Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle, en application de l'article 50, alinéa 1, de la Constitution, une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, sur le rapport au Parlement relatif aux conditions d'emploi des forces armées sur le territoire national pour protéger la population.
La parole est à M. le ministre de la défense.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense. Monsieur le président, madame la présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées, mesdames et messieurs les députés, j'ai l'honneur de vous présenter, comme le Gouvernement s'y était engagé au titre de l'article 7 de la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense, un rapport sur les conditions d'emploi des armées lorsqu'elles interviennent sur le territoire national pour protéger la population.
Aujourd'hui, la première opération de nos armées, en nombre de militaires engagés, se déroule sur le territoire national : il y a là un fait majeur qui marque une inflexion forte dans leur positionnement. En raison de la nature de la menace, cette inflexion a, malheureusement, vocation à s'inscrire dans la durée.
L'histoire peut nous aider à penser la singularité du moment que nous vivons : telle est la première démarche de ce rapport. Il faut du reste constater que c'est la première fois, dans l'histoire de la Ve République, qu'un tel débat, portant sur l'intervention des armées sur notre propre territoire, se tient au Parlement.
Depuis la Révolution française, exception faite des missions de sécurité civile, dont l'accomplissement implique régulièrement les armées sur le territoire national, les armées ont été employées sur ce même territoire par les gouvernements successifs dans deux types de missions : d'une part, le maintien de l'ordre, au XIXe siècle en particulier, et d'autre part la défense du territoire au sens strict.
Si la défense du territoire a toujours relevé des armées dans son principe, il n'en a pas été de même pour le maintien de l'ordre : en la matière, l'implication des armées est allée en s'amenuisant, avec l'apparition et le développement de forces spécialisées à cette fin, au fur et à mesure qu'était consolidée la responsabilité spécifique de ces forces.
S'agissant de la défense du territoire, cette fonction des armées a toujours existé, y compris depuis la Seconde guerre mondiale, même si la fin de la Guerre froide, en particulier, a conduit à la disparition du risque d'invasion de notre pays, faisant du même coup tomber en désuétude le concept de défense opérationnelle du territoire qui avait cours lorsque la menace était organisée par les plans militaires de l'ex-Pacte de Varsovie.
Pour autant, tous les Livres blancs sur la défense depuis le premier en 1972 ont souligné avec netteté le rôle des armées, leur mission première dans la défense et dans la protection de notre territoire et de sa population.
Jusqu'au début de l'année 2015, cette fonction de protection s'est traduite, au premier chef, par les missions permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime qui relèvent du Premier ministre ainsi que par une contribution, d'ailleurs relativement modeste en termes d'effectifs, au plan gouvernemental Vigipirate.
C'est cette répartition des missions que l'année 2015 est venue ébranler. L'offensive terroriste sans précédent dont la France a fait l'objet, avec deux séries d'attentats majeurs, a en effet changé la donne.
Les objectifs des terroristes, leurs modes d'entraînement et d'action, comme les niveaux de violence qu'ils sont atteints, ont remis en question les catégories de pensée qui prévalaient jusque-là : devant une menace d'un genre nouveau et d'une virulence inédite pour nos armées, il ne s'agit pas simplement d'apporter un concours supplémentaire, ponctuel, marginal et épisodique aux forces de sécurité intérieure.
Nous sommes bel et bien entrés dans une ère nouvelle, qu'il nous appartient de caractériser. Anticipant des dangers de ce type, les Livres blancs sur la défense et la sécurité nationale de 2008 et de 2013 avaient déjà décrit une continuité possible entre menace extérieure et danger à l'intérieur du territoire, et donc entre défense et sécurité nationale.
Les scénarios les plus exigeants en termes d'organisation des forces, tant en 2008 qu'en 2013, étaient ceux qui sollicitaient nos forces à la fois à l'extérieur et sur le territoire : c'est pourquoi ces documents, approuvés en Conseil de défense, puis traduits en lois de programmation, et enfin en contrats opérationnels assignés aux forces, ont prévu, outre nos dispositions permanentes sur mer et dans les airs, un contrat opérationnel d'engagement de 10 000 soldats.
Il s'agissait de concrétiser, pour les armées, l'éventualité d'une contribution majeure à la sécurité sur le territoire, et cela pour une durée qui n'avait été précisée ni en 2008 ni en 2013. Il était alors envisagé une crise majeure, mais ponctuelle, combinée avec une crise extérieure.
L'enjeu était bien, devant l'affirmation de risques susceptibles de porter atteinte à la vie de la nation, tant à l'extérieur qu'à l'intérieur de nos frontières, d'envisager une réponse cohérente.
En janvier 2015, ce contrat de protection a été activé par le Président de la République, avec la mobilisation et le déploiement, en quelques jours, de 10 000 militaires dans le cadre de l'opération Sentinelle.
Après analyse des premiers retours d'expérience, le Président de la République a décidé, lors d'un Conseil de défense et de sécurité nationale, la rénovation de ce contrat de protection : celle-ci a été actée par la représentation nationale au moment de l'actualisation de la loi de programmation militaire votée en juillet 2015.
Cette loi décrit ce nouveau contrat des armées sur le territoire national, avec une capacité permanente de mobilisation de 7 000 hommes dans la durée, capacité pouvant être portée à 10 000 hommes pour un mois. Ce niveau maximal a été de nouveau atteint après la nuit du 13 au 14 novembre 2015, avec une efficacité remarquable. Depuis lors, nos soldats sont déployés à ce haut niveau aux côtés des forces de sécurité intérieure, elles-mêmes très sollicitées.
S'agissant de l'emploi des armées sur le territoire national, il convient de noter que la France réagit selon des principes et dans des proportions comparables à celles des pays occidentaux confrontés à des situations analogues. Par exemple, le Royaume-Uni envisage un emploi de militaires en appui des forces de sécurité intérieure pour protéger des sites sensibles contre une menace terroriste dans le cadre du plan Temperer, conçu à la suite des attentats de Paris de janvier 2015, et cela à hauteur de 10 000 hommes. Ce dispositif est similaire à celui mis en place en France, même si le point de départ est différent.
Par ailleurs, l'Italie mobilise plus de 6 000 militaires dans des missions de contrôle du territoire national. La Belgique et l'Allemagne ne sont pas en reste, puisqu'elles ont décidé de mobiliser leurs armées, soit pour des opérations de contrôle du territoire, soit pour des opérations de prévention du terrorisme.
M. Jacques Myard. Et les gardes nationales, monsieur le ministre !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Sur cette base, le rapport revient en détail, dans un premier temps, sur la menace telle qu'elle se présente désormais à nous. Cette menace terroriste a évolué, vous le savez, de manière très significative : les groupes terroristes sont désormais véritablement militarisés et quasiment professionnalisés ; ils mènent des actions de type commando à grande échelle, comme l'ont montré les attentats du 13 novembre 2015.
Visant une multitude de cibles potentielles, l'ennemi étant la société dans son ensemble, cette menace est à la fois diffuse et omniprésente : elle agit à l'extérieur comme à l'intérieur de nos frontières, des connexions étant établies entre ces deux espaces.
Susceptible de monter brusquement en intensité, elle ne présente aucune limite dans sa volonté de marquer durablement les esprits par la terreur, et vise explicitement à reproduire sur le territoire national de véritables actions de guerre.
Au-delà de ce que nous avons vécu, soyons pleinement conscients que les scénarios d'attaques sont multiples : aujourd'hui sur terre, demain dans nos eaux sous juridiction nationale ou dans les airs, ils visent des cibles que chacun peut imaginer et qui nécessitent un renforcement très significatif de nos dispositifs.
Cette menace s'exerce également dans les champs immatériels, dont le cyberespace. Cela exige de notre part, en retour, la définition d'une réponse ne négligeant aucun aspect de ces nouvelles formes de guerre.
Devant la militarisation de la menace, les armées professionnelles représentent un ensemble de spécificités qui leur permettent d'apporter une contribution importante, s'intégrant pleinement à une manœuvre de sécurité intérieure profondément renouvelée.
Vous avez pu le noter dans les actes et les déclarations de mon collègue Bernard Cazeneuve, le ministère de l'intérieur a décidé d'apporter des inflexions significatives à l'organisation de ses forces de sécurité.
Pour les armées, je rappelle d'abord que les capacités uniques détenues par l'armée de l'air et la marine en font les intervenants de premier rang dans leur milieu, et cela en permanence, avec des moyens importants.
Dans le domaine terrestre, la première vertu de nos forces est la connaissance qu'elles ont acquise de l'ennemi sur les théâtres extérieurs. Elles mesurent donc, au moins en partie, la menace, même si elles ne se trouvent pas, sur le territoire national, en situation de conflit armé comme à l'extérieur.
Leur équipement en particulier leur armement et leurs moyens de protection ainsi que leur forte visibilité, leur confèrent une vertu à la fois dissuasive et rassurante, qui est complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure.
L'apport des armées s'appuie également sur des capacités éprouvées de planification, qui leur permettent d'intégrer, de combiner et d'harmoniser de nombreuses aptitudes issues des différents milieux terre, air, mer auxquels s'ajoute, évidemment, le milieu cyber.
Par ailleurs, leur mode de fonctionnement et d'organisation centralisé et hiérarchisé, avec notamment la capacité de projeter leurs efforts en pleine autonomie logistique, permet de traduire sans délai une volonté politique forte.
Cette forte réactivité qui doit beaucoup au statut de nos militaires, qui exige d'eux une disponibilité de tous les instants est également facilitée par une chaîne de commandement rigoureuse.
Enfin, les armées se caractérisent par la mise en œuvre de moyens spécialisés rares, comme les moyens de protection et d'intervention en milieu nucléaire, radiologique, biologique et chimique, ou NRBC, ou encore la capacité de chirurgie de guerre, détenue par le service de santé des armées, voire, exceptionnellement, certains moyens des forces spéciales.
L'ensemble de ces spécificités permet à nos armées d'agir en complément des forces de sécurité intérieure. Elles réalisent alors des opérations de plein exercice qui leur sont confiées, après décision du Président de la République, par les autorités en charge de la sécurité intérieure.
Il m'appartient, en tant que ministre de la défense, ainsi qu'aux chefs d'état-major, sur mes instructions, de les y préparer et de veiller à leur mise à disposition pour leurs capacités propres.
C'est bien le nouveau contexte des menaces militarisées, ainsi que la prise en compte de ces spécificités, qui nous a amenés à dépasser la logique d'un engagement terrestre des armées qui aurait été limité à une contribution temporaire - de quelques centaines de soldats - dans le cadre du plan Vigipirate.
L'enjeu est aussi d'optimiser l'action d'une ressource rare, rompue aux combats comme à la gestion de crises en opérations extérieures, pour qu'elle réponde aux mieux aux impératifs posés par l'affirmation de la menace terroriste dans toutes ses dimensions, notamment sur le territoire national. Il nous faut donc, dans cette perspective, nous appuyer sur ses spécificités propres, en très étroite coordination avec les forces de police et de gendarmerie.
La posture de protection du territoire national et de ses approches devient donc plus structurante. Dans le contexte que chacun garde à l'esprit, nous devons repositionner cette fonction, tout en préservant soigneusement l'efficacité de nos capacités dans les deux autres grandes missions de notre stratégie générale de défense et de sécurité nationale que sont la dissuasion nucléaire et l'intervention extérieure.
Je veux donc témoigner devant vous de ce que cette fonction de protection rénovée constitue un engagement à part entière de l'ensemble des armées et des services du ministère de la défense.
Cette fonction se déclinera désormais en quatre postures de milieu, qui sont définies par un ensemble de dispositions prises pour protéger le pays face aux agressions contre son territoire, sa population ou ses intérêts.
Il s'agit d'abord des postures permanentes de sauvegarde maritime et de sûreté aérienne.
La défense maritime du territoire, renforcée et orientée vers la menace terroriste, répond au défi de surveiller 19 000 kilomètres de côtes, dont 5 800 en métropole, ainsi que nos ports d'intérêt prioritaire, cela à travers un dispositif organisé en couches successives, du littoral à la haute mer. Environ 1 400 « sentinelles des mers » y contribuent quotidiennement en métropole, que ce soit avec les sémaphores, les navires ou les avions de surveillance et d'intervention.
La mission de sûreté aérienne deuxième posture a pour objet, quant à elle, de garantir notre souveraineté dans l'espace aérien national, où 11 000 aéronefs transitent quotidiennement, et d'intervenir contre toute menace aérienne.
Près de 1 000 militaires y participent chaque jour, ce qui assure une capacité d'intervention en moins de quinze minutes en tout point de notre espace aérien. Ce délai peut bien entendu être raccourci en fonction des menaces.
À la suite des attentats de 2015, la contribution à la fonction de protection dans son volet terrestre fait l'objet d'une posture entièrement nouvelle. Elle doit permettre aux armées d'apporter leur capacité d'intervention dans le cadre du dispositif global de sécurité intérieure : c'est la posture de protection terrestre.
Cette posture repose sur deux axes : l'optimisation de l'emploi des forces engagées dans le cadre du nouveau contrat de protection, aujourd'hui pour l'opération Sentinelle, mais qui peut revêtir d'autres formes et dénominations ; la réorientation d'une partie de la préparation opérationnelle des forces terrestres au profit de la sécurité intérieure.
À cet égard, je voudrais indiquer à la représentation nationale que ce volet particulier de la préparation opérationnelle des forces terrestres sur le territoire national fera prochainement l'objet d'un exercice commun entre les armées et les forces de la gendarmerie.
Quatrième posture, la posture permanente de cybersécurité s'appuie sur une organisation dédiée et intégrée à la chaîne des opérations, qui lui permet de détecter et d'agir au plus tôt face aux menaces propres à ce milieu qui viseraient les installations et moyens de la défense. Sous l'autorité de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information, l'ANSSI, dépendant du Premier ministre, nos moyens doivent pouvoir aussi appuyer l'action cyber-défensive plus large de l'appareil d'État.
Au-delà de ces quatre postures, la fonction de protection rénovée mobilise deux capacités permanentes.
Il s'agit, d'une part, de la capacité permanente de réponse sanitaire, assurée par le service de santé des armées, capacité qui a été confirmée par la mobilisation exemplaire de ce service au lendemain du 13 novembre. Au-delà de sa participation au service public hospitalier, le ministère de la défense est en mesure, le cas échéant, de mettre ses capacités et compétences sanitaires à la disposition de la Nation : on l'a vu par exemple pour la médecine et chirurgie de guerre lors de certains attentats.
Il s'agit, d'autre part et enfin, de la capacité permanente de soutien pétrolier des armées et des forces de sécurité intérieure, mise en œuvre par le service des essences des armées.
Sur ces bases renouvelées, la fonction globale de protection rénovée, telle que je viens de la définir, voit ses missions organisées autour de six contributions principales : premièrement, la sécurité sur le territoire national et la lutte contre le terrorisme à l'intérieur du territoire, en lien étroit avec la défense hors de nos frontières ; deuxièmement, la contribution à la lutte contre le crime organisé, par exemple contre l'orpaillage illégal dans le cadre de l'opération Harpie, ou contre le narcotrafic par voie maritime ; troisièmement, la défense des intérêts économiques et des accès aux ressources stratégiques ; quatrièmement, la sauvegarde maritime ; cinquièmement, la sûreté aérienne ; sixièmement, la sécurité civile dans le cadre de sinistres et catastrophes de toute nature.
En revanche, en accord avec le ministre de l'intérieur, le Gouvernement a fait le choix d'exclure expressément de cette posture : premièrement, les actions relevant du domaine judiciaire, hors réquisition spécifique de l'autorité judiciaire ; deuxièmement, les opérations de maintien de l'ordre public, telles que le contrôle de manifestations, de foules ou d'émeutes sur la voie publique, en dehors des états d'exception prévus par la Constitution, c'est-à-dire de l'état de siège.
Je veux insister sur le fait que la réalisation de l'ensemble de ces missions n'appelle pas d'évolution de notre cadre juridique, au-delà de la mise en œuvre de ce qu'on a appelé « le périple meurtrier » dans le projet de loi sur la procédure pénale. Il reste que l'emploi des armées sur le territoire national, dans ce nouveau contexte, peut s'effectuer à cadre constitutionnel et législatif constant.
Dans le prolongement de ce que je viens de vous indiquer, ce rapport pose également les grands principes qui doivent encadrer le recours des armées sur le territoire national, pour garantir leur pleine efficacité mais aussi leur juste utilité.
En premier lieu, l'engagement de plusieurs milliers de militaires ou de capacités interarmées d'importance équivalente relève directement du chef de l'État, chef des armées, dans le cadre des conseils de défense et de sécurité nationale, à l'identique des interventions extérieures.
Ce sont par ailleurs les mêmes soldats, marins et aviateurs, qui font face à une même menace, présentant des caractéristiques militaires sur le territoire national comme sur les théâtres d'opérations extérieures.
En réfléchissant à ces enjeux nouveaux, nous avons totalement écarté l'idée de créer des unités militaires spécialisées pour le territoire national. C'est bien une même armée qui se trouve engagée dans l'Adrar des Ifoghas ou dans les rues de nos grandes villes ou sur nos axes de communications sensibles en particulier parce qu'il y a, je le répète, une continuité de la menace et parce que l'action des armées, complémentaire de celle des forces de sécurité intérieure, ne doit pas se confondre avec elle. Il y a là un principe fort que j'ai fixé à nos armées, qui constituent donc un réservoir unique à la disposition du Gouvernement.
M. Pierre Lellouche. C'est absurde !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. L'action militaire sur le territoire national est enfin nécessairement encadrée par une demande du ministre de l'intérieur, localement de l'autorité préfectorale, réquisition qui suit un dialogue que nous souhaitons tous étroit avec l'autorité militaire.
Au niveau déconcentré, l'autorité civile, responsable de la manœuvre, doit être régulièrement informée des modes d'action retenus, comme de la manière dont ses réquisitions sont accomplies.
Au niveau central, l'articulation entre les chaînes de commandement civiles et militaires est réalisée dans une instance commune de la défense.
M. Pierre Lellouche. Cela ne marche pas !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Nous devons aussi nous assurer de la bonne connaissance de l'environnement dans lequel les militaires évoluent, afin de mieux anticiper les risques et menaces auxquels ils sont susceptibles d'être confrontés. Les armées peuvent en outre proposer au ministère de 1'intérieur, en fonction de la nature des missions, des capacités spécifiques de surveillance et d'observation à cette fin. Pour autant, ces informations à but opérationnel ne se confondent pas avec le renseignement à des fins judiciaires, qui ne relève pas des armées, comme je vous l'ai indiqué.
Un an après le déclenchement de Sentinelle, le développement de l'interopérabilité avec les forces de sécurité intérieure et les autres acteurs comme l'adaptation des modes d'action aux évolutions de la menace, doivent donc se poursuivre.
Cette réflexion intègre un volet capacitaire. C'est ainsi que le rapport qui vous a été remis indique que certaines capacités devront être renforcées, pour compléter celles qui sont actuellement mises en œuvre sur le territoire national.
Il s'agit d'une part de capacités dont disposent les armées et qui sont peu ou pas utilisées sur notre territoire. Je pense par exemple aux drones, dont la montée en puissance est inscrite dans la loi de programmation militaire, en particulier les drones tactiques, mais aussi, à terme, les drones MALE, comme le démontre déjà l'emploi des drones Harfang dans les bulles aériennes de protection de certains grands événements. Les réflexions qui sont en cours doivent intégrer la possibilité de les impliquer davantage dans des missions sur le territoire national et ses approches.
En outre, certaines capacités devront être renforcées afin d'optimiser la contribution des armées à la protection du territoire national et de ses approches aéromaritimes. Je pense par exemple au développement des moyens de mobilité terrestre ou au secteur des communications et des transmissions, qui font et feront l'objet d'actions d'urgence afin de parfaire l'interopérabilité entre les armées et les acteurs de la sécurité intérieure.
Enfin, le renforcement de la surveillance de nos approches maritimes en métropole et outremer doit s'accompagner d'un effort sur nos moyens de détection et d'intervention, qu'il s'agisse de radars côtiers, de systèmes de détection à très basse altitude, de protection vis-à-vis de drones ou des patrouilleurs de surveillance.
Comme l'a amplement démontré l'expérience de l'opération Sentinelle, nous devons enfin avoir une attention toute particulière pour les conditions d'exécution.
Je pense en particulier au soutien des hommes et des femmes ainsi engagés. Je suis conscient, ici, des difficultés qui persistent - en matière d'hébergement en particulier.
M. Jacques Myard. C'est le moins qu'on puisse dire !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Vous exagérez !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Je me suis rendu sur place plusieurs fois, et j'ai constaté des progrès, même si les premiers déploiements opérés en urgence au début de l'année 2015 se sont déroulés dans des conditions parfois délicates. Je voudrais rappeler à ceux qui l'auraient oublié qu'en raison de plans de réduction des effectifs antérieurs, il n'y avait plus de garnisons en région parisienne : je n'y peux rien !
Mme Patricia Adam, présidente de la commission de la défense nationale et des forces armées. Absolument !
M. Yves Fromion. On trouve bien des hébergements pour les migrants !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il a donc fallu prendre des mesures, dès le printemps dernier, pour faire face à cette situation inédite. Nous avons ainsi mobilisé tous les lieux d'hébergement possibles du ministère, y compris l'îlot Saint-Germain et le Val-de-Grâce, pour permettre de rapprocher nos militaires déployés de leurs zones d'action. La politique immobilière décidée en ce sens a bénéficié de mesures financières qui ont permis d'améliorer significativement les conditions d'hébergement, en particulier en Île-de-France : si vous vous y rendiez régulièrement, vous pourriez vous en rendre compte.
La condition du personnel engagé dans cette opération mérite également une attention particulière. L'exceptionnelle mobilisation de nos militaires sur le théâtre national, comme d'ailleurs en opérations extérieures, s'est traduite, pour beaucoup, par une absence très importante en 2015.
Conscient du caractère exceptionnel de cette situation, qui se répercute sur la vie de famille de nos soldats, j'ai décidé d'octroyer le bénéfice de l'indemnité pour sujétion spéciale d'alerte opérationnelle au profit des militaires déployés soit dans le cadre de l'opération Sentinelle, soit dans celui du dispositif Cuirasse de protection des sites militaires sensibles. Ces dispositions seront maintenues tant que ce type d'opérations se poursuivra sur le territoire national.
Je l'ai dit en évoquant les principes structurants de l'emploi des armées sur le territoire national, il n'existe qu'une seule et unique armée agissant à l'intérieur comme à l'extérieur de nos frontières. Je rappelle à cet égard que 70 000 militaires ont déjà été engagés dans Sentinelle en 2015, certains jusqu'à six fois, avec une moyenne de plus de 7 500 soldats chaque jour depuis le début de l'opération. L'annulation par le Président de la République de 18 750 déflations, décision retracée par l'actualisation de la loi de programmation militaire, la LPM, votée en juillet 2015, va permettre de réaliser 11 000 recrutements supplémentaires à échéance de la fin de l'année 2016, au bénéfice de la force opérationnelle terrestre. Ces jeunes soldats, une fois formés et opérationnels, contribueront à alléger l'intense mobilisation de nos effectifs, depuis l'activation du contrat opérationnel de protection dans son intégralité le 13 novembre dernier.
Par ailleurs, suite à l'annonce du Président de la République devant le Congrès réuni à Versailles le 16 novembre dernier, de l'ordre de 10 000 postes supplémentaires seront en outre sauvegardés sur les années 2017 à 2019, pour renforcer notamment nos effectifs opérationnels, afin de rendre soutenable dans la durée le niveau d'engagement de nos forces, tant à l'extérieur de nos frontières que sur le territoire national.
Enfin, la contribution des armées à la fonction stratégique de protection s'accompagne très logiquement d'une rénovation en profondeur de la politique concernant nos réserves. Pour la première fois depuis très longtemps, le nombre des réservistes militaires a augmenté en 2015, cela grâce à une volonté forte du ministère de la défense.
M. Bernard Lesterlin. Très bien !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. J'ai eu l'occasion de l'annoncer récemment, à l'occasion des premières Assises de la réserve que j'ai organisées : dès 2018, ce sont 40 000 réservistes opérationnels qui contribueront aux missions de protection, avec pour objectif 1 000 réservistes engagés par jour. Bénéficiant d'un budget accru inscrit dans la loi de programmation militaire actualisée, offrant des parcours plus attractifs, la réserve viendra notamment compléter les effectifs d'active dans des domaines déficitaires ou sensibles comme la cyberdéfense. J'ai insisté en particulier sur le fait que ce renforcement des effectifs, qui passent de 28 000 à 40 000 réservistes, rendra possible une territorialisation de la réserve, anticipant ce qu'on pourrait appeler une garde nationale territorialisée.
M. Jacques Myard. Tout arrive ! Enfin !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. La différence avec vous, c'est que je dis comment je vais faire.
M. Jacques Myard. Mais oui !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Voilà, mesdames et messieurs les députés, les réflexions apportées par ce rapport que j'ai transmis à l'Assemblée nationale et au Sénat.
En 2015, ce sont près de 11 000 soldats, marins et aviateurs qui auront été engagés quotidiennement dans ces missions de protection, de sûreté et de sauvegarde, alors que le territoire national est devenu le premier théâtre de nos engagements opérationnels, et que la menace reste particulièrement préoccupante.
En ce moment même, ils sont autant à veiller sur nous, et vous me permettrez de leur redire, à l'occasion de ce débat, ma reconnaissance et la vôtre pour l'engagement qui est le leur. C'est un engagement difficile, qui réclame sang-froid, endurance, abnégation, courage aussi, toutes qualités qu'ils ont eu l'occasion de démontrer à maintes reprises, au cours de cette première année émaillée parfois d'interventions musclées mais nos soldats ont toujours gardé le contrôle de la situation et singulièrement de l'usage de leurs armes. C'est en tout cas, aujourd'hui plus que jamais, un engagement essentiel de nos forces ; j'ai pleine confiance dans nos armées pour remplir cette mission spécifique.
Le Président de la République a rappelé l'impérieux devoir du Gouvernement d'assurer la protection de la Nation et de nos concitoyens. Je veux dire devant vous que la défense, avec ce cadre renouvelé, continuera donc à jouer tout son rôle dans cette mission vitale pour notre territoire et pour la sécurité du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen, du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, du groupe écologiste et du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.)
(...)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Avant de répondre aux différents intervenants, je tiens d'abord à les remercier de la qualité de leurs propos. Chaque intervention, indépendamment des positions des uns et des autres, a été une forme de soutien à nos armées, fortement sollicitées en ces temps de menaces et de risques. Je suis donc particulièrement heureux de ce que j'ai entendu et je voudrais, à mon tour, saluer le professionnalisme et l'engagement sans faille de nos armées dans leurs différentes missions et, singulièrement, l'opération Sentinelle, mission nouvelle pour eux, au cœur de la population. Les Français, vous l'avez rappelé, font preuve de considération et de respect à leur égard, lorsqu'elles sont en patrouille ou qu'elles assurent la protection de tel ou tel bâtiment. Il fallait que ce fût dit. Cela a été le cas, et j'en prends acte avec beaucoup de satisfaction.
Sommes-nous en guerre, oui ou non ? Devons-nous considérer que nous le sommes ? La réponse à cette question nécessiterait de longs débats, sans doute passionnants. Je me bornerai à une contribution plus modeste, en apportant deux éléments de réflexion à cette question majeure, qui éclaire du reste des choix que je suis parfois amené à faire.
Sans ambiguïté, la menace terroriste est aujourd'hui une menace militarisée, et c'est une nouvelle donne. Il me semble avoir été le premier à désigner Daech comme étant une armée terroriste, dotée à la fois d'une capacité de maîtrise d'un territoire et d'une capacité de projection à l'extérieur. C'est une menace militarisée de par sa virulence idéologique sans égale, démultipliée par un usage très maîtrisé d'internet. C'est une menace militarisée de par la diversité de sa capacité militaire, passant du combat urbain au combat classique et au terrorisme sous toutes ses formes.
Bref, avec un arsenal des modes d'action tout à fait révélateur, l'irruption d'un terrorisme purement destructif dans ses buts et ses ambitions, militarisé dans ses moyens, ancré sur un territoire, disposant d'une assise financière sans précédent et capable de se projeter sur d'autres territoires comme le montrent les événements récents, et ceux que nous avons vécus, il s'agit là d'une rupture majeure. Nous sommes bel et bien devant une menace militarisée.
Il y a un continuum, monsieur Audibert Troin, même si nous ne sommes pas sur le même territoire, chaque territoire ayant son histoire, sa géographie, sa population.
Permettez-moi de citer, même si c'est lui faire un peu de publicité, au demeurant méritée, le récent ouvrage de Pierre Servent, expert de la chose militaire, dont le titre Extension du domaine de la guerre est très révélateur. Propre à alimenter notre réflexion, ce livre montre que la guerre n'obéit plus aux partitions classiques : État contre État, armée contre armée, étendard contre étendard. Nous devons donc modifier notre logiciel concernant la guerre, car la donne a changé. Cette réflexion quelque peu théorique éclaire d'autres choix que j'ai été conduit à faire et que le Président de la République a annoncés lors de son discours au Congrès.
Cela dit, je vais revenir sur quelques questions que je n'ai peut-être pas suffisamment développées dans mon propos liminaire. Je le répète, il s'agit d'un rapport du Gouvernement, certes instruit par le ministre de la défense, mais à la préparation duquel le ministre de l'intérieur et celui de la justice ont été pleinement associés. L'accord est total entre nous sur quelques « lignes rouges ». Je veux redire clairement, notamment à l'intention de M. Coronado, qu'il n'est pas question d'un éventuel engagement des forces armées dans des opérations de maintien de l'ordre. Je l'ai dit à plusieurs reprises, je le redis afin qu'il n'y ait pas d'ambiguïté. Il n'y a pas, et il n'y aura pas, d'intervention des forces armées dans des dispositifs de police judiciaire. Et il n'y a pas de dispositif spécifique de règles d'usage des armes au-delà de ce qui a été mis en œuvre dans le cadre de la réforme de la procédure pénale, y compris pour ce qui concerne le « périple meurtrier ». Il me paraissait essentiel d'évoquer ces trois « lignes rouges ».
Nous nous en tiendrons là, et à l'intention de ceux qui auraient quelques doutes - M. Audibert Troin l'a évoqué subtilement au début de son propos -, je tiens à dire qu'il y a une totale identité de vues et de méthode entre Bernard Cazeneuve et moi-même.
Certes, c'est la première fois qu'un débat est organisé sur l'engagement de nos forces armées sur le territoire intérieur. Mais, monsieur Chassaigne, la défense opérationnelle du territoire existe depuis longtemps, et la présence des forces armées pour garantir la sécurité du territoire est actée dans le Livre blanc depuis le début de l'histoire du Livre blanc, donc depuis1972. Elle a été actée dans les Livres blancs de 2008 et de 2013 quasiment dans les mêmes termes. Ce qui a changé depuis, c'est l'actualisation de la loi de programmation militaire, qui a défini le nouveau contrat de protection avec des effectifs supplémentaires.
MM. Coronado, Folliot et Chassaigne ont posé la question de la fin du dispositif. Il n'y a pas de lien entre l'état d'urgence et l'opération Sentinelle. La fin de l'état d'urgence ne signifie pas la fin de l'opération Sentinelle. Du reste, celle-ci existait avant l'instauration de l'état d'urgence, puisqu'elle a été engagée au début de l'année 2015.
Concernant les dispositifs anciens, à savoir le dispositif de sauvegarde maritime et le dispositif de sécurité aérienne, que j'ai évoqués assez longuement, ils ont vocation à perdurer. Ils seront poursuivis, dans le cadre d'une vigilance accrue, avec les moyens spécifiques que j'ai évoqués tout à l'heure.
La posture de cyberdéfense, qui est aussi un élément du dispositif de protection, plus récente mais tout à fait essentielle, ne peut que se développer. S'agissant de l'engagement terrestre, je l'ai dit en filigrane à l'instant, le dispositif est la conséquence directe d'une menace militarisée. Il durera donc autant que la situation l'exigera. C'est du reste en ce sens que les dispositions budgétaires et relatives aux effectifs ont été prises. Il n'y a pas d'ambiguïté sur la position du Gouvernement à cet égard.
Même si cela n'a pas été dit clairement, j'ai cru entendre que les forces armées seraient des forces supplétives des policiers et des gendarmes : tel n'est pas du tout le cas. Cela ne correspond d'ailleurs pas à l'esprit du rapport que j'ai présenté, même si au point de départ, au mois de novembre, lorsque l'on a ajouté aux 7 000 soldats en activité dans le cadre de l'opération Sentinelle, 3 000 effectifs supplémentaires, il a fallu agir dans l'urgence et l'efficacité. Depuis cette date, dans l'organisation de nos responsabilités respectives et de l'engagement des armées dans l'opération Sentinelle, la clarification s'est faite progressivement.
Monsieur Audibert Troin, monsieur Léonard, s'agissant des réquisitions, on parle de plus en plus d'effets à atteindre, d'objectifs assignés, de zones à contrôler, et plus seulement de répartitions d'effectifs, ce qui était le cas au départ. Cela est de moins en moins vrai. Le rapport montre qu'il est nécessaire de bien identifier et de bien spécifier les vocations particulières de nos armées j'en ai fait l'inventaire dans mon propos liminaire.
Certains ont évoqué le rapport statique-dynamique : trois quarts des sites en Île-de-France sont aujourd'hui pris en compte par des patrouilles, ce qui permet une sécurisation plus importante de l'ensemble des sites. On est ainsi passé de 800 à 1 400 sites surveillés par les patrouilles. Le passage du statique au dynamique est aussi une préoccupation du ministère de l'intérieur, et ce ratio est en constante évolution. Nous avons en outre engagé des expérimentations de complémentarité spécifiques.
Vous avez évoqué d'éventuelles difficultés de communication entre police, gendarmerie et forces armées. Le dispositif ACROPOL sera complété par un nouveau dispositif, ce qui permettra une excellente coordination entre ces trois acteurs.
Je rappelle que le commandement des soldats demeure le commandement militaire centralisé qui remonte au CEMA, chef d'État-major des armées, via les officiers généraux de zones de défense. Je rappelle également, peut-être ne l'ai-je pas suffisamment dit, que les unités interviennent dans le cadre de schémas tactiques élaborés et dirigés par les cadres de contact avec, désormais, une organisation en trois secteurs - je pense à l'Île-de-France - avec des états-majors tactiques qui proviennent des unités opérationnelles. Il y a un chef de corps, de groupement tactique sur chacune des zones, ce qui permet l'élaboration de schémas tactiques d'une plus grande pertinence. Nous en sommes désormais à un niveau de qualité dans l'organisation tout à fait satisfaisant.
L'emploi des forces armées se fera de plus en plus en fonction des qualités que j'ai évoquées : capacité à surprendre, contrôle des zones, maîtrise de l'ouverture du feu et armement de guerre, mobilité, capacité de projection. Ces qualités s'expliquent par le fait qu'il s'agit de la même armée, qui est à la fois en opération extérieure et en opération intérieure.
S'agissant de la préparation opérationnelle, de l'entraînement et de la planification, il est prévu, pour les unités projetées en opération Sentinelle, une préparation spécifique permettant à ces forces de remplir leurs missions avec efficacité. On l'a vu lors des incidents qui ont pu se produire, où la maîtrise du feu a été particulièrement réussie. Je pense notamment à ce qui s'est passé à Valence.
Nous nous inscrivons dans une démarche de respect de nos armées dont la qualité n'est plus à prouver dans le cadre du dispositif Sentinelle, lequel est sous la responsabilité du ministère de l'intérieur, mais dont le commandement demeure le commandement militaire en opération, sur les bases que j'ai indiquées tout à l'heure.
Les quatre principes de base de la présence de nos forces pour la protection du territoire - rassurer, dissuader, protéger et intervenir - sont jusqu'à présent respectés et reconnus par la population.
Pour ce qui est de l'hébergement, évoqué par plusieurs d'entre vous, il est vrai que les conditions étaient précaires lorsque le dispositif a été mis en œuvre dans l'urgence, comme j'ai pu le constater par moi-même en me rendant sur place à plusieurs reprises : la situation était aussi précaire que lorsque nos premiers soldats sont arrivés à l'aéroport M'Poko de Bangui. De fait, nos troupes sont en opérations.
Progressivement, toutefois la qualité de l'hébergement s'est améliorée. Les maires et les communes ont été particulièrement attentifs et coopérants à cet égard et les insuffisances en matière d'hébergement ont été observées principalement en Île-de-France et dans la région parisienne.
Pour répondre à M. Léonard ou à Mme la présidente de la commission, je précise qu'en comptant ce que nous avons engagé en 2015, nous engagerons, entre 2015 et 2019, plus de 40 millions d'euros pour le renforcement de la qualité d'hébergement sur les lieux où nos militaires doivent demeurer durant plusieurs semaines. Les conditions se sont améliorées et, même si des efforts restent à faire, les progrès ont été considérables.
Monsieur Léonard, le renseignement est en effet un outil essentiel de notre sécurité et les ministères de l'intérieur et de la défense ont renforcé leurs moyens dans ce domaine à la suite des attentats. Cette question a fait l'objet de discussions dans le cadre de l'actualisation de la loi de programmation militaire.
Il n'y a aucune ambiguïté sur le fait que, sur le territoire national, la collecte du renseignement est placée sous la responsabilité du ministre de l'intérieur. Cependant, sur réquisition de ce dernier, les armées peuvent, comme l'indique le rapport, proposer des capacités spécifiques de surveillance et d'observation en appui des opérations observation aérienne, drones, surveillance de zone par des moyens optiques ou électroniques. N'imaginez pas que cette réquisition fasse suite à des ordres courts et brutaux ! Elle procède au contraire de discussions préalables, qui permettent d'aboutir à ces résultats.
Je n'ai donc pas de blocage sur ce point, même si je tiens à rappeler avec force qu'il ne faut pas confondre ce renseignement à fins opérationnelles avec le renseignement à fins judiciaires, lequel ne peut venir des forces armées.
La même observation vaut du reste pour l'usage des forces spéciales, comme je l'ai évoqué dans mon propos initial, et même si le rapport ne l'indique pas aussi nettement. L'éventualité d'une mobilisation peut se présenter à titre tout à fait exceptionnel, mais il faut souhaiter que cela ne soit pas le cas.
Nous entretenons une coordination très serrée entre le ministère de l'intérieur et le ministère de la défense, tant au niveau des cabinets qu'entre le centre de planification et de conduite des opérations CPCO et le haut fonctionnaire de défense du ministère de l'intérieur. Des articulations très étroites sont en place entre les préfets de zone et les officiers généraux de zone de défense. Jusqu'à présent, cette coordination a permis des progrès considérables dans la confiance, le respect et la performance. Je ne vois pas, pour l'heure, de nécessité d'ajouter un nouvel outil, car les outils existants fonctionnent au mieux.
Bien que je ne souscrive pas - tant s'en faut - à tous les propos de M. Chassaigne, je suis néanmoins sensible à ses observations relatives à la réserve, évoquée également par M. Folliot. Il s'agit en effet d'une priorité, certes difficile à mettre en œuvre, mais indispensable. Passer de 28 000 à 40 000 réservistes est un enjeu et je forme le vœu que nous y parvenions même s'il faut pour cela déplacer des montagnes.
Cela suppose de communiquer davantage sur l'attractivité de la réserve et rencontrer davantage les organisations patronales et professionnelles pour faire valoir les droits des réservistes et les rendre mobilisables plus régulièrement. Il faut aussi valoriser les réservistes dans leur parcours de formation et faire en sorte que la formation acquise dans la réserve entre dans les parcours de formation professionnelle.
M. André Chassaigne. Très juste !
M. Jean-Yves Le Drian, ministre. Il faut aussi s'adresser à des publics plus jeunes et diversifier les compétences des réservistes.
Des progrès ont été réalisés. Aujourd'hui, 400 réservistes sont mobilisés quotidiennement dans le cadre des opérations Sentinelle. C'est un progrès et je veux parvenir à 1 000 sur les 7 000 plus 3 000 si l'ensemble du contrat opérationnel et mobilisé. Nous y parviendrons - et ce, monsieur Folliot, par la territorialisation. En effet, je n'ai pas l'intention de commencer par créer une garde nationale pour me demander ensuite comment procéder. En revanche, une territorialisation de la réserve ramène à des formes particulières de défense opérationnelle du territoire - et pourquoi ne pas l'appeler « garde nationale » ? Le mouvement est engagé et j'espère pouvoir le poursuivre jusqu'à ce terme : lorsque nous disposerons de 40 000 réservistes, cela changera beaucoup la donne. Il faut, pour cela, augmenter le budget - et c'est le cas : le budget alloué aux réserves passera de 70 millions d'euros en 2014 à près de 100 millions en 2016, pour atteindre 125 millions en 2018. Cette progression lui permettra de suivre l'ensemble du dispositif.
Pour ce qui concerne les effectifs, évitons de polémiquer sur les chiffres. La force opérationnelle terrestre FOT - est passée de 66 000 à 77 000 personnels en deux étapes, en 2015 et 2016. À partir de la mi-2016, nous nous trouverons dans une situation plus sereine pour remplir le contrat opérationnel, actuellement très exigeant pour nos forces, comme vous l'avez relevé à juste titre. Il faut d'abord recruter et former. Lorsque l'ensemble du dispositif sera en place, fin 2016, la situation sera très nouvelle.
Il faut en même temps assurer la préparation opérationnelle, dont certains d'entre vous ont relevé que le nombre de jours avait été réduit. C'est vrai, car c'était une nécessité - on ne pouvait pas faire autrement -, mais nous allons redresser la situation pour revenir à une durée de quatre-vingt-dix jours de préparation opérationnelle des unités, qui semble indispensable pour assurer la capacité de nos forces.
Faut-il, enfin, une actualisation de l'actualisation ? Il faut, en tout état de cause, remettre en perspective le calendrier des années 2017 à 2019, dès lors que le Président de la République a décidé, dans son discours au Congrès, de renoncer à la déflation de 10 000 personnels sur cette période. Cette remise en perspective peut prendre aussi bien la forme d'un texte de loi que celle d'une modification intervenant dans le cadre du débat budgétaire - la décision n'est pas prise. Ce qui est certain, c'est qu'il conviendra de situer cette nouvelle donne dans une perspective triennale.
Mesdames et messieurs les députés, peut-être ai-je oublié certains points, mais je me suis efforcé de répondre à l'essentiel de vos questions, au terme de ce débat que j'ai jugé, pour ma part, très constructif et très serein. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, républicain et citoyen et du groupe écologiste.)
M. André Chassaigne. Très bien.
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr le 21 mars 2016