Texte intégral
Le décrochage est un mot terrible.
Il ne faut jamais l'oublier. Car le risque est grand, à force de le voir écrit sur des documents administratifs, des dossiers de presse, des notes internes, de le banaliser. Or c'est un mot particulièrement violent.
Décrocher, c'est un lien qui se rompt. En montagne, décrocher peut entraîner une chute mortelle dans un abîme. De façon moins dramatique, ce sont ces coureurs décrochés dans une étape du Tour de France, ces coureurs dont le visage, déformé par la souffrance, s'accompagne de vains efforts pour rattraper le peloton.
Le mot décrochage, appliqué à l'école, convoque ces deux images, celle de la chute et de l'isolement. Mais si le mot est terrible, la réalité l'est encore plus.
C'est la solitude d'un élève qui ne tient plus à rien : ni à l'institution, ni à la société, ni, le plus souvent, à sa famille.
C'est, pour les parents, une angoisse croissante, tant la réponse à cette question pourtant essentielle, "que deviendra-t-il ?", se fait chaque jour de plus en plus incertaine.
Le décrochage entraîne des effets psychologiques parfois dévastateurs, et surtout durables. Ce n'est pas un instant bref, mais un temps long, un temps qui n'avance plus, et rien n'est plus terrible.
Le décrochage signe souvent la fin de tout espoir d'insertion professionnelle stable, le début d'un long parcours scandé par des portes qui ne s'ouvriront plus.
Et derrière le désastre humain, ce sont aussi des coûts économiques considérables pour la société, puisqu'ils sont estimés entre 200 000 et 300 000 euros par élève décroché, tout au long de sa vie.
Pour certains, le décrochage serait une fatalité déterminée essentiellement par des facteurs extérieurs à l'Ecole. Certes, très souvent, le décrochage est latent dès la 6e, puisque 50% des futurs décrocheurs étaient déjà en difficulté et "désaffiliés" à ce moment de leur parcours.
Mais le décrochage n'est pas un destin ! Il ne se décrète pas par quelque intervention transcendante ou par déterminisme absolu !
Il se fabrique, par une interaction entre des facteurs de risque et des facteurs internes à l'École.
Et ceci est une bonne nouvelle, une excellente nouvelle même, puisqu'elle est la raison de notre présence ici. Nous pouvons agir, nous devons agir, nous agissons.
Je sais que si vous êtes ici, c'est justement parce que vous êtes persuadés de l'importance de ce combat que nous menons de façon renforcée depuis près d'un an, lorsqu'en novembre 2014 j'ai lancé avec le premier ministre le plan "vaincre le décrochage scolaire".
Je tiens à vous remercier d'être venus si nombreux, alors même que je sais combien vous êtes déjà mobilisés sur de nombreux fronts en cette rentrée, dont le moindre n'est pas la future réforme des collèges.
La France s'est en effet engagée dans une politique globale et partenariale pour vaincre le décrochage scolaire, répondant en cela à la priorité donnée à la jeunesse par notre gouvernement.
Dans cette politique, l'ancrage territorial est un enjeu essentiel. C'est la raison d'être du réseau des correspondants académiques "décrochage scolaire" que de se tenir au plus près du terrain, car si l'impulsion est nationale, sa concrétisation doit forcément se faire au niveau local.
C'est d'ailleurs le sens de l'accord-cadre interministériel sur le Service Public Régional d'Orientation et sur la prise en charge des jeunes sortis du système éducatif sans qualification.
Son objet est simple : en se tenant au plus près des réalités locales, forcément diverses, forcément singulières, nous nous donnons les moyens d'agir le plus efficacement possible.
Nous ne vaincrons pas le décrochage sans établir des liens au plus près du terrain. Nous avons besoin de connaître le contexte dans lequel évolue un jeune qui décroche afin de repérer les reliefs et les aspérités auxquelles il pourra se raccrocher. La carte est une chose : le territoire en est une autre.
C'est pourquoi cet effort se prolonge par une convention entre l'État et l'Association des Régions de France qui prévoit le cadre partenarial dans lequel vont s'inscrire des "conventions décrochage" en cours de signature dans les régions.
Je ne saurais trop insister auprès de vous, chers correspondants académiques, inspecteurs pédagogiques et coordonnateurs, pour que ces conventions soient rédigées et signées avant le 1er novembre, car elles constituent une étape, une avancée décisive pour vaincre le décrochage.
Dans cette politique, notre rôle est donc déterminant, et notre mobilisation doit être sans faille. Car il n'y a pas de fatalité, et ceci crée, pour chacun d'entre nous, une obligation d'action qui a déjà commencé à porter ses fruits.
Les premières mesures du plan annoncé l'an dernier ont été progressivement mises en uvre, et elles ont permis de résoudre les problèmes les plus urgents.
Cette urgence s'est déployée sur plusieurs dimensions.
Tout d'abord l'information des jeunes et des familles. Lorsque le décrochage se confirme, il est parfois difficile pour eux de savoir vers qui se tourner. Au mal-être et à la honte qui accompagnent bien souvent l'abandon des études, s'ajoute alors une ignorance quant aux personnes susceptibles de venir les aider.
Avec le numéro unique d'assistance et d'information, des solutions et des conseils sont désormais accessibles facilement, et surtout rapidement. Car le temps joue contre nous dans ce domaine. Plus les jours, les semaines et les mois passent, plus l'éloignement avec le système éducatif s'accroît, et avec lui, la possibilité de revenir.
Cette possibilité, nous en avons fait un droit, le droit au retour en formation, qui a été accompagné d'une campagne, "Reviens te former", qui a rencontré un vrai succès. Et la démarche systématique est de ne laisser aucun jeune au bord du chemin, quel que soit le moment de son parcours.
Le chemin qui mène au décrochage, s'il débouche sur une impasse, ne doit pas se transformer en une voie à sens unique. La pente qui a été dévalée doit pouvoir être remontée.
Cela suppose d'avoir un système scolaire adapté, qui permette des itinéraires et des trajectoires variés.
Les Parcours Aménagés en Formation Initiale (PAFI) sont des alternatives à l'enseignement traditionnel, qui offrent, à ceux qui en ont besoin, du temps. Du temps pour respirer, pour réfléchir, pour s'interroger, pour valider aussi des compétences transversales, du temps enfin, qui est nécessaire pour ne plus subir, mais pour agir.
Le parcours d'un élève à l'école ne doit pas être un corridor sans portes, mais intégrer, dans sa forme même, la possibilité d'un retour, l'opportunité d'une seconde chance.
Mais le décrochage, nous le savons bien, ne concerne pas uniquement la relation entre l'élève et l'école.
C'est pour cela qu'il faut absolument associer les familles, que ce soit par l'expérimentation d' "alliances éducatives renforcées", la généralisation de la mallette des parents au CP, en 6ème, et bientôt en 3ème, et l'élargissement du dispositif "Ouvrir l'École aux parents".
Car au décrochage d'un élève répond souvent un sentiment d'éloignement de la part de sa famille vis-à-vis d'une institution scolaire souvent méconnue.
Oui, l'école est un lieu singulier, un lieu qui est d'abord et avant tout celui des enseignements, de la classe, des élèves et de leurs professeurs, mais c'est aussi un lieu qui doit être accueillant, et non plus engoncé dans un mystère dont bien des parents peinent à percer le sens.
Je salue vos efforts et votre mobilisation, qui nous ont permis, à travers ces mesures mais aussi à travers la Semaine de la persévérance scolaire, de montrer à toutes et à tous que nous avons pris la mesure de la gravité de la situation, et que nous sommes à la hauteur de ses enjeux.
À présent, sans pour autant relâcher l'effort mis sur la remédiation, la priorité doit porter sur la prévention du décrochage.
L'ensemble des études le prouvent, nous le savons, et j'en suis fermement convaincue, pour vaincre le décrochage, il nous faut absolument agir en amont.
Cette conviction, je sais que vous êtes nombreux à la partager, par votre expérience du terrain et par votre connaissance des enjeux et des études dans ce domaine.
C'est pourquoi la prévention occupe une part si importante dans cette réunion nationale.
C'est pourquoi il est pour moi fondamental, et je les en remercie, que les inspecteurs généraux Anne Armand et Claude Bisson-Vaivre, qui nous accompagnent dans ce chantier d'importance depuis 2 ans, puissent intervenir.
Et je salue la présence des doyens des inspecteurs Inspecteur d'académie - inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) et Inspecteur de l'éducation nationale (IEN/ET) dont la mobilisation est incontournable.
Le décrochage est une question posée à l'institution scolaire, il interpelle donc chaque école, chaque établissement qui doit en faire un axe de sa politique, de son projet.
Le recteur Marois lui aussi engagé à nos côtés dans ce combat depuis le début nous fera partager les modalités de pilotage et de mise en uvre déterminées dans son académie.
C'est aussi la raison pour laquelle un vaste plan de formation des enseignants sera développé sur deux années, car il n'y a pas de prévention efficace sans connaissance.
Il faut savoir prêter attention aux signes avant-coureurs, parfois très discrets, semblables à ces vaguelettes que l'on croit sans importance, mais qui annoncent au marin averti l'ampleur de la tempête à venir.
Il nous faut encourager l'innovation pédagogique et l'évolution des pratiques pour favoriser la réussite de tous les élèves et réduire les inégalités inhérentes à notre système éducatif, et cela passe par un effort particulier sur la formation initiale et continue des personnels.
Il nous faut aussi fluidifier et diversifier les itinéraires en recourant aux "passerelles" entre les formations et aux "temps de pause" que permet le Parcours Aménagé de la Formation Initiale.
Prévenir, c'est aussi faire en sorte que l'orientation soit choisie et non subie, et respecter le droit à l'erreur.
Pour cela, il nous faut repenser l'architecture interne de l'école.
Si j'ai souhaité une refonte ambitieuse et inédite de l'ensemble des programmes, c'est justement pour ne plus raisonner année après année, mais pour établir une cohérence sur l'ensemble de la scolarité obligatoire.
Cette cohérence suppose aussi d'offrir des possibilités pour l'élève de repenser son parcours, que ce soit par une réorientation, des modules SAS, ou des secondes à choix différé.
Là encore, l'objectif est simple : éviter que l'élève ne subisse l'orientation, mais qu'il ait la possibilité d'évoluer dans ses choix, et c'est une démarche profondément humaine.
Vous le voyez, la prévention est l'affaire de tous. Il n'y a pas d'un côté des spécialistes du décrochage et de l'autre ceux qui ne s'en préoccupent pas. La composition même du corps des correspondants académiques en est la preuve.
Vous êtes très majoritairement des chefs de service académique d'information et d'orientation (23 sur 30), mais d'autres fonctions ont été retenues par les recteurs : IA, IPR, délégué académique à la persévérance scolaire et à l'inclusion, coordonnateur de la mission de lutte contre le décrochage scolaire.
Nous avons besoin de cette diversité, nous devons tous être attentifs, dialoguer les uns avec les autres, afin de pouvoir intervenir le plus en amont possible. Et nous avons besoin, je le répète, de l'implication attentive de tous les corps d'inspection.
La prévention est au cur de ce qui nous est commun, et elle ne doit pas être reléguée "au fond de la cour".
Votre rôle est donc essentiel pour initier et relayer la déclinaison de cette politique dans les académies, avec l'appui des personnels mobilisés sur le terrain.
Face à un risque de décrochage ou pour favoriser un retour en formation, nous mettons en place une mobilisation collective : un jeune, une équipe, un projet.
En effet si nous réduisions la prévention du décrochage scolaire à l'orientation, nous nous priverions d'un apport décisif, celui de la pédagogie.
Nombreux sont les travaux qui soulignent, par exemple, que la réussite en filière professionnelle ne se réduit pas à la question du choix, mais bien à l'accueil fait à l'élève au sein de cette filière par ses enseignants et par ses pairs.
La prévention du décrochage scolaire est donc aussi une question pédagogique. Le rôle des corps d'inspection est donc déterminant pour que l'ensemble des équipes éducatives s'approprient cette problématique.
Dans ce domaine, comme dans tant d'autres, l'union fait la force, et cela concerne non seulement l'ensemble des personnels de l'Education nationale, mais passe par des alliances éducatives internes et externes.
Nous devons associer davantage les parents et les partenaires de l'école, nous devons nous ouvrir, mais aussi, à l'intérieur même de l'école, mobiliser les jeunes et obtenir leur adhésion aux valeurs de la République.
Ce n'est qu'ainsi que nous éviterons les réactions de rejets, de replis identitaires et, à court terme, la marginalisation d'une partie de notre jeunesse, en situation d'exclusion sociale et professionnelle.
Au niveau national, sera mis en place en novembre prochain un "comité de pilotage interministériel" qui va renforcer cette volonté d'une politique publique partagée portée au plus haut niveau de l'État.
Ce sera l'occasion de fêter l'anniversaire de la mise en uvre du plan "Tous mobilisés pour vaincre le décrochage scolaire" et d'établir un premier bilan d'étape.
À cet égard, selon nos premières informations, les chiffres sont encourageants et témoignent de votre engagement dans cette bataille.
Et ce qui me donne encore davantage de conviction et de force pour la suite, c'est que derrière ces chiffres, c'est une réalité humaine qui s'améliore, ce sont des élèves qui reprennent courage.
Ces progrès sont en grande partie liés à une meilleure prise en charge des décrochés ou en risque de décrochage déjà avéré.
Je suis certaine que nous pouvons aller encore beaucoup plus loin, si, demain, nous relevons ce second défi : mieux enseigner, mieux accompagner l'élève pour mieux prévenir le décrochage. Aller plus loin, c'est faire en sorte que l'on puisse enfin parler de "décrocher" sans immédiatement convoquer ces images et ces réalités terribles que j'évoquais tout à l'heure.
C'est faire en sorte que le mot ne résonne plus que dans les paroles d'un élève qui, au terme de son parcours, aura « décroché » une place dans l'enseignement supérieur, un diplôme, ou un emploi.
Voilà le sens que nous voulons donner à ce mot, et voici pourquoi je suis extrêmement heureuse de pouvoir vous accueillir, tous, ici, aujourd'hui, pour cette réunion nationale.
Je vous remercie.
Source http://www.education.gouv.fr, le 25 septembre 2015