Texte intégral
Monsieur le Président,
Messieurs les Secrétaires Généraux,
Chers Amis,
Permettez-moi tout d'abord de me réjouir de nous retrouver ici, à l'Institut du monde arabe, dont je remercie le président Camille Cabana d'avoir bien voulu nous accueillir. L'"arabofrancophonie" existe, pas seulement du fait de l'inventivité lexicale de notre ami Stélio Farandjis, mais aussi parce qu'elle est une réalité humaine, dans les pays arabes, bien sûr, mais aussi en France et dans d'autres pays francophones du nord, le Canada notamment. Et quel meilleur exemple de cet entrecroisement des cultures, de ce métissage, portés par une volonté politique, que cette belle maison ?
L'Institut avait déjà abrité en février 2001 un colloque du Haut Conseil de la Francophonie sur le même thème, et l'Organisation internationale de la Francophonie y avait organisé l'année précédente - c'était au mois de mai - un séminaire intitulé "Monde arabe, Francophonie, un dialogue des cultures". Boutros Boutros-Ghali vient de vous rappeler une démarche qui s'inscrivait dans la perspective du Sommet de Beyrouth, lequel avait inscrit à son agenda le thème du "dialogue des cultures". Dès lors, il était logique de s'interroger sur les liens présents ou à venir entre la Francophonie et d'autres grandes aires linguistiques, telles l'Hispanophonie, la Lusophonie, l'Arabophonie...
Un agenda international bousculé vient de contraindre les Etats et gouvernements membres à reporter d'une année le Sommet de Beyrouth. Devrions-nous alors déplorer la vanité du travail réalisé ? Je suis convaincu du contraire, parce que les liens qui sont étudiés et analysés dans l'ouvrage qui paraît aujourd'hui s'inscrivent dans le temps long de l'histoire, mais aussi parce qu'il est essentiel de les cultiver dans un contexte qui pourrait laisser croire au prétendu "choc des civilisations".
Je ne crois pas que nous pourrions parler de "lusofrancophonie" ou encore d'"hispanofrancophonie". Tandis que lorsque nous évoquons l'"arabofrancophonie", nous nous référons à une réalité aux racines déjà très anciennes. Plusieurs pays arabes ont fait le choix, dès avant la colonisation, du français comme langue d'ouverture à la modernité : certes, d'autres langues pouvaient jouer le même rôle, l'anglais ou le russe, comme le montre l'exemple des écrivains libanais de "l'exil" au XIXème siècle. Mais avec le français, il y a une aventure singulière qui se traduit souvent par une véritable appropriation : je vois ainsi qu'il y a une littérature arabe et francophone. Dans l'ouvrage qui nous réunit, les contributions de Tahar Bekri, Naïm Kattan et Abdelkébir Khatibi en donnent un intéressant témoignage ; je ne résiste pas au plaisir d'en citer les titres : "écrire en deux langues ou le principe des vases communiquants", "passeur d'un monde à l'autre", "le français comme langue d'amour".
Le résultat, c'est ce statut de "langue seconde" qui est souvent celui du français en pays arabe. Et lorsque ce n'est pas le cas, nous constatons alors, et je ne fais pas de jeu de mots, que le français est en position de "seconde langue étrangère", ceci jusque dans le Golfe. Inversement, il y a aussi une histoire singulière de l'arabe en France : c'est un point important et ce Xème cahier ne manque pas de faire le point sur l'enseignement, la recherche, l'interprétation et la traduction.
Je ne souhaite pas développer ces aspects historiques et linguistiques : les spécialistes le feront mieux que moi. Mais puisque la diversité culturelle et le dialogue des cultures sont à l'agenda de la communauté internationale, il est important pour le ministre en charge de la Coopération et de la Francophonie de dresser brièvement quelques orientations politiques :
- il nous faut tout d'abord concevoir une coopération linguistique partenariale et dénuée de toute exclusive. Trop souvent encore, la diffusion et l'enseignement du français sont vécus par ses acteurs dans une sorte de "guerre des langues". L'objectif, c'est le plurilinguisme, c'est l'enrichissement mutuel des méthodes pédagogiques, et c'est aussi la traduction, parce que celle-ci est le corollaire obligé de la cohabitation des langues. C'est une orientation que la coopération française met d'ores et déjà en oeuvre ;
- le partenariat exige aussi la réciprocité : prétendre vivifier la langue française dans l'un de ses terreaux d'excellence, à savoir le monde arabe, suppose aussi une défense et illustration de la langue arabe en France - comme d'ailleurs dans les autres pays francophones du nord, mais je m'exprime ici au nom du gouvernement français. Les instruments existent, qu'il s'agisse de notre corps professoral (l'agrégation d'arabe existe en France depuis 1905), de notre réseau universitaire et de recherche, de notre contribution au troisième volet du processus de Barcelone. Le point nodal, c'est bien sûr l'enseignement : je sais que mon collègue Jack Lang, qui a lancé un plan ambitieux de développement de l'apprentissage des langues étrangères dès l'école primaire, attache une grande importance à la langue arabe. Et j'ajouterai : une langue arabe qui ne soit pas cantonnée au lien identitaire que souhaitent légitimement entretenir les enfants de l'immigration, mais une langue de culture et de communication universelle ouverte à tous les élèves ;
- la dernière orientation se résume très simplement dans la convivialité : pratiquer la langue, les langues, est un plaisir lié à la communication, à la création, le contraire du repli identitaire qui peut malheureusement conduire à la haine de l'autre. Albert Cohen, dans l'un des morceaux de bravoure de Belle du Seigneur, évoque une "jeune interprète, idiote en quatre langues". Le trait est sans doute exagéré, mais je veux ici en retenir l'idée que la pratique de plusieurs langues ne vaut que par les contenus que l'on veut bien leur donner, par les finalités qu'on leur assigne. La langue n'est pas un pur instrument, auquel cas nous pourrions effectivement céder au mythe de la langue universelle : hier le latin, aujourd'hui l'anglais...
Et notre objectif, c'est bien la compréhension de l'autre, qui peut passer aussi bien par la pratique d'une même langue dans des sociétés très différentes (c'est le propre de la "Francophonie") que par la cohabitation des langues au sein d'une même société (l'"arabofrancophonie" en est un bon exemple).
Cette arabofrancophonie n'est pas un sous-ensemble d'une Francophonie qui est par définition partage et mutualisation. Elle est l'une des multiples facettes d'un dialogue, d'un partenariat Nord/Sud, que l'actualité nous impose plus que jamais d'entretenir et de vivifier.
Puis-je conclure en appelant chacune et chacun de ceux qui se reconnaissent dans cette grande oeuvre qu'est la Francophonie, à être les militants de cette compréhension dont le monde a plus que jamais besoin, à participer à l'oeuvre entreprise pour éviter l'amalgame, le malentendu, la confusion. La Francophonie n'est pas repli, enfermement, elle se veut ouverture, elle se veut compréhension, mouvement. Elle se veut acteur d'un monde qui a plus que jamais besoin du respect de l'autre, besoin de sens et certainement d'abord de sens du partage.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2001)
Messieurs les Secrétaires Généraux,
Chers Amis,
Permettez-moi tout d'abord de me réjouir de nous retrouver ici, à l'Institut du monde arabe, dont je remercie le président Camille Cabana d'avoir bien voulu nous accueillir. L'"arabofrancophonie" existe, pas seulement du fait de l'inventivité lexicale de notre ami Stélio Farandjis, mais aussi parce qu'elle est une réalité humaine, dans les pays arabes, bien sûr, mais aussi en France et dans d'autres pays francophones du nord, le Canada notamment. Et quel meilleur exemple de cet entrecroisement des cultures, de ce métissage, portés par une volonté politique, que cette belle maison ?
L'Institut avait déjà abrité en février 2001 un colloque du Haut Conseil de la Francophonie sur le même thème, et l'Organisation internationale de la Francophonie y avait organisé l'année précédente - c'était au mois de mai - un séminaire intitulé "Monde arabe, Francophonie, un dialogue des cultures". Boutros Boutros-Ghali vient de vous rappeler une démarche qui s'inscrivait dans la perspective du Sommet de Beyrouth, lequel avait inscrit à son agenda le thème du "dialogue des cultures". Dès lors, il était logique de s'interroger sur les liens présents ou à venir entre la Francophonie et d'autres grandes aires linguistiques, telles l'Hispanophonie, la Lusophonie, l'Arabophonie...
Un agenda international bousculé vient de contraindre les Etats et gouvernements membres à reporter d'une année le Sommet de Beyrouth. Devrions-nous alors déplorer la vanité du travail réalisé ? Je suis convaincu du contraire, parce que les liens qui sont étudiés et analysés dans l'ouvrage qui paraît aujourd'hui s'inscrivent dans le temps long de l'histoire, mais aussi parce qu'il est essentiel de les cultiver dans un contexte qui pourrait laisser croire au prétendu "choc des civilisations".
Je ne crois pas que nous pourrions parler de "lusofrancophonie" ou encore d'"hispanofrancophonie". Tandis que lorsque nous évoquons l'"arabofrancophonie", nous nous référons à une réalité aux racines déjà très anciennes. Plusieurs pays arabes ont fait le choix, dès avant la colonisation, du français comme langue d'ouverture à la modernité : certes, d'autres langues pouvaient jouer le même rôle, l'anglais ou le russe, comme le montre l'exemple des écrivains libanais de "l'exil" au XIXème siècle. Mais avec le français, il y a une aventure singulière qui se traduit souvent par une véritable appropriation : je vois ainsi qu'il y a une littérature arabe et francophone. Dans l'ouvrage qui nous réunit, les contributions de Tahar Bekri, Naïm Kattan et Abdelkébir Khatibi en donnent un intéressant témoignage ; je ne résiste pas au plaisir d'en citer les titres : "écrire en deux langues ou le principe des vases communiquants", "passeur d'un monde à l'autre", "le français comme langue d'amour".
Le résultat, c'est ce statut de "langue seconde" qui est souvent celui du français en pays arabe. Et lorsque ce n'est pas le cas, nous constatons alors, et je ne fais pas de jeu de mots, que le français est en position de "seconde langue étrangère", ceci jusque dans le Golfe. Inversement, il y a aussi une histoire singulière de l'arabe en France : c'est un point important et ce Xème cahier ne manque pas de faire le point sur l'enseignement, la recherche, l'interprétation et la traduction.
Je ne souhaite pas développer ces aspects historiques et linguistiques : les spécialistes le feront mieux que moi. Mais puisque la diversité culturelle et le dialogue des cultures sont à l'agenda de la communauté internationale, il est important pour le ministre en charge de la Coopération et de la Francophonie de dresser brièvement quelques orientations politiques :
- il nous faut tout d'abord concevoir une coopération linguistique partenariale et dénuée de toute exclusive. Trop souvent encore, la diffusion et l'enseignement du français sont vécus par ses acteurs dans une sorte de "guerre des langues". L'objectif, c'est le plurilinguisme, c'est l'enrichissement mutuel des méthodes pédagogiques, et c'est aussi la traduction, parce que celle-ci est le corollaire obligé de la cohabitation des langues. C'est une orientation que la coopération française met d'ores et déjà en oeuvre ;
- le partenariat exige aussi la réciprocité : prétendre vivifier la langue française dans l'un de ses terreaux d'excellence, à savoir le monde arabe, suppose aussi une défense et illustration de la langue arabe en France - comme d'ailleurs dans les autres pays francophones du nord, mais je m'exprime ici au nom du gouvernement français. Les instruments existent, qu'il s'agisse de notre corps professoral (l'agrégation d'arabe existe en France depuis 1905), de notre réseau universitaire et de recherche, de notre contribution au troisième volet du processus de Barcelone. Le point nodal, c'est bien sûr l'enseignement : je sais que mon collègue Jack Lang, qui a lancé un plan ambitieux de développement de l'apprentissage des langues étrangères dès l'école primaire, attache une grande importance à la langue arabe. Et j'ajouterai : une langue arabe qui ne soit pas cantonnée au lien identitaire que souhaitent légitimement entretenir les enfants de l'immigration, mais une langue de culture et de communication universelle ouverte à tous les élèves ;
- la dernière orientation se résume très simplement dans la convivialité : pratiquer la langue, les langues, est un plaisir lié à la communication, à la création, le contraire du repli identitaire qui peut malheureusement conduire à la haine de l'autre. Albert Cohen, dans l'un des morceaux de bravoure de Belle du Seigneur, évoque une "jeune interprète, idiote en quatre langues". Le trait est sans doute exagéré, mais je veux ici en retenir l'idée que la pratique de plusieurs langues ne vaut que par les contenus que l'on veut bien leur donner, par les finalités qu'on leur assigne. La langue n'est pas un pur instrument, auquel cas nous pourrions effectivement céder au mythe de la langue universelle : hier le latin, aujourd'hui l'anglais...
Et notre objectif, c'est bien la compréhension de l'autre, qui peut passer aussi bien par la pratique d'une même langue dans des sociétés très différentes (c'est le propre de la "Francophonie") que par la cohabitation des langues au sein d'une même société (l'"arabofrancophonie" en est un bon exemple).
Cette arabofrancophonie n'est pas un sous-ensemble d'une Francophonie qui est par définition partage et mutualisation. Elle est l'une des multiples facettes d'un dialogue, d'un partenariat Nord/Sud, que l'actualité nous impose plus que jamais d'entretenir et de vivifier.
Puis-je conclure en appelant chacune et chacun de ceux qui se reconnaissent dans cette grande oeuvre qu'est la Francophonie, à être les militants de cette compréhension dont le monde a plus que jamais besoin, à participer à l'oeuvre entreprise pour éviter l'amalgame, le malentendu, la confusion. La Francophonie n'est pas repli, enfermement, elle se veut ouverture, elle se veut compréhension, mouvement. Elle se veut acteur d'un monde qui a plus que jamais besoin du respect de l'autre, besoin de sens et certainement d'abord de sens du partage.
Je vous remercie
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2001)