Interview de Mme Fleur Pellerin, ministre de la culture et de la communication à France-Info le 2 septembre 2015, sur la rentrée scolaire et l'accueil des migrants et des réfugiés.

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Média : France Info

Texte intégral


FABIENNE SINTES
Votre invitée, Jean-François ACHILLI, ce matin, est donc ministre de la Culture et la communication.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Bonjour Fleur PELLERIN.
FLEUR PELLERIN
Bonjour.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci d'avoir accepté notre invitation ce matin, avec un contexte tragique, cet incendie dans un immeuble parisien et un bilan déjà très lourd. N'hésitez pas, Fabienne SINTES, à intervenir si nécessaire. Fleur PELLERIN, vous avez effectué votre rentrée hier. C'était à Nanterre, à l'école de danse de l'Opéra de Paris, un lieu qui, à vos yeux, serait quoi, un exemple d'intégration républicaine ?
FLEUR PELLERIN
Oui, très certainement, parce que c'est une école qui est d'abord une école publique, qui permet aux jeunes élèves, qui ont de 8 à 18 ans, de suivre un cursus scolaire normal tout en pratiquant l'après-midi leur art, et en développant leur talent, et je trouve cela très émouvant…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ecole ouverte à tous, c'est ça ?
FLEUR PELLERIN
Ecole ouverte à tous, alors évidemment avec des critères de sélection, il y a une centaine, 150 à peu près, élèves en scolarité sur tous les âges que je vous ai indiqués, avec une sélection évidemment assez importante, et puis, tous les ans, des mécanismes de concours pour pouvoir passer dans la classe supérieure. Donc une scolarité qui est difficile, mais enfin, qui est publique, qui est ouverte. J'ai constaté hier qu'il y avait de la diversité désormais aussi dans cette école, et donc j'en suis ravie.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Pourquoi ce choix ? Quelle est la symbolique ? Est-ce que c'est une sorte de réponse, même modeste, au communautarisme, à la violence, au rejet de l'autre à l'heure où – vous le voyez – ce matin même, eh bien, avec l'EUROSTAR, nous parlons tous les jours du drame des migrants notamment et du rejet peut-être de l'étranger ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, je pense que la culture est au coeur de notre combat pour faire vivre les valeurs de la République. Alors, ça peut paraître un petit peu théorique de dire cela, mais je crois vraiment que si on ne donne pas aux enfants dès leur plus jeune âge des clefs de lecture pour comprendre leur environnement, pour s'émanciper, pour construire eux-mêmes leur personnalité et sans être soumis à des influences extérieures, et on voit que, aujourd'hui, la capacité d'influence sur les esprits des radicaux, des intégristes, religieux, etc., est extrêmement puissante. Donc je crois qu'il faut donner à chacun de nos jeunes compatriotes, des jeunes citoyens, la capacité de décrypter leur environnement, et la culture, c'est cela en réalité, c'est la capacité de se construire soi-même, et de se construire comme citoyen. Donc moi, je crois que la danse, mais aussi la musique, mais aussi le décryptage de l'information, mais aussi tous les sujets qui, à mes yeux, sont extrêmement importants dans le cadre d'une politique culturelle sont des choses qui peuvent faire vivre les valeurs citoyennes. Et c'est pour cela que je crois très important de mettre en avant ce type d'établissement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Encore un mot à ce sujet, Fleur PELLERIN, la future loi que vous soutenez va proclamer, vous la présentez ce mois-ci, la future loi sur la culture, vous allez proclamer la liberté de création, j'ai envie de vous demander : mais à quoi ça sert ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, c'est toujours très politique et très important de proclamer une liberté, on peut penser qu'elle existe déjà, et que ça ne sert à rien, mais en réalité, c'est affirmer un nouveau droit, ce qu'ont fait les lois de liberté de la presse à la fin du 19ème siècle, ce qu'ont fait un certain nombre de grands textes de lois pour affirmer les libertés d'opinion, d'expression, etc., qui avaient déjà été affirmées pendant la Révolution dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du citoyen. C'était important de les traduire en faits, parce que moi, je suis très attachée aux libertés réelles, on a des libertés formelles, qui sont inscrites dans nos textes de loi, moi, je suis attachée aux libertés réelles, je veux leur donner du sens. Et le fait de l'inscrire dans la loi, ça permettra à tous les artistes et aux créateurs de faire valoir ce droit, de faire valoir cette liberté devant un juge, le jour où elles seront attaquées. Et cela arrive de plus en plus souvent ces derniers temps, ça ne vous aura pas échappé, donc je crois que c'est très important de le faire, ça arrive de plus en plus qu'on s'en prenne aux oeuvres d'art dans l'espace public, qu'on essaie d'intervenir dans les politiques de programmation, tout ça, ce sont des atteintes à la liberté de création. Je donne les moyens aux artistes et aux créateurs de se défendre.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Au sujet de la défense du patrimoine, mais hors de nos frontières, les migrants fuient la guerre, nous l'évoquions à l'instant, quelle réponse à la destruction par Daech de la cité antique de Palmyre, une mission est menée actuellement, c'est ça ?
FLEUR PELLERIN
Oui, alors bien sûr, le sujet est extrêmement complexe parce qu'il est très difficile d'être sur place ou d'aider les archéologues, les scientifiques qui se trouvent actuellement sur place. Donc le président de la République a confié une mission à Jean-Luc MARTINEZ, le président du Louvre, pour réfléchir à la manière dont nous pouvons accueillir les oeuvres en péril dans notre territoire et les restituer après un conflit, ce type de mesures. Et puis, moi, je réunirai cet après-midi un certain nombre d'archéologues et de chercheurs du CNRS, du Louvre, qui peuvent nous aider à réfléchir avec des start-up ou des spécialistes de la modélisation 3D, à la manière dont nous pouvons collecter un maximum de données visuelles, archivistiques sur…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Mémoire numérique, c'est ça, des oeuvres d'art…
FLEUR PELLERIN
Exactement sur les sites qui sont en danger, pour, un jour, espérer pouvoir les reconstruire à l'identique, ou permettre aux générations futures de s'y promener en réalité virtuelle. Je pense que c'est important de pouvoir conserver au moins cette mémoire si les sites eux-mêmes sont physiquement détruits.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors Fleur PELLERIN, FRANCE TELE a fait sa rentrée, il est question évidemment à chaque fois du financement de la télévision et de la radio publique, on va en dire deux mots. Delphine ERNOTTE a dit vouloir fromage et dessert, la nouvelle présidente de FRANCE TELEVISIONS espère obtenir à la fois l'extension de la redevance aux ordinateurs et aux Smartphones, et le retour partiel de la pub entre 20h et 21h sur la télévision publique. Vous êtes d'accord ? Vous validez cette demande ?
FLEUR PELLERIN
Mais vous savez, je crois que ce qui est important, c'est d'abord de constater qu'il y a de l'ambition chez Delphine ERNOTTE, et moi, je m'en réjouis parce que…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
De l'ambition !
FLEUR PELLERIN
Il y a de l'ambition, il y a de l'ambition, qui n'est pas seulement une ambition financière, qui est une ambition pour l'audiovisuel public, et tout cela entre totalement en résonnance avec la feuille de route que j'avais tracée avant la nomination de Delphine ERNOTTE, vous vous rappelez, pour donner les grandes orientations de l'audiovisuel public pour les cinq ou dix années à venir. Donc déjà, je me satisfais de cela…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors, c'est oui pour la pub ou pas ?
FLEUR PELLERIN
Deuxième chose : à quoi sert la redevance ? Je crois qu'il faut repartir de cela au lieu de parler uniquement de plus tant d'euros ou telle ou telle réforme, la redevance, c'est ce qui finance l'audiovisuel public, c'est ce qui finance FRANCE TELEVISIONS, RADIO FRANCE évidemment, mais aussi Arte, France Médias Monde. Et ce service public audiovisuel, auquel les Français sont attachés, il a un coût, et moi, j'assume qu'il ait ce coût. Et par ailleurs, le président de la République avait souhaité que le financement de l'audiovisuel public soit indépendant, donc il passe par la redevance et non plus par des subventions du budget. Donc c'est ça le contexte. Maintenant, il y a eu aussi un certain nombre de décisions qui ont été prises par le président de modérer la pression fiscale, de baisser la pression fiscale. Ça a commencé en 2014, ça va se poursuivre e 2015, donc il faut que nous soyons cohérents, et c'est dans ce sens-là que des arbitrages seront pris dans les prochains jours. Je ne peux pas vous en dire plus à ce stade.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Ah, vous êtes prudente, donc vous ne savez pas…
FLEUR PELLERIN
Je ne suis pas prudente, les décisions ne sont pas prises pour l'instant…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous ne pouvez pas nous dire si ce matin…
FLEUR PELLERIN
Nous avons encore des réunions avec le Premier ministre et le président…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous-même, vous êtes plutôt favorable ?
FLEUR PELLERIN
Moi, ce que j'ai fait, c'est qu'à la demande du président de la République, puisque l'année dernière, il en avait émis le souhait au CSA, j'ai étudié les moyens de moderniser l'assiette de la redevance, en l'étendant, non pas comme ça a été raconté, aux Smartphones et aux tablettes, mais en regardant quels étaient les nouveaux modes de consommation de la télévision, et en constatant que beaucoup maintenant de cette consommation de la télévision passe par les Box, et non plus seulement par l'antenne râteau, ce qu'on appelle l'antenne râteau. Et donc on a regardé un peu ce que donnerait l'extension aux Box, donc il n'est pas question de taxer les Smartphones ou les tablettes, comme je l'ai lu parfois. Ce n'est pas du tout cela. C'est une option sur la table…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
D'accord, et sur la pub ?
FLEUR PELLERIN
Le Premier ministre et le président prendront leur décision dans les prochains jours, ça ne sert à rien de "feuilletonner" entre temps…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Sur la pub, même réponse, décision à venir, la pub après 20h ?
FLEUR PELLERIN
Absolument, pour l'instant, ce sont des sujets qui n'ont pas été définitivement tranchés.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Un mot du conflit qui a secoué RADIO FRANCE au printemps, Mathieu GALLET, qui nous écoute, le président du groupe, est présent derrière la vitre, en régie…
FLEUR PELLERIN
Je le vois, oui, là…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Et il était question d'un plan de départs à RADIO FRANCE, scénario toujours dans les cartons, est-il évité aujourd'hui ?
FLEUR PELLERIN
Vous savez, moi, ce que j'avais souhaité, c'est que dans la réflexion sur le projet stratégique, le projet d'entreprise de RADIO FRANCE, l'emploi – et je l'avais répété à plusieurs reprises – ne soit pas la seule variable d'ajustement. Il y a des réformes à faire, des réformes structurelles, des réformes dans l'organisation du travail, je crois que le président a tout à fait cela à l'esprit, nous allons en parler dans les jours qui viennent. Mais je crois comprendre que ma préoccupation, qui était de ne pas faire de l'emploi une variable d'ajustement, est prise en compte et que nous pourrons désormais finaliser le projet stratégique de l'entreprise, qu'on appelle le contrat d'objectifs et de moyens, d'ici la fin du mois, avec cela à l'esprit.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Alors FRANCE TELEVISIONS et RADIO FRANCE qui s'unissent sur un projet, il s'agit de projet, d'une chaîne d'information continue, ça nous concerne ici, à France Info, réaction de la ministre de la Culture et de la communication.
FLEUR PELLERIN
J'attends d'en savoir davantage, mais bien sûr, moi, je suis très favorable à cela…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Vous laissez faire d'abord, ce n'est pas vous qui pilotez ?
FLEUR PELLERIN
Bien sûr, bien sûr, pourquoi ça vous inquiète ?
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Non, non, pas du tout.
FLEUR PELLERIN
Non, non, j'avais déjà donné un certain nombre d'orientations lorsque j'avais fait cette mission d'orientations pour l'audiovisuel public avant la nomination de Delphine ERNOTTE, et j'avais dit mon souhait de voir explorer cette voie d'une chaîne info, d'une mutualisation aussi des moyens entre RADIO FRANCE, peut-être France Médias Monde, FRANCE TELEVISIONS, il est naturel que les moyens de l'audiovisuel public soient mis en commun ou en tout cas travaillent ensemble, dès lors que l'objectif est commun. Donc moi, je suis plutôt satisfaire de cette nouvelle, qui va tout à fait dans le sens des orientations que j'avais tracées pour FRANCE TELEVISIONS, et donc maintenant, travaillons, travaillez, tous ensemble, et voyons ce que cela peut apporter, mais je suis sûre que les Français peuvent aussi y trouver un intérêt.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Un mot pour conclure de politique, vous n'avez pas de travailleurs au noir dans votre ministère, comme cela se passe au ministère de la Justice, non ?
FLEUR PELLERIN
Je suis sûre que Christiane TAUBIRA en tout cas met tout en oeuvre pour régler cette situation. Moi, je vais vérifier aussi que nous sommes exemplaires en la matière.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Le président de la République qui regrette, dans le livre de Françoise FRESSOZ, « Le Stage est fini » chez Albin Michel, c'est page 56, je l'ai lu, c'est ce qu'il dit, d'avoir au fond supprimé la TVA sociale en arrivant en 2012, celle de Nicolas SARKOZY. Ce sont des aveux ? C'est un président en campagne ?
FLEUR PELLERIN
Ce ne sont pas des aveux, je crois qu'il relate ce qui s'est passé en 2012, en 2012, nous sommes arrivés et nous avons constaté que l'état des finances publiques était catastrophique, que nous allions vers 6 % de déficits, que nous ne tenions pas nos engagements européens, que nous accroissions la dette qui pèse sur les épaules des générations futures, de nos enfants. Et donc nous avons décidé de réduire les déficits publics, ce qui était un engagement de campagne, et l'engagement de campagne, c'était également de revenir sur cette décision qu'avait prise Nicolas SARKOZY, de TVA dite sociale…
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Il ne fallait pas le faire ?
FLEUR PELLERIN
Donc cet engagement a été tenu, ça aurait été la voie de la facilité, c'est ça que dit le président de la République, ça aurait été beaucoup plus facile d'imposer davantage de pression fiscale aux Français, mais le choix que nous avons fait, c'est de prendre une voie plus juste socialement.
JEAN-FRANÇOIS ACHILLI
Merci Fleur PELLERIN d'avoir été ce matin l'invitée de la chaîne d'information continue du service public !
FLEUR PELLERIN
Merci. Absolument !
GUY BIRENBAUM
Cloclo, au sommet de sa gloire est en voiture avec des amis lorsqu'il est pris en chasse par des voyous, armés, qui ouvrent le fou et touchent à sept reprises son véhicule sans faire de blessé. Eh bien, voilà, Cloclo réussit à s'enfuir vers le Moulin de Dannemois, dans l'Essonne, c'était évidemment au volant de cette MERCEDES historique. Madame la Ministre, c'est donc une voiture qui appartient à notre histoire, qui ne peut pas nous échapper samedi, vous ne pouvez pas rester les bras croisés, la vente a lieu de 18h à 20h, tenue de soirée de rigueur, mais vous la portez admirablement bien. Franchement, en plus, comme voiture de fonction pour une ministre de la Culture, la Merco de Cloclo, ça le fait vraiment. Alors, est-ce que je peux compter sur vous ?
FLEUR PELLERIN
Absolument. Je vais faire un petit crowdfunding, et je vous inviterai à contribuer également.
GUY BIRENBAUM
Ah, mais je donne tout de suite, je paie !
Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 septembre 2015