Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à iTélé le 14 décembre 2015, sur les enseignements du deuxième tour des élections régionales.

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Média : Itélé

Texte intégral

BRUCE TOUSSAINT
Jean-Marie LE GUEN est notre invité, bonjour.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour.
BRUCE TOUSSAINT
Merci d'être avec nous pour cette édition spéciale régionales. Avant de reparler des résultats, une question : on n'a toujours aucune nouvelle de François HOLLANDE, il est toujours là… heu !
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais vous le savez très bien, mais le président de la République n'a pas forcément à s'exprimer à chaud sur des élections qui sont des élections intérieures, qui a dit beaucoup de choses sur l'état de la société française, peut-être on y reviendra, mais qui mérite sans doute un commentaire un peu décalé. Il n'est pas le chef de la majorité…
BRUCE TOUSSAINT
Il n'a rien dit non plus dans l'entre deux tours à part un commentaire en Conseil des ministres, c'est une absence…
JEAN-MARIE LE GUEN
C'était fait exprès.
BRUCE TOUSSAINT
Qui est… qu'on peut remarquer.
JEAN-MARIE LE GUEN
Je pense qu'il a raison de prendre un minimum de distance – et d'ailleurs c'est ce que nous devrions tous faire – pour avoir une véritable analyse de ce qui s'est passé, à la fois ces 15 derniers jours et la séquence d'extrême gravité que nous avons connue depuis un mois. Parce que je pense que quand même, si on veut bien ne pas jouer le zapping mais considérer les choses, il s'est passé des choses considérables et dramatiques le 13 novembre. On a enchaîné sur la réponse en urgence en termes de sécurité ; on a enchaîné ensuite sur les élections régionales qui étaient légitimes, il fallait les maintenir ; au passage l'Exécutif a réalisé cette COP21 et s'est mobilisé avec un résultat extraordinaire…
BRUCE TOUSSAINT
Voilà ! Là, on l'a vu.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais c'est une séquence d'une densité exceptionnelle, maintenons un peu de distance pour…
BRUCE TOUSSAINT
Un peu de distance ou un peu de hauteur, est-ce que c'est ça un peu le message aussi subliminal que le président de la République se place un peu en hauteur…
JEAN-MARIE LE GUEN
…La distance c'est de mesurer, de bien prendre la mesure des événements ; et la hauteur elle est de fait. Le président de la République dans la 5ème République est situé à un niveau qui est un niveau particulier, ce n'est pas un chef de parti.
BRUCE TOUSSAINT
L'une des rares choses que l'on sait sur la soirée de François HOLLANDE, c'est qu'il a passé un coup de fil à Jean-Yves LE DRIAN pour le féliciter de sa victoire en Bretagne. Alors lui, il reste ministre, donc la règle sur le cumul ou le non-cumul, elle n'existe plus quoi !
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez ! Je vais vous dire, je pense que chacun comprend qu'on est dans une situation exceptionnelle, en dehors du fait que Jean-Yves LE DRIAN a eu un score exceptionnel…
BRUCE TOUSSAINT
Oui.
JEAN-MARIE LE GUEN
Puisque dans une triangulaire, il est le seul à passer les 50 %. Mais au-delà de ça, on est dans une situation exceptionnelle et qu'il va falloir penser aussi de façon un peu exceptionnelle.
BRUCE TOUSSAINT
Alors le score de la gauche maintenant, qu'est-ce que vous vous dites ce matin : on a sauvé les meubles ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, je pourrai faire des commentaires effectivement en disant que 5 régions, c'est très au-delà de ce qu'on pouvait espérer dans nos rêves les plus extraordinaire ; que 7 régions dont 3 gagnées avec la gauche ce n'est pas terrible pour Les Républicains ; l'absence totale de gain du Front national c'est grâce à une mobilisation que nous avons mise en marche et qu'avait mise en marche le Premier ministre. Mais je pense que tout ça, les Français l'ont noté, ils n'ont pas besoin de mes commentaires pour le juger. Par contre ce qui est important, c'est de ne rien oublier de toute cette séquence, de ces 15 jours de vote, enfin… un mois de campagne mais 2 semaines de vote. Et puis toute cette séquence hyper grave et dense qui s'est accumulée en ce début d'hiver. Donc mesurons tout cela, il y a vraiment beaucoup de choses à retirer.
CHRISTOPHE BARBIER
Et on voit bien que les Français demandent d'abord de la sécurité, le gouvernement répond avec l'état d'urgence, mais il y a aussi une demande sociale qui est exprimée fortement, notamment à travers le vote de mécontentement FN. Est-ce que vous allez à gauche répondre à cette demande-là, est-ce qu'aujourd'hui par exemple sur le niveau du SMIC, est-ce que demain sur le point d'indice des fonctionnaires, il y aura une réponse de gauche ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Alors première chose, la demande de sécurité elle est là, elle est objective, on a tué, on a massacré des Français. Et ça va continuer à ce qu'il y ait cette réponse sécuritaire, parce que nous ne sommes pas sortis des zones de danger et de risque et nous savons que ça durera des années. C'est un des éléments mais ça ne peut pas être qu'une réponse sécuritaire, ni en termes de sécurité, il faut que nous fassions aussi une reconquête des territoires de la République, je n'irai pas plus loin mais c'est global. Et puis il y a ce qu'on appelle « la question sociale », mais la question sociale si on la traite avec les mêmes problématiques que l'on a traitées il y a un certain nombre d'années, on tournera en rond, pourquoi ? Ça a été décrit il y a déjà plus de 30 ans par des gens de gauche qui avait ce diagnostic, on appelait ça « la préférence française pour le chômage ». La société française est rongée par le chômage, nous appliquons – la droite et la gauche – toutes les politiques classiques pour essayer d'y faire face avec un succès relatif, même si (je l'espère) la situation économique va s'améliorer et donner des résultats. Mais voyez-vous, est-ce que nous allons nous regarder en face et considérer qu'il y a aujourd'hui 1,5 million, 2 millions de Français qui sont ni formés, ni qualifiés, ni insérés dans l'action pour l'emploi. Est-ce que ça, ce n'est pas un chantier qui nécessite que l'on se jette à bras-le-corps sur ce problème, et pas avec des visions idéologiques. Est-ce que nous n'allons pas considérer que donc le social vieille formule ne marche pas, mais que le libéral vieille formule ça ne marche pas du tout. Et donc il faut complètement inventer de nouvelles approches avec des priorités qui soient explicites. Je pense que la priorité pour l'emploi, ce n'est pas prier pour que l'économie… ce n'est pas simplement prier pour que l'économie revienne, ce n'est pas simplement baisser le coût du travail pour que la compétitivité soit là, parce qu'on voit bien qu'on aura toujours et longtemps du mal à employer des gens qui sont…
CHRISTOPHE BARBIER
On fait quoi ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Eh bien ! C'est un certain nombre de mesures… plus que des mesures, sans doute des révolutions intellectuelles qui fassent de la formation de ces Français qui n'ont pas la possibilité de revenir en emploi. Nous avons fait des progrès considérables avec cette majorité, chaque année – rappelez-vous – le système de l'Education nationale sortait 150.000 personnes sans diplôme, sans qualification. Les réformes qui ont été mises en place, à la fois en termes de moyens et en termes d'orientation, vont permettre de diminuer notablement ce nombre, ce flux de rentrants vers l'impasse sociale. Mais au-delà de ça, il faut reprendre le stock… excusez ces mots qui sont compréhensibles et en même temps assez…
CHRISTOPHE BARBIER
Brutaux !
JEAN-MARIE LE GUEN
Brutaux, ce million et demi, 2 millions de personnes qui ne sont pas employables aujourd'hui.
CHRISTOPHE
…Pour eux !
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi, je pense qu'il faut que la France se mobilise à la hauteur de ce qu'elle est capable de faire sur d'autres sujets. Et il faut que l'Europe comprenne que ces questions de compétitivité, celles du capital humain sont des éléments fondamentaux. Mais on ne le fera pas avec les vieilles recettes, plus de dépenses, plus… il faut imaginer… on sait bien qu'il y a des blocages…
BRUCE TOUSSAINT
Jean-Marie LE GUEN, pardon mais vous rejoignez la cohorte de tous ceux qui, depuis hier soir, nous disent… à gauche à droite d'ailleurs, à gauche à droite, au centre : c'est bon, on a compris, plus rien ne sera comme avant. Vous avez cité le mot « révolution », attention ! Parce que plus les promesses augmentent plus le risque augmente aussi d'être sanctionné, vous l'avez vu. Alors aujourd'hui, comment mettre en accord vos paroles et vos actes ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais écoutez ! D'abord cette préférence française dont je parlais, elle n'est pas simplement de quelques gouvernants qui ne voudraient pas bien faire. Ça concerne tout le monde, c'est les patrons qui doivent réfléchir à leur responsabilité sociale, c'est les salariés qui doivent aussi bouger sur leur comportement, ça peut être les chômeurs à qui on doit demander aussi plus de mobilisation, ça nous concerne tous. Nous avons tous des vieilles habitudes d'un monde ancien…
BRUCE TOUSSAINT
Oui, et en premier lieu le gouvernement.
JEAN-MARIE LE GUEN
D'un monde ancien qui ne marche plus.
BRUCE TOUSSAINT
Et en premier lieu le gouvernement Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais bien sûr, mais je parle avec mon coeur et je parle aussi avec ma tête et bien sûr que cet effort, ce n'est pas un effort qu'on réalisera Bruce TOUSSAINT en 15 jours. Les chantiers qui sont devant nous, qu'il s'agisse…
BRUCE TOUSSAINT
Mais là il vous reste 18 mois à peine !
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, mais ce n'est pas ça le sujet. Le sujet c'est la France et les Français, le sujet c'est si on veut faire obstacle au Front national, pas parce que c'est le Front national mais parce que si jamais il était en responsabilité dans ce pays, ça serait un chaos économique et un chaos social et, effectivement comme l'a dit le Premier ministre, avec un risque maximal en termes de tensions internes dans ce pays. Donc nous devons éviter cela comme nous devons essayer de sauver l'Europe. L'Europe ne va pas bien, vous l'avez tous constaté. Donc nous avons un engagement politique à la hauteur de ce que nous avons été capables de faire – Jean-Christophe CAMBADELIS le disait – sur la COP21, il l'a dit et il a raison. Il faut que nous sachions élever notre niveau de jeu et d'ambition, indépendamment même des échéances électorales.
BRUCE TOUSSAINT
Le Front national, vous l'avez cité à l'instant, 6.800.000 voix, c'est considérable, c'est un record, je dis ça sous le contrôle de Frédéric DABI. Vous avez eu chaud quand même, non, pour parler un peu familièrement !
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, la France a eu chaud…
BRUCE TOUSSAINT
Oui, la France a eu chaud, nous avons eu chaud…
JEAN-MARIE LE GUEN
La France a eu chaud, nous ce n'est pas… j'allais dire… d'abord on s'en sort pas mal mais deuxièmement, ce n'est pas le sujet fondamentalement…
BRUCE TOUSSAINT
Oui mais qu'est-ce que vous…
JEAN-MARIE LE GUEN
Le sujet fondamentalement, c'est de dire que cette idéologie de rétrécissement, d'agressivité, tourné vers soi, la division des Français, ça amènerait notre pays dans les catastrophes nationales telles qu'il en a connues dans l'Histoire. Il faut éviter que les Français ne se disent : finalement, il n'y a pas d'autre choix. Donc il faut absolument soulever ce mur de pierres qui nous empêche d'avancer, il faut le bouger, il faut que nos esprits changent, il faut dire que sur la formation, sur l'activité économique la mobilisation des acteurs économiques et sociaux doit être majeure. Sinon effectivement, nous irons vers des désillusions et le mot est faible.
BRUCE TOUSSAINT
Qu'est-ce que vous avez pensé de ce qu'a dit Jean-Christophe CAMBADELIS hier soir, le patron du Parti socialiste qui a dit : il faut que le gouvernement agisse davantage. C'était une injonction d'ailleurs assez inhabituelle de la part du parti de la majorité…
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, ce qui…
BRUCE TOUSSAINT
Vous l'avez bien pris ou…
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi je le prends bien parce que je suis quelqu'un qui regarde avec lucidité la réalité ; et je ne cesse de vous dire qu'il faut que nous bougions. Mais en même temps, ce n'est pas ce qu'a voulu dire Jean-Christophe CAMBADELIS, mais si c'est des vieilles recettes, s'il s'agit de dépenser 3 milliards de plus pour avoir un peu plus de contrats aidés ou pour – comme le disait notre ami Christophe BARBIER – augmenter le SMIC, le point des fonctionnaires, je sais que ce sont des demandes sociales qui sont attendues éventuellement par les Français, mais ce n'est pas la solution du problème de la France ; La solution du problème de la France, c'est de s'attaquer à ces problèmes de formation ; la solution du problème de la France c'est de redonner au travail une valorisation beaucoup plus grande que ce que nous faisons depuis 30 ans ; et surtout d'essayer de faire tomber ce mur qui existe entre la France de ceux qui sont dehors parce qu'ils ne sont pas formés, pas employables et ceux qui sont à l'intérieur de la société qui, d'ailleurs parfois, souffrent évidemment du coût social de cette absence d'insertion de tout le monde dans le travail.
BRUCE TOUSSAINT
Deux questions encore Jean-Marie LE GUEN, alors là plus politiciennes. Hier a été évoqué l'idée d'un changement de nom du PS, alors ça revient régulièrement, qu'est-ce que vous en pensez ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Je pense que les formations politiques doivent évoluer à l'image du discours qu'elles doivent porter. Je pense que nous sommes dans une période de mutation profonde, pour ne pas dire de rupture, et donc voilà. Jean-Christophe CAMBADELIS a été le premier à en parler au Congrès de Poitiers, il avait parlé de cette nouvelle alliance, de cette nouvelle… on voit bien aussi, ne serait-ce qu'avec la civilisation numérique, il y a des nouvelles formes d'action politique. Il faut se mettre à la hauteur de tout ça, c'est ce que proposait Jean-Christophe CAMBADELIS.
BRUCE TOUSSAINT
Attendez ! Pour que ce soit clair, oui, non, pourquoi pas ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi je suis favorable à des évolutions en profondeur. Je crois qu'un certain nombre de formations…
BRUCE TOUSSAINT
Dont le changement de nom ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Telles qu'elles existent aujourd'hui… oui…
BRUCE TOUSSAINT
Dont le changement de nom, non mais ça peut être…
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais c'est la cerise sur un gâteau, d'abord faisons le gâteau, c'est-à-dire essayons de réfléchir à de nouvelles formes d'organisation, d'engagement, de pratique, ouvrons les portes, faisons qu'il y ait plus de Français qui croient à la politique, qui viennent avec nous dans la construction d'une grande force de gauche républicaine. Et à ce moment-là, nous aurons effectivement la possibilité éventuellement de changer de nom, si ça s'avérait nécessaire.
BRUCE TOUSSAINT
Et enfin ! Vous êtes secrétaire d'Etat chargé des Relations avec le Parlement, est-ce que Claude BARTOLONE va rester patron de l'Assemblée ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Je l'espère parce que comme beaucoup de socialistes, je veux le remercier de son engagement dans cette campagne. Sans lui, non seulement nous n'aurions pas fait le score que nous faisons, même si nous n'arrivons pas à l'emporter en Ile-de-France, mais c'est au plan national. Son engagement dans la campagne a été pour nous un élément déterminant, parce que sur l'Ile-de-France il a montré que nous pouvions relever un défi, alors que nous étions évidemment plutôt challengers. Et donc sa capacité, sa crédibilité, son engagement a été pour nous une façon de… et nous n'aurions pas ce score dans la France entière – sans parler de l'Ile-de-France – s'il n'avait pas été candidat. Je le remercie et je souhaite qu'il reste évidemment président de l'Assemblée nationale.
BRUCE TOUSSAINT
Merci beaucoup Jean-Marie LE GUEN, merci d'avoir été notre invité.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 15 décembre 2015