Texte intégral
Messieurs les officiers généraux,
Mon général,
Mesdames et Messieurs les auditeurs,
Le ministre de la Défense, Monsieur Alain Richard, regrette profondément de ne pas être parmi vous pour clôturer cette 51ème session de l'IHEDN.
Il tient à vous exprimer son salut cordial ; il sait quel travail a été le vôtre au cours de cette session. Il y attache une importance réelle : vos réflexions sont précieuses pour le monde de la défense, car vous avez vocation à diffuser cet acquis vers le reste de la société et contribuer à faire connaître et partager les principes de notre politique de sécurité.
Les démocraties, en effet, ne sont pas des régimes portés à faire la guerre. Elles ne la font qu'à contrecur et une fois épuisés tous les recours pacifiques, toutes les négociations, conciliations et transactions dont le principe et la pratique permanente sont au cur de ce régime.
Pourtant, on ne peut transiger perpétuellement avec des forces opposées à la démocratie, au risque de renier les valeurs élémentaires qui la sous-tendent, et de saper ses fondations.
Pour la première fois dans le contexte stratégique actuel, les démocraties ont démontré qu'en dépit de cet attachement à la conciliation et au dialogue, en dépit de leur aversion pour la guerre, en dépit aussi d'un respect scrupuleux de la liberté d'expression à l'intérieur, elles étaient capables de se dresser contre une logique politique autoritaire, contre un mécanisme conduisant inéluctablement à l'exclusion, à l'épuration, à la mort. Elles ont fait la preuve que la détermination pouvait enrayer les tragédies de ce continent.
Les derniers développements diplomatiques de la crise du Kosovo ont démontré que la stratégie choisie - qui, je le rappelle, était la seule alternative militaire réaliste à l'impuissance - n'était pas vouée à l'échec. Il reste à confirmer cette marche vers la paix, mais l'essentiel est acquis.
A l'occasion de cette crise, les Européens ont démontré leur capacité à s'unir pour défendre les valeurs fondamentales auxquelles ils sont attachés. Nous avons fait la preuve de notre capacité à faire vivre la dimension politique de notre action commune, même si celle-ci manque encore d'assurance et de moyens.
La France, quant à elle, a su prendre toute sa part à l'action commune des alliés au Kosovo. Certes, l'heure n'est pas encore venue de dresser un bilan détaillé de tous les aspects de la participation française et européenne à l'action alliée dans les Balkans. Néanmoins, nous pouvons d'ores et déjà tirer les premiers enseignements de la crise militaire du Kosovo, avant de procéder à un exercice d'évaluation systématique qui est bien sûr indispensable et que je m'engage à mener au cours des prochains mois.
Autre enseignement de cette crise, il est apparu clairement que nos opinions démocratiques étaient déçues de ne pas voir s'affirmer davantage l'Europe de la Défense.
Dans le cadre de l'action militaire que nous menons, elles ont relevé à juste titre qu'en dépit d'une participation européenne importante, un déséquilibre persistait entre les moyens mis en uvre par les Européens d'un côté, et leur allié américain de l'autre. Elles ont clairement perçu que la capacité opérationnelle des Européens n'était pas à la mesure de leur unité et de leur détermination politique et diplomatique.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus décevoir leurs attentes ; elles exigent de nous des avancées concrètes et des résultats tangibles. Aujourd'hui, les circonstances me paraissent particulièrement favorables pour la construction de l'Europe de la Défense. C'est une chance historique qui s'offre à nous aujourd'hui de mener à bien un projet auquel nous croyons et pour lequel nous ne ménageons pas nos efforts depuis deux ans.
Cette chance, le Gouvernement ne la laissera pas passer.
Enfin, la crise du Kosovo a démontré une nouvelle fois la capacité de la France à participer au plus haut niveau à une opération militaire menée en commun avec les partenaires de l'Alliance atlantique. Mais là encore, elle a fait apparaître la nécessité d'une clarification et d'un rééquilibrage des relations entre Européens et Américains au sein de l'Alliance.
Sur quels principes, à partir de quelles analyses allons-nous continuer à bâtir l'Europe de la Défense ? Quels en seront les contours probables ?
Avec la création de l'euro, le 1er janvier dernier, certains ont cru que l'Europe allait désormais manquer d'un grand projet mobilisateur, que la construction européenne allait par conséquent perdre de son souffle. Les derniers mois sont venus démentir avec éclat ces prévisions. Outre les nouveaux horizons économiques et sociaux en débat, notamment la lutte contre le chômage et les droits sociaux des Européens, la dynamique communautaire est aujourd'hui remobilisé pour doter l'Union européenne d'une réelle capacité en matière de sécurité et de défense.
Le Conseil européen de Vienne en décembre 1998 a placé la question du renforcement des capacités de l'Union en matière de sécurité au centre de ses priorités.
L'entrée en vigueur en mai dernier du traité d'Amsterdam nous permet d'envisager des avancées institutionnelles d'envergure. Il faut se féliciter de l'affirmation du Conseil comme organe de décision politique. Le cadre institutionnel du deuxième pilier de l'Union apparaît en effet aujourd'hui comme le plus utile pour une coopération intergouvernementale ambitieuse.
Enfin, le sommet de Washington, célébrant les cinquante ans de l'Alliance atlantique, a été l'occasion d'affirmer à nouveau de manière solennelle l'attachement des alliées à l'idée d'une identité européenne de défense.
Mais à mon sens, le tout récent sommet de Cologne constitue le pas en avant décisif que nous attendions. Couplé par les hasards de l'histoire aux premières avancées vers la paix au Kosovo, il marque une étape essentielle pour l'Europe de la Défense.
Je voudrais saluer ici le travail important effectué par nos amis allemands. Ils ont su faire de ce dossier une priorité de leur présidence. Ils ont permis aux chefs d'Etat et de gouvernement de donner l'impulsion décisive pour doter l'Union d'une capacité autonome de défense.
En outre, les évolutions en cours n'auraient pas pu avoir lieu sans l'infléchissement de la position britannique. Je salue donc également l'évolution historique, que l'avenir aura à confirmer, d'un allié par ailleurs si voisin de nous sur le plan militaire. Le sommet de Saint-Malo apparaît, d'ores et déjà, comme le moment de la cristallisation d'idées ambitieuses, comme une référence pour la construction future de l'Europe de la Défense : ne parle-t-on pas ainsi déjà de l' " esprit de Saint-Malo " ?
La construction de l'Europe de la Défense progresse actuellement sur trois fronts : l'adaptation du cadre institutionnel ; l'émergence d'une politique commune de l'armement ; la constitution de forces multinationales autonomes et opérationnelles.
Sur ces trois fronts, la réunion de Cologne a apporté de nouvelles réponses concrètes, dont la pertinence est mise en relief par le premier bilan de la crise du Kosovo.
L'institutionnel, d'abord.
Il nous faut rapprocher du cur des institutions européennes les questions de défense. Cette évolution rompt avec plusieurs décennies pendant lesquelles une séparation étanche demeurait entre les questions de défense et la construction européenne.
Avec la perspective réaffirmée à Cologne de "l'inclusion des fonctions nécessaires de l'UEO", l'Union va se voir dotée de moyens opérationnels significatifs. La réflexion doit encore progresser pour organiser concrètement cette inclusion, et la coopération avec les membres de l'Union européenne non-membres de l'UEO. J'attache beaucoup d'importance à ce projet d'intégration qui sera au cur des préoccupations de la présidence française de l'Union au cours du second semestre 2000.
Nous pourrons ainsi donner corps aux objectifs de la déclaration de Saint-Malo : permettre à l'Union de conduire sous sa direction politique et stratégique des opérations militaires, soit en ayant recours à une chaîne européenne identifiée au sein de l'OTAN, soit en utilisant une chaîne de commandement et des moyens strictement autonomes.
Pour ce dernier cas de figure, le Conseil européen de Cologne vient ainsi d'approuver la création d'un Comité politico-militaire placé sous le contrôle du Conseil des ministres et d'un Etat-major commun.
Prévoir les modalités concrètes de l'articulation entre l'UE et l'OTAN va s'avérer essentiel, car la question du partage des responsabilités ne peut plus être éludée. Il va nous falloir persuader nos amis américains de se montrer ouverts à la création de mécanismes de coordination et de prise de décision efficaces.
Le fonctionnement de l'OTAN reste aujourd'hui marqué par la supériorité de fait des Américains en termes de capacités opérationnelles, et par leur emprise sur les instances de planification et de commandement.
Nous parvenons, malgré tout, à occuper une place originale au sein de l'Alliance. Notre participation pleine et entière au Comité militaire nous permet finalement d'exercer une influence d'autant plus notable que nous avons conservé notre réflexion militaire propre et notre indépendance d'esprit. Cette situation garantit que la voix de la France est entendue par l'Alliance. En outre, nos forces représentent le deuxième contingent national mis à la disposition de l'opération alliée. Cela compte.
Nous avons su apporter notre éclairage spécifique à la phase de planification des opérations et de conception politique de l'intervention de l'Alliance au sein du Conseil Atlantique et du Comité militaire. Ces instances garantissent l'instauration d'un dialogue entre les alliés tout au long des opérations dès lors que la modification de certaines options ou l'amendement des plans sont envisagés. Elles ont permis à l'Alliance de maintenir la cohésion entre ses membres.
Enfin, je ne peux que me réjouir de l'étape qu'a représentée pour nous la mise sur pied de la Force d'extraction. Pour la première fois, la France s'est vue confier la direction d'une force ad hoc de l'OTAN, et donc la planification de sa génération de force et l'organisation de son QG. Nous avons ainsi démontré qu'il était possible d'exercer les plus hautes responsabilités au coeur de l'Alliance, dans une mission de sécurité supposant une confiance totale de nos alliés, sans être membre des structures militaires intégrées.
Notre participation à l'action menée par l'Alliance au Kosovo prouve ainsi notre capacité à assumer, avec nos partenaires européens, davantage de responsabilités.
Le projet d'Europe de la Défense avance donc concrètement. Mais au fur et à mesure qu'il prend corps, penser les modalités réalistes et pratiques d'organisation et de renforcement des capacités européennes apparaît de plus en plus nécessaire.
Le renforcement des capacités européennes nous amène à nous appuyer sur le regroupement de nos forces pour produire ensemble les équipements dont nous aurons besoin demain.
Avec nos partenaires de l'UEO, nous avons tout récemment réaffirmé notre volonté de trouver les moyens d'améliorer l'utilisation de nos ressources budgétaires et de progresser dans l'harmonisation de nos plans d'armement. Le Conseil des ministres de l'UEO de Rome a formé le projet de la création d'une Agence européenne de l'Armement capable d'améliorer la coopération industrielle et la mise en uvre de programmes d'armement communs.
Avec mes collègues, nous avons chargé un groupe de travail d'étudier la possibilité d'instituer des critères de convergence en matière d'effort national pour la défense ; nous pourrions ainsi tenter de coordonner nos efforts financiers, en particulier en matière d'investissement et de recherche.
Cela poursuivrait utilement les initiatives entreprises au sein de l'OCCAR. Créé en franco-allemand, cet organisme conjoint en matière d'armement rassemble également la Grande-Bretagne et l'Italie, et permet de conduire des programmes en coopération afin de favoriser des synergies entre Etats acheteurs européens. Il nous faudra, ensemble, préciser son statut juridique et son rattachement institutionnel, et réfléchir aux possibilité d'élargissement à de nouveraux membres.
Avec nos partenaires allemands, nous avons rappelé à Toulouse notre détermination à mettre en uvre un développement en commun de matériels d'armement.
Lors du même sommet, nous avons souhaité développer de façon concertée les capacités nécessaires à l'autonomie opérationnelle des forces européennes.
Je tiens à souligner que notre participation aux opérations au Kosovo a une nouvelle fois prouvé toute la valeur de nos personnels et de notre matériel.
La conduite des opérations aériennes a fait néanmoins apparaître la nécessité de disposer de capacités de renseignement et d'analyse dans des délais les plus courts possibles. Les Etats-Unis disposent d'un très net avantage en raison de la diversité et de la complémentarité de leurs capteurs. La France s'est dotée de moyens de renseignement et d'analyse qui permettent une appréciation autonome de l'information, mais à un niveau opérationnel limité.
Il apparaît désormais clairement que la maîtrise du renseignement et la capacité d'analyse sont des objectifs qui ne devraient être conçus qu'à travers une dimension européenne ; les acquis de l'UEO sont à cet égard une première pierre sur laquelle bâtir un dispositif efficace.
Sur un autre plan, l'inégale capacité des alliés à mobiliser des forces terrestres opérationnelles vient soutenir notre détermination à nous appuyer sur les organismes multi-nationaux pour optimiser notre engagement collectif.
Le Corps européen, déclaré opérationnel depuis 1995, doit évoluer dans ce contexte pour pouvoir répondre aux exigences nouvelles de projection de la force. Avec nos partenaires, nous nous sommes ainsi prononcés lors du sommet de Cologne pour sa transformation en Corps de réaction rapide européen.
Il devra rechercher une structure plus modulaire permettant l'adaptation à des missions variées et l'adjonction d'éléments d'autres nations, aux côtés des forces françaises, allemandes, belges, espagnoles et luxembourgeoises actuellement mobilisables.
Il faut mentionner enfin que les Euroforces mises sur pieds dans le cadre de l'UEO devront de leur côté acquérir la capacité de participer aux actions militaires de gestion des crises entreprises par l'Union européenne.
Pour conclure, permettez-moi replacer les avancées réelles du projet d'Europe de la Défense dans leur dimension historique et politique.
Renforcer les capacités autonomes d'intervention de l'Union en matière de sécurité et de défense, c'est uvrer pour la stabilité future du Continent.
Etablir un pilier européen crédible dans l'Alliance atlantique, c'est chercher un meilleur équilibre institutionnel entre les alliés. C'est en même temps renforcer la relation euro-atlantique. Dans un monde en mutation, les Etats-Unis ont besoin d'un allié européen fort, capable d'assumer pleinement les responsabilités nouvelles qui lui incombent.
Affermir l'identité européenne sur la scène internationale, c'est enfin permettre l'épanouissement du lien entre l'Union, la Russie et l'Ukraine. Nous voyons aujourd'hui combien il est important d'impliquer nos partenaires à l'Est de l'Europe dans la résolution des crises qui affectent notre voisinage commun.
Nous avons lancé à l'histoire un défi d'un genre nouveau : construire l'union de l'Europe par la libre volonté de ses peuples et progresser sans cesse dans l'accomplissement de nos valeurs communes. Nous sommes en train de relever le défi d'assurer à l'Europe sa sécurité et sa capacité d'uvrer à la paix mondiale.
Mesdames, messieurs les auditeurs,
C'est ce message d'espoir qu'il vous appartient à présent de diffuser dans le corps social. C'est en effet le rôle traditionnel de l'IHEDN que de contribuer à renforcer l'esprit de défense au sein de la nation ; en ce sens, votre mission ne fait que commencer, puisque s'achève aujourd'hui votre formation et que vous quittez cette session avec une connaissance approfondie de notre outil militaire et des principes qui guident notre politique de défense.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juin 1999)
Mon général,
Mesdames et Messieurs les auditeurs,
Le ministre de la Défense, Monsieur Alain Richard, regrette profondément de ne pas être parmi vous pour clôturer cette 51ème session de l'IHEDN.
Il tient à vous exprimer son salut cordial ; il sait quel travail a été le vôtre au cours de cette session. Il y attache une importance réelle : vos réflexions sont précieuses pour le monde de la défense, car vous avez vocation à diffuser cet acquis vers le reste de la société et contribuer à faire connaître et partager les principes de notre politique de sécurité.
Les démocraties, en effet, ne sont pas des régimes portés à faire la guerre. Elles ne la font qu'à contrecur et une fois épuisés tous les recours pacifiques, toutes les négociations, conciliations et transactions dont le principe et la pratique permanente sont au cur de ce régime.
Pourtant, on ne peut transiger perpétuellement avec des forces opposées à la démocratie, au risque de renier les valeurs élémentaires qui la sous-tendent, et de saper ses fondations.
Pour la première fois dans le contexte stratégique actuel, les démocraties ont démontré qu'en dépit de cet attachement à la conciliation et au dialogue, en dépit de leur aversion pour la guerre, en dépit aussi d'un respect scrupuleux de la liberté d'expression à l'intérieur, elles étaient capables de se dresser contre une logique politique autoritaire, contre un mécanisme conduisant inéluctablement à l'exclusion, à l'épuration, à la mort. Elles ont fait la preuve que la détermination pouvait enrayer les tragédies de ce continent.
Les derniers développements diplomatiques de la crise du Kosovo ont démontré que la stratégie choisie - qui, je le rappelle, était la seule alternative militaire réaliste à l'impuissance - n'était pas vouée à l'échec. Il reste à confirmer cette marche vers la paix, mais l'essentiel est acquis.
A l'occasion de cette crise, les Européens ont démontré leur capacité à s'unir pour défendre les valeurs fondamentales auxquelles ils sont attachés. Nous avons fait la preuve de notre capacité à faire vivre la dimension politique de notre action commune, même si celle-ci manque encore d'assurance et de moyens.
La France, quant à elle, a su prendre toute sa part à l'action commune des alliés au Kosovo. Certes, l'heure n'est pas encore venue de dresser un bilan détaillé de tous les aspects de la participation française et européenne à l'action alliée dans les Balkans. Néanmoins, nous pouvons d'ores et déjà tirer les premiers enseignements de la crise militaire du Kosovo, avant de procéder à un exercice d'évaluation systématique qui est bien sûr indispensable et que je m'engage à mener au cours des prochains mois.
Autre enseignement de cette crise, il est apparu clairement que nos opinions démocratiques étaient déçues de ne pas voir s'affirmer davantage l'Europe de la Défense.
Dans le cadre de l'action militaire que nous menons, elles ont relevé à juste titre qu'en dépit d'une participation européenne importante, un déséquilibre persistait entre les moyens mis en uvre par les Européens d'un côté, et leur allié américain de l'autre. Elles ont clairement perçu que la capacité opérationnelle des Européens n'était pas à la mesure de leur unité et de leur détermination politique et diplomatique.
Aujourd'hui, nous ne pouvons plus décevoir leurs attentes ; elles exigent de nous des avancées concrètes et des résultats tangibles. Aujourd'hui, les circonstances me paraissent particulièrement favorables pour la construction de l'Europe de la Défense. C'est une chance historique qui s'offre à nous aujourd'hui de mener à bien un projet auquel nous croyons et pour lequel nous ne ménageons pas nos efforts depuis deux ans.
Cette chance, le Gouvernement ne la laissera pas passer.
Enfin, la crise du Kosovo a démontré une nouvelle fois la capacité de la France à participer au plus haut niveau à une opération militaire menée en commun avec les partenaires de l'Alliance atlantique. Mais là encore, elle a fait apparaître la nécessité d'une clarification et d'un rééquilibrage des relations entre Européens et Américains au sein de l'Alliance.
Sur quels principes, à partir de quelles analyses allons-nous continuer à bâtir l'Europe de la Défense ? Quels en seront les contours probables ?
Avec la création de l'euro, le 1er janvier dernier, certains ont cru que l'Europe allait désormais manquer d'un grand projet mobilisateur, que la construction européenne allait par conséquent perdre de son souffle. Les derniers mois sont venus démentir avec éclat ces prévisions. Outre les nouveaux horizons économiques et sociaux en débat, notamment la lutte contre le chômage et les droits sociaux des Européens, la dynamique communautaire est aujourd'hui remobilisé pour doter l'Union européenne d'une réelle capacité en matière de sécurité et de défense.
Le Conseil européen de Vienne en décembre 1998 a placé la question du renforcement des capacités de l'Union en matière de sécurité au centre de ses priorités.
L'entrée en vigueur en mai dernier du traité d'Amsterdam nous permet d'envisager des avancées institutionnelles d'envergure. Il faut se féliciter de l'affirmation du Conseil comme organe de décision politique. Le cadre institutionnel du deuxième pilier de l'Union apparaît en effet aujourd'hui comme le plus utile pour une coopération intergouvernementale ambitieuse.
Enfin, le sommet de Washington, célébrant les cinquante ans de l'Alliance atlantique, a été l'occasion d'affirmer à nouveau de manière solennelle l'attachement des alliées à l'idée d'une identité européenne de défense.
Mais à mon sens, le tout récent sommet de Cologne constitue le pas en avant décisif que nous attendions. Couplé par les hasards de l'histoire aux premières avancées vers la paix au Kosovo, il marque une étape essentielle pour l'Europe de la Défense.
Je voudrais saluer ici le travail important effectué par nos amis allemands. Ils ont su faire de ce dossier une priorité de leur présidence. Ils ont permis aux chefs d'Etat et de gouvernement de donner l'impulsion décisive pour doter l'Union d'une capacité autonome de défense.
En outre, les évolutions en cours n'auraient pas pu avoir lieu sans l'infléchissement de la position britannique. Je salue donc également l'évolution historique, que l'avenir aura à confirmer, d'un allié par ailleurs si voisin de nous sur le plan militaire. Le sommet de Saint-Malo apparaît, d'ores et déjà, comme le moment de la cristallisation d'idées ambitieuses, comme une référence pour la construction future de l'Europe de la Défense : ne parle-t-on pas ainsi déjà de l' " esprit de Saint-Malo " ?
La construction de l'Europe de la Défense progresse actuellement sur trois fronts : l'adaptation du cadre institutionnel ; l'émergence d'une politique commune de l'armement ; la constitution de forces multinationales autonomes et opérationnelles.
Sur ces trois fronts, la réunion de Cologne a apporté de nouvelles réponses concrètes, dont la pertinence est mise en relief par le premier bilan de la crise du Kosovo.
L'institutionnel, d'abord.
Il nous faut rapprocher du cur des institutions européennes les questions de défense. Cette évolution rompt avec plusieurs décennies pendant lesquelles une séparation étanche demeurait entre les questions de défense et la construction européenne.
Avec la perspective réaffirmée à Cologne de "l'inclusion des fonctions nécessaires de l'UEO", l'Union va se voir dotée de moyens opérationnels significatifs. La réflexion doit encore progresser pour organiser concrètement cette inclusion, et la coopération avec les membres de l'Union européenne non-membres de l'UEO. J'attache beaucoup d'importance à ce projet d'intégration qui sera au cur des préoccupations de la présidence française de l'Union au cours du second semestre 2000.
Nous pourrons ainsi donner corps aux objectifs de la déclaration de Saint-Malo : permettre à l'Union de conduire sous sa direction politique et stratégique des opérations militaires, soit en ayant recours à une chaîne européenne identifiée au sein de l'OTAN, soit en utilisant une chaîne de commandement et des moyens strictement autonomes.
Pour ce dernier cas de figure, le Conseil européen de Cologne vient ainsi d'approuver la création d'un Comité politico-militaire placé sous le contrôle du Conseil des ministres et d'un Etat-major commun.
Prévoir les modalités concrètes de l'articulation entre l'UE et l'OTAN va s'avérer essentiel, car la question du partage des responsabilités ne peut plus être éludée. Il va nous falloir persuader nos amis américains de se montrer ouverts à la création de mécanismes de coordination et de prise de décision efficaces.
Le fonctionnement de l'OTAN reste aujourd'hui marqué par la supériorité de fait des Américains en termes de capacités opérationnelles, et par leur emprise sur les instances de planification et de commandement.
Nous parvenons, malgré tout, à occuper une place originale au sein de l'Alliance. Notre participation pleine et entière au Comité militaire nous permet finalement d'exercer une influence d'autant plus notable que nous avons conservé notre réflexion militaire propre et notre indépendance d'esprit. Cette situation garantit que la voix de la France est entendue par l'Alliance. En outre, nos forces représentent le deuxième contingent national mis à la disposition de l'opération alliée. Cela compte.
Nous avons su apporter notre éclairage spécifique à la phase de planification des opérations et de conception politique de l'intervention de l'Alliance au sein du Conseil Atlantique et du Comité militaire. Ces instances garantissent l'instauration d'un dialogue entre les alliés tout au long des opérations dès lors que la modification de certaines options ou l'amendement des plans sont envisagés. Elles ont permis à l'Alliance de maintenir la cohésion entre ses membres.
Enfin, je ne peux que me réjouir de l'étape qu'a représentée pour nous la mise sur pied de la Force d'extraction. Pour la première fois, la France s'est vue confier la direction d'une force ad hoc de l'OTAN, et donc la planification de sa génération de force et l'organisation de son QG. Nous avons ainsi démontré qu'il était possible d'exercer les plus hautes responsabilités au coeur de l'Alliance, dans une mission de sécurité supposant une confiance totale de nos alliés, sans être membre des structures militaires intégrées.
Notre participation à l'action menée par l'Alliance au Kosovo prouve ainsi notre capacité à assumer, avec nos partenaires européens, davantage de responsabilités.
Le projet d'Europe de la Défense avance donc concrètement. Mais au fur et à mesure qu'il prend corps, penser les modalités réalistes et pratiques d'organisation et de renforcement des capacités européennes apparaît de plus en plus nécessaire.
Le renforcement des capacités européennes nous amène à nous appuyer sur le regroupement de nos forces pour produire ensemble les équipements dont nous aurons besoin demain.
Avec nos partenaires de l'UEO, nous avons tout récemment réaffirmé notre volonté de trouver les moyens d'améliorer l'utilisation de nos ressources budgétaires et de progresser dans l'harmonisation de nos plans d'armement. Le Conseil des ministres de l'UEO de Rome a formé le projet de la création d'une Agence européenne de l'Armement capable d'améliorer la coopération industrielle et la mise en uvre de programmes d'armement communs.
Avec mes collègues, nous avons chargé un groupe de travail d'étudier la possibilité d'instituer des critères de convergence en matière d'effort national pour la défense ; nous pourrions ainsi tenter de coordonner nos efforts financiers, en particulier en matière d'investissement et de recherche.
Cela poursuivrait utilement les initiatives entreprises au sein de l'OCCAR. Créé en franco-allemand, cet organisme conjoint en matière d'armement rassemble également la Grande-Bretagne et l'Italie, et permet de conduire des programmes en coopération afin de favoriser des synergies entre Etats acheteurs européens. Il nous faudra, ensemble, préciser son statut juridique et son rattachement institutionnel, et réfléchir aux possibilité d'élargissement à de nouveraux membres.
Avec nos partenaires allemands, nous avons rappelé à Toulouse notre détermination à mettre en uvre un développement en commun de matériels d'armement.
Lors du même sommet, nous avons souhaité développer de façon concertée les capacités nécessaires à l'autonomie opérationnelle des forces européennes.
Je tiens à souligner que notre participation aux opérations au Kosovo a une nouvelle fois prouvé toute la valeur de nos personnels et de notre matériel.
La conduite des opérations aériennes a fait néanmoins apparaître la nécessité de disposer de capacités de renseignement et d'analyse dans des délais les plus courts possibles. Les Etats-Unis disposent d'un très net avantage en raison de la diversité et de la complémentarité de leurs capteurs. La France s'est dotée de moyens de renseignement et d'analyse qui permettent une appréciation autonome de l'information, mais à un niveau opérationnel limité.
Il apparaît désormais clairement que la maîtrise du renseignement et la capacité d'analyse sont des objectifs qui ne devraient être conçus qu'à travers une dimension européenne ; les acquis de l'UEO sont à cet égard une première pierre sur laquelle bâtir un dispositif efficace.
Sur un autre plan, l'inégale capacité des alliés à mobiliser des forces terrestres opérationnelles vient soutenir notre détermination à nous appuyer sur les organismes multi-nationaux pour optimiser notre engagement collectif.
Le Corps européen, déclaré opérationnel depuis 1995, doit évoluer dans ce contexte pour pouvoir répondre aux exigences nouvelles de projection de la force. Avec nos partenaires, nous nous sommes ainsi prononcés lors du sommet de Cologne pour sa transformation en Corps de réaction rapide européen.
Il devra rechercher une structure plus modulaire permettant l'adaptation à des missions variées et l'adjonction d'éléments d'autres nations, aux côtés des forces françaises, allemandes, belges, espagnoles et luxembourgeoises actuellement mobilisables.
Il faut mentionner enfin que les Euroforces mises sur pieds dans le cadre de l'UEO devront de leur côté acquérir la capacité de participer aux actions militaires de gestion des crises entreprises par l'Union européenne.
Pour conclure, permettez-moi replacer les avancées réelles du projet d'Europe de la Défense dans leur dimension historique et politique.
Renforcer les capacités autonomes d'intervention de l'Union en matière de sécurité et de défense, c'est uvrer pour la stabilité future du Continent.
Etablir un pilier européen crédible dans l'Alliance atlantique, c'est chercher un meilleur équilibre institutionnel entre les alliés. C'est en même temps renforcer la relation euro-atlantique. Dans un monde en mutation, les Etats-Unis ont besoin d'un allié européen fort, capable d'assumer pleinement les responsabilités nouvelles qui lui incombent.
Affermir l'identité européenne sur la scène internationale, c'est enfin permettre l'épanouissement du lien entre l'Union, la Russie et l'Ukraine. Nous voyons aujourd'hui combien il est important d'impliquer nos partenaires à l'Est de l'Europe dans la résolution des crises qui affectent notre voisinage commun.
Nous avons lancé à l'histoire un défi d'un genre nouveau : construire l'union de l'Europe par la libre volonté de ses peuples et progresser sans cesse dans l'accomplissement de nos valeurs communes. Nous sommes en train de relever le défi d'assurer à l'Europe sa sécurité et sa capacité d'uvrer à la paix mondiale.
Mesdames, messieurs les auditeurs,
C'est ce message d'espoir qu'il vous appartient à présent de diffuser dans le corps social. C'est en effet le rôle traditionnel de l'IHEDN que de contribuer à renforcer l'esprit de défense au sein de la nation ; en ce sens, votre mission ne fait que commencer, puisque s'achève aujourd'hui votre formation et que vous quittez cette session avec une connaissance approfondie de notre outil militaire et des principes qui guident notre politique de défense.
(Source http://www.defense.gouv.fr, le 16 juin 1999)