Déclaration commune de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche et Thierry Mandon, secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur et à la recherche, sur la stratégie de l'enseignement supérieur et la recherche, Paris le 17 février 2016.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral


Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat de contrôle sur la politique nationale en matière d'enseignement supérieur.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons dans un second temps à une séquence de questions-réponses.
Je vous rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, c'est un plaisir que de nous retrouver cet après-midi pour ce débat autour de la stratégie nationale pour l'enseignement supérieur.
Je crois que, fondamentalement, quel que soit le banc où nous ayons pris place, une conviction nous anime tous, qui animait autrefois ceux qui, comme Jean Zay, Jean Jaurès ou Jules Ferry, ont défendu l'émancipation par l'école, par l'éducation et par la connaissance.
Cette conviction, Sandrine Doucet l'a bien exprimée : donner à nos concitoyens la possibilité d'accéder au savoir et à la connaissance, c'est donner à notre pays davantage de force et à nos existences davantage de sens.
Oui, l'avenir de la France dépend de son enseignement supérieur et de sa recherche. Ceux-ci déterminent notre capacité à avancer ensemble pour relever les défis qui sont les nôtres. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement en a fait un axe essentiel de sa politique.
Il n'est pas le seul. Partout où l'on tourne le regard, vers les puissances économiques actuelles comme vers les pays émergents, un même phénomène est à l'œuvre : le niveau de qualification s'élève.
La Corée du Sud, avec 59 millions d'habitants, soit à peu près le même nombre qu'en France, compte 40 % d'étudiants de plus que nous, soit 3,3 millions d'étudiants en tout. Ce qui est vrai en Corée du Sud l'est aussi en Chine, aux États-Unis, en Inde ou au Brésil. Ce n'est pas un hasard. C'est un choix.
Ce choix est partagé par le Président de la République. Alors que 43,5 % des jeunes Français accèdent actuellement à un diplôme de l'enseignement supérieur, François Hollande a fixé l'objectif de 60 % d'une classe d'âge dans l'enseignement supérieur.
Aux questions d'aujourd'hui, cet objectif apporte des réponses fortes, qui prennent en compte les exigences du présent, les apports du passé et les perspectives de l'avenir.
Voilà pourquoi il y a au cœur de la stratégie nationale de l'enseignement supérieur, dont nous avons voulu débattre avec vous, un vaste mouvement de démocratisation et d'élévation du niveau des études dans notre pays.
Parce que je crois qu'une certaine confusion règne lorsque l'on évoque la démocratisation, à l'école comme dans l'enseignement supérieur, je veux commencer par être très précise : quand je dis « démocratisation », je ne dis pas « nivellement par le bas ».
Il est d'ailleurs étrange, quand on y pense, que, dans une démocratie comme la nôtre, le mot « démocratisation » provoque des réactions épidermiques. La démocratisation devrait être une ambition partagée par le peuple et par ses élus.
M. Benoist Apparu. Voilà qui ressemble à un procès d'intention…
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. D'autant que, si l'on peut concevoir qu'en partageant un gâteau entre 10 000 personnes au lieu de vingt, on diminue nécessairement la taille de chaque part, je ne vois pas en quoi une telle logique peut s'appliquer au savoir. Avons-nous épuisé nos réserves de connaissances ? Connaissons-nous une pénurie de savoirs ?
Non, justement parce que le savoir est un bien public : tout le monde peut en profiter. Et le fait que l'on en profite n'engendre aucun effet sur la quantité disponible pour les autres, bien au contraire, celle-ci augmente. C'est ce qui fait la richesse de nos bibliothèques, de nos universités et de nos écoles.
Cessons donc d'opposer systématiquement démocratisation et exigence ! Cessons de considérer que la rareté est la condition d'un haut niveau de qualité ! Cessons de chercher, aux problèmes contemporains, des solutions d'un autre temps !
Car j'entends, contre la démocratisation, des voix s'élever, et réclamer la sélection – cela s'est encore produit à l'instant –, comme s'il s'agissait d'un remède miracle.
Sur cette question de la sélection et pour le cycle master, puisque le sujet est d'actualité, revenons à ce qu'a dit le Conseil d'État il y a quelques jours. Celui-ci a été très clair : il a précisé la portée de l'article L. 612-6 du code de l'éducation et a rappelé « qu'en vertu de cet article, l'admission à une formation relevant du deuxième cycle ne peut faire l'objet d'une sélection […] que si cette formation figure sur une liste limitative établie par décret ».
Ce faisant, il a rappelé la lettre de la loi, qui vaut aussi pour le premier cycle. Vous pouvez compter sur moi pour m'assurer que ladite liste sera très limitative. Je le précise en particulier pour répondre à Patrick Hetzel.
Cette liste sera très limitative car la sélection, profondément rétrograde, s'oppose non seulement à la démocratisation et au nécessaire renouvellement de nos élites, mais aussi, frontalement, à ce qui fait la force de l'enseignement supérieur.
Elle s'oppose à une idée qui anime chaque enseignant, à l'école, au collège, au lycée ou dans l'enseignement supérieur. Elle s'oppose à ce qui fonde l'instruction, l'éducation et l'émancipation. Elle s'oppose au progrès.
Tout d'abord, parce que la sélection n'est pas une idée neuve. C'est au contraire une réalité passée, contre laquelle la République s'est toujours battue, car la sélection ne résout rien. Elle masque. Elle abandonne. Elle laisse des millions de jeunes hors de l'enseignement supérieur.
Et à ces jeunes, elle ne propose rien : elle se contente de les exclure, en espérant qu'ils se tiendront tranquilles, et qu'ils accepteront leur sort. Je ne pense pas que l'époque où régnaient l'inégalité et la reproduction sociale soit un modèle viable face aux défis actuels.
Mais, plus fondamentalement encore, la sélection repose sur ce qui est et non sur ce qui pourrait être. Elle ne voit pas de potentiel. Elle ne voit pas de progression possible pour les jeunes en question. Elle fige, au lieu de favoriser une évolution. En donnant à ceux qui ont déjà, elle n'ouvre aucune perspective et ne laisse aucune chance de progresser.
Bien sûr, je n'ignore pas les difficultés rencontrées par l'enseignement supérieur, mais je ne crois pas que nous les surmonterons en revenant à d'anciennes lubies, et les vieilles lunes ne m'intéressent pas : ce sont les solutions pérennes et durables dont la politique doit aujourd'hui s'emparer. Ce sont celles-ci que nous inventons, en nous appuyant sur les ressources qui ont toujours été celles du savoir, de la pensée et de la réflexion.
Il n'y a pas de fatalité : une démocratisation qui concilie une nécessaire ouverture et un haut degré d'exigence est possible. Car ce qui a si souvent empêché d'accorder démocratisation et exigence, ce n'est pas une opposition de nature entre ces deux termes, c'est simplement la méconnaissance des évolutions qu'un tel mouvement entraîne, et qui exigent en effet, de notre part, une politique cohérente.
Le nombre d'étudiants s'élève aujourd'hui à 2,4 millions, soit huit fois plus qu'il y a cinquante ans. Cette augmentation se poursuit d'année en année : il y a en moyenne 30 000 étudiants supplémentaires par an dans l'enseignement supérieur français. Depuis 2013 – il faut s'en réjouir – l'enseignement supérieur public a retrouvé une réelle attractivité, avec plus de 2 % de croissance annuelle, alors que l'enseignement supérieur privé, lui, stagne.
Démocratiser, cela suppose d'aider les étudiants – vous l'avez dit, cher Emeric Bréhier –, de les aider tels qu'ils sont, et d'agir contre les inégalités sociales et économiques. Tel est l'objet du travail que nous avons entrepris sur l'orientation et la meilleure information des collégiens et des lycéens sur l'après-bac.
Aider les étudiants, c'est faire en sorte que le nombre d'étudiants boursiers progresse. De fait, c'est le cas : en trois ans, il s'est accru de 5,4 %, et nous connaissons, cette année, vous l'avez rappelé, un taux de boursiers qui atteint 35 % de l'ensemble des étudiants, ce qui constitue un chiffre inédit. À côté de ces bourses étudiantes, nous avons engagé un ambitieux programme de construction de logements étudiants : au 31 décembre 2015, ce sont 21 000 places supplémentaires qui ont été créées. De fait, offrir à nos étudiants des conditions de vie décentes, c'est tout simplement favoriser leur réussite.
Cette réussite doit, qui plus est, se nourrir d'ambition. C'est la raison pour laquelle nous voulons élargir, en particulier, l'horizon des élèves des milieux les plus modestes, en mettant en place une série de dispositifs que vous avez, les uns et les autres, rappelés. Vous avez parlé des « 10 % meilleurs bacheliers », programme qui permet désormais aux élèves ayant obtenu les meilleurs résultats, dans chaque lycée de France, quel que soit le territoire où il est installé, de pouvoir prétendre au meilleur, aux filières sélectives, dans lesquelles nous leur réservons des places.
Nous pourrions parler aussi des parcours d'excellence, que nous venons de créer, pour faire en sorte que, dès la rentrée prochaine, des élèves des classes de troisième en éducation prioritaire puissent être suivis de la troisième à la terminale au moyen d'un tutorat personnalisé, pour les accompagner jusqu'au terme de leur projet, de leurs réalisations et de leurs ambitions.
Nous pourrions enfin évoquer un autre dispositif que nous avons souhaité mettre en place : l'accès prioritaire des bacheliers professionnels aux STS, et des bacheliers technologiques aux IUT.
Bref, nous œuvrons pour que chaque élève puisse trouver une voie adaptée à son parcours, à ses objectifs et à ses capacités. Nous dessinons ainsi de nouveaux chemins vers la réussite. Nous veillons, ce faisant, à renouveler et à élargir nos élites, car cela aussi, c'est un projet politique. Voilà ce qu'est, à mes yeux, une démocratisation exigeante. Elle produit bien des effets bénéfiques, à commencer par ce simple constat : les diplômés du supérieur ont cinq fois moins de risques d'être au chômage. Dès lors, comment pourrions-nous souhaiter autre chose pour nos jeunes que d'être diplômé du supérieur ?
Cette démocratisation, je le disais, est essentielle pour l'avenir économique de notre pays. Le Forum sur l'avenir de l'emploi, qui s'est tenu à l'OCDE en janvier dernier, nous l'a rappelé : il n'y a pas que les technologies qui évoluent, c'est aussi le cas de l'emploi. Entre 1995 et 2010, en France, les emplois moyennement qualifiés ont baissé de 20 %, tandis que les emplois hautement qualifiés augmentaient de 20 % et que les emplois faiblement qualifiés s'accroissaient de 8 %. Ce phénomène connaît une accélération. Plutôt que de ne voir que les 20 % de baisse, je crois qu'il faut regarder les 20 % de hausse que connaissent les emplois hautement qualifiés, car c'est à ceux-ci que l'enseignement supérieur prépare.
De fait, nous avons fait en sorte de préparer le mieux possible nos étudiants à ces emplois hautement qualifiés, et cela passe notamment, vous l'avez dit, par l'approfondissement et le renforcement de la relation entre l'enseignement supérieur et le monde de l'entreprise. La question de l'alternance dans l'enseignement supérieur a été évoquée par l'un d'entre vous : je réaffirme ici que notre ambition est grande en la matière. Le nombre d'alternants, au sein de notre enseignement supérieur, s'élève actuellement à près de 135 000, soit 25 % de plus qu'il y a dix ans. Notre ambition, j'y insiste, est grande, puisque nous souhaitons porter leur nombre à 150 000 en 2020 et à 200 000 en 2025. Par ailleurs, je rappelle que la loi sur l'enseignement supérieur et la recherche de 2013 a fait de l'alternance, enfin – c'est inédit – une voie de formation à part entière dans l'enseignement supérieur.
Faire en sorte de renforcer cette relation entre l'enseignement supérieur et le monde de l'entreprise, cela passe aussi par des diplômes plus lisibles, plus transparents sur les débouchés, adaptés aux exigences et aux évolutions du monde socio-économique. Vous avez eu l'amabilité de le rappeler, cher Gérard Charasse, c'est ce que nous avons voulu faire avec cette simplification des diplômes introduite par la loi Fioraso.
Renforcer et rapprocher le monde de l'entreprise et l'université, c'est ce que nous faisons avec les campus des métiers et qualifications, qui sont aujourd'hui plus d'une trentaine. Ils regroupent, dans un même pôle, lycées professionnels, centres d'apprentissage, établissements d'enseignement supérieur et laboratoires de recherche, au service d'un secteur professionnel donné, qui fait la vitalité d'un territoire. Ils créent une synergie au service de politiques territoriales de développement économique et social. Ces campus des métiers et qualifications, qui permettent à chacun de trouver sa place et d'être tiré vers le haut, seront encore amenés à se développer.
Rapprocher le monde du travail et l'enseignement supérieur, c'est également l'objectif du statut d'étudiant-entrepreneur que nous avons créé, cher Laurent Degallaix. Il faut avoir conscience que, depuis la rentrée 2014, 654 dossiers de projets d'entreprise ont été déposés par des étudiants auprès des pôles étudiants pour l'innovation, le transfert et l'entrepreneuriat, les PEPITE.
Enfin, ayez à l'esprit que 20 millions d'euros ont été investis, en 2015, dans un plan d'investissement d'avenir dédié à la culture entrepreneuriale chez les jeunes.
Mais nous allons encore plus loin, car nous faisons face à une transformation profonde de notre société. Nous devons construire ensemble, comme l'a dit l'un de vous, une société « apprenante », selon les termes de Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie. Une société apprenante est toujours en apprentissage, en formation, en remise en question de ses savoirs et de ses connaissances. Il n'y a plus, d'un côté, le temps des études et, de l'autre, celui du métier : les deux temps sont liés. La formation doit pouvoir se déployer véritablement tout au long de la vie. Une société apprenante est une société en action, dont les centres de savoir, comme les universités, sont ancrés au cœur des cités, avec des portes toujours ouvertes, qui permettent à tout un chacun, quel que soit son âge, de venir se former ou se reformer. Voilà pourquoi nous voulons résolument développer le rôle de l'université dans la formation continue, et nous lui en donnons les moyens.
Avec cette dynamique que je viens de vous décrire, il ne s'agit pas de préférer la professionnalisation au « savoir pour le savoir ». Je fais ici référence à une inquiétude exprimée par Isabelle Attard. Il existe, en réalité, une véritable complémentarité entre ces deux domaines : l'enseignement supérieur forme tout autant un professionnel qu'un citoyen responsable. Si nos étudiants doivent acquérir les compétences nécessaires à leur insertion professionnelle, il est tout aussi essentiel, en effet, que nos établissements d'enseignement supérieur demeurent ce qu'ils ont toujours été : des lieux de savoir, de culture, de recherche. Un diplôme du supérieur, d'ailleurs, ne garantit pas seulement un savoir-faire : il témoigne aussi d'un savoir-être. Or, nous avons grand besoin, aujourd'hui, des réponses que la littérature, les arts, la sociologie, l'histoire ou les langues peuvent nous apporter. Pour faire avancer notre pays, nous avons besoin de femmes et d'hommes qui sauront opposer aux discours mensongers, des arguments forgés par la connaissance et le savoir, qui ne penseront pas que la lecture d'un livre écrit au XVIIIe siècle ne sert à rien, qui savent qu'entre ce qui est immédiatement utile et ce qui enrichit sur le long terme, il n'y pas à choisir : il faut évidemment mobiliser les deux.
Nous avons besoin de tout cela, car le monde dans lequel nous sommes a lui aussi changé. Un engagement fort a été pris par la France et par les autres pays lors de la COP21. Mais cet accord ne se résume pas à des ajustements techniques. Un mouvement d'ampleur doit l'accompagner, le porter, qui adviendra grâce à l'enseignement supérieur et à la recherche. Oui, nous devons repenser notre rapport au monde. Nous devons repenser notre développement, en y ajoutant un adjectif – « durable » –, anodin en apparence, mais qui constitue une véritable révolution. Le progrès doit sortir de la seule logique quantitative, pour mettre enfin l'accent sur le qualitatif. L'enseignement supérieur n'est pas la garantie du plus, c'est la garantie du mieux. Nous formerons ainsi des personnes qui penseront à ces mots trop souvent sacrifiés au profit des chiffres et des courbes, des mots comme « bien-être », comme « humanité », comme « avenir », des mots qui doivent aussi retrouver toute leur place dans l'enseignement supérieur, pour que la réussite académique soit aussi une réussite et un épanouissement personnel.
En France, trop longtemps, le diplôme a masqué la personne. Dans un curriculum vitae, une année non inscrite dans un cursus était vue comme une année perdue. Quant au bénévolat, c'était, au mieux, du temps perdu, au pire, une aberration. Là où certains perçoivent une forme de naïveté dans le fait de s'engager sans être payé, je vois quant à moi, au contraire, une très belle force à développer. Nous avons décidé de lutter contre la méconnaissance dont souffre l'engagement de notre jeunesse. Favoriser l'engagement étudiant, c'est aussi amener davantage d'étudiants à s'engager. Voilà pourquoi nous voulons que tous les établissements d'enseignement supérieur reconnaissent enfin les compétences acquises dans le cadre d'un engagement. Dans le cadre de la mise en œuvre du plan national de vie étudiante, l'engagement des étudiants dans la vie associative et les fonctions électives au sein de leur établissement seront valorisés par l'élaboration d'un statut de l'étudiant responsable associatif et de l'élu étudiant.
Mais l'engagement, cela demande aussi du temps. Dans environ 40 % des pays couverts par l'étude « Eurostudent V 2012-2015 », que vous connaissez, il s'avère qu'au moins 10 % des étudiants ont interrompu leurs études pendant au moins un an entre leur entrée dans l'enseignement supérieur et leur diplôme. Or, cette interruption n'est pas une rupture. Elle est souvent une continuation de leur formation et de leur aventure intellectuelle par d'autres moyens. La circulaire que nous avons prise en juillet 2015 permet désormais aux étudiants qui le souhaitent de réaliser une période d'un an de césure, pendant leur parcours, tout en conservant leur statut d'étudiant et la sécurité juridique qui lui est attachée.
Vous le voyez, il faut cesser de penser en termes de choix exclusif – soit l'un, soit l'autre ; c'est d'ailleurs ce à quoi nous invite la StraNES. Contre la division, remettons en évidence la force du « et », qui est capable d'unir : démocratisation et exigence, professionnalisation et savoir pour le savoir, réussite académique et épanouissement personnel. Tournons-nous vers le passé, non par une fascination nostalgique fantasmée, mais pour y trouver de l'inspiration pour l'avenir. Car, si nous défendons une vision exigeante de l'enseignement supérieur, si nous défendons l'innovation contre le recours aux vieilles recettes de la sélection et de l'inégalité, c'est parce que les enjeux auxquels nous faisons face demandent, en somme, de choisir. Entre quoi et quoi ? Voulons-nous apporter des solutions pérennes, qui favorisent la cohésion de notre société, et qui s'appuient sur une mobilisation au service du bien commun ? Ou entendons-nous continuer à accroître les inégalités économiques et sociales et à danser sur un volcan, en espérant qu'il ne se réveille pas trop tôt ?
Notre héritage, celui de la France, ne nous laisse pas le choix. Il nous faut nous montrer à la hauteur de ce que nous ont légué l'humanisme, les Lumières et la République, qui a placé l'éducation au cœur de son projet. C'est cet héritage qui nous conduit à inscrire cet effort dans un ensemble plus vaste que la seule France, un ensemble européen, international. Non seulement parce que la France, troisième destination mondiale des étudiants, accueille 300 000 étudiants étrangers, issus de tous les continents – il y a de quoi en être fier et vouloir leur faciliter la tâche ; non seulement parce que notre stratégie nationale de recherche s'inscrit aussi dans le cadre d'appels d'offres européens, avec le programme Horizon 2020 ; non seulement parce que nous avons conduit une politique de regroupement de nos universités et de nos écoles pour leur donner une plus grande visibilité internationale, mais parce que, tout simplement, l'Europe, avant d'être une union économique et monétaire, a d'abord été, dès la Renaissance, une Europe des universités. Voilà pourquoi nous voulons, à travers cette StraNES, porter un objectif européen, que nous avons chiffré : il s'agit de consacrer 2 % du PIB européen à l'enseignement supérieur.
De fait, l'enseignement supérieur est, à notre époque, un enjeu majeur. C'est le sens de la politique que nous conduisons. C'est aussi ce que nous défendrons au niveau européen. Telle est la conception générale de notre politique. Je laisse maintenant la parole à M. Thierry Mandon, secrétaire d'État à l'enseignement supérieur et à la recherche. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, à mon tour, à la suite de Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, je souhaiterais vous faire part du plaisir que ce débat me procure, et je tiens à remercier ceux qui ont proposé qu'il se tienne ; il était prévu par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, il a enfin lieu aujourd'hui.
Je veux féliciter et remercier celles et ceux qui ont élaboré la StraNES, un travail collectif d'une très grande ampleur pour lequel se sont associés des étudiants, des enseignants-chercheurs, des présidents d'université, des partenaires sociaux, des représentants des écoles, afin de proposer une stratégie de long terme pour notre enseignement supérieur.
Je me réjouis en outre qu'un tel débat se tienne ici, dans cette assemblée, sous la tapisserie reproduisant l'École d'Athènes, la fresque de Raphaël qui illustre à elle seule les valeurs de l'université que la StraNES prétend nourrir, revitaliser, celles d'une université ouverte sur le monde. Cette représentation réunit des visions différentes, à l'image de celles qu'ont exposées les orateurs des divers bancs de l'hémicycle qui se sont exprimés voilà quelques instants : la vision parfois pessimiste incarnée par Héraclite, que vous reconnaîtrez facilement, isolé, seul et sombre, et la vision de ceux qui croient dans les vertus du rationalisme, de l'empirisme, du progrès, toutes valeurs portées par l'université, et figurées principalement sous les traits d'Aristote et de Platon.
Ce défi que pose la StraNES et auquel nous avons décidé de répondre à l'instigation du Président de la République, qui a demandé que cette stratégie constitue la feuille de route du Gouvernement pour le quinquennat et au-delà, est un défi formidable. Sandrine Doucet rappelait à juste titre que, avant même le lancement de la StraNES, le Gouvernement avait posé des jalons pour une démocratisation exigeante de notre enseignement supérieur et de notre système de recherche. Les avancées accomplies grâce aux assises de l'enseignement supérieur et de la recherche en 2012, puis à la loi Fioraso en 2013 constituent le socle sur lequel nous pouvons bâtir d'autres actions et relever de nouveaux défis : une meilleure orientation des étudiants, la modernisation de la gouvernance des universités, la structuration du paysage de l'enseignement supérieur au travers des regroupements d'établissements, qui sont essentiels tant pour maintenir une très grande diversité sur le territoire que pour améliorer l'efficacité collective de notre système d'enseignement supérieur.
Aujourd'hui, très concrètement, la StraNES nous adresse deux défis formidables : celui de l'innovation, et celui d'une interrogation en profondeur de notre vision de l'État, de son rôle et de la modernisation de ses outils. C'est sur ces deux points que je concentrerai mon propos.
Parce qu'elles sont des lieux de liberté de pensée, parce qu'elles sont des lieux où l'on fertilise l'esprit critique, les universités sont par nature des lieux ouverts à l'innovation.
Aujourd'hui, plusieurs facteurs contraignent les établissements d'enseignement supérieur à innover : les innovations technologiques, avec la généralisation du numérique, qui en est à ses débuts mais qui montera en puissance très rapidement dans les années à venir ; les innovations pédagogiques, avec les nouveaux modes d'apprentissage que permettent de déployer les technologies et les avancées de la recherche en sciences cognitives ; les innovations organisationnelles, avec le mouvement de structuration de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pour remplir les objectifs fixés par la StraNES, démocratiser et mener les étudiants à la réussite, nous devons consacrer de nouvelles énergies à ces innovations.
Il s'agit d'abord de mettre la révolution numérique au service de formations de qualité pour tous, au service, surtout, de l'égalité des chances.
Les étudiants d'aujourd'hui n'apprennent déjà plus comme ceux d'il y a vingt ou quarante ans. Les besoins des étudiants changent, leurs usages aussi. Il suffit d'aller dans une université pour s'en rendre compte. Face à un parterre d'étudiants tous connectés – les amphithéâtres sont remplis d'étudiants qui disposent d'un ordinateur personnel –, le rôle des enseignants, la conception des formations ne peuvent qu'évoluer, et doivent évoluer. Il serait vain d'opposer ces nouveaux usages aux anciens. Il faut au contraire conjuguer la tradition et les nécessités induites par la modernité, mesurer les opportunités que cette nouvelle donne crée.
Nous engageons aujourd'hui un travail systématique et méthodique sur plusieurs opportunités. D'abord, la possibilité de personnaliser davantage les formations et de flexibiliser les parcours est essentielle. La démocratisation s'accompagne en effet de l'hétérogénéisation des publics, ce qui rend nécessaire de personnaliser davantage les enseignements. Face à des étudiants plus nombreux et dont les parcours sont de plus en plus différents, la meilleure prise en compte des besoins de chaque étudiant est un élément essentiel de la réussite de chacun et de celle de notre système d'enseignement supérieur.
Les nouvelles opportunités numériques rendent également possible le développement de formations hybrides associant formation à distance et formation en présentiel, y compris pour les diplômes nationaux. C'est un enjeu essentiel pour la mobilité sociale ; je pense ici en particulier aux étudiants qui travaillent ou à ceux qui, ayant déjà effectué un début de carrière professionnelle, souhaiteraient reprendre leurs études.
Le numérique, c'est encore la facilitation de nouveaux modes de travail plus collaboratifs, en réseau, qui rapprochent et associent les différents types d'acteurs et favorisent l'innovation et l'entrepreneuriat. Nous allons lancer dans les prochains mois, notamment au travers du programme d'investissements d'avenir, une mobilisation d'une puissance sans précédent pour développer ces potentialités offertes par le numérique, qui peuvent nous aider à remplir un certain nombre d'objectifs fixés par la StraNES.
Autre innovation, l'innovation pédagogique ne se réduit pas à la seule dimension numérique. Nous mobilisons désormais pleinement la recherche sur la pédagogie. Nous le faisons au travers du premier institut Carnot de l'éducation, actuellement en expérimentation en Auvergne-Rhône-Alpes. Nous le faisons également au travers des ESPE, les écoles supérieures du professorat et de l'éducation, dont l'activité vient de démarrer mais qui monteront en régime dans les années qui viennent. Ces lieux de formation des enseignants devront à terme marier beaucoup plus qu'aujourd'hui la formation et les avancées en matière de recherche pédagogique.
Nous le faisons aussi au travers d'initiatives visant à mieux diffuser les résultats de la recherche, telles que les premières journées nationales de l'innovation pédagogique dans l'enseignement supérieur organisées les 31 mars et 1er avril 2016 prochains. À cet égard, je tiens à remercier l'administration d'avoir pleinement saisi la nécessité de valoriser ces innovations pédagogiques, d'y travailler et de les scénariser. C'est aussi la raison pour laquelle nous avons créé un prix de l'innovation pédagogique du supérieur, autre moyen pour parvenir à cette fin.
L'innovation ne concerne pas uniquement le numérique et la pédagogie ; elle doit également toucher la structuration de nos établissements d'enseignement supérieur et leurs relations avec les organismes de recherche. Cela a été évoqué voilà quelques instants au cours des interventions des orateurs inscrits, ces dernières années ont été marquées par des transformations d'une grande ampleur, qui ont demandé beaucoup d'énergie aux équipes des universités, des écoles et des organismes. Ces rapprochements, ces nouvelles façons de travailler ensemble sont un des grands atouts pour réussir demain les défis que nous pose la StraNES.
La mutualisation est en effet une évidence : parce que le doctorat a été mutualisé par les universités dans le cadre des COMUE, les communautés d'universités et d'établissements, de plus en plus d'étudiants des écoles poursuivent leurs études jusqu'au doctorat. Émeric Bréhier avait raison de nous interpeller sur la nécessité de faire plus encore pour aider ces docteurs à trouver un emploi, soit dans la recherche – c'est toute la question de l'emploi scientifique –, soit, s'ils le souhaitent, dans les entreprises. Simultanément, on peut observer que les passerelles entre universités et écoles n'ont jamais été aussi nombreuses : la faille séculaire dans notre système d'enseignement supérieur entre les universités d'un côté et les grandes écoles de l'autre est en train d'être comblée. La fusion de grandes écoles avec des universités est même en projet. C'est une révolution silencieuse qui se produit sous nos yeux ; il faut le souligner, il faut s'en satisfaire et l'encourager. Enfin, les organismes de recherche sont devenus désormais inséparables de l'activité des laboratoires qui fonctionnent au sein des universités.
J'ai évoqué l'innovation numérique, l'innovation pédagogique et l'innovation organisationnelle. Je tiens à présent à dire un mot tout particulier sur les acteurs du système : les présidents d'université, les personnels BIATSS – bibliothécaires, ingénieurs, administratifs, techniciens, de service et de santé –, les enseignants-chercheurs, les étudiants qui s'investissent et sans lesquels la puissance des transformations de ces dernières années n'aurait pas pu s'exprimer.
J'en viens au deuxième point de mon propos : à côté des innovations, le changement de paradigme nous oblige à repenser le rôle de l'État.
Nos actions s'inscrivent dans une vision de l'enseignement supérieur où l'État stratège et les établissements, désormais autonomes – il faudra consolider cette autonomie sur un certain nombre de points –, agissent main dans la main. Nous ne pouvons donc plus piloter l'État et notre administration de manière pyramidale en envoyant moult directives, circulaires, consignes qui brident l'action d'acteurs autonomes. Il faut au contraire faire confiance à ces acteurs, leur permettre de développer leurs initiatives tout en les contrôlant a posteriori, bien sûr. Tenir le pari de la confiance nécessite de définir des objectifs très précis qui permettent à ces acteurs de s'inscrire dans le cadre d'une politique qui demeure et doit demeurer une politique nationale.
La ministre et moi-même avons décidé d'engager un chantier absolument majeur en ce sens : la réforme, la modernisation de l'administration du ministère, qui s'appuie sur une réflexion sur l'évolution de ses missions et de ses outils d'intervention. Cette réflexion est collective et pilotée par la DGESIP, la direction générale de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle, que je remercie très chaleureusement. Elle montre que nous devons bâtir une administration capable de piloter un système d'acteurs autonomes, une administration qui s'appuie beaucoup plus qu'auparavant sur la collecte et le traitement des données, sur les ressources que constituent les données, sur le pilotage par objectif, sur la contractualisation, et qui place au cœur de ses procédures la « débureaucratisation » et la simplification.
Le travail que nous faisons sur l'expérimentation est un autre aspect de cette vision nouvelle du rôle de l'État. Mme la ministre évoquait tout à l'heure le soutien que nous avons apporté à douze universités pour montrer qu'il est possible de faire rapidement des progrès considérables en matière de formation professionnelle et de ressources, et d'intensifier ainsi les relations entre les universités et les entreprises.
Les expérimentations se développent dans de très nombreux champs : les horaires d'ouverture des bibliothèques universitaires, l'évaluation en continu, les interfaces à bâtir entre l'université et l'entreprise, l'immobilier universitaire. Il y a certes des retards en matière d'immobilier, et un important effort budgétaire doit encore être fourni, mais nous travaillons à un nouveau modèle d'évolution du patrimoine de nos universités qui nous permettra de répondre à ces défis.
Faire évoluer le rôle de l'État, c'est également se préoccuper davantage des conditions de vie des personnes au quotidien. C'est la raison d'être du chantier de la simplification que nous avons lancé et qui fait l'objet d'une grande consultation nationale. C'est également la visée du plan national de vie étudiante, qui se traduit par des actions très concrètes en matière de bourses, de lieux de vie étudiante, de santé des étudiants, d'encouragement à l'entrepreneuriat, qui sont autant de chantiers extrêmement importants.
En écoutant certaines interventions tout à l'heure, j'ai estimé que justice n'était pas rendue aux acteurs du système de l'enseignement supérieur et de la recherche. Il y a, bien sûr, des difficultés, notamment budgétaires, et Mme Buffet avait raison de les évoquer. Il est très probable que quand la nation décide d'augmenter de plus de dix points son taux de scolarisation dans l'enseignement supérieur, elle s'apprête à donner plus de moyens à son système d'enseignement supérieur. On ne peut pas se fixer l'objectif de 60 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur sur une période de dix ans en laissant le budget inchangé. Je réaffirme que des efforts financiers supplémentaires de l'État sont nécessaires ; d'ailleurs, le Président de la République nous avait demandé de travailler à la déclinaison budgétaire des objectifs de la StraNES, ce que nous en sommes en train de faire.
Il faudra fournir des efforts complémentaires et développer de ressources propres, mais le mouvement de transformation de l'enseignement supérieur, porté par des acteurs autonomes et par des équipes très diverses, qui ne se réduisent pas à une poignée de présidents d'université éclairés, mais qui concerne toute une collectivité, engagée dans un effort sur elle-même pour s'adapter, doit être souligné, doit être valorisé. C'est aussi ce travail-là que Mme la ministre et moi-même avons voulu souligner au travers de ce débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.)
(Mme Sandrine Mazetier remplace Mme Laurence Dumont au fauteuil de la présidence.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions, en commençant par le groupe socialiste, républicain et citoyen. Je rappelle que les questions comme les réponses sont limitées à deux minutes.
La parole est à Mme Maud Olivier.
Mme Maud Olivier. Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, la démocratisation de l'enseignement supérieur a, depuis le début des années quatre-vingt, permis à notre pays d'atteindre le taux de 42 % de jeunes Français poursuivant des études supérieures. Le rapport Aschieri d'octobre 2012 montre ainsi que 43 % des 25-34 ans sont aujourd'hui diplômés du supérieur, contre 18 % des 55-64 ans.
Si nous devons poursuivre nos efforts pour atteindre l'objectif de 65 % d'une classe d'âge diplômée du supérieur en 2025, nous devons également nous interroger sur la nature de ces diplômes. En effet, il semble, d'une part, que l'enseignement supérieur se soit essentiellement démocratisé au niveau de ses premiers cycles, et, d'autre part, que les inégalités aient changé de caractère et concernent désormais la nature des études suivies. Si, en théorie, tout bac donne accès à une formation supérieure, une hiérarchisation s'opère dans les faits entre filières courtes et filières longues et entre grandes écoles et universités.
L'enjeu est aujourd'hui non seulement de poursuivre, bien sûr, la démocratisation de l'enseignement supérieur, mais aussi et surtout de démocratiser l'excellence, quelle que soit l'origine sociale des étudiants ; vous l'avez rappelé, madame la ministre. L'université du vingt et unième siècle doit être celle de la création de véritables pôles d'excellence accessibles à tous. C'est ce qui est fait sur le plateau de Saclay, avec la création du premier centre universitaire de recherche et d'enseignement supérieur d'Europe, l'Université Paris-Saclay, qui rassemble deux universités, dix grandes écoles et sept établissements de recherche.
Il est indispensable que l'université de Paris-Saclay donne l'exemple réussi du rapprochement des universités et des grandes écoles au profit d'une université pleinement intégrée rassemblant ses atouts et dessinant pour l'avenir un nouveau projet d'enseignement et de recherche à la hauteur des moyens que la nation lui a confiés. Mes questions sont donc les suivantes, madame la ministre : quelle vision de la démocratisation de l'enseignement supérieur entendez-vous promouvoir ? Sur quels constats en matière de recherche, de formation et d'enjeux sociétaux pouvons-nous nous appuyer pour élaborer des projets comme celui de l'université Paris-Saclay ? Plus précisément et plus localement, comment pouvez-vous contribuer à résorber les résistances de certaines écoles historiques à partager l'objectif d'une université intégrée ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Vous soulevez la question de la démocratisation véritable de l'enseignement supérieur, madame Olivier, qui ne consiste pas en une simple massification de nos établissements mais en une vraie élévation du niveau de qualification de tous les jeunes concernés. Vous évoquez notamment les relations entre les universités, les grandes écoles et les organismes de recherche. Il est indispensable de poursuivre le mouvement de rapprochement entre ces trois entités. Pendant longtemps, notre système d'enseignement supérieur a été éclaté entre ses composantes. Il ne s'agit pas de perdre la richesse propre à chacun de ces pôles mais de faire en sorte qu'ils travaillent davantage ensemble et mettent en commun ce qu'ils ont de meilleur.
Tel a été l'objectif des COMUE créées par la loi du 22 juillet 2013. Lorsque Thierry Mandon et moi-même nous déplaçons sur le terrain, nous constatons que ces rapprochements ont d'ores et déjà lieu, ce qui va dans le bon sens. Le cas de Saclay que vous évoquez est particulièrement emblématique. Vous soulignez les difficultés et les résistances que nous avons rencontrées. Je n'ai pas l'intention de les minimiser ni de les nier car elles sont bien réelles, mais elles sont peu de chose par rapport à ce qui a été réalisé. C'est sur ce point que j'insisterai. Les établissements de Saclay ont fusionné leurs doctorats en un seul, délivré par la COMUE, ainsi que 80 % de leurs masters. Je me réjouis que de plus en plus de jeunes ingénieurs s'inscrivent à ce doctorat.
De même, on ne peut que saluer la multiplication des passerelles entre les grandes écoles et les universités à Saclay. Quant aux résistances de certaines écoles historiques, j'observe que nous avons réussi à les surmonter. Le projet IDEX a été signé par les dix-huit membres de Saclay sans exception. Ainsi, par-delà les divergences et les débats, qui sont normaux, l'ambition de l'université de Paris-Saclay, qui concentre tout de même 20 % de notre potentiel de recherche, est bien partagée par tous les acteurs. Je tenais à vous rassurer sur ce point.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Premat.
M. Christophe Premat. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, ma question porte sur les innovations pédagogiques dans l'enseignement supérieur. Je vous remercie d'ailleurs d'avoir insisté sur ce point tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'État, en rappelant que la dynamique innovante est consubstantielle à l'histoire de l'université. Votre évocation de Platon et d'Aristote était tout à fait convaincante ! De nombreux rapports institutionnels ont mis en évidence la nécessité d'utiliser les opportunités numériques pour améliorer les conditions de diffusion du savoir à l'université.
En raison du développement des MOOC, formations ou cours en ligne ouverts à tous, les institutions universitaires se sont largement approprié ces nouvelles méthodes pour engager la révolution de la formation continue, comme le montre le cas de la plateforme FUN. Toutefois, le réductionnisme numérique peut rapidement s'avérer être une impasse. On constate dans les pays anglo-saxons une tendance croissante à la généralisation de la pratique de la pédagogie inversée ou flipped classroom. Les étudiants ont ainsi la possibilité de travailler autrement, par exemple chez eux. Ces pratiques ne sont pas les seules et d'autres sont au cœur des innovations pédagogiques actuelles.
Il conviendrait plutôt de favoriser l'hybridation des pratiques pédagogiques afin de mêler les approches de l'éducation formelle et informelle telle que l'entendait un certain Célestin Freinet. Cela suppose de replacer les sciences de l'éducation au centre du développement professionnel des enseignants-chercheurs afin qu'ils mettent en place de nouveaux outils pédagogiques indexés sur la recherche-action. Celle-ci met les savoirs humains en prise directe avec leur objet en vue de dynamiser et anticiper les changements sociaux, comme le montrent les conceptions développées par des chercheurs comme René Barbier. Le processus de Bologne a créé un marché de l'éducation aux diplômes standardisés. Il importe de résister à cette bureaucratisation envahissante et de renouveler l'approche institutionnelle en impliquant les étudiants dans de nouveaux questionnements.
Je me félicite que Mme la ministre ait évoqué, à la suite de notre collègue, la notion de « société apprenante » forgée par Joseph Stiglitz. Tel est exactement l'objectif des sciences sociales : adapter les questionnements aux institutions. Les sciences de la nature et les sciences environnementales sont adaptées à ces pédagogies de recherche-action où l'apprentissage et la recherche sont susceptibles de modifier la perception des présupposés initiaux. Est-il possible, monsieur le secrétaire d'État, dans le cadre d'une stratégie de l'enseignement supérieur français, de mettre davantage l'accent sur le développement spécifique de la recherche-action dans les innovations pédagogiques au lieu de se référer systématiquement aux méthodes de la pédagogie inversée ? Si oui par quels moyens, à quelle échéance et à quel coût ?
Mme la présidente. Je vous rappelle, chers collègues, que le temps de parole pour les questions est de deux minutes, pas davantage.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. J'ajouterai deux compléments à mes propos relatifs à l'innovation pédagogique et numérique. Tout d'abord, je vous confirme, monsieur Premat, que nous comptons placer au cœur du prochain programme d'investissements d'avenir des moyens supplémentaires pour les établissements, universités et grandes écoles, qui s'engageront puissamment en faveur de l'innovation pédagogique et/ou numérique, qui est un sujet absolument majeur. Nous sommes à l'aube d'un bouleversement considérable qui doit beaucoup aux apports de sciences nouvelles, le numérique mais aussi les sciences cognitives et le traitement de masse des données dont le caractère prédictif permet de lutter contre les scolarisations ratées. Nous souhaitons vraiment faire un effort tout particulier sur ce point.
Deuxièmement, il importe de valoriser ce qui est déjà fait quotidiennement dans les universités et les grandes écoles et qui est absolument considérable. Il existe énormément d'initiatives très intéressantes portant sur la réussite en première année de licence, l'orientation, la pédagogie inversée ou encore l'évaluation des enseignements par les étudiants. Il y a là une voie sur laquelle il faut s'engager et que nous avons cherché à mieux valoriser grâce au prix de l'innovation, non seulement pour féliciter les pionniers mais aussi pour organiser les conditions du transfert de ces initiatives dans toute l'organisation de l'enseignement supérieur.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Benoist Apparu.
M. Benoist Apparu. Vous avez longuement évoqué la sélection, madame la ministre. Le sujet divise la France et le mot est tabou dans notre vocabulaire politique. Il ne s'agit pas selon moi de savoir si on doit ou non sélectionner. Le système français est probablement l'un des plus sélectifs qui soient. En effet, 54 % des étudiants français sont sélectionnés à l'entrée et les autres le sont en cours ou en fin d'année lors du passage d'une année à l'autre. Il s'agit de savoir si la sélection telle qu'elle est organisée en France fonctionne bien ou pas. L'actualité du moment m'amène à évoquer la sélection entre le master 1 et le master 2. En effet, il me semble que vous devez publier très bientôt un décret fixant la liste des diplômes que vous autorisez à sélectionner les étudiants entre le M1 et le M2.
Ne faudrait-il pas profiter de cette occasion pour essayer de mieux accorder le système français et les standards internationaux ? Nous avons engagé le processus de Bologne également appelé LMD ou 3-5-8. Il faudrait organiser un système français cohérent avec le système européen comportant des niveaux de sortie clairs après trois, cinq ou huit ans d'études. Le système français demeure décalé et présente toujours des sorties après deux, trois, quatre, cinq et huit ans. Ne faut-il pas profiter de l'occasion pour clarifier les choses en plaçant la sélection à l'entrée après trois ans d'études, c'est-à-dire entre la licence et le master ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Je ne reprendrai pas les propos qu'a tenus tout à l'heure Mme la ministre sur la méthode et le calendrier. Le nouveau décret sera publié au mois d'avril et la méthode consiste à associer les présidents d'université à son élaboration. Je réponds ainsi indirectement à M. Hetzel qui a évoqué tout à l'heure l'identification des formations déjà existantes. L'objet de ce décret est de faire ni plus ni moins. Quant à votre question, monsieur Apparu, s'il s'agit de mettre en place une sélection généralisée à l'entrée du master, cette option ne nous semble pas souhaitable au regard des objectifs que la nation doit se fixer en matière de qualification de ses jeunes.
S'il s'agit d'instaurer un moment de réflexion après la licence et avant le passage en master des étudiants en leur donnant des outils, un peu comme cela se fait après le bac lorsqu'ils entrent en première année de licence, nous y sommes favorables. En effet, il s'agit d'un choix dans un parcours étudiant. On ne fait pas mécaniquement une licence puis un master et un doctorat. En termes d'orientation, de projet personnel et de trajectoire dans la vie, cette étape doit être outillée. On peut donc envisager d'assigner aux étudiants, à l'issue de la licence, un travail complémentaire d'information, d'orientation et de conseil. Nous disons non à la sélection mais oui à une orientation en master 1 plus outillée qu'elle ne l'est actuellement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Genevard.
Mme Annie Genevard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, le comité indépendant chargé par le Gouvernement d'établir la stratégie nationale de l'enseignement supérieur a rendu ses travaux en septembre 2015. Ses propositions sont devenues la feuille de route du Gouvernement. On y trouve la réponse à une commande gouvernementale caractérisée en particulier par l'objectif de 60 % de diplômés de l'enseignement supérieur dans une classe d'âge. Ce pourcentage n'est pas encore atteint et la situation est déjà très critique. En effet, la rentrée universitaire a vu un afflux massif d'étudiants dont je rappelle que le nombre a été multiplié par huit en un demi-siècle, soit 2,5 millions d'étudiants actuellement.
Cet afflux pose un certain nombre de problèmes, comme le montre la popularité du site Ma salle de cours va craquer. Il mène aussi à de nombreuses absurdités comme celle qui consiste à priver certaines filières d'étudiants motivés auxquels les études seraient profitables pour des étudiants égarés dans des cursus auxquels ils ne sont pas adaptés ou pour lesquels ils n'ont pas atteint le niveau requis. Dès lors, comment résoudre la quadrature du cercle consistant à élargir l'accès à l'université et accueillir de plus en plus d'étudiants dans de bonnes conditions, de bonnes formations et de bonnes universités où les moyens manquent, surtout après la ponction de 100 millions d'euros sur le fonds de roulement des universités les mieux gérées, et où la sélection est impossible comme vient de le décréter le Conseil d'État et refusée par vous comme vous venez de le rappeler en réponse à la question de notre collègue Benoist Apparu ?
J'espère que vous avez bien entendu ma question, monsieur le secrétaire d'État, car je ne vous l'ai pas transmise avant ce débat. Dans ces conditions, l'objectif de 60 % est-il crédible ? La démocratisation ne peut avoir un sens uniquement quantitatif. Encore faut-il assurer à chaque étudiant des conditions d'obtention de diplômes à la qualité reconnue ! Or l'échec des étudiants en licence progresse régulièrement, comme vous le savez. Le taux d'échec dépasse 70 % après trois ans et 60 % après une année de redoublement. L'échec universitaire est donc un sujet essentiel et je m'étonne qu'il n'ait pas encore été véritablement évoqué dans ce débat. Comment atteindre l'objectif de 60 % ? Quelle est votre stratégie pour lutter contre ce gâchis humain et financier ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la députée, je vous ai écoutée avec la plus grande attention, comme à mon habitude…
Mme Annie Genevard. Je vous en remercie !
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Il ne vous aura pas échappé que passer de 42 % à 60 % d'une classe d'âge diplômée de l'enseignement supérieur, ainsi que nous l'ambitionnons, ne se fait pas du jour au lendemain. Nous pensons atteindre dans dix ans cet objectif, dont je ne doute pas que vous le partagiez.
Il est vrai que nous avons déjà connu une augmentation des effectifs étudiants à l'université. Nous en avons d'ailleurs tiré les conséquences budgétaires : 165 millions d'euros supplémentaires sont venus abonder cette année le budget de la mission interministérielle Recherche et Enseignement – MIRES – pour faire face à cette hausse. Les efforts importants que nous avons consentis en matière d'accompagnement de ces nouveaux étudiants – bourses, logements – devront se poursuivre.
Par ailleurs, les chantiers que nous avons lancés, notamment ceux de l'orientation et de l'Admission Post Bac – APB –,apporteront une partie de la solution au problème de ces jeunes placés dans une filière qu'ils n'ont pas choisie. Pour optimiser leurs chances d'obtenir la filière de leur choix, les lycéens pourront désormais faire des vœux groupés, se verront davantage accompagnés dans leur mobilité géographique, et devront toujours faire figurer une filière non sélective, afin de ne pas se trouver « balancés » là où ils ne le souhaitaient pas. L'information sur les filières, enfin, est importante : on entraîne les étudiants dans le mur si on ne leur explique pas que le taux de réussite dans telle licence est très faible après tel bac.
J'en viens à la question budgétaire. L'augmentation de la diplomation – à 60 % d'une classe d'âge – sera obtenue en partie par la formation continue, qui émarge à d'autres budgets que celui de la MIRES. Il conviendrait donc de prendre en compte ces crédits. Enfin, je souhaite que nous soyons nombreux sur tous les bancs à demander que la part des dépenses européennes consacrées à l'enseignement supérieur et à la recherche atteigne 2 % du PIB : c'est ainsi que nous obtiendrons les moyens qu'exige notre ambition.
Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Degallaix, pour le groupe de l'Union des démocrates et indépendants.
M. Laurent Degallaix. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, alors que nous débattons de la politique nationale en matière d'enseignement supérieur, me vient à l'esprit le mot d'un géographe : « Les Français sont souvent en avance, parfois en retard, mais jamais à la même heure que les autres ». Il est vrai que notre pays a une capacité à innover, à être à la pointe, donc à se démarquer, en étant parfois – souvent – en avance sur son temps.
Dans ma circonscription, et plus particulièrement à Valenciennes, nous avons inauguré il y a quelques mois une serre numérique. Il s'agit d'un complexe unique, dédié à la recherche appliquée, à l'innovation, à la création, mais aussi à l'accueil et au développement d'entreprises pour la création numérique. Il compte notamment un pôle de formation composé de trois écoles d'excellence – Institut supérieur du design, Supinfocom et Supinfogame – connu et reconnu mondialement, avec une antenne en Inde, à Pune, et une autre, très prochainement, au Canada, à Montréal.
Les pôles de formation supérieure, les pépinières de talents comme celle-ci fonctionnent car la dynamique créée entre les écoles d'excellence et les entreprises novatrices est évidente. Les intérêts sont multiples, y compris pour les territoires concernés. À Valenciennes, la Serre numérique prend place dans un projet de grande ampleur, qui vise à assurer la reconversion et l'attractivité d'un territoire riche de talents et de potentiels, mais que l'arrêt progressif des activités minières et industrielles a abandonné au chômage et qu'il faut réinventer.
Je souhaite savoir si des mesures pour encourager ou accompagner la création de pôles de formation d'excellence, notamment tournés vers les filières innovantes, seront envisagées à l'avenir. Je souhaite également savoir si un effort de décentralisation dans l'enseignement supérieur est prévu, afin de donner sa chance à chaque territoire.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Monsieur le député, vous avez raison de souligner le travail considérable accompli à l'université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis sur le numérique, mais aussi sur les transports. Grâce à la loi de 2013 et aux politiques de sites, à travers les communautés d'universités et établissements – COMUE –, nous cherchons à consolider des regroupements territoriaux marqués par la diversité, la qualité, voire l'excellence des établissements d'enseignement supérieur et des organismes de recherche. Les pôles d'excellence ou de compétitivité entrent dans cette logique.
Dans le Nord, qu'il s'agisse des transports durables – avec i-trans – ou du numérique, les écoles, les établissements de formation, les collectivités territoriales et les entreprises ont su travailler en commun, obtenir un soutien important de l'État et bénéficier de dispositifs institutionnels particuliers, comme l'institut de recherche technologique – IRT – sur les transports.
C'est une politique que nous voulons consolider. Nous ne pensons pas que l'excellence soit liée à la métropolisation du territoire national. L'enseignement supérieur et la recherche français tirent justement leur force de l'implantation territoriale, du maillage fin, de la diversité des savoirs et de la volonté, partagée par les acteurs économiques, les collectivités territoriales, les écoles et les organismes de recherche, d'utiliser ces potentialités d'excellence. C'est cela que nous voulons. Nous résistons à ceux qui, parfois, nous poussent à créer des pôles d'excellence dans les plus grandes villes et à déserter le reste du territoire. Notre politique est inverse. L'excellence est partout, même si elle demande des efforts d'organisation spécifique : c'est ce à quoi nous avons travaillé, notamment avec la loi de 2013.
Mme la présidente. La parole est à Mme Isabelle Attard, pour le groupe écologiste.
Mme Isabelle Attard. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, je ferai une remarque et poserai trois brèves questions. Contrairement à vous, je ne pense pas que l'université soit intrinsèquement destinée à préparer au monde de l'entreprise. Elle permet la transmission des savoirs, la formation de citoyens éclairés, l'apprentissage de l'esprit critique. C'est après, et seulement après cela, que chacun pourra trouver sa place. L'université n'est pas censée fournir une armada de travailleurs adaptés aux besoins immédiats de l'entreprise. Le monde du travail évolue tellement vite que cela serait totalement contre-productif ! L'année de césure est effectivement la bienvenue pour l'épanouissement des étudiants, une préoccupation qui nous est commune, madame la ministre.
Ma première question porte sur la précarité, que nous devons en priorité nous attacher à résorber dans l'enseignement supérieur et la recherche. J'aimerais vous entendre sur ce sujet que vous n'avez pas évoqué, tout en sachant que le combat pour réduire la précarité est général et ne se cantonne pas, malheureusement, aux seuls domaines de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Monsieur le secrétaire d'État, vous avez parlé, comme Christophe Premat, des possibilités offertes par le numérique. J'y vois la seule façon de parvenir à accueillir tous les étudiants à l'université – notre objectif à tous. Les tirages au sort et les concours se multiplient pour l'accès à de nombreuses filières, et beaucoup de jeunes sont condamnés à changer de voie avant même d'avoir pu commencer leurs études. Monsieur le secrétaire d'État, j'aimerais connaître votre avis sur ce sujet.
Enfin, je ne sais toujours pas comment vous comptez vous attaquer au problème du délabrement des bâtiments. Vous avez évoqué une « réflexion sur le patrimoine des universités » : pourriez-vous nous en dire davantage ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Madame la députée, j'entends vos inquiétudes quant au délabrement des bâtiments. Il existe effectivement des situations difficiles ; nous recherchons actuellement des financements et le moyen que l'immobilier soit dévolu aux universités afin qu'elles puissent plus rapidement résoudre ces questions. Ce dossier progresse ; n'ayez crainte, il aboutira assez rapidement.
Pour autant, il ne faut pas sombrer dans une vision exagérément négative, qui desservirait l'image de l'enseignement supérieur. Un tiers de l'immobilier universitaire date de moins de dix ans, un autre tiers, plus ancien, est aux normes. C'est dans le dernier tiers que se concentrent les difficultés, particulièrement en matière de performance énergétique et d'adaptation des bâtiments aux usages pédagogiques issus de la révolution numérique.
Nous avons d'ores et déjà dégagé des moyens importants, notamment dans le cadre des contrats de plan État-région. L'État, je le rappelle, apporte près de 1 milliard d'euros, orientés presque exclusivement sur les travaux de réhabilitation des bâtiments d'enseignement supérieur. D'autres contributions, venant des régions ou du FEDER, s'y ajoutent. Par ailleurs, des moyens ont été dégagés dans le cadre des plans Campus.
La précarité concerne tout autant les étudiants que les personnels. J'ai détaillé nos actions en faveur des logements et des bourses destinés aux étudiants. Je rappelle que la nouvelle prime pour l'activité, et nous nous sommes beaucoup battus pour cela, concerne aussi les étudiants. Ils seront plusieurs centaines de milliers à en bénéficier. Je pourrais également mentionner l'implantation d'une trentaine de centres universitaires de santé sur le territoire, un objectif que nous sommes sur le point de l'atteindre. Quant au plan « bibliothèques ouvertes », il permet aux étudiants, et notamment à ceux qui travaillent, de pouvoir étudier le soir ou le week-end.
S'agissant de la précarité des personnels, nous travaillons avec les organisations syndicales à un agenda social. Tous les sujets sont abordés, aucun n'est mis sous le tapis ! Les conclusions seront tirées en septembre ou en octobre. Sur ce point aussi, nous avançons.
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Charasse, pour le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
M. Gérard Charasse. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement est attaché, comme les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, à l'égalité d'accès aux études supérieures. Depuis une quinzaine d'années, les établissements d'enseignement supérieur pratiquent une sélection pour l'inscription des étudiants en première et en deuxième années de master, révélant, par cette pratique, le caractère inabouti de la réforme de l'organisation licence-master-doctorat – LMD.
Après que de nombreux cas ont été portés devant les tribunaux administratifs concernant des étudiants recalés en deuxième année de master, soit au niveau bac +5, le Conseil d'État a statué, le 10 février, sur ce phénomène à la fois admis et répandu. Il a estimé qu'une telle sélection resterait illégale tant qu'une mesure réglementaire ne serait pas prise.
À cette même date, vous avez annoncé, monsieur le secrétaire d'État, que le Gouvernement prendrait dans les prochains jours un décret permettant de sécuriser le fonctionnement actuel du cycle de master, dès la prochaine rentrée universitaire. Ce décret fixera-t-il la liste des formations dans lesquelles l'admission pourra être soumise à conditions, telles que le dossier de l'étudiant ou la capacité d'accueil des enseignants ? Ces précisions sont très attendues du milieu étudiant ; il s'agit aussi de conforter l'autonomie de gestion des établissements d'enseignement supérieur et le cadre national des diplômes.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. Je pense, monsieur le député, que vous avez déjà eu la quasi-totalité des réponses à la question tout à fait légitime que vous posez dans l'intervention de Mme la ministre et dans celles que j'ai faites ensuite. Je veux simplement préciser la méthode et le calendrier.
Nous sommes en phase d'identification des masters 2 dits sélectifs avec l'aide de la CPU afin de nous en tenir à ce qui existe, ni plus ni moins, et de sécuriser juridiquement le cadre de la prochaine rentrée universitaire de septembre, ce qui sera fait en gros d'ici au mois d'avril.
Une réflexion plus générale sur les outils d'orientation se prolongera au-delà de la parution du décret mais, en tout cas, la rentrée 2016 sera sécurisée sur la base des pratiques existantes, certaines d'ailleurs depuis plusieurs années.
Mme la présidente. Pour le groupe de la Gauche démocrate et républicaine, enfin, la parole est à M. André Chassaigne.
M. André Chassaigne. C'est une question que je pose pour M. Gabriel Serville, qui ne peut être présent aujourd'hui.
La stratégie nationale de l'enseignement supérieur s'est fixé des objectifs ambitieux en matière de lutte contre les inégalités, avec une volonté manifeste de diviser par deux l'écart social concernant l'obtention des diplômes, mais qu'en est-il des objectifs en matière d'écart territorial ?
En effet, alors que la France affiche l'un des meilleurs taux parmi les jeunes des pays de l'OCDE, près d'un jeune sur deux sortant d'une formation initiale avec un diplôme de l'enseignement supérieur, ces bons résultats cachent en réalité d'énormes inégalités territoriales. Une fois n'est pas coutume, ces inégalités se jouent particulièrement au détriment des territoires d'outre-mer, qui, paradoxalement, comptent parmi les régions où l'on trouve les populations les plus jeunes du territoire national.
Ainsi, pour la Guyane, sur les 35 000 jeunes en âge de faire des études supérieures, seuls 2 720 étudiants ont effectué leur rentrée universitaire en septembre dernier.
Le Gouvernement a annoncé un renforcement des parcours d'excellence pour les collégiens des réseaux d'éducation prioritaire, et c'est une très bonne nouvelle puisque, pour l'instant, ces collégiens, qui devraient être au cœur du dispositif, représentent moins de 30 % des bénéficiaires des cordées de la réussite, mais, au-delà de ce dispositif à destination des élèves de troisième, quels sont les objectifs et les mesures envisagés par le Gouvernement pour réduire significativement les inégalités territoriales en matière d'obtention de diplômes ?
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Je vous remercie, monsieur le député, d'avoir posé la question de M. Serville mais je sais que le sujet vous intéresse aussi.
Vous avez tout à fait raison de parler, au-delà de la nécessité de réduire les inégalités sociales, de la nécessité de réduire les inégalités territoriales, d'autant, qu'elles se recoupent souvent évidemment. Nous y sommes attachés et nous le traduisons dans notre politique en veillant toujours à dynamiser le maillage territorial de l'enseignement supérieur. J'insiste vraiment sur ce point parce que c'est pour nous une réflexion constante. Quand nous prenons par exemple des décisions concernant la carte des formations, l'ouverture de classes préparatoires aux grandes écoles, d'ESTS ou d'IUT, nous veillons à ce que l'ensemble du territoire soit bien dynamisé en la matière.
Nous voulons aussi faire une place aux différentes universités dans le nouveau paysage de l'enseignement supérieur et de la recherche. Pendant des années, pour résumer, la politique conduite par la majorité précédente consistait à distinguer dix grands pôles universitaires sur le territoire, au risque d'ailleurs de créer des déserts universitaires ailleurs, alors que la loi de 2013 a fait clairement le choix de réorganiser l'enseignement supérieur et la recherche autour de vingt-cinq regroupements ou COMUE, qui sont partout sur le territoire et dans lesquels chaque établissement trouve sa place, pour pouvoir à la fois affronter la compétition internationale et en même temps soutenir l'équilibre du territoire.
Oui, nous sommes très sensibles à la question que vous soulevez et la création de l'université de Guyane avait précisément pour objectif de permettre aux étudiants de ce territoire d'accéder plus facilement à l'enseignement supérieur.
On répond aux inégalités de base notamment en veillant à ce que, pour l'accompagnement des étudiants par exemple, nous ayons le même niveau de qualité et d'exigence partout sur le territoire.
Ainsi, la caution locative étudiante, ce mécanisme permettant à des étudiants qui n'ont pas trouvé de logement étudiant d'accéder à un logement privé même s'ils n'ont pas de garant suffisant, grâce à la caution de l'État, cela marche du tonnerre, 7 000 étudiants en bénéficient cette année et ce sera exponentiel. Nous avons veillé à ce que cela s'applique aussi aux territoires d'outre-mer pour cette rentrée, ce qui n'était pas le cas dans la version expérimentale.
Quant à tout ce que vous évoquiez, les parcours d'excellence, le dispositif concernant les 10 % des meilleurs bacheliers etc., il faut veiller bien sûr à ce que tous les territoires en bénéficient.
L'université de Guyane sera inaugurée très officiellement le 9 mars prochain par Thierry Mandon. Ce sera une belle occasion de la valoriser.
Je vous remercie tous, c'était un débat de belle qualité. Je crois que nous pouvons dire en sortant de cette séance que nous sommes en tout cas d'accord sur la nécessité pour notre nation de consacrer les moyens nécessaires à un enseignement supérieur et à une recherche qui sont aussi l'une des clés pour l'avenir. (Applaudissements.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 18 février 2016