Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bonjour.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et merci d'être avec nous. Nous allons regarder, sur RMC DECOUVERTES, quelques images, quelques images de femmes qui défilent, qui sont couvertes, vous les voyez, regardez-les bien Laurence ROSSIGNOL, je vais les décrire. Elles ont un foulard, ou elles ont un hijab, qui est un voile islamique. Plusieurs grandes enseignes de la mode se lancent dans des vêtements adaptés aux traditions musulmanes, MARKS & SPENCER qui annonce qu'elle allait lancer un maillot de bains intégral, un burkini pour les femmes musulmanes, un burkini, maillot de bains intégral. H&M qui fait de la pub avec une femme aux cheveux couverts. UNIQLO, qui a annoncé la mise en vente de hijabs, de voiles islamiques, et d'autres, DOLCE & GABBANA, enfin bon, etc., etc. Vous en pensez quoi, franchement ? Dites-nous. Vous, vous êtes ministre du Droit des femmes.
LAURENCE ROSSIGNOL
Absolument, et c'est à ce titre-là, d'ailleurs, que j'en pense quelque chose. Parce que, ce qui m'a frappée c'est les justifications, les arguments que donnent ces marques, qui expliquent que, en fait, que c'est juste des vêtements, mais qu'ils ne font la promotion d'aucun mode de vie, comme s'il y avait une dissociation entre les vêtements et les modes de vie. Or, dans l'Histoire, par exemple dans les années 60, fin des années 60, les femmes peuvent avoir un compte en banque, elles vont à l'école, elles vont à l'université, elles accèdent à la contraception, et en même temps les jupes raccourcissent, ou elles mettent des pantalons aussi. Ce qui prouve bien qu'entre la tenue des femmes et leurs droits, il y a un lien, parce que l'enjeu c'est celui du contrôle social sur les corps des femmes. Et, lorsque des marques, comme toutes celles que vous venez de citer, investissent ce marché de la tenue islamique
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce qu'il est lucratif aussi !
LAURENCE ROSSIGNOL
Il est lucratif, et c'est un marché pour les pays d'Europe, ce n'est pas le marché pour les pays du Golfe, à ce moment-là ils se mettent en retrait de leur responsabilité sociale et, d'un certain point de vue, ils font la promotion de cet enfermement du corps des femmes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça vous choque ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Bien sûr que ça me choque, parce que quand on enferme le corps des femmes, sous des vêtements qui vont des orteils jusqu'au bout des doigts, l'enfermement global n'est pas loin pour elles, derrière. Et mon sujet c'est l'ensemble des femmes musulmanes qui vivent en France aujourd'hui et qui sont sous la pression, sous l'emprise, grandissante, de groupes salafistes qui se sont mis en situation de dire aux musulmans de France « voilà qui est un bon musulman et qui n'est pas un bon musulman. » Et, en fait, ces musulmans, qui ne demandent qu'à vivre, 4,5 millions de musulmans qui vivent en France et qui ne demandent qu'à vivre dans le respect des lois de la République, mais aussi dans le bénéfice des lois de la République, parce que la République apporte aux femmes de l'égalité, apporte à tous de la fraternité et à chacun, de la liberté. Or, ces tenues elles révèlent l'enfermement du corps des femmes et, bien entendu, nous observons que c'est accompagné, dans de nombreux quartiers, de phénomènes sur la voie publique, qui sont très intéressants à observer. Par exemple, on voit de moins en moins de femmes dehors, dans la rue, dans les cafés, on voit de moins en moins de femmes vivre de manière libre dans leur quartier, c'est pour ça d'ailleurs, et c'est ce que je fais de ma place, parce qu'il ne suffit pas de commenter, il faut aussi aider, ce que je fais de ma place c'est que j'aide, je suis avec attention ce que font des groupes de femmes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais vous ne pouvez rien faire là, ce sont de grandes marques, qui mettent ces femmes à la devanture, qui jouent...
LAURENCE ROSSIGNOL
Bien sûr. Bien sûr.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je lisais un sociologue de la mode qui disait on assiste à un véritable tournant, tournant. Pour la première fois des tenues islamiques sont créées, il y a un enjeu idéologique et financier, mais il y a un enjeu idéologique contre lequel mais vous pouvez quoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ce qu'on peut faire d'abord c'est parler, c'est dire, c'est mettre des mots sur ce qui se passe, et c'est surtout
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne pouvez pas interdire, il n'est pas question d'interdire ?
LAURENCE ROSSIGNOL
La vie ne se passe malheureusement pas, de façon binaire, entre j'interdis et j'autorise, bien sûr on ne peut pas interdire, mais en même temps ma place, mon rôle, c'est d'aider les femmes qui veulent résister à cette emprise des salafistes dans les quartiers. Et il y en a. il y a des groupes de femmes à Aubervilliers par exemple, il y a des femmes qui tous les 15 jours s'installent dans un café, de manière ostentatoire, en disant « les cafés c'est aussi pour les femmes, on n'est pas recluses à la maison. » Il y a la Brigade des mères, qui fait quelque chose d'identique, c'est-à-dire qui résiste à cette pression, à cette emprise salafiste. On est vraiment le mot emprise, qu'on utilise pour les sectes, est un mot qu'il faut utiliser pour l'emprise salafiste ; et qui sont une menace, pas tant pour la société française - je ne crois pas au grand remplacement et à tous ces fantasmes que développe une extrême droite qui manipule la laïcité en faisant juste appel à notre cerveau reptilien et à la peur de l'autre. Ce que je crois, en revanche, c'est que nous avons le devoir de garantir à tous ceux qui vivent en France, et aux franco-musulmans, qu'ils y vivent bien, et y vivre bien c'est les protéger de ces menées, de ces gens qui se sont mis en situation de dire « c'est nous qui disons la loi publique et la loi sociale dans les quartiers. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais, vous savez, la pression sociale est telle sur de nombreuses femmes, qu'elles résistent, et puis elles abandonnent.
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais, elles résistent, elles abandonnent, si elles ne sont pas soutenues, si elles ne sont pas aidées. On a fait des grandes erreurs dans le passé, par exemple quand on a mis en place la politique de « grands frères. »
JEAN-JACQUES BOURDIN
Et puis certaines choisissent aussi.
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais bien sûr, il y a des femmes qui choisissent, il y avait des nègres américains qui étaient pour l'esclavage, et puis il y a aussi toujours
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne croyez pas, vous, à une femme qui choisit de porter le voile ou, vous ne croyez pas ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais non, mais attendez. Je crois que ces femmes sont, pour beaucoup d'entre elles, des militants de l'Islam politique, et je les aborde comme des militantes, c'est-à-dire que je les affronte sur le plan des idées et je dénonce le projet de société qu'elles portent. Je crois qu'il peut y avoir des femmes qui portent un foulard par foi, et puis il y a des femmes qui veulent l'imposer à tout le monde parce qu'elles en font une règle publique, c'est toute la différence dans la laïcité, entre la foi et l'Islam politique, ou la chrétienté politique, à chaque fois que la religion cherche à établir des règles pour tout le monde nous sortons de la laïcité. Et aujourd'hui, effectivement, il y a des femmes qui militent pour l'Islam politique, et puis il y a des femmes qui, effectivement, subissent la pression globale du quartier et qui, au bout d'un moment, finissent par céder. Nous, notre rôle c'est de les aider, c'est de les soutenir, c'est de les mettre en situation d'affronter l'Islam politique, et affronter l'Islam politique c'est leur donner des armes, d'abord idéologiques, intellectuelles, des lieux où elles peuvent être présentes, et puis aussi des activités, des associations, qui sont là, et qui résistent, et que nous devons soutenir. C'est ce que nous faisons, c'est ce que j'essaye de faire aujourd'hui, et surtout je parle, je dis non, on ne peut pas admettre que c'est banal, que c'est anodin, que de grandes marques investissent ce marché et, en fin de compte, mettent les femmes musulmanes dans la situation de devoir porter ça, c'est la pression qui est faite sur elles. Donc, c'est irresponsable de la part de ces marques. Nous, les politiques, on est souvent mis en situation
JEAN-JACQUES BOURDIN
Irresponsable ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est irresponsable. Nous, les politiques, on nous met souvent en situation de rendre des comptes, on en appelle à nos responsabilités, mais dans une société il n'y a pas que le politique qui a des responsabilités, il y a tous ceux qui participent, des représentations, de l'image de la société, qui donnent à voir le monde dans lequel on vit, ça va de ceux qui font les publicités à ceux qui font les émissions de télé, et aux grandes marques de vêtements ou de mode, et l'image Ecoutez, quand on dit que les couturiers donnent une image de la maigreur des femmes, avec des mannequins anorexiques, qui est dangereuse pour la santé des jeunes filles, on peut tout aussi bien dire que ces mêmes couturiers donnent une image des femmes, avec ces lignes islamiques, qui sont dangereuses pour la liberté et les droits des femmes musulmanes en France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Laurence ROSSIGNOL, merci, ministre de la Famille, de l'Enfance et des Droits des femmes.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 avril 2016