Texte intégral
Q - Votre ministère lance ces jours-ci une campagne pour inciter les électeurs à se rendre aux urnes le 13 juin : "Aujourd'hui, en Europe, voter, c'est exister". On a effectivement le sentiment que les Français ne se passionnent guère pour les élections, - pour le moment en tout cas. Vous développez vos convictions dans un livre qui paraît aux éditions Le Pré au Clair, un essai intitulé "Au coeur de l'Europe". Nous reviendrons, bien sûr, sur cette campagne électorale mais d'abord, on a appris donc aujourd'hui l'inculpation par le Tribunal pénal international de Slobodan Milosevic pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Cette inculpation du président yougoslave vous satisfait-elle ?
R - Nous prenons acte de la décision du procureur du Tribunal pénal international. Le Tribunal pénal international est une juridiction indépendante et les décisions d'inculpation relèvent de sa seule compétence. Il a sans doute des preuves concernant les actes de barbarie, d'épuration ethnique, de déportations. En tout cas, on peut imaginer que c'est cela qui fonde cette inculpation. Mais en même temps, il faut être clair, si nous soutenons la mission du Tribunal pénal international, si nous coopérons avec lui, nous poursuivons, dans le même temps, les pressions pour parvenir à un règlement de la question du Kosovo, c'est-à-dire à la fois pressions militaires et puis aussi pressions politiques.
Q - On continue de bombarder, donc ?
R - Bien sûr. Je dis bien sûr au sens où cette stratégie qui n'est pas forcément suivie par tout le monde, est, je crois, la seule à s'adapter à cette situation. Il s'agit de faire fléchir un homme, un régime militaire et répressif et pour cela, il faut maintenir avec lui un rapport de force tout en cherchant par ailleurs une solution politique. La solution politique se prépare dans les enceintes internationales, le G8 et le Conseil de sécurité de l'ONU.
Q - Mais sur le plan politique, avec quel interlocuteur, maintenant, négocier, essayer de trouver une solution parce que Milosevic n'est plus un interlocuteur possible à partir du moment où il est pénalement mis en cause ?
R - Je vous ferais observer que mise en cause pénale ou pas, il n'y a pas eu, il n'y avait pas de projet de négociations avec Milosevic. Autrement dit, c'est la communauté internationale qui pose ses conditions. C'est ensuite aux dirigeants de Belgrade, donc à Milosevic, de les accepter et les discussions peuvent se tenir ensuite, en fonction de l'acceptation des conditions du Conseil de sécurité. Et nous discuterons...
Q - Et c'est avec lui qu'il faudra discuter un jour ?
R - Si un jour, il y a discussion, nous discuterons avec les autorités compétentes à Belgrade. Ce sont deux choses qui sont distinctes. Cela crée un élément nouveau mais en même temps, ce n'est pas quelque chose qui est totalement inédite, la situation s'est déjà produite à l'occasion de la Bosnie.
Q - Jean-Pierre Chevènement n'approuve pas cette inculpation, je le cite, car selon lui, "cette initiative ne sert pas la paix". Si on veut faire de la politique, on évite de criminaliser l'adversaire car il n'y a plus de discussion possible...
R - Mais nous n'avons pas de commentaire à faire sur cette décision...
Q - Oui mais Jean-Pierre Chevènement l'a fait lui...
R - Je n'ai pas à l'approuver ou à la désapprouver. Ce que j'ai commencé par dire, c'est que le Tribunal pénal international était une autorité judiciaire internationale et indépendante...
Q - Vraiment indépendante ?
R - Absolument...
Q - Cela ne répond pas à la pression des Etats-Unis ?
R - Totalement indépendante et qui se fondait sur des éléments de preuves. S'agissant des Etats-Unis, vous savez, ils peuvent être embarrassés aussi, par cette inculpation puisqu'on sait que l'opinion américaine est assez divisée quant à l'opportunité d'aller plus loin, par exemple l'opportunité d'un engagement terrestre. Mon commentaire, pas par rapport à Jean-Pierre Chevènement mais en soi...
Q - Il a gaffé, Chevènement sur cette affaire ?
R - Il y a des juridictions indépendantes. Nous travaillons avec elles, coopérons avec elles. Nos rapports ne sont pas altérés par ce qui se produit et nous respectons l'indépendance de la justice, ce qui n'empêche pas, par ailleurs, les gouvernements de faire leur travail. En l'occurrence, puisque nous sommes dans une coalition, nous avons notre propre mot à dire, notre propre indépendance. La coalition est engagée dans un conflit, nous sommes aussi membre de Conseil de sécurité de l'ONU, membre du G8 et dans ce cadre, nous travaillons à la solution politique.
Q - Vous regrettez les propos de Jean-Pierre Chevènement qui est membre du gouvernement ?
R - Pourquoi voulez-vous opposer les membres du gouvernement entre eux ? Jean-Pierre Chevènement a dit ce qui était sa conviction. Je viens de dire ce qui était la mienne. Elle est fondée sur des éléments de droit et de fait, à savoir que le Tribunal pénal international est une juridiction indépendante. Je ne m'oppose pas à Jean-Pierre Chevènement.
Q - Alors, de plus en plus de partenaires de la France réclament une pause dans les bombardements, notamment les Italiens mais pas seulement...
R - (...) l'opinion publique italienne se situe dans un autre cadre de référence. Eux-mêmes ont eu des problèmes avec les réfugiés, jadis albanais. Ils sont voisins de cette région plus que nous ne le sommes et tout cela pèse sans doute sur leur détermination.
En même temps, je ne crois pas à la thèse de la pause, en tout cas, pas avant que Milosevic ait envoyé les signaux nécessaires, c'est-à-dire qu'il ait accepté encore une fois les conditions de la communauté internationale parce que que signifierait la pause ? La pause unilatérale, sans réponse de sa part, voudrait dire, en pratique, qu'on s'arrête et qu'on le laisse, éventuellement, reconstituer son potentiel militaire offensif. Je rappelle donc qu'auparavant nous souhaitons le départ des troupes serbes du Kosovo, le retour des réfugiés chez eux, que nous souhaitons qu'on accepte une administration provisoire du Kosovo.
Q - Ce n'est pas parti pour ?
R - Je pense que cette stratégie que nous menons est une stratégie efficace. Elle prend du temps mais que voudrait-on qu'on fasse à la place ? L'engagement terrestre ? Cela est un risque de débordement, de contagion à toute une région. Non, il faut continuer. D'ailleurs le potentiel militaire serbe est aujourd'hui fortement diminué.
Q - Demain, vous participez au Sommet franco-allemand à Toulouse. Ce sommet doit être l'occasion d'une initiative en matière de défense européenne. Laquelle ?
R - Les Allemands souhaitent qu'à Cologne où le Conseil européen qui se tient dans une semaine nous avancions en matière de défense européenne, notamment en allant vers l'intégration de l'Union de l'Europe occidentale, - l'UEO -, dans l'Union européenne qui sera sans doute un processus qui ouvrira une défense européenne. Nous voulons marquer avec les Allemands que nous sommes engagés dans cette voie. Je pense que les Français et les Allemands donneront tout simplement un signe de volonté commune comme les Français et les Britanniques l'ont fait à Saint-Malo il y a quelques mois pour que la défense européenne avance, pour qu'on soit capable effectivement de prendre en main notre destin dans cette matière, de ne pas nous trouver dans l'alternative douloureuse, de soit de ne rien faire quand l'inacceptable est à nos frontières, soit au contraire d'être toujours dans un système dont la seule clé est tenue par les Américains.
Q - Alors, justement cette défense européenne, elle doit être dans l'OTAN ou hors de l'OTAN ?
R - J'ai envie de répondre les deux. Nous sommes dans l'OTAN. Nous sommes alignés et amis des Américains. Nous ne faisons pas d'anti-américanisme primaire et de principe et nous devons bâtir à l'intérieur de l'OTAN une sorte de pilier européen. Et en même temps, car c'est une solution alternative, les deux doivent pouvoir fonctionner. Il faut une chaîne de commandement européen parce que les Européens doivent pouvoir intervenir sur le continent, y compris lorsque leurs amis américains ne le peuvent pas ou ne le veulent pas ou lorsque nous souhaiterions tout simplement que l'intervention soit européenne. A mon avis il faut avancer sur ces deux pieds. C'est la thèse française, nous y réfléchissons beaucoup et nous ferons des propositions en cette matière.
Q - Les opinions publiques européennes sont-elles prêtes à payer pour cette défense européenne quand on sait que les Américains dépensent 36 milliards de dollars pour la recherche militaire, par exemple ?
R - Je crois que la question n'est pas tant de dépenser plus, que de mieux harmoniser les budgets européens, de mieux harmoniser les productions, de mieux harmoniser les industries d'armement. C'est pour cela que nous sommes plutôt pour une démarche pragmatique qui soit industrielle, et budgétaire, que pour une démarche qui soit strictement institutionnelle.
Q - ... pas plus ?
R - Je ne vois pas a priori pourquoi il faudrait dépenser davantage. En revanche, je crois que la mise à plat des budgets de défense européens permettent une rationalisation que nous n'avons pas aujourd'hui puisque nous sommes côte à côte en train de produire les mêmes choses que les Américains, mais moins puisque chacun a son propre outil. Si on les met en synergie, je suis persuadé qu'on peut bâtir une défense européenne qui soit à la hauteur. Si nous sommes avec les Américains au Kosovo, c'est tout simplement parce que nous n'avons pas forcément les bons matériels ou en tout cas pas les matériels nécessaires pour mener une offensive aérienne de cette sorte.
Q - Alors, début juin à Cologne précisément, l'Europe doit se choisir un représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune. C'est ce qu'on appelle de façon un peu barbare le "Monsieur PESC". Qui ?
R - Ce sera très important d'abord parce qu'il faut que ce soit vraiment une voix pour l'Europe, quelqu'un qui soit l'interlocuteur de Madeleine Albright, le secrétaire d'Etat américain. Nous souhaitons que ce soit une personnalité politique de haut rang. Qui ? Nous verrons bien.
Q - On parle de votre homologue allemand, le ministre des Affaires européennes allemand, Gunther Verheugen.
R - On parle de lui, on parle aussi de M. Solana. Nous verrons bien.
Q - M. Solana, est-ce est une bonne idée parce que cela donnerait d'emblée un caractère un peu belliqueux à ce personnage ?
R - J'entends dire ici ou là, ce serait le transfert de l'OTAN à l'Europe. Je ne sais pas si ce sera lui, mais je ne le récuse pas au nom de ce principe parce que je le connais. Je crois que c'est une personnalité politique de haut rang : il a été ministre des Affaires étrangères ; il connaît admirablement les affaires de défense ; c'est un européen pour moi, indépendamment de sa mission d'aujourd'hui. Et la question de savoir si on doit le nommer dans ce contexte est une autre question, il ferait un bon "Monsieur PESC" parmi d'autres.
Q - Il n'y a pas de Français dans la course.
R - Il n'y a pas de Français dans la course.
Q - Et il n'y a pas de désaccord entre l'Elysée et Matignon sur cette personnalité ou sur le choix de cette personnalité ? Ou, il y aura une proposition française.
R - Les désaccords entre l'Elysée et Matignon sont rares et en tout cas sur la politique étrangère, ils sont plus que rares. Ils sont en général publics, vous savez.
Q - Alors, tout le monde, vous, Dominique Strauss-Kahn, se veulent rassurant sur la monnaie européenne, son niveau, l'euro. Mais ce matin, l'euro est tombé à 1,04 dollar. On n'est pas loin de la parité avec le dollar, on est en tout cas très loin de l'euphorie du début de l'année.
R - L'euphorie ne signifie pas que l'euro doit être fort, fort au sens où le franc était dopé dans les années 90.
Q - Maintenant, il faut une monnaie faible, il faut un euro faible.
R - Non, pas du tout. Je pense que nous sommes encore dans une limite normale. C'est d'ailleurs ce que reconnaît à peu près le consensus, les entreprises n'en sont pas mécontentes et en même temps, je l'ai dit ce matin, il ne faut pas tomber dans une politique de "bénign neglect", c'est-à-dire dans une politique où on laisse filer. Il faut bien sûr être vigilant par rapport à ce qui se produit, vigilant à ce qui produit qui n'est pas encore inquiétant. A mon sens, c'est d'ailleurs ce qu'a dit...
Q - La Banque européenne doit intervenir.
R - C'est d'ailleurs ce qu'a dit Wim Duisenberg quand il a signalé qu'il ne pensait pas que le niveau actuel de l'euro était de nature à compromettre la stabilité des prix ou la stabilité budgétaire. Il faut faire des efforts de contrôle des économies européennes. Il faut renforcer la coordination des politiques économiques. Les banques centrales sont indépendantes et elles ne sont pas intervenues jusqu'à présent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)
R - Nous prenons acte de la décision du procureur du Tribunal pénal international. Le Tribunal pénal international est une juridiction indépendante et les décisions d'inculpation relèvent de sa seule compétence. Il a sans doute des preuves concernant les actes de barbarie, d'épuration ethnique, de déportations. En tout cas, on peut imaginer que c'est cela qui fonde cette inculpation. Mais en même temps, il faut être clair, si nous soutenons la mission du Tribunal pénal international, si nous coopérons avec lui, nous poursuivons, dans le même temps, les pressions pour parvenir à un règlement de la question du Kosovo, c'est-à-dire à la fois pressions militaires et puis aussi pressions politiques.
Q - On continue de bombarder, donc ?
R - Bien sûr. Je dis bien sûr au sens où cette stratégie qui n'est pas forcément suivie par tout le monde, est, je crois, la seule à s'adapter à cette situation. Il s'agit de faire fléchir un homme, un régime militaire et répressif et pour cela, il faut maintenir avec lui un rapport de force tout en cherchant par ailleurs une solution politique. La solution politique se prépare dans les enceintes internationales, le G8 et le Conseil de sécurité de l'ONU.
Q - Mais sur le plan politique, avec quel interlocuteur, maintenant, négocier, essayer de trouver une solution parce que Milosevic n'est plus un interlocuteur possible à partir du moment où il est pénalement mis en cause ?
R - Je vous ferais observer que mise en cause pénale ou pas, il n'y a pas eu, il n'y avait pas de projet de négociations avec Milosevic. Autrement dit, c'est la communauté internationale qui pose ses conditions. C'est ensuite aux dirigeants de Belgrade, donc à Milosevic, de les accepter et les discussions peuvent se tenir ensuite, en fonction de l'acceptation des conditions du Conseil de sécurité. Et nous discuterons...
Q - Et c'est avec lui qu'il faudra discuter un jour ?
R - Si un jour, il y a discussion, nous discuterons avec les autorités compétentes à Belgrade. Ce sont deux choses qui sont distinctes. Cela crée un élément nouveau mais en même temps, ce n'est pas quelque chose qui est totalement inédite, la situation s'est déjà produite à l'occasion de la Bosnie.
Q - Jean-Pierre Chevènement n'approuve pas cette inculpation, je le cite, car selon lui, "cette initiative ne sert pas la paix". Si on veut faire de la politique, on évite de criminaliser l'adversaire car il n'y a plus de discussion possible...
R - Mais nous n'avons pas de commentaire à faire sur cette décision...
Q - Oui mais Jean-Pierre Chevènement l'a fait lui...
R - Je n'ai pas à l'approuver ou à la désapprouver. Ce que j'ai commencé par dire, c'est que le Tribunal pénal international était une autorité judiciaire internationale et indépendante...
Q - Vraiment indépendante ?
R - Absolument...
Q - Cela ne répond pas à la pression des Etats-Unis ?
R - Totalement indépendante et qui se fondait sur des éléments de preuves. S'agissant des Etats-Unis, vous savez, ils peuvent être embarrassés aussi, par cette inculpation puisqu'on sait que l'opinion américaine est assez divisée quant à l'opportunité d'aller plus loin, par exemple l'opportunité d'un engagement terrestre. Mon commentaire, pas par rapport à Jean-Pierre Chevènement mais en soi...
Q - Il a gaffé, Chevènement sur cette affaire ?
R - Il y a des juridictions indépendantes. Nous travaillons avec elles, coopérons avec elles. Nos rapports ne sont pas altérés par ce qui se produit et nous respectons l'indépendance de la justice, ce qui n'empêche pas, par ailleurs, les gouvernements de faire leur travail. En l'occurrence, puisque nous sommes dans une coalition, nous avons notre propre mot à dire, notre propre indépendance. La coalition est engagée dans un conflit, nous sommes aussi membre de Conseil de sécurité de l'ONU, membre du G8 et dans ce cadre, nous travaillons à la solution politique.
Q - Vous regrettez les propos de Jean-Pierre Chevènement qui est membre du gouvernement ?
R - Pourquoi voulez-vous opposer les membres du gouvernement entre eux ? Jean-Pierre Chevènement a dit ce qui était sa conviction. Je viens de dire ce qui était la mienne. Elle est fondée sur des éléments de droit et de fait, à savoir que le Tribunal pénal international est une juridiction indépendante. Je ne m'oppose pas à Jean-Pierre Chevènement.
Q - Alors, de plus en plus de partenaires de la France réclament une pause dans les bombardements, notamment les Italiens mais pas seulement...
R - (...) l'opinion publique italienne se situe dans un autre cadre de référence. Eux-mêmes ont eu des problèmes avec les réfugiés, jadis albanais. Ils sont voisins de cette région plus que nous ne le sommes et tout cela pèse sans doute sur leur détermination.
En même temps, je ne crois pas à la thèse de la pause, en tout cas, pas avant que Milosevic ait envoyé les signaux nécessaires, c'est-à-dire qu'il ait accepté encore une fois les conditions de la communauté internationale parce que que signifierait la pause ? La pause unilatérale, sans réponse de sa part, voudrait dire, en pratique, qu'on s'arrête et qu'on le laisse, éventuellement, reconstituer son potentiel militaire offensif. Je rappelle donc qu'auparavant nous souhaitons le départ des troupes serbes du Kosovo, le retour des réfugiés chez eux, que nous souhaitons qu'on accepte une administration provisoire du Kosovo.
Q - Ce n'est pas parti pour ?
R - Je pense que cette stratégie que nous menons est une stratégie efficace. Elle prend du temps mais que voudrait-on qu'on fasse à la place ? L'engagement terrestre ? Cela est un risque de débordement, de contagion à toute une région. Non, il faut continuer. D'ailleurs le potentiel militaire serbe est aujourd'hui fortement diminué.
Q - Demain, vous participez au Sommet franco-allemand à Toulouse. Ce sommet doit être l'occasion d'une initiative en matière de défense européenne. Laquelle ?
R - Les Allemands souhaitent qu'à Cologne où le Conseil européen qui se tient dans une semaine nous avancions en matière de défense européenne, notamment en allant vers l'intégration de l'Union de l'Europe occidentale, - l'UEO -, dans l'Union européenne qui sera sans doute un processus qui ouvrira une défense européenne. Nous voulons marquer avec les Allemands que nous sommes engagés dans cette voie. Je pense que les Français et les Allemands donneront tout simplement un signe de volonté commune comme les Français et les Britanniques l'ont fait à Saint-Malo il y a quelques mois pour que la défense européenne avance, pour qu'on soit capable effectivement de prendre en main notre destin dans cette matière, de ne pas nous trouver dans l'alternative douloureuse, de soit de ne rien faire quand l'inacceptable est à nos frontières, soit au contraire d'être toujours dans un système dont la seule clé est tenue par les Américains.
Q - Alors, justement cette défense européenne, elle doit être dans l'OTAN ou hors de l'OTAN ?
R - J'ai envie de répondre les deux. Nous sommes dans l'OTAN. Nous sommes alignés et amis des Américains. Nous ne faisons pas d'anti-américanisme primaire et de principe et nous devons bâtir à l'intérieur de l'OTAN une sorte de pilier européen. Et en même temps, car c'est une solution alternative, les deux doivent pouvoir fonctionner. Il faut une chaîne de commandement européen parce que les Européens doivent pouvoir intervenir sur le continent, y compris lorsque leurs amis américains ne le peuvent pas ou ne le veulent pas ou lorsque nous souhaiterions tout simplement que l'intervention soit européenne. A mon avis il faut avancer sur ces deux pieds. C'est la thèse française, nous y réfléchissons beaucoup et nous ferons des propositions en cette matière.
Q - Les opinions publiques européennes sont-elles prêtes à payer pour cette défense européenne quand on sait que les Américains dépensent 36 milliards de dollars pour la recherche militaire, par exemple ?
R - Je crois que la question n'est pas tant de dépenser plus, que de mieux harmoniser les budgets européens, de mieux harmoniser les productions, de mieux harmoniser les industries d'armement. C'est pour cela que nous sommes plutôt pour une démarche pragmatique qui soit industrielle, et budgétaire, que pour une démarche qui soit strictement institutionnelle.
Q - ... pas plus ?
R - Je ne vois pas a priori pourquoi il faudrait dépenser davantage. En revanche, je crois que la mise à plat des budgets de défense européens permettent une rationalisation que nous n'avons pas aujourd'hui puisque nous sommes côte à côte en train de produire les mêmes choses que les Américains, mais moins puisque chacun a son propre outil. Si on les met en synergie, je suis persuadé qu'on peut bâtir une défense européenne qui soit à la hauteur. Si nous sommes avec les Américains au Kosovo, c'est tout simplement parce que nous n'avons pas forcément les bons matériels ou en tout cas pas les matériels nécessaires pour mener une offensive aérienne de cette sorte.
Q - Alors, début juin à Cologne précisément, l'Europe doit se choisir un représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune. C'est ce qu'on appelle de façon un peu barbare le "Monsieur PESC". Qui ?
R - Ce sera très important d'abord parce qu'il faut que ce soit vraiment une voix pour l'Europe, quelqu'un qui soit l'interlocuteur de Madeleine Albright, le secrétaire d'Etat américain. Nous souhaitons que ce soit une personnalité politique de haut rang. Qui ? Nous verrons bien.
Q - On parle de votre homologue allemand, le ministre des Affaires européennes allemand, Gunther Verheugen.
R - On parle de lui, on parle aussi de M. Solana. Nous verrons bien.
Q - M. Solana, est-ce est une bonne idée parce que cela donnerait d'emblée un caractère un peu belliqueux à ce personnage ?
R - J'entends dire ici ou là, ce serait le transfert de l'OTAN à l'Europe. Je ne sais pas si ce sera lui, mais je ne le récuse pas au nom de ce principe parce que je le connais. Je crois que c'est une personnalité politique de haut rang : il a été ministre des Affaires étrangères ; il connaît admirablement les affaires de défense ; c'est un européen pour moi, indépendamment de sa mission d'aujourd'hui. Et la question de savoir si on doit le nommer dans ce contexte est une autre question, il ferait un bon "Monsieur PESC" parmi d'autres.
Q - Il n'y a pas de Français dans la course.
R - Il n'y a pas de Français dans la course.
Q - Et il n'y a pas de désaccord entre l'Elysée et Matignon sur cette personnalité ou sur le choix de cette personnalité ? Ou, il y aura une proposition française.
R - Les désaccords entre l'Elysée et Matignon sont rares et en tout cas sur la politique étrangère, ils sont plus que rares. Ils sont en général publics, vous savez.
Q - Alors, tout le monde, vous, Dominique Strauss-Kahn, se veulent rassurant sur la monnaie européenne, son niveau, l'euro. Mais ce matin, l'euro est tombé à 1,04 dollar. On n'est pas loin de la parité avec le dollar, on est en tout cas très loin de l'euphorie du début de l'année.
R - L'euphorie ne signifie pas que l'euro doit être fort, fort au sens où le franc était dopé dans les années 90.
Q - Maintenant, il faut une monnaie faible, il faut un euro faible.
R - Non, pas du tout. Je pense que nous sommes encore dans une limite normale. C'est d'ailleurs ce que reconnaît à peu près le consensus, les entreprises n'en sont pas mécontentes et en même temps, je l'ai dit ce matin, il ne faut pas tomber dans une politique de "bénign neglect", c'est-à-dire dans une politique où on laisse filer. Il faut bien sûr être vigilant par rapport à ce qui se produit, vigilant à ce qui produit qui n'est pas encore inquiétant. A mon sens, c'est d'ailleurs ce qu'a dit...
Q - La Banque européenne doit intervenir.
R - C'est d'ailleurs ce qu'a dit Wim Duisenberg quand il a signalé qu'il ne pensait pas que le niveau actuel de l'euro était de nature à compromettre la stabilité des prix ou la stabilité budgétaire. Il faut faire des efforts de contrôle des économies européennes. Il faut renforcer la coordination des politiques économiques. Les banques centrales sont indépendantes et elles ne sont pas intervenues jusqu'à présent.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 31 mai 1999)