Déclaration de M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, sur les relations entre la culture et le monde et l'organisation du travail, notamment dans le cadre de la réduction du temps de travail, Lyon le 18 septembre 2001.

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Circonstance : Colloque "Culture et monde du travail" à Lyon le 18 septembre 2001

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,
Je veux tout d'abord vous dire le plaisir que j'éprouve à être parmi vous aujourd'hui. Ce plaisir n'est pas fortuit. En consacrant votre réflexion, vos échanges au rapport culture et travail, vous soulevez, à mon sens, une question névralgique. La rencontre entre ces deux mondes est en effet l'un des enjeux majeurs du développement artistique et culturel de notre pays. Un enjeu qui reste, sans aucun doute, notoirement sous estimé.
Pourtant les liens tissés en France entre la culture et le monde du travail sont particulièrement forts. Cette rencontre est le fruit d'une longue histoire, d'une belle histoire.
Ici comme ailleurs le travail des hommes a nourri l'imaginaire des créateurs, de la "Bête humaine" à "Martin Eden", de "La vie est à nous" à "Métropolis". Mais ici, peut-être plus qu'ailleurs, le monde du travail, ses organisations ouvrières, ont su se doter d'outils pour organiser le partage de l'art et de la culture.
Chacun sait le rôle joué de la sorte par les universités populaires au début du siècle écoulé ou bien encore par les comités d'entreprise depuis l'après-guerre. Au regard de cette histoire, la situation actuelle est troublante, paradoxale, parfois confuse. Nul n'ignore la profondeur des mutations en cours au sein du monde du travail. Toutes ont en commun de nourrir le désir et d'accroître le besoin de culture au coeur même de l'expérience du travail.
L'introduction des nouvelles technologies a ainsi révolutionné de fond en comble les modalités et l'organisation du travail. Les frontières qui séparaient hier encore travail manuel et intellectuel, tâche d'exécution et tâche de conception, travail et hors travail apparaissent de plus en plus pour ce qu'elles sont : des archaïsmes.
De même la réduction du temps de travail tout comme le besoin impérieux de démocratie au travail, remettent en scène la culture à l'entreprise.
Ces bouleversements ne doivent-ils pas nous inciter à changer de regard sur la nature du lien entre la culture et le monde du travail ? De plus en plus les entreprises ont recours au capital culturel et artistique des salariés qu'elles emploient. Ces capacités sont le fruit de l'investissement de toute la société. N'est-il pas juste qu'en retour les entreprises contribuent à leur développement ?
L'enjeu du lien entre la culture et le monde du travail redouble donc. Il est ressenti je crois, de plus en plus vivement par les salariés eux mêmes. La culture est ce qui est susceptible de donner du sens au travail. Dans la diversité de ses formes, de ses contenus et de ses finalités, le travail a besoin de culture pour être un facteur d'épanouissement personnel, un vecteur de la réalisation de soi. A cet égard, le travail de l'artiste a valeur de paradigme. La création préfigure en quelque sorte l'avenir du travail, d'un travail où chacun serait le créateur de soi.
Le rapport entre culture et monde de travail est donc profondément dialectique. Il ne s'agit pas de rechercher leur cohabitation, encore moins de mettre l'un au service de l'autre.
Au rebours de toute instrumentalisation, il s'agit de mêler ces deux dimensions de l'existence humaine au sein d'une même expérience. A ce titre j'ai la conviction que le monde du travail peut devenir un des lieux de prédilection du partage de l'art et de la culture. Il est même illusoire pour la société, d'espérer relever le défi de l'égalité culturelle sans investir ce front.
Certes les obstacles ne manquent pas. Certains résultent paradoxalement des mutations que j'évoquais à l'instant.
Ainsi les 35 heures ne peuvent constituer une avancée de civilisation que si le temps libéré l'est aussi pour la culture. De même les bouleversement en cours font parfois vaciller les points d'appui historiques de la diffusion de la culture à l'entreprise. Chacun sait par exemple que de plus en plus de salariés sont employés dans des PME dépourvues de comité d'entreprise. Et que dire de toutes celles et de tous ceux qui sont confrontés au chômage et à la précarité. Etre privé de travail dans notre société, c'est aussi être tenu à l'écart d'un lieu d'accès à la culture.
Le ministère de la culture a entretenu des relations fortes avec le monde du travail, notamment avec les comités d'établissement. Il s'agit aujourd'hui de réactiver cette relation en tenant compte des transformations en cours.
C'est pourquoi une enquête a été commandée à l'Institut de recherches économiques et sociales en février 2000. Le rapport de Claude Goulois, issu de cette étude, établit une typologie des actions culturelles et artistiques réalisées au sein et autour des entreprises et propose des pistes à explorer. Parallèlement, des groupes de travail, animés par la Délégation au développement et aux formations et réunissant des représentants de l'ensemble des acteurs concernés, ont aussi fait des propositions.
La nécessité de trouver des réponses adaptées, notamment aux besoins des entreprises de moins de 50 salariés, a conduit le ministère de la culture à engager des actions expérimentales impliquant différentes structures, peu habituées ou empêchées de manière juridique ou administrative à engager des initiatives culturelles communes. Le site de La Part Dieu a été retenu pour une approche territoriale réunissant acteurs du monde du travail et acteurs artistiques et culturels. Le but est d'associer l'ensemble des salariés du centre commercial à un projet d'action culturelle et artistique.
Cette initiative est exemplaire car elle rassemble de nombreux partenaires, qui ont rarement l'occasion de réfléchir et travailler ensemble autour d'un même projet :
- des salariés d'entreprises de tailles très différentes avec ou sans comité d'entreprise,
- plusieurs organisations syndicales,
- quatre ministères : la Culture, à l'origine du projet, l'Emploi et la Solidarité, la Jeunesse et les Sports, l'Equipement à travers le CERTU (Centre d'Etudes sur les Réseaux, les Transports, l'Urbanisme et les constructions publiques),
- l'Université (l'Institut de formation syndicale de l'Université Lumière Lyon 2 et l'Institut de recherches économiques et sociales),
- une collectivité territoriale,
- des équipements culturels : la bibliothèque où nous nous trouvons, mais aussi l'auditorium, le musée d'art moderne,
- des artistes.
Il me semble que tous les atouts sont réunis ici pour réussir. Les trois journées de formation, proposées par l'Institut de formation Syndicale et l'ARSEC (Agence Rhône Alpes de Services aux Entreprises Culturelles), devraient permettre des échanges fructueux et une meilleure connaissance mutuelle.
J'en suivrai avec intérêt les prolongements, puis les productions des artistes en résidence. J'ai noté avec plaisir la présence d'artistes de disciplines différentes : Marie-Claude Quignon, plasticienne, Françoise Coupat du Théâtre de la Chrysalide et Bernard Fort, compositeur du Groupe musiques vivantes de Lyon.
Renforcer le lien entre culture et monde du travail place donc chacun d'entre nous devant un devoir d'invention. A cet égard je tiens à souligner l'excellence des initiatives prises ici et là souvent de concert par des artistes, des organisations syndicales, des collectivités locales. Elles témoignent d'une ambition et d'une compréhension fine des enjeux et des possibilités qui s'offrent à la culture au sein du monde du travail. Je pense notamment aux ateliers de pratique artistique amateur, à l'éclosion de résidences d'artistes, aux spectacles réalisés par les salariés.
Ces exemples laissent entrevoir de nouvelles modalités de présence pour la culture à l'entreprise. Une présence qui permet à chaque salarié de participer au processus de la création, d'en être un acteur à part entière.
Cette recherche est profondément moderne. Elle bouscule la place traditionnelle consentie à l'art et à la culture dans notre société. C'est pourquoi à mes yeux, le monde du travail peut être le laboratoire d'un nouveau rapport entre l'art et la société. Le lieu d'une rencontre authentique qui ne trace pas de ligne de démarcation entre les oeuvres et les démarches de création, entre les artistes et les publics.
Je vous remercie.
(source http://www.culture.gouv.fr, le 20 septembre 2001)