Entretien de M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, avec RFI le 1er décembre 2015, sur la Conférence de Paris pour le climat, la lutte contre le groupe terroriste Daech et sur l'élection présidentielle au Burkina Faso.

Prononcé le 1er décembre 2015

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral


* Conférence de Paris pour le climat - Afrique - Climat
Q - La COP21 que vous présidez s'est ouverte hier avec la présence de 150 chefs d'État qui ont rappelé dans leur discours que le changement climatique devait être une priorité. Cette journée devait lancée une impulsion, selon vous, a-t-elle rempli son rôle ?
R - Oui j'ai trouvé que la tonalité générale était excellente, c'est donc un bon départ pour la COP. Je n'ai pas pu écouter tous les chefs d'État et de gouvernement mais je pense qu'il n'y a pas eu de fausses notes. Le message général est : «Mesdames et Messieurs les Ministres, Mesdames et Messieurs les Négociateurs, il faut parvenir à un résultat».
Maintenant, c'est à nous de faire notre travail sous le contrôle des chefs d'État et de gouvernement, mais je crois que tous les gens qui suivent les COP depuis très longtemps n'ont pas entendu un message aussi uni et aussi fort. Cela tient au fait que le dérèglement climatique est constaté, et tout le monde le comprend. Cela tient au fait qu'il y a eu des modifications de positions de la Chine - on connaît tout cela - et que l'on se dit que, si l'accord n'est pas fait à Paris, on ne trouvera jamais une situation plus forte. J'ai trouvé la tonalité vraiment très convergente et très positive.
Q - Abdou Hislaman, de Tillabéry - une région du sud-est du Niger frappée de plein fouet par la sécheresse -, est venu suivre cette conférence, il est inquiet de l'évolution de son environnement et il a un message pour vous. Qu'en pensez-vous ?
R - Malheureusement il a raison. J'en parlais ce matin avec le président Issoufou du Niger et cette analyse est juste. Le Niger est particulièrement frappé. Bien évidemment, rien ne justifie le terrorisme, mais s'il y a des populations jeunes qui n'ont aucune perspective liée en particulier, bien sûr, au dérèglement climatique, aux difficultés de trouver un emploi etc., cela favorise le recrutement, sous prétextes religieux, de toute une série de jeunes gens.
Je l'ai dit dans mon discours introductif, la lutte contre le dérèglement climatique, ce n'est pas simplement une question environnementale, c'est une question de nourriture, une question de migration, une question de guerre et de paix et c'est une question de terrorisme aussi.
Q - Ce matin, vous avez notamment parlé du lac Tchad où sévit Boko Haram, cette organisation terroriste qui fait des milliers de morts. Qu'allez-vous faire pour le lac Tchad ?
R - Ce sont les responsables des pays voisins, on pense au Nigéria, au Cameroun et à l'ensemble des voisins qui, depuis déjà longtemps, ont dit que le lac Tchad se rétrécissait de manière absolument spectaculaire. La superficie du Lac était de 25.000 km² et elle n'est plus maintenant, je crois, que de 2.500 km². Du même coup, il y a toute une série de gens qui ne peuvent plus vivre dont les pêcheurs etc.
Il y a donc des projets sur le lac Tchad pour arriver à stopper cette désertification et à redonner une économie plus fleurissante. C'est ce que nous avons regardé ce matin et le problème comme souvent, c'est celui du financement.
Q - Laurent Fabius, le Fonds vert qui a été créé en 2009 lors de la Conférence de Copenhague a présenté le financement de seulement huit programmes début novembre, pour un montant de 168 millions de dollars. C'est assez peu quand même pour créer de la crédibilité ?
R - C'était les premiers projets qu'il finançait, cela ne veut pas dire qu'il n'a, dans son portefeuille, que huit projets. Les dirigeants du Fonds vert ont souhaité, et je pense qu'ils ont eu raison, qu'il y ait des décisions concrètes, il n'y en a que huit, avant même l'ouverture de la COP21. Mais il y a toute une série de projets dans les tuyaux. Actuellement, le Fond vert est doté de 10 milliards de dollars, c'est à la fois beaucoup et peu, parce que vous avez à l'esprit que ce qu'il faudrait arriver à mettre à disposition de l'ensemble des pays du Sud en 2020, c'est 100 milliards de dollars par an entre les financement public, parapublic et privé.
Je reviens sur ce que disait très justement le président du Sénégal, Macky Sall. D'abord, il y a une injustice énorme car les pays d'Afrique n'émettent que très peu de gaz à effet de serre et ce sont les premières victimes du dérèglement climatique. C'est une injustice très grande et si on veut lutter contre cela, il faut à la fois que l'on agisse pour diminuer les augmentations de température, c'est ce que l'on appelle l'atténuation, mais aussi en faveur de l'adaptation au changement climatique, c'est ce que disait Macky Sall dans son propos. C'est-à-dire que l'on permette, par des financements, en particulier aux pays africains, de pouvoir s'adapter aux effets du dérèglement climatique. C'est vrai pour le Niger, pour le lac Tchad, c'est vrai pour toute une série de projets et là encore, l'objectif est le financement.
Q - Justement, il faut que ce soit clair, la France a promis de passer son aide annuelle de 3 à 5 milliards d'ici 2020 mais pour les ONG, ce n'est pas suffisant.
R - Prenons les choses une par une. D'abord, l'adaptation : je vous ai expliqué ce que c'était et c'est vrai qu'aujourd'hui, selon notre estimation, dans les financements d'ensemble, la part réservée à l'adaptation n'est pas suffisante. Il y a une étude récente de l'OCDE qui indique que sur l'ensemble des fonds disponibles, l'adaptation ne représente que 16%.
Q - Et le groupe Afrique veut doubler ce pourcentage.
R - Or, pour un pays qui est soumis au dérèglement climatique, la première urgence est d'avoir des fonds pour s'adapter. Va-t-on parvenir à traiter cela dans le cadre de notre accord général la semaine prochaine ? Je le souhaite. À mon avis, il y aura certainement un accent mis sur l'adaptation, mais pourra-t-on fixer un chiffre ? La question reste ouverte.
Ensuite, la personne interrogée faisait une autre remarque : la France fait un gros effort, je crois que tout le monde le reconnaît mais ce n'est d'abord jamais suffisant et ensuite la France n'est pas seule. Il faudrait que l'ensemble des pays développés fassent un effort du même type.
Q - L'aide publique au développement n'a cessé de baisser de la part de la France depuis 5 ans, n'est-ce pas aussi symptomatique ?
R - Il y a toute une série de discussions là-dessus et vous savez quelles sont les contraintes budgétaires. Mais cette année - j'ai les chiffres sous les yeux -, en ce qui concerne le budget puisque tout cela est voté dans ce cadre, nous avons non seulement essayé de limiter les dégâts, mais aussi de redonner des sommes supplémentaires. Nous considérons non seulement que c'est un devoir de solidarité mais que c'est aussi notre propre intérêt parce que si l'Afrique se développe encore davantage et que son développement est soutenable, bien sûr ce sont les Africains qui vont en profiter et bravo ! Mais nous aussi, l'Europe, parce que nous sommes absolument liés.
Il ne faut donc pas présenter les choses comme : ou bien on aide l'Afrique, ou bien on aide la France, c'est une vision complètement étroite, égoïste et dépassée. Je pense que nos intérêts, en Europe et en Afrique, sont absolument liés.
Q - 183 pays sont venus à la COP21 avec leur contribution pour lutter contre les changements climatiques, quelle est la prochaine phase ? Peut-on envisager par exemple que l'exercice soit renouvelé en 2018 et que l'on demande à nouveau aux pays de refaire leur copie pour qu'il y ait une trajectoire d'actions ?
R - De toutes les manières je milite fortement pour qu'il y ait un réexamen périodique de là où en seront les contributions. Vous savez bien sûr que lorsqu'on additionne ces contributions, on évite une augmentation de la température de 4, 5, ou 6°C qui serait absolument dramatique, mais on n'est pas non plus aux 2°C ou 1,5°C nécessaires.
Q - On serait plutôt autour de 3°C.
R En effet. Et donc si on veut améliorer les choses, il faut que, périodiquement, nous ayons des réexamens et que l'on puisse aller des 3 vers les 2°C ou les 1,5°C. J'espère que nous y parviendrons et pour moi, c'est l'un des points centraux de la négociation.
La deuxième question, à partir de quand le mécanisme jouera-t-il ? Certains disent qu'il faudrait que cela joue dès 2018, et d'autres disent qu'il faut attendre le cycle normal puisque notre conférence prend effet en 2020, et ce serait tous les 5 ans, donc 2025. Vous voyez qu'on en est loin, nous sommes en 2015.
Je pense que si nous parvenons à nous mettre d'accord à la fois sur un mécanisme et en même temps sur la date la plus proche possible de maintenant, nous aurons vraiment fait du bon travail.
(...).
* Lutte contre le terrorisme - Daech - Syrie - Russie - Turquie
(...)
Q - Deux questions d'actualité Laurent Fabius avant que vous ne présidiez la prochaine réunion dans quelques minutes.
Après le drame du 13 novembre à Paris, la France envisage-t-elle des actions communes avec l'armée syrienne contre le groupe État islamique ?
R - Nous n'en sommes pas là. Notre objectif est de lutter contre les terroristes de Daech. Il y a l'armée syrienne libre et il y a aussi des Kurdes qui peuvent évidemment, sur le terrain, agir très fortement. La question est posée : quid de l'armée de Bachar ?
Il n'est absolument pas question d'avoir une coopération avec cette armée, qui est bien sûr syrienne mais qui est dirigée par Bachar, tant qu'il est là. Ultérieurement, je dis bien ultérieurement, si on a un processus.
Q - Mais on avait cru comprendre vendredi dernier que vous évoquiez cette possibilité ?
R - Non et je vous remercie de me poser la question. Je suis extrêmement clair : s'il y a la transition politique, si elle est effective et qu'elle aboutit au départ de Bachar - c'est ce que nous sommes en train de faire dans le processus de Vienne, mais il n'a pas été pour le moment mis en application -, à ce moment-là on aura une armée syrienne qui sera une armée de l'État syrien. Armée sans domination de M. Bachar et dans ce cas-là, elle peut être utilisée par des coordinations. Mais, tant que M. Bachar al-Assad dirige l'armée syrienne, il n'en est pas question. Je suis très clair.
Q - Après la destruction d'un avion russe par les Turcs la semaine dernière, n'est-il pas impossible désormais de bâtir cette grande coalition que vous souhaitez ?
R - Mais il le faut ; alors que l'on l'appelle coalition, coordination, front, on peut discuter des termes.
Q - Cela ne va pas fort en ce moment entre Moscou et Ankara.
R - J'ai cru comprendre qu'il y avait quelques difficultés et je suis modéré, je suis diplomate. Mais en même temps, si vraiment l'objectif - et pour nous c'est l'objectif et ce doit être aussi celui des Russes et des Turcs - est de frapper Daech, il faut, quelles que soient les difficultés, que l'on parvienne à rassembler nos forces.
L'affaire de l'avion qui a été abattu ne simplifie pas les choses mais il faut regarder quel est l'objectif. Pour nous, l'objectif est, d'une part, de neutraliser et d'éradiquer les terroristes et, d'autre part, d'arriver à un processus politique qui permette que la Syrie retrouve son intégrité et sa liberté.
Q - Les deux présidents ont refusé de se parler hier, visiblement c'était très froid.
R - Oui c'est vrai mais espérons qu'après le froid viendra une autre période.
(...).
* Burkina Faso
(...)
Q - On a appris l'élection dès le premier tour au Burkina Faso de Roch Marc Christian Kaboré, un an après la chute de Blaise Compaoré, quelle est votre réaction ?
R - Oui, le résultat est brillant et je saisis votre antenne pour le féliciter très chaleureusement au nom de la France. C'est une élection qui s'est faite au premier tour. L'élection a été d'ailleurs reconnue par son rival et j'espère qu'à partir de là, le Burkina pourra repartir de l'avant, en tout cas, tous mes souhaits au pays et au nouveau président.
Q - Est-ce la page Blaise Compaoré qui se ferme définitivement ?
R - Je pense. On a maintenant un nouveau président parfaitement légitime et bien évidemment, la France qui aime l'Afrique sera à ses côtés.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 décembre 2015