des pouvoirs publics en matière de flexibilité et de sécurité. Je ne veux pas mimmiscer dans léchange à venir, mais vous le dis clairement : pour moi la sécurisation des parcours ne se joue pas seulement en-dehors de lentreprise, du côté des pouvoirs publics tandis que les entreprises se concentreraient sur la performance ; celles-ci doivent assumer la responsabilité qui est la leur en contribuant pleinement à la sécurité professionnelle des actifs. En couplant plus et mieux emploi et formation, en consolidant leur effort en faveur de la formation des plus fragiles, et en permettant au dialogue social dans lentreprise dassortir les usages de la formation de garanties collectives.
Ce faisant, elles renforceront leur compétitivité. Car jaffirme quil y a un lien insécable entre formation et compétitivité. Alors jen profite pour compléter le titre de votre journée : « quand lentreprise forme elle gagne en performance et en mobilisation des salariés ».
* Sécuriser, cest lier davantage emploi et formation
uvrer pour la sécurité professionnelle cest ensuite pour ceux qui veulent évoluer professionnellement, pour ceux qui occupent un emploi fragilisé par les mutations économiques, et aussi pour ceux qui malheureusement ont perdu leur emploi. Promotion sociale et évolution professionnelle, maintien et consolidation de lemploi, accès et retour à un emploi durable et de qualité : autant denjeux au cur de la mise en uvre opérationnelle du compte personnel de formation, qui sera la pierre angulaire de la réforme de la formation professionnelle.
LANI du 11 janvier et la loi relative à la sécurisation de lemploi du 14 juin 2013 en ont posé les principes, mais leur transcription dans la réalité quotidienne de nos concitoyens sera la grande affaire à la fois de la nouvelle négociation qui sengage entre partenaires sociaux et de la concertation quadripartite quanimera Jean-Marie Marx.
Lun des enjeux de la sécurisation sera de permettre le passage dun état à un autre, de casser le mur qui se dresse entre les chômeurs et lemploi. Les actifs français aujourdhui ne sont plus assignables à des cases : ceux qui sont en emploi, ceux qui sont au chômage, ceux qui créent une entreprise Nombre de nos concitoyens connaissent des mouvements nombreux entre ces « cases » devenues perméables, quon le veuille ou non. Alors le compte personnel de formation, la portabilité des droits quil instaure, est un bon outil de sécurisation des parcours, résistant au choc de lincertitude et permettant à chacun de construire au mieux sa migration sur le marché du travail sans être bloqué par les effets de frontière.
* Sécuriser, cest savoir orienter tout au long de la vie
uvrer pour la sécurité professionnelle cest aussi prendre à bras le corps lenjeu majeur de lorientation professionnelle tout au long de la vie.
Raisonner parcours et trajectoire avec lévolution du marché du travail est devenu nécessaire. Mais tout le monde nest pas égal devant la mobilité, que celle-ci soit géographique ou professionnelle. Tout le monde na pas les mêmes ressources pour se situer dans les méandres des dispositifs, les mêmes connaissances des métiers, la même capacité dautonomie pour choisir à bon escient.
Afin déviter que des dispositifs comme le compte personnel de formation ne creusent encore des inégalités entre ceux qui sauront le mobiliser et ceux qui ne le sauront pas, il faut mieux accompagner chacun dans son orientation.
La réforme de la formation professionnelle devra mettre laccent sur cet aspect à travers notamment deux initiatives complémentaires :
- La mise en uvre dun nouveau service de conseil en évolution professionnelle. Il constituera un vrai plus, permettant notamment aux salariés qui souhaitent évoluer de recevoir conseil dans un lieu neutre, extérieur à lentreprise, en prise avec les réalités du marché du travail local.
- De nouvelles modalités dorganisation du service public dorientation. La réforme de la formation professionnelle contribuera à une nouvelle étape de décentralisation en confiant aux régions la responsabilité danimer et de coordonner sur le territoire, les différents acteurs de lorientation professionnelle pour les jeunes et les adultes. Nous attendons de cette évolution plusieurs effets bénéfiques en termes de sécurisation des parcours professionnels : une politique dorientation professionnelle plus en phase avec les réalités locales de lemploi ; une image valorisée de lalternance facilitant les transitions de lécole au travail ; un échange de bonnes pratiques plus fructueux via une animation plus proche des acteurs.
* Sécuriser, cest coupler école et entreprise
Enfin, première modalité de transition à sécuriser, les premiers pas professionnels des jeunes en « couplant mieux école et entreprise ».
Votre Biennale traitera cet après-midi dun sujet important : « sécuriser la transition de lécole à lemploi par lapprentissage ».
La première étape du parcours dun apprenti, cest la recherche dun employeur. Exercice très difficile pour beaucoup dentre eux, et pour lequel ils doivent être soutenus. Les réseaux consulaires et les organisations professionnelles ont une responsabilité sur ce registre, mais cela doit faire également partie des missions des CFA, que nous ambitionnons de préciser et denrichir dans le cadre de la réforme.
Létape suivante, cest la formation elle-même, dans le CFA et dans lentreprise, avec un rôle central des maîtres dapprentissage, qui doivent être mieux formés encore pour jouer ce rôle. Cest pendant cette étape, surtout au cours des premiers mois, que le risque de rupture est le plus élevé, particulièrement quand lapprenti se trouve dans une petite entreprise. Cest là que le besoin daccompagnement est le plus fort, pour les jeunes mais aussi pour les employeurs. En la matière, lexpérimentation qui a eu lieu à Beaune et que vous allez évoquer dans laprès-midi, est riche denseignements.
Enfin, la dernière étape du parcours, après lobtention de la qualification, cest linsertion dans lemploi. Elle na pas toujours lieu dans lentreprise qui a formé lapprenti, mais toutes les études montrent que le fait davoir obtenu une qualification facilite grandement lembauche dans une autre. Sur ce point nous nous discutons avec les acteurs de lopportunité douvrir la faculté de conclure un contrat dapprentissage en CDI.
Et puis un jour, à lissue de sa carrière, celui qui était apprenti prendra sa retraite. Et je veux ici mentionner ce quapporte à cet égard le projet de loi sur les retraites : tout apprenti validera demain un nombre de trimestres égal à la durée de son contrat, contre quelques trimestres seulement aujourdhui pour les plus jeunes. Qui a dit que cette réforme nétait pas faite pour les jeunes ? Cest tout le parcours de vie de lapprenti que nous sécurisons ainsi ! Et cest justice !
Voilà, mesdames et messieurs, pardon davoir été un peu long. Mais vous lavez compris : vos travaux, vos débats, vos questionnements, touchent au cur de la politique de lemploi et de la formation de ce Gouvernement, au cur des négociations des partenaires sociaux. Nous avons ouvert le gigantesque chantier de la sécurisation des parcours et des transitions, cest une politique demploi pour le XXIe siècle. Je compte sur vous, chercheurs, experts, acteurs pour léclairer et la guider.
Source http://travail-emploi.gouv.fr, le 20 septembre 2013