Texte intégral
Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Messieurs les Ambassadeurs,
Monsieur le Secrétaire général,
Mesdames et Messieurs les membres du Haut conseil de la Francophonie,
Monsieur l'Administrateur général de la Francophonie,
Chers Amis,
En vous accueillant ce soir dans ce palais des Affaires étrangères, je tenais tout d'abord à témoigner l'attention personnelle et amicale qu'Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères, et moi-même, portons à votre Haut conseil. Il y a quelque chose de presque rituel déjà dans ce dîner qui précède immédiatement votre session annuelle, qu'ouvrira demain le président de la République.
Convenons que le rite a du bon, puisqu'il réunit des personnalités dont les qualités illustrent la richesse de la francophonie, de surcroît des amis, convergeant pour deux jours de réflexion de tous les horizons d'un espace géographique considérable.
Le Haut conseil, une fois par an, réunit emblématiquement les pièces éparpillées du puzzle francophone dont il nous révèle les formes, les tendances, les sensibilités. C'est son originalité et c'est sa force. L'intérêt de ses propositions procède de la liberté de ton que chacun y apporte et c'est cette liberté que nous attendons, celle de témoins, tous créateurs et tous acteurs d'un projet dont nous reparlerons dès demain. Merci d'avoir répondu à mon invitation, et merci naturellement à Stellio Farandjis et à son équipe de veiller à ce que le Haut conseil soit entouré d'intervenants de qualité, qui augmentent sa réflexion sur les grands enjeux que la famille francophone a intérêt à analyser.
Permettez-moi de saluer l'entrée au Haut conseil de deux personnalités marquantes qui lui apporteront leur expérience, et leur généreuse créativité : je veux parler de Catherine Clément qu'on ne présente plus et de Hisanori Isomura, président de la Maison de la culture du Japon à Paris.
Monsieur le Secrétaire général de la Francophonie, vous nous faites ce soir avec Roger Dehaybe, administrateur général de l'Agence intergouvernementale, le plaisir d'une présence attentive et chaleureuse que je souhaite relever, en notre nom à tous. Vous voilà depuis 18 mois à la rude tâche de faire partager l'idéal francophone à un monde que cet idéal intéresse et intrigue tout à la fois.
L'intérêt, nous le mesurons au nombre croissant d'Etats et de gouvernements qui nous approchent à la veille de chaque Sommet.
Mais si je dis que notre mouvement intrigue, c'est aussi parce qu'il dit des choses inhabituelles dans le monde actuel : il parle d'identités, de respect et il parle de tolérance. Ces hautes valeurs, il les a longtemps investies dans l'échange culturel et dans la valorisation d'une langue partagée par des peuples dont elle contribue à façonner la pensée et l'organisation sociale, économique et politique. Et sans jamais oublier pourtant que chaque femme et chaque homme, et d'abord chaque enfant, voit le monde de là où il est né et là où il vit, c'est à dire qu'il la voit avec ses propres yeux et qu'il le parle aussi avec la langue de sa naissance.
Convenons donc que la Francophonie fait entendre une voix singulière, quand elle prétend que l'unité du monde, bien réelle puisque nous sommes tous interdépendants, n'a de sens que si chacun y a sa place, et le droit d'y exister, pleinement, et qu'en dehors de ce principe, c'est un monde mortifère et insupportable que nous nous fabriquerons.
Et aujourd'hui, sous votre coordination, Monsieur le Secrétaire général, l'espace francophone s'ouvre à d'autres horizons. Depuis Hanoi, nous l'avons voulu plus politique ; non pas au sens où la Francophonie ferait de la politique son objet essentiel, d'autres grandes organisations internationales en ont le souci et le font depuis longtemps, et notre mouvement n'a pas vocation à se substituer à elles.
Nous sentons bien en revanche qu'une Francophonie des peuples et des sociétés n'adviendra véritablement que si la solidarité qui nous lie par la langue, se manifeste concrètement par une volonté réelle de partager et enraciner dans nos sociétés des valeurs fondamentales dont elles manquent encore trop souvent, et cruellement : la tolérance, base de toute démocratie ; la démocratie, clé de la liberté et de la responsabilité de chacun dans un ordre collectif toujours plus juste ; la responsabilité et la liberté, sources de créativité, mais aussi de développement, et surtout de mesure dans un monde qui doit procurer à chacun le bien être qu'il est en droit d'attendre, mais qu'on ne saurait accepter de voir dévasté par la règle aveugle du seul profit.
La Francophonie, c' est toute l'histoire d'une langue et de sa place dans le monde ; celle-ci crée du droit, de la norme, de la pensée, une vision créatrice. Oui, être francophone, c'est vouloir que l'ordre social qui en procède sache proposer une Francophonie des peuples qui ne soit pas une Francophonie des mots, mais celle de l'effort et de la responsabilité pour leur donner un sens.
Elle a pour elle l'habitude du dialogue et la confiance qui ont résisté à tous les assauts de l'Histoire. A nous de savoir utiliser ces atouts humains, certes fragiles mais considérables puisqu'ils n'ont fait qu'augmenter avec le temps et ont forgé une communauté originale, diverse, présente tous sur tous les continents.
Le mot Francophonie n'a qu'un peu plus d'un siècle. Et nos institutions sont encore si jeunes que nous en sommes encore à visiter l'édifice et à nous l'approprier. Et pourtant, le temps nous presse, nous sommes dans un monde où l'avenir est déjà vieux de techniques et de langages qui l'ensevelissent chaque jour et dans un monde aussi, les francophones le savent bien, submergé par une jeunesse qui s'impatiente et ne comprendrait pas que la Francophonie ne lui tende pas la main.
Le Sommet de Moncton doit être de ce point de vue un vrai rendez-vous et je constate, aux préparatifs, aux efforts que l'Agence et nos opérateurs déploient qu'existe un vrai désir de modernité en Francophonie : une Agence qui fait peau neuve sous l'impulsion de notre ami, Roger Dehaybe, une volonté collective de transparence, de rigueur, de vérité que vous mettez en acte, Monsieur le Secrétaire général, accompagnant notre souhait d'une Francophonie qui sache convaincre ses partenaires : TV5 qui repense son projet, de fond en comble pour rendre présentes l'information et la création audiovisuelles francophones dans le monde entier ; les inforoutes qui veulent faire entrer résolument la Francophonie sur la toile, voilà autant de signes tangibles que je veux relever et qui annoncent Moncton comme un sommet de promesse pour notre communauté.
Surtout, je vois poindre enfin, le désir d'une Francophonie qui parte des sociétés et qui leur revienne, une Francophonie des associations, des collectivités locales et territoriales, des ONG, des créateurs, qui dans les grandes mutations que connaissent nos pays, sache apporter des propositions nouvelles, concrètes et humaines : je songe à la décentralisation, de si lourde conséquence pour nos sociétés dans des compétences nouvellement dévolues aux collectivités territoriales comme la culture et la formation ; je songe aux technologies de l'information et de la communication qui redéploient l'espace du savoir de la recherche et des échanges ; je songe enfin à une réorganisation politique profonde qui, à mesure que les Etats s'amoindrissent et concentrent leurs compétences, laisse au choix des sociétés des pans de responsabilités nouvelles : organiser l'espace, domestiquer la liberté d'expression, penser les rapports sociaux, faire chaque jour plus de place au droit des femmes, des enfants et à leur épanouissement. Je ne doute aucunement que dans tous ces domaines, l'heure soit venue des solidarités directes, encouragées, valorisées, intelligemment accompagnées.
Est-ce le Haut conseil que mes propos étonneront ? Sûrement pas. Vos dernières sessions ont approché la diversité et la modernité francophones. Demain, vous vous pencherez sur le projet francophone que je n'ai aucunement prétendu ce soir explorer. Je voulais vous suggérer l'intérêt de la France pour qu'il soit au diapason du monde et toutes les raisons également pour lesquelles nous y travaillons assidûment.
Dans ce pays qui voit peut-être d'autant moins la Francophonie que c'est l'air qu'il respire quotidiennement, notre mouvement attire certes de la sympathie, mais doit convaincre encore plus qu'il n'est pas prisonnier de l'Histoire, des postures culturelles figées et des combats d'arrière garde. Notre fierté à tous, ce sont justement l'ouverture, le respect de la diversité culturelle, la richesse de l'expression, qui forcent le respect et la conviction. De toute cette diversité, nous ne voulons pas faire une citadelle, mais une offre disponible, où chacun se reconnaisse et se sente encouragé à vivre, c'est à dire espérer, en comptant sur ce qui doit être un bien toujours mieux partagé : la solidarité.
Je vous remercie.
(Source :http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 juin 1999)