Texte intégral
GUILLAUME ERNER
Et mon camarade, Olivier DANREY, l'a rappelé, 65.000 nouvelles inscriptions sont prévues cette année dans l'enseignement supérieur, conséquence de l'évolution démographique, des changements également de société, et cependant, on a parfois l'impression que le modèle français, le modèle français en matière universitaire est en voie d'épuisement. Quels moyens sont mis en place pour faire face à ces enjeux ? Quelle volonté politique du gouvernement pour l'Enseignement supérieur et la recherche ? Nous recevons Thierry MANDON, secrétaire d'Etat, chargé de l'Enseignement et de la recherche. Bonjour Monsieur.
THIERRY MANDON
Bonjour.
GUILLAUME ERNER
Vous avez pris ce poste en juin 2015 alors qu'il avait été vacant pendant plusieurs mois, faut-il voir par-là que la question de l'enseignement supérieur et de la recherche n'est pas une priorité du gouvernement ?
THIERRY MANDON
Mais, en tout cas, on fait pour qu'elle le devienne, depuis fin juin, la première chose que nous ayons faite, c'est de poser les problèmes devant l'opinion, les problèmes de l'université, les problèmes de la recherche, parce que comme vous le disiez c'est un modèle qui est à bout de souffle, qui doit changer de niveau, pour un certain nombre de raisons structurelles, sur lesquelles on reviendra, la démographie étudiante, des changements technologiques importants, et donc il faut qu'on en parle, et au plus haut niveau de l'Etat, puisque nous avons été reçus par le président de la République pour une stratégie universitaire, pour les cinq ans qui viennent, et nous recevons dans quelques jours le Premier ministre, autour de la stratégie nationale de la Recherche, donc des perspectives et une priorité pour cette deuxième partie du quinquennat sur ces sujets.
GUILLAUME ERNER
A bout de souffle, vous ne mâchez pas vos mots
THIERRY MANDON
Oui, à bout de souffle financier, oui, c'est une évidence
GUILLAUME ERNER
Uniquement financier ?
THIERRY MANDON
Pas seulement, technologique aussi, parce qu'il se passe des choses dans le monde, le numérique arrive, dans un certain nombre de pays, il amène à révolutionner la façon dont on pense l'Education, je pense, l'Enseignement supérieur, donc il y a beaucoup de raisons qui font que le modèle actuel ne tiendra pas. Et donc il faut en inventer un nouveau, et pour en inventer un nouveau, il faut que ça se passe devant la Nation parce que ça impliquera des choix durables, c'est donc le choix de mettre ces sujets sur la table que nous avons fait avec mon équipe.
GUILLAUME ERNER
Mes camarades, Hakim KASMI, de la rédaction et Stéphane ROBERT, du service politique, ont des questions à vous poser. Stéphane ROBERT.
STÉPHANE ROBERT
Alors, eh bien, comment on fait justement avec les contraintes budgétaires, on est en pleine réduction des déficits publics, on voit bien que ce qui vous est accordé, bon, vous êtes préservé par rapport à d'autres ministères, mais on vous accorde, on peut dire, un saupoudrage, enfin, c'est du saupoudrage, comment est-ce que vous faites sans avoir les moyens de la politique que vous prétendez mener ?
THIERRY MANDON
Non, alors, d'abord, ce n'est pas un saupoudrage, 165 millions dans un budget qui baisse, c'est bon à prendre, surtout que je sais d'où on vient depuis deux mois donc. Et c'est une inflexion véritable depuis le début du quinquennat sur ces sujets-là. C'est insuffisant pour les années qui viennent. Donc comment on fait ? D'abord, on a des principes, on pose des principes, clairement, les principes, il y a trois façons de financer un budget de l'Enseignement supérieur, l'Etat donne de l'argent, il prend de l'argent dans la poche des étudiants, ou les universités, désormais autonomes, ce qui n'est assez dit, désormais autonomes dans leurs dépenses, se débrouillent pour trouver d'autres recettes. En France, aujourd'hui, comment ça marche ? 90 % du budget vient de l'Etat, 90 %, le reste, les droits d'inscription, c'est 2 %, et les ressources propres, c'est 2,4 %, et puis, le reste, c'est des conventions, des choses comme ça.
GUILLAUME ERNER
Il faudra augmenter les droits d'inscription ?
THIERRY MANDON
Alors, nous faisons des choix, le premier, c'est que les droits d'inscription, il ne faut pas jouer dessus, pourquoi ? Parce que, il y a un gros enjeu d'élever le nombre de personnes qui peuvent être diplômées de l'Enseignement supérieur, et des études très précises montrent, notamment une étude de l'OFCE, que dès que vous annoncez une hausse des droits d'inscription, immédiatement, il y a des couches sociales qui sont dissuadées de faire des études. Au passage, on n'est pas les seuls à faire comme ça ; en Allemagne, les droits d'inscription, c'est zéro, puisque tout le monde cite les Allemands, mais jamais personne ne dit des choses comme ça, dans les pays nordiques, ce n'est pas seulement zéro, c'est zéro plus une bourse pour quasiment tous les étudiants. Et aux Etats-Unis, la campagne de 2016 se jouent notamment là-dessus, monsieur OBAMA, madame CLINTON, d'autres candidats démocrates sont allés expliquer que le collège, c'est-à-dire après en gros le baccalauréat en France, il fallait que ce soit gratuit. Donc pas de droits d'inscription. Deuxièmement, les dotations de l'Etat, moi, je pense qu'elles vont augmenter, mais, elles vont augmenter, elles resteront à 90 % du budget général, elles augmenteront en volume dans le financement. Et troisièmement, il faut que les universités autonomes développent leurs ressources propres. Et là, on a pas mal d'idées dont on parlera tout à l'heure.
GUILLAUME ERNER
Hakim KASMI.
HAKIM KASMI
Alors deux petites questions, Thierry MANDON, tout d'abord, vous disiez : un système à bout de souffle, un paradoxe quand
THIERRY MANDON
Financier, oui
HAKIM KASMI
Oui, un paradoxe quand on sait que, aujourd'hui, nos chercheurs, nos scientifiques sont prisés dans le monde entier, notamment en Asie, et aussi beaucoup dans la Silicon Valley. Deuxième question, aujourd'hui, vous disiez : on n'a pas beaucoup d'argent, malheureusement, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que, aujourd'hui, il faut se rapprocher du privé, comme un peu dans les pays anglo-saxons, l'entreprise privée joue un grand rôle dans la recherche ? Est-ce que ça ne peut pas créer aussi un problème d'indépendance ?
THIERRY MANDON
Alors, on parle bien de deux choses qui sont complémentaires, mais c'est une chaîne, vous avez les étudiants, donc l'université, et puis ensuite, vous avez, plus ça va, les docteurs, et donc toute la partie recherche de l'université, et c'est deux modèles de financement différents. Sur la recherche, la France est avec les Etats-Unis et les Allemands le pays au monde, à part quelques pays nordiques, qui donne le plus d'argent à sa recherche publique, 0,8 % du PIB, on est dans le peloton de tête de ceux qui finançons la recherche publique, ce n'est pas assez dit, ce n'est pas assez su, c'est la réalité, on est devant les Anglais, devant les Japonais. Et ce modèle-là, de haut financement, haut niveau de financement public à la recherche publique, il doit demeurer. Sur la question des universités, donc notamment les premières années, là, c'est les universités, vous avez des professeurs de qualité, des enseignants chercheurs, vous avez des amphithéâtres, qui fonctionnent trois à quatre jours par semaine maximum, et vous avez la capacité de diplômer, vous avez d'un autre côté quelque chose qui s'appelle le budget de la formation professionnelle, 32 milliards, c'est considérable. Mon objectif, c'est de faire en sorte que très vite, dans les deux ans qui viennent, nous puissions assurer une partie de ce budget de la formation professionnelle, je n'ai pas mis la barre très haut, j'ai dit 5 %, ça fait un milliard six, que les universités puissent proposer des formations pour la formation professionnelle, pour la formation continue, et élever comme ça, assez sensiblement, leur niveau de financement.
GUILLAUME ERNER
Thierry MANDON, la droite a donné son autonomie aux universités, avec un financement qui, à l'époque, n'était pas aussi faible qu'il l'est aujourd'hui. On n'a pas l'impression d'avoir eu une rupture en matière de politique universitaire, lorsque la gauche est arrivée au pouvoir, je me trompe ?
THIERRY MANDON
A moitié. Alors d'abord, il est faux de dire qu'il y avait plus d'argent avant qu'il y en a aujourd'hui, c'est l'inverse, c'est même tellement l'inverse que, en 2013, quelques mois après être arrivé, on a été obligé de remettre un peu d'argent dans les caisses pour financer ce qui n'avait pas été financé par l'autonomie. Et depuis, les sommes ont stagné et cette année, elles vont recommencer à progresser. Donc il y a plus d'argent aujourd'hui qu'il n'y en avait. En revanche, vous avez complètement raison sur la question de l'autonomie, et je pense que c'est une grosse partie du problème, nous pilotons aujourd'hui le système universitaire, à commencer par nous-mêmes, le ministère, sans avoir tiré toutes les conséquences de ce qu'est un système d'acteur autonome, c'est-à-dire un système d'universités qui décident ou pas de créer des postes, qui décident ou pas d'ouvrir telle ou telle capacité d'accueil dans les universités, que ça, ça ne se pilote pas en disant : ah ben, tiens, faites comme ci ou faites comme ça, parce que c'est vain. Et donc il faut qu'on fasse ces transformations-là de notre organisation pour devenir stratège, avoir des vrais objectifs clairs qui s'imposent à tout le monde, et des outils qui permettent de suivre ce que des acteurs autonomes décident, c'est une vraie transformation administrative que nous allons engager dans les semaines qui viennent.
STÉPHANE ROBERT
Hakim KASMI faisait valoir tout à l'heure que nous avions des chercheurs de qualité qui étaient prisés dans le monde entier, justement, on nous les pique, parce qu'ils ne sont pas assez payés. Et avec les contraintes budgétaires auxquelles vous êtes soumis, comment est-ce qu'on résout cette quadrature du cercle, en quelque sorte ?
THIERRY MANDON
Alors, ce n'est pas qu'ils ne sont pas assez payés, ça peut jouer, mais c'est aussi que les entreprises françaises n'embauchent pas, ne s'intéressent pas assez aux docteurs français, ils préfèrent embaucher des ingénieurs des grandes écoles que des docteurs qui ont des qualités extraordinaires, c'est un paradoxe, vous avez raison, c'est que, on se les fait piquer par les Américains, dans le domaine du numérique, c'est typique, alors qu'on a des pépites ici qui ne demandent qu'à être utiles
STÉPHANE ROBERT
Donc il faut les réorienter vers le privé ?
THIERRY MANDON
Donc il faut faire tout un travail avec le monde de l'entreprise en France pour leur expliquer pourquoi c'est important, intéressant, pour elles, parce qu'elles ne font pas de philanthropie, d'utiliser et d'engager des docteurs, et d'utiliser les compétences des docteurs. Ce travail, nous allons le faire, puisqu'on a recruté une cinquantaine d'ambassadeurs, des gens qui connaissent bien l'université, qui sont à la fois qui ont l'expérience de l'entreprise, qui vont faire le tour d'un certain nombre d'entreprises, notamment celles qui touchent le crédit impôt recherche, et nous allons faire un effort de conviction, d'explication, pour augmenter la part des docteurs embauchés dans les entreprises. Gardons un chiffre, il en faut de temps en temps pour avoir les idées claires, l'emploi public, les chercheurs, c'est 40 % de tous les chercheurs, l'emploi privé, c'est 60 %, donc c'est plus important dans les entreprises que dans le public. Aujourd'hui, quand vous êtes docteur, à 50 %, vous trouvez un emploi dans le public, et à 25 % seulement dans le privé. On voit la marge de progression de l'embauche de jeunes docteurs qu'il y a dans le secteur privé, on va s'attaquer à ce travail
STÉPHANE ROBERT
Ça n'est pas parce que les chercheurs n'ont pas la formation adéquate à ce que cherchent les entreprises qu'ils ne sont pas embauchés ?
THIERRY MANDON
Non, je pense que c'est exactement l'inverse, je pense que les entreprises françaises sont trop court-termistes, qu'elles préfèrent embaucher des gens dont elles pensent qu'ils sont immédiatement productifs, et qui sont très bien formés, les ingénieurs, mais qu'elles ne se remettent pas suffisamment en cause, et donc elles n'ont pas besoin des compétences des chercheurs qui justement sont des gens qui ont toujours un coup d'avance, et qui amènent à se réinterroger en permanence. Et donc finalement, les difficultés d'embauche des chercheurs traduisent, de la part de nos entreprises françaises, une difficulté de fonctionnement qui est, en gros, on veut être immédiatement productif, mais ce qui est les stratégies de moyen, long-terme, ce n'est pas vraiment notre affaire, en tout cas, ce n'est pas notre priorité.
HAKIM KASMI
Alors justement, pour illustrer un peu la situation des chercheurs, notamment des jeunes diplômés, une étude de l'APEC, l'Association des Cadres, révèle qu'il est de plus en plus difficile de trouver du travail pour des jeunes diplômés, notamment des masters. Dans le même temps, depuis trois ans, le nombre d'étudiants qui partent à l'étranger a doublé, des étudiants diplômés, on est passé à 27 % aujourd'hui de jeunes diplômés qui partent à l'étranger. Faut-il s'en inquiéter, Thierry MANDON ?
THIERRY MANDON
Il ne faut pas s'inquiéter des flux, ils vont se développer dans tous les sens, il y a des chercheurs qui partiront à l'étranger, et en même temps, vous avez beaucoup d'étrangers qui viennent étudier en France et qui viendront travailler en France. Donc ça, c'est un peu inhérent à l'organisation de l'économie mondialisée, quoi qu'on en pense par ailleurs. En revanche, oui, on laisse aujourd'hui, il y a trop de talents qui ne trouvent pas à s'employer dans notre pays. Et ça, c'est vrai dans tous les domaines, bien sûr, dans les sciences technologiques, mais aussi dans les sciences humaines, et c'est ce travail-là, de valorisation de ces talents, que nous engageons, grâce à nos ambassadeurs, pour convaincre les entreprises et faire un peu plus que les convaincre même, les inciter, parce que, encore une fois, il y en a qui touchent du crédit impôt recherche, financé par la Nation, donc elles peuvent quand même s'intéresser à ce qu'on leur explique. Et nous pensons raisonnablement, sous deux ans, qu'on peut augmenter le nombre de chercheurs employés dans les entreprises de 1.500 par an, ce qui serait, pour le coup, considérable, de docteurs de plus.
GUILLAUME ERNER
Merci Thierry MANDON. On vous retrouve à 08h15. Vous dialoguerez avec une chef d'établissement, Brigitte PLATEAU, qui est administratrice générale de Grenoble, INP, anciennement l'Institut Polytechnique de Grenoble, et d'un universitaire, qui publie : « La destruction de l'université française », Christophe GRANGER.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 octobre 2015