Texte intégral
Je suis très heureuse de partager avec vous ce moment symbolique de clôture de votre formation statutaire, étape importante dans votre parcours de cadres supérieurs de lÉducation Nationale.
Les attentats de novembre nous avaient contraints à différer cette rencontre. Ils nont pas entamé notre détermination à agir sur le terrain, ni à maintenir ce rendez-vous auquel je tenais beaucoup, avec vous et, au-delà, avec tous les collègues que vous représentez.
En tant que cadres de lÉducation Nationale, vous êtes les relais essentiels de la politique éducative.
Que vous soyez inspecteurs des premier ou second degré ou personnels de direction, ce qui vous rassemble, cest ce rôle si particulier dinitiateur, de pilote pédagogique et éducatif, de relais, de soutien et daccompagnement des équipes éducatives.
Sans pilote, une politique, aussi ambitieuse soit-elle, ne reste quune parole vaine. Sans accompagnement, aucune mise en uvre ne peut saccomplir. Et sans relais cest aussi la possibilité, pour les acteurs qui sont sur le terrain, de se faire entendre, qui disparaît.
Oui, dans toutes vos missions, dinspection, de pilotage des EPLE, de conseil et de mise en uvre de la politique éducative, vous êtes irremplaçables.
Ce qui nous unit, cest donc dabord une relation de confiance. Et cela, dans les deux sens. La confiance quune ministre a en vous. Et celle que vous devez également avoir dans votre ministre. Et nous en avons besoin, compte tenu de lampleur de la tâche que nous sommes aujourdhui en train daccomplir : la refondation de lEcole.
Plus une entreprise est vaste, plus son ambition est grande, et plus il est nécessaire, pour laccomplir, de procéder graduellement. Étapes après étapes. Un pas après lautre.
Une telle démarche est la condition de sa mise en uvre. Mais elle peut parfois entraîner un effet néfaste : la répartition devient alors un morcellement avec le risque de voir saccumuler des dispositifs et des réformes à appliquer ; la cohésion initiale sestompe peu à peu, jusquà disparaître tout à fait.
Il ne reste alors plus quune interrogation : pourquoi ? Quel est le sens de ce que lon me demande dentreprendre ? Quel est le rapport quentretient telle circulaire particulière avec un objectif plus général ?
Ces interrogations sont légitimes. Nous avons besoin, pour agir, de donner du sens à nos actions. Cest le sens qui nous porte au quotidien, dans laccomplissement de nos missions.
Voilà pourquoi, je veux demblée vous dire deux choses.
La première, cest que je mesure votre engagement tout particulièrement ces derniers mois. Je le salue, et je vous en remercie. Sans vous, sans votre professionnalisme, la refondation de lEcole naurait pas pu se mettre en place aussi efficacement, et avec une telle qualité.
La seconde, cest que jai entendu vos inquiétudes et vos préoccupations. Je connais les difficultés, les oppositions et les résistances que certains dentre vous ont rencontrées sur le terrain.
Devant celles-ci, je tiens à vous assurer de mon soutien. Et dans de tels moments, il est de ma responsabilité de remettre en évidence le sens de notre action, à toutes et à tous.
Cest dautant plus important que nous partageons lessentiel. Lidée qui, par sa force, nous rassemble : celle du progrès.
Cest elle qui guide votre action, comme elle guide la mienne, comme elle guide aussi celle des enseignants, jour après jour, sur le terrain.
Le progrès, ce nest pas une addition, ce nest pas une logique quantitative : cest une logique qualitative. Ce nest pas faire plus ! Cest faire mieux. Et cest une amélioration qui, pour lÉcole, est profondément nécessaire.
Oui, nous faisons face à une situation dune rare complexité.
Dans lAvant-Propos du rapport dactivité 2014-2015 de lESENESR, son directeur, Jean-Marie PANAZOL, que je salue, résumais parfaitement ces enjeux. Je le cite :
« Les cadres de léducation nationale, de lenseignement supérieur et de la recherche ont [ ] à tenir compte dun double phénomène :
- laccélération des réformes propres au MENESR, en lien avec les lois votées en juillet 2013,
- les mutations sociales et sociétales qui affectent les services publics en général, le service public déducation en particulier.»
Je souscris entièrement à ce constat, qui vous amène, monsieur le directeur, à insister sur « les nouvelles dimensions des activités dencadrement », et jen profite pour souligner la qualité de la formation, tant initiale que continue, de lESENESR et saluer toute léquipe qui vous accompagne dans ce travail.
Jajouterai cependant une précision importante. Cest que ces deux dimensions, les réformes propres à mon ministère, et les mutations sociales et sociétales, sont liées.
Cest bien pour répondre aux changements, et, plus largement, aux défis de notre époque, que ces réformes sont entreprises. Ces deux enjeux sont inséparables.
La loi de refondation de lEcole, votée en juillet 2013, a un seul objectif : préserver et assurer, aujourdhui, dans lépoque où nous sommes, la mission centrale de lÉcole : former des citoyens autonomes, éduqués, instruits et cultivés, et le faire pour chaque enfant, sans discrimination, sans inégalité.
Cest, je le répète, la mission de lÉcole de la République depuis sa fondation.
Mais pour continuer à laccomplir aujourdhui, dans des circonstances différentes, elle doit évoluer. Elle doit changer en profondeur : cest bien ce que signifie le terme même de refondation.
Et lidée centrale de cette refondation, cest celle du lien et de la complémentarité. Oui, nous avons besoin de liens. Nous avons besoin de complémentarité entre tous les aspects de la scolarité. Nous avons besoin de cohérence. Et cela pour une raison simple : la nature même de lÉcole nous y incite.
Lorsque lon aborde lÉcole, on ne peut accepter les réponses simplistes, qui se résument à des choix sans nuances : instruction ou éducation, humanités ou insertion professionnelle, égalité ou excellence.
On ne peut laborder quen tenant compte de sa nature profonde : lécole est le lieu dun devenir, avec tout ce que le terme suppose de singularités et de facettes multiples.
Le premier devenir, porte bien entendu sur le développement des savoirs et des connaissances nécessaires pour être à même de communiquer, déchanger, dagir. Ce sont ces savoirs, lire, écrire, compter, que lon réunit sous lappellation de fondamentaux. Ils sont les piliers sur lesquels sédifient les autres devenirs.
Le second devenir, qui prolonge celui-ci, cest un devenir citoyen, qui conduit lélève depuis le cercle familial jusque dans une société républicaine, avec ses droits, ses devoirs et ses valeurs.
Le troisième devenir est celui lié aux arts, à la culture, à tout ce qui en lêtre humain marque une prise dautonomie progressive vis-à-vis de la seule nature.
Le quatrième devenir, non moins essentiel, est celui qui favorise larrachement aux déterminismes sociaux.
Le cinquième devenir, enfin, est celui qui mène vers linsertion professionnelle.
Tous ont en commun de former un être libre, autonome. Et cela nous rappelle le sens étymologique du mot école.
Un mot, jaime à le rappeler, qui vient du skholé grec qui signifie « temps libre ». Et je préciserai, avec Bourdieu, non seulement un temps libre, mais un « temps libre et libéré des urgences du monde qui rend possible un rapport libre et libéré à ces urgences, et au monde. »
Parce que lÉcole est lieu dun « devenir », quil sagit aussi bien dengendrer que daccompagner, il convient de donner à lensemble de la scolarité une cohérence, une continuité.
Aussi le sujet de lorientation qui est lune de vos missions partagées, chacun dans son rôle, constitue aujourdhui un enjeu majeur.
Votre action va, par exemple, permettre de rompre avec une orientation subie, par la mise en place dun accompagnement au long cours de lélève et de sa famille, sappuyant sur lensemble des compétences développées par chaque jeune.
Elle va permettre à chacun dêtre acteur de son parcours et de pouvoir évoluer dune filière à une autre, sans être condamné à poursuivre dans une voie qui nétait pas la sienne.
Une orientation réussie, cest un sens qui est donné à une existence, à la scolarité. Cest un combat gagné contre les déterminismes économiques et sociaux.
De la même façon, notre action contre le décrochage, que jai amplifiée par lannonce dun plan systémique en novembre 2014, est essentielle.
Ce plan ne vient pas de nulle part. Il sappuie sur les innovations de terrain en les faisant changer déchelle, en les légitimant, les systématisant, et en les structurant. Cest tout un travail qui saccomplit grâce aux acteurs de terrain, et grâce aux cadres.
Nous sommes en train dobtenir, dans ce domaine, des résultats significatifs. Il y a 5 ans, plus de 140 000 jeunes sortaient du système sans qualification. Ils sont 110 000 cette année.
Cest encore trop, nous sommes daccord. Mais cette baisse est aussi un encouragement à continuer dagir, ensemble, à tous les niveaux.
Car lorsque je me déplace sur le terrain, je mesure ce que ces avancées, ces progrès, doivent à chaque membre des équipes éducatives et à vous en particulier.
Je connais lengagement quimplique, de votre part, le décret concernant les recalés à lexamen. Mais je tiens aussi à vous rappeler à quel point cela constitue un véritable levier pour lutter contre le décrochage et léchec scolaire.
En 2013, 83 500 élèves arrivés jusquen terminale donc présents dans nos établissements ont échoué à lexamen. Sur ces 83 500 élèves, seuls 3 sur 10 se sont réinscrits à lexamen lannée suivante en bac professionnel, et 7 sur 10 en bac général GT.
Notre rôle, là où nous sommes, cest dagir pour que, dans chaque lycée, quelques élèves franchissent cette étape et préparent la suivante.
Leur permettre de redoubler dans leurs établissements, cest les convaincre de rester « avec nous », pour les accompagner de façon adaptée jusquà lexamen.
La conservation des notes, cest un moyen de les convaincre de travailler dès la première année de terminale puisquils pourront bénéficier de leurs acquis.
Cela concerne en moyenne 5 ou 6 élèves supplémentaires par lycée. Mais 5 ou 6, dans chacun de nos 4300 lycées, cest 20 à 25000 décrocheurs en moins. Cest une étape importante qui est franchie. Ce sont aussi des liens renoués entre lécole, le jeune, et sa famille.
Car au cur des crises économiques, écologiques et terroristes que nous traversons, nous navancerons pas si nous ne donnons pas aux jeunes ce qui est nécessaire à chacun dentre nous : un avenir.
La cohérence de la scolarité passe aussi par la prise en compte de cette réalité toute simple : les devenirs de nos élèves sopèrent à différents rythmes.
Ce souci du rythme gouverne non seulement les rythmes scolaires, mais plus largement le fait de penser les programmes par cycle.
Ce qui se résout alors, au moins en partie, cest lopposition entre le temps humain, un temps propre à chacun, avec certes des points communs, mais qui nécessite une certaine souplesse, et un temps qui lui serait trop cadré, trop rigide, et qui est le temps de lannée scolaire.
Penser par cycle, cest inscrire les apprentissages dans du temps long. Cest donner à nos enseignants et à nos élèves ce dont nous avons toutes et tous le sentiment de manquer : du temps.
Et ce temps long vaut aussi pour la Refondation. Il est, pour la réussite de celle-ci, aussi important davoir une vision densemble, que davoir une vision à long terme.
Nous savons bien que cela demande du temps. Nous savons bien que le travail remarquable que vous conduisez nopère pas par magie. Cest même le contraire de la magie.
Parce que le travail, au sein de léducation nationale, suppose toujours un effort continu, répété, quotidien.
Nous aimerions tous parfois que la vie ressemble à ces montages qui, dans un film, interviennent pour résumer le temps de formation du héros : on le voit sentraîner, soulever des poids de plus en plus lourds, et trente secondes après, au rythme endiablé dune musique entraînante, le voici métamorphosé.
Mais notre temps est bien différent. Ainsi, lorsque vous avez préparé ce concours difficile, il ny a pas eu de montage pour résumer les mois et les années de travail.
Oui, nous sommes dans ce temps humains qui progresse uniquement par nos actions et nos efforts, et non par la magie dun montage cinématographique.
Nous devons donc agir, jour après jour. Mener, de front, plusieurs actions. Et au fur à mesure apparaissent des liens, une complémentarité, entre tous ces aspects : entre la réforme des programmes et celles des rythmes scolaires, entre la réforme du collège et celle des Réseaux dÉducation Prioritaires.
Et cest pour cela que votre rôle est si important : parce que vous liez tous ces aspects. Et parce que vous en expliquez le sens.
Et le meilleur moyen de comprendre la refondation de lEcole, cest toujours de partir de ce que fait lÉcole.
LÉcole abolit les frontières. Elle arrache lélève à lici et maintenant, sans pour autant méconnaître le contexte dans lequel il vit. Elle étend ses perspectives, par la connaissance de lespace et du temps. Elle lui ouvre des horizons nouveaux, par les sciences et les connaissances. Mais elle le fait sans jamais sacrifier une dimension à lautre.
Lapprentissage du Français ne suppose pas de se restreindre, soit, à un usage pratique, remplir des formulaires ou lire la notice de montage dune étagère suédoise, soit à un usage littéraire. Mais il donne la possibilité de faire les deux.
Tout comme lapprentissage des mathématiques ne se résume pas aux situations de la vie quotidienne.
Pour celles-ci, de nombreuses applications sont conçues pour faire le travail à notre place. Mais les mathématiques vont bien au-delà : elles sont aussi une langue, une façon de penser, et une logique particulière. Elles ouvrent vers des domaines éminemment complexes et elles permettent ensuite de programmer les applications que jévoquais.
Et apprendre lhistoire, ce nest pas sacrifier un temps à un autre : cest au contraire donner au présent lépaisseur du passé, pour mieux aborder lavenir.
Voilà pourquoi ce qui guide la refondation, cest une volonté de conciliation. Cest la prise en compte du caractère profondément, viscéralement humain de lEcole. Et cest cette pluralité des dimensions, leur complexité, qui a parfois brouillé la perspective densemble.
Et cest justement tout le rôle des cadres que de redonner la perspective de cette action. Je sais les interrogations auxquelles vous faites face. Oui, lensemble du travail conduit dans le cadre de la refondation a parfois pu donner limpression dinjonctions contradictoires.
Faut-il consolider les fondamentaux, ou développer lEnseignement Moral et Civique ? Faut-il préparer linsertion professionnelle de nos élèves, ou mettre en place lÉducation Artistique et Culturelle ?
A toutes ces questions, on peut, sans crainte, répondre : les deux. Cela peut sembler être une simple boutade. Il nen est rien.
Cest, je le redis, tout lenjeu de notre action : concilier ce qui, pendant si longtemps, a été perçu comme contradictoire.
Et si je connais les difficultés auxquelles vous pouvez être confrontés, cest aussi parce que je les ai rencontrées.
Ainsi, on ma souvent demandé : « souhaitez-vous une école bienveillante ou exigeante ? » Mais les deux !
Et la contradiction nest quapparente. Elle repose sur une mauvaise définition : car la bienveillance, ce nest pas le laxisme. Or cest le laxisme qui soppose à lexigence.
Au contraire, être bienveillant, cest aussi être exigeant. Cela ne signifie pas flatter. Cela signifie accompagner, aider, encourager et amener chaque élève, par son travail, par ses efforts, à progresser, sans jamais tomber dans la condamnation sans appel et le « tu ny arriveras jamais ! ».
Et ce qui me frappe toujours, cest que cette conciliation, nous la réalisons très spontanément dans la vie de tous les jours. Mais lintégrer à lécole, demande des changements et des évolutions structurelles à tous les échelons.
Les enseignants sont déjà nombreux à faire de linterdisciplinarité. Je ne lignore pas. Mais lidée des EPI, est de donner un cadre et une visibilité à cette interdisciplinarité, et de la développer encore davantage en lintégrant dans une pédagogie de projet.
Et là encore, la pédagogie de projet ne vient pas sopposer à un cours disciplinaire : il propose de lapprofondir, et de consolider les apprentissages en mettant en uvre les savoirs et les connaissances acquises.
Et votre rôle est majeur aussi bien pour faire évoluer lidentité professionnelle des enseignants, des personnels déducation et dorientation, faire exister une véritable communauté éducative, que pour former à lexercice de compétences et de gestes professionnels tout en confortant la dimension intellectuelle de ces métiers.
Vous encouragez et valorisez les pratiques innovantes tout en évaluant leurs effets en termes de progrès, de réponse à un besoin, de réussite de chacun. Vous permettez ainsi de mener un combat ambitieux contre les inégalités.
Ces inégalités, vous le savez, pèsent sur notre système scolaire.
Certains me trouvent obsessionnelle avec ce sujet. Mais oui je lassume. Car je connais la réalité. Et vous aussi.
Avant même dentrer en maternelle, les élèves les plus défavorisés ont un déficit important de vocabulaire.
Accepter cette situation, ce serait la considérer comme une fatalité. Or, il ny a pas ici dintervention divine qui vouerait un enfant aux gémonies dès son plus jeune âge. Il ny a rien dirrémédiable. Il ny a que de « lirrémédié ».
Mettre laccent sur la scolarisation des moins de trois ans en éducation prioritaire, cest se donner les moyens dy remédier.
Mettre en place des dispositifs comme le « plus de maîtres que de classes », cest sassurer dune meilleure acquisition des fondamentaux.
Assumer une répartition inégalitaire des ressources en fonction des caractéristiques économiques et sociales des territoires et de leurs populations, cest mettre les moyens de lécole au service de légalité réelle.
Tous nos élèves acquièrent ainsi des savoirs essentiels, pour poser sur le monde un regard capable délaborer du sens.
Car la seule réponse aux inégalités, cest la généralisation de lexigence ; cest la démocratisation des connaissances et des savoirs. Et pour parler plus nettement encore, cest dassumer luniversalité de lÉcole de la République.
Oui, je sais, luniversalisme républicain na pas bonne presse. Il est accusé dêtre, au mieux, une abstraction, au pire, un aveuglement coupable. Ce nest pas nouveau.
Longtemps les tenants de luniversalité du suffrage ont été vus comme des utopistes ou de dangereux irresponsables. Quelles calamités ne devaient pas manquer de sabattre sur un pays qui se risquerait à une telle lubie ! Que de catastrophes devaient, selon les textes de lépoque, en découler !
Et pourtant, quand, pour la première fois, une femme a glissé un bulletin de vote dans lurne, il ny a pas eu, à ma connaissance, de cataclysme ! La terre ne sest pas ouverte en deux !
Aujourdhui quavec la refondation de lécole, nous décidons de nous attaquer aux inégalités, nous entendons sélever des prophéties analogues. Elles annoncent la ruine et la décadence de notre pays si nous nous risquons à tenir la promesse républicaine de légalité.
Cette promesse, il est pourtant essentiel de ne jamais la perdre de vue. Elle nous engage, toutes et tous, très vivement, à légard de nos élèves.
Et il ny a ici, de ma part, ni angélisme, ni utopie, ni laxisme. Mais la conviction très ferme que la reproduction des inégalités, et leur aggravation au fil de la scolarité, constitue un danger bien réel pour notre démocratie.
Il est donc urgent dagir, et la solution, dans ce domaine comme dans dautres, viendra aussi dune approche profondément pragmatique.
Ainsi, la mixité sociale ne se décrète pas. Elle ne simpose pas.
Elle se construit, elle sélabore, patiemment, en concertation avec lensemble des personnes concernées, depuis les personnels de léducation nationale jusquaux élèves et à leurs familles, naturellement, en passant par tous les acteurs susceptibles dêtre mobilisés sur le terrain.
Le terrain : cest, je crois, le mot clef dans la politique que nous menons.
Je nengage pas une énième refonte de la carte scolaire. Parce que ce nest pas la carte qui fera évoluer le territoire. Cest le territoire qui doit être à lorigine de notre action. Cest de lui que viendront des solutions concrètes.
Aujourdhui, 15 académies et 20 départements, de droite comme de gauche, ont exprimé leur souhait de sengager dans cette démarche, et nous avons dépassé le chiffre de vingt territoires pilotes, soit le double de ce qui avait été envisagé initialement.
Ceci prouve une chose : la mixité sociale nest pas un sujet accessoire. Il y a, de la part des collectivités, un véritable désir de sengager pour la faire aboutir, car chacun sent bien, aujourdhui, que la situation dans laquelle nous sommes nest plus tenable.
Ces territoires pilotes vont donc mettre en uvre différentes mesures, qui seront, tout au long du processus, accompagnées et évaluées. Car rien ne se fera sans la mobilisation de lensemble des acteurs concernés.
Et cette mobilisation, sur le terrain, ce sont les cadres qui lentraînent, et qui lamènent vers une action concrète et concertée.
Et la démocratisation est dautant plus importante, que lEcole, par sa nature même, par ses valeurs et par ses missions, est au cur des défis que nous rencontrons aujourdhui.
Les savoirs enseignés permettent aux élèves de poser sur le monde, sur notre passé, sur les textes et les uvres, un regard capable délaborer du sens.
Ces savoirs sont à la fois ancrés dans une histoire, et en même temps tiennent compte des évolutions, notamment technologiques, mais aussi des bouleversements que traverse notre pays, et, plus généralement, notre monde.
La violence de ces bouleversements, vous la connaissez Alors, bien entendu, il ne sagit pas de faire peser, sur lÉcole, de nouvelles missions. Daccumuler, sur elle et sur les personnels, des responsabilités trop lourdes.
Mais nous devons tenir compte de la situation actuelle. Voilà pourquoi lapprentissage de la citoyenneté fait partie intégrante du socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Voilà pourquoi a été lancée une grande mobilisation pour défendre les valeurs de la République.
Parce que lÉcole est, en France, une institution profondément Républicaine. Et elle prépare nos enfants au monde contemporain, pour mieux préparer lavenir.
Ainsi, lÉcole doit tenir compte la situation dans laquelle nos élèves vivent aujourdhui : le développement des nouvelles technologies les met face à des informations nombreuses, multiples, variées, et parfois, voire trop souvent, mensongères.
Nous ne pouvons ignorer les médias et les nouvelles technologies sous le fallacieux prétexte que les élèves en ont une pratique régulière. Car ils nen ont pas pour autant une connaissance réelle.
Notre école doit donc jouer tout son rôle pour donner aux nouvelles générations les moyens de comprendre la société numérique, ses risques et ses opportunités.
Mais elle doit aussi, plus largement, intégrer cet enjeu dans toutes ses dimensions.
La rentrée scolaire 2016 marquera ainsi la première année du plan numérique. Lobjectif est de généraliser les usages du numérique à lécole et autour de lécole, en dotant de ressources pédagogiques numériques et déquipements les classes de 5ème à la rentrée 2016, puis les autres élèves les années suivantes.
Il sagit dun plan densemble : il associe la refonte des programmes scolaires, la formation des personnels, et la mise à disposition de ressources pédagogiques, avec la mise en place des équipements numériques nécessaires pour la réalisation de projets pédagogiques et éducatifs cohérents et partagés.
En parallèle, avec lappel à projet dit e-FRAN comme Espaces de formation, de recherche et danimation numérique, nous soutenons des projets innovants à léchelle de territoires, associant des équipes de recherche dont les travaux permettront de mieux comprendre limpact du numérique sur la qualité des apprentissages.
Oui, le monde change. Le monde évolue. LÉcole aussi. Avec vous. Et grâce à vous.
Et cest cette temporalité particulière dans laquelle nous nous inscrivons, ce sont les bouleversements que nous vivons qui rendent essentielle la formation, non seulement initiale, mais tout au long de notre carrière, tout au long de notre vie.
Il ny a plus, comme autrefois, le moment de la formation, et celui du métier. Les deux sont liées.
Mais ce lien, à lÉducation Nationale, existe depuis longtemps : parce quassurer la formation de nos élèves a toujours impliqué, pour lensemble des personnels, de ne jamais cesser dapprendre.
Et cest dautant plus vrai aujourdhui, que nous développons la formation continue aussi bien en ligne que dans des établissements comme celui dans lequel jai le plaisir de vous retrouver aujourdhui.
Aussi, au moment de conclure, je voudrais revenir sur ce qui constitue un enjeu essentiel : la nécessité de créer des liens entre ce qui semblait parfois, à première vue, contradictoire.
Ce rapprochement des contraires, qui permet de faire émerger ce qui paraissait inconcevable ou irréalisable, porte, en tant que figure de style, un nom : celui de loxymore.
Ce nest donc pas une surprise si la qualité essentielle, pour vous comme pour moi, dans notre engagement au service de lÉcole et de lÉtat, je lai trouvée décrite dans les pages dun de nos plus grands poètes, Arthur Rimbaud, sous la forme dun oxymore : celui de l« ardente patience ».
Ardeur et patience. Voilà ce dont nous devons faire preuve. Parce que cest ainsi que nous concilions le temps long et lexigence de laction quotidienne.
Et le quotidien, surtout ces temps-ci, est troublé. Je veux donc profiter de ce moment, pour dire combien jai apprécié, ces derniers jours, lengagement des proviseurs de toute la France.
A la tête de leur lycée, à la tête de leurs équipes, ils ont su faire face. Faire face à la désorganisation liée aux mouvements lycéens. Faire face, parfois, à des risques de débordement. Le proviseur de la Cité scolaire Paul Bert vient encore den faire lexpérience.
Ces chefs détablissements ont tout mon soutien, et jai dailleurs demandé aux recteurs dêtre en permanence en contact avec eux, pour trouver les meilleures réponses aux situations les plus sensibles.
Et cest pour cela que je terminerai simplement, sans oxymore, en vous assurant de mon entière confiance, et en vous disant à quel point je suis fière, en tant que ministre, de pouvoir compter sur des cadres tels que vous.
Je vous remercie.
Source http://www.najat-vallaud-belkacem.com, le 4 avril 2016