Texte intégral
PATRICK COHEN
Bonjour Najat VALLAUD-BELKACEM.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonjour.
PATRICK COHEN
EMC, Enseignement Moral et Civique, les élèves de primaire qui rentrent demain en auront 1 heure par semaine, ceux du secondaire 1 heure tous les 15 jours. Beaucoup de profs s'interrogent, les parents aussi, parce que le programme n'a été publié qu'en juin, il n'y a pas de manuel, il n'y aura pas avant 2016. Ce nouveau cours de morale ça devrait, à vos yeux, ressembler à quoi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord ce n'est pas une découverte pour les enseignants qui vont commencer en effet à le pratiquer à partir de cette rentrée scolaire. Je vous rappelle que le contenu-même du programme d'enseignement moral et civique avait fait l'objet d'une consultation de tous les enseignants, du primaire comme du collège d'ailleurs, au printemps dernier. Je vous rappelle aussi que nous avons engagé, au mois de mai dernier, une formation spécifique pour 1000 formateurs, aux questions de laïcité, d'enseignement moral et civique, ces 1000 formateurs sont donc des professionnels aguerris qui, désormais, sillonnent les académies pour aller au contact des enseignants et donc
PATRICK COHEN
Qui font sillonner, donc les profs, pour l'essentiel, ou les instituteurs, ne sont pas encore formés à cela.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, enfin ce qu'il faut que vous ayez
PATRICK COHEN
Ils n'ont pas vraiment le mode d'emploi de ces heures de cours, ils le disent.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je comprends, c'est une nouveauté, comme toute nouveauté, évidemment, il faut s'y adapter et, forcément ça change les habitudes, mais ce qu'il faut que vous ayez en tête
PATRICK COHEN
Donc, ça va ressembler à quoi ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
C'est que, juste une chose, il y a beaucoup d'enseignants, et je pense y compris à des professeurs des écoles, qui avant même que nous introduisions cet enseignement moral et civique, prenaient un temps avec leurs classes, pour faire des cours de morale d'une façon ou d'une autre, alors finalement ça ne va pas particulièrement changer leurs habitudes à eux, ça montre que les enseignants sont capables de le faire. Et à quoi ça va ressembler ? D'abord c'est adapté aux âges. L'idée c'est que sur l'ensemble d'une scolarité vous ayez, de façon progressive, une citoyenneté qui s'acquiert pour les élèves, un esprit critique qui s'aiguise. Alors, évidemment, on ne le fera pas de la même façon en classe de CP ou en classe de 3e, on va le faire avec du débat au sein de la classe, avec du jeu de rôles, avec des mises en situation, qui amènent les élèves à réfléchir, à s'interroger, avec un certain nombre, par exemple de dilemmes moraux que l'on leur pose pour les inciter à entrer dans une posture de contradiction, mais verbale, intellectuelle, et non pas physique.
PATRICK COHEN
Mises en situation aussi hors de l'école ? Au tribunal, j'ai vu que vous donniez cet exemple, ou dans la vie associative.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Absolument, c'est le deuxième point sur lequel je voulais insister. C'est que les enseignants ne sont pas seuls pour mener à bien ces heures d'enseignement moral et civique, on les incite fortement à s'appuyer sur tous les acteurs extérieurs qui peuvent venir alimenter les élèves et leurs réflexions, et en particulier les réservistes citoyens, puisque nous avons créé ce dispositif, la réserve citoyenne. Je rappelle qu'il y a près de 5000 Français qui ont accepté de s'y engager, qui sont des adultes de bonne volonté, qui souhaitent aller dans les classes pour transmettre les valeurs de la République, pour aider les élèves à réfléchir sur tel ou tel sujet. C'est le moment où jamais, pour les enseignants, de les inviter dans leurs classes, ou d'emmener leurs classes, en effet, dans un tribunal pour assister à un procès, pour comprendre comment fonctionne la règle, le droit, parce que l'objet, pour finir par-là, de l'enseignement moral et civique, au fond, c'est d'apprendre la vie en commun, tout simplement. Donc, on l'apprend à la fois en connaissant les règles, mais on l'apprend aussi on se confrontant aux autres et au vivre ensemble.
PATRICK COHEN
Lourde tâche quand même pour les enseignants.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, c'est ambitieux, mais, honnêtement, vous vous souvenez de ce qu'on s'est tous dit au lendemain des attentats de janvier dernier, et de la nécessité pour notre école de ne pas se contenter de transmettre des savoirs mais aussi un savoir-être aux élèves, et notamment un savoir vivre ensemble, eh bien c'est l'occasion où jamais avec cet enseignement.
PATRICK COHEN
On va revenir tout à l'heure avec des auditeurs, des enseignants, qui appellent sur ce sujet. Juste un point. Au collège et lycée, qui va assumer cet enseignement, parce que jusqu'ici c'était les profs d'Histoire-géo qui assuraient l'éducation civique ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pour l'essentiel ce sera des professeurs d'Histoire-géo en effet, parce qu'on voit bien dans leur formation et puis dans le contenu de leurs cours
PATRICK COHEN
Mais pas exclusivement ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Que c'est ceux qui paraissent être les mieux placés pour le faire, mais pas exclusivement, j'insiste en effet là-dessus, parce que l'idée, par exemple, dans cet enseignement moral et civique, vous aurez une large part donnée à l'éducation aux médias, à l'information, pour apprendre aux élèves à décrypter l'information, les images, à se méfier de la désinformation. Dans ce cadre-là vous pouvez très bien imaginer qu'un autre professeur, ou qu'un documentaliste, tout simplement, puisse venir apprendre des choses aux élèves. Donc c'est assez souple et c'est aux établissements de l'organiser.
PATRICK COHEN
La grande affaire, encore, dans votre secteur, c'est la réforme du collège et des programmes qui doit normalement entrer en vigueur l'an prochain. D'abord, c'est la dernière rentrée des profs de latin ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, de grâce, pas sur France Inter, on va essayer
PATRICK COHEN
Pourquoi pas sur France Inter ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Parce que je crois que vous avez quand même le goût de la précision et de l'exactitude, donc on va essayer, en cette rentrée scolaire, d'éviter tout ce qui ressemble à des contrevérités. Alors, je le redis ici, le latin et le grec ne disparaissent pas avec la réforme du collège, bien au contraire, ils sortent, le latin et le grec. Ils sortent de la case « option » qu'ils occupaient jusqu'à présent, une option étant forcément réservée à un nombre limité d'élèves, pour intégrer une case « enseignement à part entière », qui s'appelle « langues et cultures de l'Antiquité », et qui, lorsqu'elle sera offerte à un établissement, eh bien le sera à tous les élèves, donc concernera davantage de monde. Donc le latin et le grec
PATRICK COHEN
Il y aura encore des profs de latin.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et les professeurs de latin, d'ailleurs, voyez ne serait-ce que le nombre de recrutements que l'on fait de professeurs de Lettres classiques, vous verrez que c'est en augmentation par rapport à l'année dernière et par rapport bien sûr aux dernières années.
PATRICK COHEN
C'est une réforme, en tout cas Najat VALLAUD-BELKACEM, qui mobilise toujours une bonne partie des syndicats enseignants, il y aura sans doute une nouvelle grève dès le mois de septembre. Vous allez faire la réforme contre les personnels ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je ne le souhaite pas, et d'ailleurs je ne crois pas qu'on puisse faire une réforme contre les personnels, je pense au contraire que cette année 2015-2016 est une année essentielle pour continuer un travail de conviction, un travail d'accompagnement, un travail de formation, indispensable pour faire en sorte que tout le monde, parmi les personnels des collèges, comprenne ce qu'on attend d'eux avec cette réforme du collège. Et dès que l'on explique, chacun adhère à l'idée que les résultats, qui n'ont cessé de se dégrader ces dix dernières années, en particulier au collège, eh bien il faut y mettre un terme, donc il faut enseigner autrement, d'une certaine façon, introduire de nouvelles pratiques pédagogiques. C'est l'objet de l'accompagnement personnalisé, où on va s'intéresser davantage à chaque élève, dans sa singularité, pour l'aide quand il est en retard, pour lui faire approfondir quand il est en avance, en tout cas arrêter de traiter tout le monde de la même façon, ça c'est l'accompagnement personnalisé. C'est l'objet de l'interdisciplinarité, l'interdisciplinarité qui n'a, au fond, qu'une vocation, qui est de mieux faire comprendre aux élèves le sens de ce qu'ils apprennent, et de faire travailler davantage en équipes aussi bien les enseignants, parce qu'on a besoin que les enseignants de collège travaillent mieux en équipes, que les élèves, parce qu'on a besoin que les élèves apprennent davantage à coopérer, à travailler en groupes, c'est ce qui attendu d'eux quand ils entrent dans le monde du travail.
PATRICK COHEN
La réforme se fera, quoi qu'il arrive, la réforme se fera selon les modalités qui ont été publiées au mois de mai, Najat VALLAUD-BELKACEM ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Un dernier mot, puisqu'on me dit parfois « on ne sait pas trop ce qu'il y a dans cette réforme », un dernier mot, cette réforme c'est aussi celle de l'autonomie des établissements scolaires, à qui il est laissé davantage de marge de manoeuvre, et quand je dis des établissements, c'est des équipes pédagogiques, davantage de marge de manoeuvre pour s'adapter aux besoins de leurs élèves.
PATRICK COHEN
Ce qui rebute plusieurs syndicats d'enseignants.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Comment les enseignants pourraient être opposés à cette plus grande marge de manoeuvre ?
PATRICK COHEN
Certains y sont opposés. Un mot de réponse à Jean-Luc MELENCHON qu'on a entendu tout à l'heure dans le journal de 8H00, il vous a traitée de « menteuse » à propos des effectifs enseignants. Combien de postes ont-ils réellement été créés dans l'Education nationale depuis 2012 ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
D'abord il faudrait que Jean-Luc MELENCHON grandisse et se grandisse, parce qu'à ce stade je me demande qui il n'a pas insulté, entre les Allemands, les journalistes, les Bretons, les électeurs qui ne sont pas d'accord avec lui.
PATRICK COHEN
La question est de savoir si la vérité a été dite sur les chiffres
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je pense que les Français sont lassés de ses diatribes, et s'agissant des chiffres, dans l'Education nationale, je suis formelle, ce sont 35.200 postes qui ont été créés dans l'Education national, Enseignement supérieur et Enseignement agricole. Pour ce qui est de l'Education nationale a proprement parlé
PATRICK COHEN
Des postes à temps plein ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Ce sont des postes à temps plein, c'est des équivalents
PATRICK COHEN
Jean-Luc MELENCHON parlait de stagiaires !
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Des équivalents temps plein. Mais vous savez, quand Jean-Luc MELENCHON évoque les stagiaires, qu'on s'entende bien sur le sens des mots, de quoi parle-t-il ?
PATRICK COHEN
30.000 stagiaires disait-il.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il parle des professeurs stagiaires, c'est-à-dire de ceux que nous formons, puisque nous avons décidé, et nous l'assumons, de remettre en route une formation initiale, donc ce sont des jeunes gens qui sont en scolarité, en quelque sorte, mais qui ont vocation à enseigner l'année prochaine, donc ce sont bien des postes créés dans l'Education nationale. Et donc, là où est le mensonge, c'est de laisser croire que ces stagiaires ont vocation à rester indéfiniment des stagiaires, non. ils sont titularisés à la fin de leur formation, et je crois que c'est une bonne chose, que les enseignants soient désormais formés avant d'être titularisés, non ?
PATRICK COHEN
Et les 60.000 seront atteints à la fin du quinquennat ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Et bien sûr les 60.000 seront atteints à la fin du quinquennat
PATRICK COHEN
Mais la crise des vocations ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Non, alors là aussi je voudrais mettre un terme à une espèce de mythologie
PATRICK COHEN
Vous avez des difficultés de recrutement pour certaines disciplines, mathématiques par exemple.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Pour certaines disciplines, mais avez-vous en tête, par exemple que, à cette année scolaire, à cette rentrée, nous avons pourvu 100 % des postes ouverts dans le premier degré, maternelle/ primaire, nous avons pourvu 90 % des postes ouverts dans le second degré. C'est vrai que certaines disciplines, je pense aux mathématiques par exemple, continuent à faire l'objet d'un certain nombre de difficultés, mais ça va mieux que l'année passée, ou l'année précédente. Ce qui signifie bien que le retour, en particulier de la formation initiale, a rendu plus attractifs les métiers de l'enseignement. Et j'insiste sur ce point, il n'y a pas de crise de vocations, il faut arrêter de porter ce message. J'étais il y a deux jours avec les étudiants de l'ESPE, l'Ecole Supérieure du Professorat et de l'Education, de La Rochelle, et j'ai constaté qu'au contraire il y a un enthousiasme énorme chez ces jeunes gens qui s'engagent dans ces métiers, une confiance retrouvée, parce qu'ils savent qu'ils seront désormais accompagnés. Et beaucoup de profils, particulièrement intéressants, de reconversion professionnelle, c'est-à-dire des gens qui ont fait d'autres métiers, qui viennent, parce qu'ils savent qu'ils pourront être formés, désormais enseigner, je crois qu'il faut accueillir tout ça avec enthousiasme.
PATRICK COHEN
Najat VALLAUD-BELKACEM, invitée de France Inter, on vous retrouve dans quelques minutes avec les questions des auditeurs qui sont déjà très nombreuses.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 septembre 2015