Texte intégral
PATRICE COHEN
Bonjour Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
PATRICE COHEN
En matière de prostitution jusqu'ici c'est l'offre qui était pénalisée, les prostituées désormais ce sera la demande, les clients, la France est le quatrième pays européen à le faire c'est une vieille revendication féministe est-ce que ça suffit pour dire ce que vous avez fait hier soir que cette loi c'est la loi Veil de notre génération ?
LAURENCE ROSSIGNOL
L'émotion qu'il y avait hier soir à l'Assemblée nationale avec les associations féministes, les associations comme le mouvement du Nid qui ont porté cette loi et puis les parlementaires qui se sont engagés, moi ça fait 10 ans que je suis engagée pour la pénalisation du client, c'était un moment très fort, effectivement j'ai dit que cette loi c'était un peu la loi Veil de notre génération. C'est une grande loi féministe
PATRICE COHEN
Mais la loi Veil elle a eu des effets directs pour les femmes qui désiraient avorter, est-ce que la loi Prostitution aura des effets pratiques à la hauteur de sa portée symbolique ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Parlons d'abord de la portée symbolique ! C'est une loi qui pour la première fois dit que la prostitution, l'achat de services sexuels, est une violence à l'encontre des personnes prostituées ; c'est une loi qui dit aussi que, tant qu'on pourra louer, acheter, vendre le corps des femmes, il n'y aura pas d'égalité réelle possible entre les femmes et les hommes. C'est une loi qui sort notre société d'une espèce de neutralité hypocrite à l'égard de l'achat de services sexuels et qui dit : « Eh bien voilà, en France nous pensons que nous sommes une civilisation dans laquelle on ne peut pas monnayer avec de l'argent le consentement de quelqu'un » et c'est une loi qui est très importante pour les femmes parce que c'est une loi qui dit aussi que la sexualité des femmes est comme celle des hommes, une sexualité fondée sur le désir, le plaisir, or l'achat, la transaction de services sexuels renforce l'idée qu'il y aurait deux sexualités : une sexualité impérieuse qu'il faudrait immédiatement satisfaire et puis une sexualité passive dans laquelle le désir sera absent, et c'est une loi symbolique. Alors, après
PATRICE COHEN
Les effets pratiques, parce que depuis deux ans et demi, parce que ce débat a mis beaucoup de temps à émerger le Sénat s'est prononcé deux fois contre et puis on a entendu tout au long de cette discussion les policiers, les syndicats de policiers, dire : « on a autre chose à faire que de courir derrière les clients » ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais enfin maintenant la loi est votée et il va bien falloir que les policiers appliquent la loi
PATRICE COHEN
S'ils ont des consignes pour le faire !
LAURENCE ROSSIGNOL
Eh bien, écoutez, je n'imagine pas que ce soit autrement. Mais vous savez il y a 15 ans - 20 ans, quand on a commencé à s'intéresser aux violences infra-familiales, on observait que dans les commissariats ou les gendarmeries quand les femmes venaient porter plainte parce qu'elles étaient frappées à a maison on les renvoyait un peu chez elles en leur disant : « Ecoutez ! Arrangez-vous avec votre mari, ça ne concerne pas la police, on a beaucoup de travail » et des policiers ont été formés à la lutte contre les violences faites aux femmes, à accueillir ces femmes, à suivre l'instruction des plaintes et aujourd'hui policiers et gendarmes sont le plus souvent remarquables en matière d'accueil de femmes victimes de violences, là nous allons faire pareil, nous allons effectivement former les personnels de police et de gendarmerie pour qu'ils prennent en compte cette nouvelle loi.
PATRICE COHEN
Donc, il y aura des clients effectivement punis bientôt ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense que d'abord il va y avoir des clients qui vont se dire que, quand ils vont acheter un service sexuel, c'est répréhensible
PATRICE COHEN
C'est le risque !
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est pénalement puni, mais vous savez - c'est comme les excès de vitesse - on ne se fait attraper à chaque fois qu'on fait un excès de vitesse mais le fait de savoir qu'il y a des radars et de ne pas savoir où ils sont ça contribue à ce que la vitesse diminue sur les routes.
PATRICE COHEN
Mais il y aura des PV ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Il y aura des PV bien sûr ! Et surtout je crois que ce qui va être nouveau c'est que ça va être utile pour compléter les dispositifs contre la traite, parce que jusqu'à présent on poursuivait les proxénètes - on en attrape quelques-uns, la traite on a bien du mal - on attrape aussi des réseaux mais moins qu'il en existe et puis aussi la loi Sarkozy pénalisait les personnes qui se prostituent en pénalisant le racolage passif
PATRICE COHEN
Oui, le racolage passif.
LAURENCE ROSSIGNOL
Maintenant on va voir une troisième pièce dans ce dispositif, on a abrogé le racolage passif, les prostituées ne sont pas des criminelles - ce sont des victimes et on va pouvoir par l'entrée par la pénalisation de l'achat de services sexuels aussi renforcer la lutte contre les réseaux.
PATRICE COHEN
Mais on laisse se développer la prostitution par Internet ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Non, les Suédois la Procureure suédoise était avec nous hier soir à l'Assemblée nationale et elle disait que, dans un premier temps, ils ont bien entendu commencé par la prostitution de rue mais que maintenant ils travaillent sur la prostitution sur Internet, les policiers aujourd'hui sont aussi sur les réseaux sociaux pour traquer les terroristes, les pédophiles, tous ceux qui transgressent les lois, c'est une nouvelle façon de travailler aussi pour les policiers que d'être sur Internet
PATRICE COHEN
Et les clients des escortes, des prostituées sur Internet, oui ils seront traqués par les mêmes policiers de la même façon ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais bien sûr, il suffit qu'on applique cette loi dans toute sa dimension, et puis on va avancer progressivement. Par ailleurs
PATRICE COHEN
Est-ce que c'est une loi
LAURENCE ROSSIGNOL
Une remarque monsieur COHEN...
PATRICE COHEN
Oui !
LAURENCE ROSSIGNOL
Ca fait des années que je suis les lois pénales au Parlement, c'est la première fois qu'on s'interroge autant sur une loi pénale sur son efficacité, en général on vote des lois pénales - c'est important de les voter et on ne se demande pas autant si elles vont être appliquées comme celle-ci est interrogée.
PATRICE COHEN
Puisque vous étiez dans le symbole tout à l'heure en commençant cette interview, est-ce que c'est une loi abolitionniste, parce que vous connaissez l'histoire Laurence ROSSIGNOL, il y a 70 ans les partisans de la loi Marthe RICHARD qui a fermé les maisons closes se disaient abolitionnistes et ils n'ont rien aboli du tout ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est une loi abolitionniste ! En fait les militants de l'extinction de la prostitution se disent et se revendiquent comme étant des abolitionnistes, nous voulons l'extinction de la prostitution, nous voulons tarir la demande, donc c'est de ce point de vue une loi abolitionniste. Mais le vocabulaire est un peu plus nuancé et compliqué, parce que quand on a aboli la peine de mort la peine de mort s'est arrêtée le jour de l'abolition de la peine de mort, là on est sur un phénomène qui est plus long, mais la France s'était toujours dit abolitionniste elle l'était de manière un peu hypocrite maintenant elle l'est franchement et surtout les autres pays qui ont fait les mêmes lois sont très heureux de nous voir arriver, parce qu'on dit toujours : « les gens vont passer la frontière pour aller acheter les services sexuels qu'ils ne peuvent plus aller acheter dans leur pays » mais, si les pays sont nombreux à voter les mêmes lois, de l'autre côté de la frontière ce sera pareil.
PATRICE COHEN
Les corps des femmes il en est encore question à propos du voile, de ce qu'on a appelé la mode islamique et des propos de Manuel VALLS lundi soir, est-ce qu'à vos yeux de militante féministe et de ministre est-ce qu'il est juste et responsable d'affirmer que le voile est un asservissement ou une soumission ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je crois qu'il faut bien reprendre les propos du Premier ministre ! Il a clairement dit
PATRICE COHEN
Je vous demande votre avis, à vous, Laurence ROSSIGNOL.
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais les mots sont importants dans ce débat-là.
PATRICE COHEN
Il a parlé d'asservissement !
LAURENCE ROSSIGNOL
Il a parlé d'asservissement, mais il a dit aussi que la discussion n'était pas sur les fichus, sur le fait de se couvrir le chef, la tête, pour cacher sa tête. Aujourd'hui ce qu'on observe c'est un développement d'une mode islamique qui couvre le corps des femmes de la tête aux pieds, y compris les mains et parfois même le visage même si c'est interdit en France
PATRICE COHEN
Donc, c'est interdit ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Même si c'est interdit en France ! Et on peut se poser la question : pourquoi faudrait-il cacher le corps des femmes ? Quel est le sens de cette dissimulation ? En fait moi ce que je ressens quand j'entends que cette mode est appelée « mode pudique » c'est que la pudeur cela nécessiterait que les femmes se cachent totalement, en fait ça veut dire que les femmes sont impudiques dans tout leur corps, toute leur existence, et que leur simple présence, leur simple visibilité serait déjà une insulte à la pudeur.
PATRICE COHEN
« Mode pudique » c'est une traduction de l'anglais « modest fashion », c'est une traduction
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui, mais enfin
PATRICE COHEN
Enfin qui a été faite.
LAURENCE ROSSIGNOL
D'accord !
PATRICE COHEN
« Mode pudique » je ne sais pas si c'est
LAURENCE ROSSIGNOL
Qu'on dise pudique ou qu'on dise modeste de toute façon le sens est un peu le même, parce que pourquoi intimerait-on aux femmes d'être modestes, et c'est aussi une façon de se cacher, c'est facile d'être modeste.
PATRICE COHEN
Mais la question, puisque ce n'est pas illégal et vous venez de le rappeler est-ce que c'est le rôle d'un ministre ou du Premier ministre de déterminer la norme religieuse et vestimentaire ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mais moi les religions ne sont pas mon sujet, je ne suis pas ministre des Cultes, ni sociologue des religions
PATRICE COHEN
Alors vestimentaire ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Mon sujet ce sont les droits des femmes, des familles et des enfants aussi, mais les droits des femmes, et ce que j'observe et ce sur quoi j'agis - c'est : est-ce que l'émancipation des femmes progresse ou régresse ? C'est ça mon indicateur ! Et il se trouve que je rentrais de l'Onu, et c'est probablement pour ça que j'ai réagi vivement, à l'Onu tout s'est concentré lorsque nous avons adopté la résolution dans la Commission Conditions des femmes comme ça s'appelle à l'Onu tous les ministres des Droits des femmes étaient là, toutes les ONG étaient là, sur une petite phrase, cette petite phrase elle disait : « les droits sexuels et reproductifs, c'est-à-dire avortement, contraception, éducation à la sexualité, sont une ambition pour les femmes ' sous réserve des lois nationales et du contexte ' », ce qui reviendrait à se poser la question : est-ce que les droits des femmes sont universels ou est-ce qu'ils doivent être rapportés aux traditions et aux lois internes de chaque pays ? Et j'ai eu le sentiment en France que ce même débat devait être déposé et je plaide pour ma part
PATRICE COHEN
C'est-à-dire que l'universalisme est en train de reculer ?
LAURENCE ROSSIGNOL
En ce qui concerne les droits des femmes l'universalisme n'est pas affirmé avec la même exigence et la même force que pour d'autres droits et, moi, je suis là pour défendre l'universalité des droits des femmes, surtout quand il s'agit de leur corps, du contrôle de leur sexualité, du contrôle de leur corps qui est un enjeu historique dans les sociétés de savoir si les femmes sont libres ou non de décider ce qui est bon pour leur corps.
PATRICE COHEN
Un dernier mot là-dessus, avant la revue de presse. Manuel VALLS lundi soir n'a pas fermé la porte à une éventuelle nouvelle modification de la loi, quel est votre sentiment là-dessus, notamment sur la question qui lui était posée, c'est-à-dire le voile à l'université, Laurence ROSSIGNOL quel est votre avis là-dessus ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui. Je n'ai pas eu l'impression qu'il l'avait non plus ouverte cette porte-là
PATRICE COHEN
Il a dit : « il faudra réfléchir ou travailler »
LAURENCE ROSSIGNOL
Voilà !
PATRICE COHEN
Il a eu cette phrase.
LAURENCE ROSSIGNOL
Comment dire
PATRICE COHEN
Une porte doit être ouverte ou fermée, comme
LAURENCE ROSSIGNOL
Est-ce qu'il est choquant qu'un Premier ministre interrogé sur un sujet réponde : « il faut réfléchir et travailler », c'est un sujet collectif, ce n'est pas que le sujet des politiques, c'est le sujet de la société, je pense que ce qu'on fait actuellement ce que je fais c'est de faire débatte non pas d'une religion, non pas de l'Islam, mais de la défense aujourd'hui de l'émancipation des femmes dans la société française. Mon point de vue c'est de dire que les intégrismes menacent toujours les droits des femmes, en Pologne en ce moment sur l''avortement et en France aujourd'hui toujours sur ces questions du corps des femmes.
PATRICE COHEN
Laurence ROSSIGNOL, invitée de France Inter ce matin, on revient avec vous dans quelques minutes avec les auditeurs d'Inter sur d'autres sujets, il y a la fessée déconseillée désormais dans le livret des parents et puis Emmanuel MACRON, votre collègue - Picard comme vous - qui crée un parti politique, ça on en parle tout de suite.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 avril 2016