Déclarations de MM Christian Eckert, secrétaire d'Etat au budget, et Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, sur le maintien des objectifs de réduction des déficits et de baisse des impôts et sur le programme national de réforme du gouvernement (compétitivité, soutenabilité des finances publiques, fonctionnement du marché du travail, égalité des chances), à l'Assemblée nationale le 9 avril 2016.

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Circonstance : Audition par la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôme budgétaire, à l'Assemblée nationale le 9 avril 2016

Texte intégral

M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget. Monsieur le Président de la commission, Madame la Présidente de la commission des affaires européennes, Mesdames et Messieurs les Députés, les questions de calendrier sont toujours complexes. L'Assemblée nationale ne siège pas cette semaine, nous en sommes bien conscients. Mais nous étions tenus par les délais de transmission des documents, en amont au Haut conseil des finances publiques, en aval à la Commission européenne. L'usage selon lequel le programme de stabilité est présenté à votre commission aussitôt après le Conseil des ministres qui l'adopte est ainsi respecté, et nous vous remercions de votre présence aujourd'hui.
Nous vous prions d'excuser Michel Sapin, qui vient de s'envoler vers Washington pour assister au G20 des ministres des finances.
Ce programme de stabilité, qui est bien sûr entièrement cohérent avec le programme national de réforme que vous présentera Emmanuel Macron, retrace les grandes orientations économiques et budgétaires de la France et participe à la coordination de ces politiques économiques au sein de l'Union européenne. Avant de l'adresser à la Commission européenne et à nos partenaires d'ici à la fin du mois, nous aurons l'occasion d'en débattre en séance publique mardi 26 avril, comme vous l'avez rappelé, monsieur le président.
Vous constaterez que ce document recèle peu de nouveautés : nos grandes orientations économiques et budgétaires n'ont pas changé car seule la constance, dans les objectifs et dans la méthode, permet d'obtenir des résultats tangibles et durables.
La constance dans la politique fiscale, c'est la poursuite des baisses d'impôts. Après avoir totalisé 24 milliards d'euros en 2015, le pacte de responsabilité représentera, avec le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), 34 milliards de baisses de cotisations et de fiscalité pour les entreprises en 2016. Ces allégements massifs soutiennent la production et l'emploi ; ils sont décisifs pour la prospérité du pays.
La constance dans la politique budgétaire, c'est la poursuite de la réduction du déficit grâce au plan d'économies de 50 milliards sur trois ans annoncé en 2014. Tous les organismes publics sont associés à cet effort, et toute dépense nouvelle est financée par des économies à due concurrence. C'est la condition pour mettre en oeuvre les baisses de prélèvements tout en nous donnant les moyens d'agir pour financer nos priorités, comme pour réagir lorsque de nouveaux besoins se font sentir dans le courant d'un exercice budgétaire.
Comme nous l'avions anticipé, l'environnement macroéconomique s'améliore progressivement. Cette tendance devrait se poursuivre.
La croissance s'est installée sur des bases solides en 2015 : elle a atteint 1,2%, dépassant l'objectif initial de 1% que certains jugeaient pourtant optimiste. Cette dynamique, portée par la consommation et l'investissement, pourrait s'accélérer en 2016.
Les ménages voient leur pouvoir d'achat progresser fortement, grâce à la politique de modération fiscale ainsi qu'à la baisse du prix du pétrole : il a augmenté de 1,8% l'an dernier. C'est sa plus forte progression depuis 2007, et il devrait rester dynamique en 2016 et 2017. En conséquence, la consommation progresse : après une hausse de 1,4% l'an dernier, elle devrait croître de 1,6% par an en 2016 et 2017.
Les entreprises voient leurs marges se redresser : c'est une étape nécessaire pour investir et produire en France. Ainsi, leur taux de marge a déjà repris les deux tiers du chemin perdu avec la crise, pour atteindre 31,4% à la fin de l'année 2015. Avec le déploiement complet du pacte de responsabilité, le taux de marge reviendra à son niveau moyen d'avant crise. Tout cela crée les conditions d'une accélération de l'investissement des entreprises : après avoir progressé de 2% l'an dernier, il devrait augmenter de plus de 3% en 2016.
Dans ce contexte, l'économie française a renoué avec les créations d'emploi dans le secteur privé en 2015, avec 100.000 emplois créés. Ce rythme devrait s'accélérer dès cette année, grâce au renforcement de la reprise et au déploiement du plan d'urgence pour l'emploi.
En 2015, la croissance s'est donc affermie, marquant la première année de reprise économique effective.
Pour 2016, les derniers développements conjoncturels sont cohérents avec notre prévision de 1,5% de croissance. Le Haut conseil des finances publiques a rendu ce matin son avis sur les prévisions macroéconomiques associées au programme de stabilité et il considère cette prévision comme «atteignable». Maintenir cette ancre permet d'assurer une stabilité essentielle à la conduite sereine de la politique budgétaire.
La seule modification majeure que contient ce document concerne l'inflation : alors que notre prévision était de 1% pour 2016 à l'automne, elle devrait être à nouveau quasiment nulle cette année - 0,1% selon nos prévisions - avant de revenir progressivement vers sa cible de 2%. C'est la nouvelle baisse du prix du pétrole depuis janvier qui entraîne un redressement de l'inflation plus lent que prévu.
Si la situation s'améliore sur le front de l'économie, elle s'améliore aussi sur le front des finances publiques.
Permettez-moi de revenir tout d'abord sur l'année 2015. Le passé éclaire l'avenir, j'en suis persuadé, et les similitudes entre 2015 et 2016 ne manquent pas. Ce que nous avons réussi l'an dernier, nous pouvons le réussir cette année - la méthode a fait ses preuves.
Les résultats de 2015 sont meilleurs que prévu : le déficit s'établit à 3,5% du PIB ; c'est mieux que ce que nous avions anticipé.
Les dépenses ont diminué de 1,4 milliard d'euros d'exécution à exécution - je pense que vous êtes sensible à ce point, Monsieur le Président : ce ne sont pas là des tendances. C'est le résultat d'une gestion réactive du budget : tout au long de l'année, nous avons su dégager de nouveaux moyens pour agir. Cette année, nous ferons de même : toute dépense nouvelle sera financée, à commencer par le plan emploi, le plan d'urgence en faveur des agriculteurs et les mesures en faveur de la jeunesse. Concrètement, ces dépenses seront financées par deux moyens principalement : la réserve de précaution a été augmentée de 1,8 milliard d'euros par le gel des crédits reportés de 2015 à 2016, et elle atteint aujourd'hui un peu plus de 11 milliards d'euros ; prochainement, un décret d'avance va gager les dépenses sur l'emploi par des économies supplémentaires.
Les comptes de la sécurité sociale se sont également améliorés en 2015. En quatre années, le déficit du régime général a été divisé par trois, enregistrant son niveau le plus bas depuis 2002. Là encore, ces bons résultats viennent de la maîtrise de la dépense : la progression des dépenses d'assurance maladie a été contenue à 2%, niveau historiquement bas. Cette année encore, nous allons poursuivre cet effort ; l'objectif voté - 1,75% - est ambitieux. L'avis du Comité d'alerte sur l'évolution des dépenses d'assurance maladie publié aujourd'hui confirme que nous pouvons l'atteindre.
Les élus locaux se sont également emparés du sujet du rétablissement des comptes publics. Permettez-moi de vous rappeler les faits : la dépense locale a ralenti, dépenses de fonctionnement comme dépenses de personnel, et les recettes ont progressé plus vite que les dépenses. La politique budgétaire du gouvernement se révèle efficace : pour la première fois depuis 2003, le solde des administrations locales est excédentaire ! Cette année encore, grâce au mouvement désormais enclenché, la maîtrise de la dépense sera poursuivie et cette situation financière globalement bonne permettra aux collectivités de relancer leurs investissements : en 2015, les collectivités ont augmenté leurs dépôts sur le compte du Trésor ; elles ont donc mis de l'argent de côté et disposent des marges nécessaires pour relancer l'investissement.
En 2016 comme en 2015, nous prenons aussi des mesures complémentaires pour absorber l'impact négatif de la faible inflation sur les finances publiques : 3,8 milliards d'économies complémentaires vont être réalisées en 2016, au-delà du financement des dépenses nouvelles. En voici le détail précis : après financement des mesures nouvelles, les dépenses de l'État et des opérateurs seront diminuées d'un milliard d'euros ; un autre milliard d'économies sera également réalisé sur les dépenses sociales, avec notamment la pérennisation des économies constatées en 2015 ; enfin, 1,8 milliard d'euros seront économisés grâce à de moindres dépenses sur la charge d'intérêts. Cette dernière économie est permise par la seule révision à la baisse des taux d'intérêt - le taux à dix ans à la fin 2016 est désormais prévu à 1,25%, contre 2,4% en loi de finances initiale.
Pour 2017, les orientations fixées par ce programme de stabilité sont constantes et inchangées : poursuivre la réduction du déficit pour qu'il repasse en deçà de 3%, continuer à baisser les impôts et financer tout cela par des économies. C'est ce que nous faisons depuis deux ans et c'est ce que nous continuerons à faire jusqu'à la fin du quinquennat.
J'en viens maintenant à la description un peu plus agrégée de notre trajectoire : le taux de progression de la dépense publique en 2014 et en 2015 a été limité à environ 1%. Cette progression sera maintenue à un niveau similaire en 2016 et en 2017. Sur ces quatre années, nous avons engagé une vraie rupture avec le passé car la dépense avait progressé en moyenne de 3,2% entre 2007 et 2012.
S'agissant des recettes, le taux de prélèvements obligatoires a baissé en 2015 pour la première fois depuis 2009. La baisse va se poursuivre ; nous atteindrons 44% en 2017, avec le déploiement des baisses d'impôts du pacte de responsabilité et de solidarité.
Le résultat d'un déficit qui se réduit et d'une croissance qui repart, c'est une dette qui se stabilise. Celle-ci n'aura progressé que de 0,4 point en 2015 pour atteindre 95,7% du PIB. C'est bien peu quand l'on regarde le rythme de progression de la dette depuis 2007.
Après avoir augmenté fortement depuis 2008, la dette est aujourd'hui quasi stabilisée. Maîtriser ainsi nos grands équilibres, c'est également la condition pour préserver la qualité de la signature de la France et se financer à bas coût. La semaine dernière, nous avons emprunté à dix ans à un taux de 0,43% - c'est un record. Cette semaine même, nous avons réalisé une émission à maturité de cinquante ans à 1,9%, événement rare, puisque la dernière opération de ce type avait eu lieu en 2010, à un taux de 4,2%.
Ces bonnes conditions de financement nous permettront de dépenser à nouveau moins au titre des charges d'intérêts en 2016 qu'en 2015 - 43,1 milliards d'euros contre 44,1 milliards pour l'ensemble des administrations. Et comme il est d'usage, nos prévisions de taux d'intérêt restent prudentes : 1,25% fin 2016, et 2% fin 2017.
Depuis 2012, le gouvernement et la majorité assument la responsabilité d'apurer des années de laisser-aller budgétaire : si nous n'avions rien fait, le déficit public se serait établi à près de 7%. Au lieu de cela, il a été divisé par deux depuis le pic de la crise et il sera ramené sous les 3% à horizon 2017.
Pour la première fois depuis l'année 2000, nous avons l'an dernier baissé à la fois le déficit et le taux de prélèvements obligatoires.
Voilà les éléments du débat passionné que nous ne manquerons pas d'avoir.
M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Je viens pour ma part, comme chaque année, vous présenter le programme national de réforme(PNR), dans la continuité de ce que Christian Eckert vient de vous indiquer. J'évoquerai aussi ses premiers résultats - notre débat de l'an dernier avait, je m'en souviens, porté notamment sur leur évaluation.
Ce programme national de réforme comprend quatre axes principaux.
Il s'agit tout d'abord d'assurer la soutenabilité et la qualité des finances publiques. Cet aspect vient d'être détaillé, et je n'y reviens pas. Certaines de nos réformes - celles qui concernent, par exemple, les retraites et les retraites complémentaires - ont permis d'améliorer la soutenabilité de long terme de nos finances publiques. On connaît les éléments conjoncturels qui nous sont favorables, le niveau des taux d'intérêt par exemple ; il faut poursuivre nos réformes structurelles.
Le deuxième axe, c'est la poursuite du redressement de la compétitivité et de la productivité, mais aussi de l'amélioration de l'environnement des entreprises.
Cette amélioration passe par celle de la compétitivité-coût ; si les marges des entreprises étaient si basses, c'est aussi parce que pendant une décennie nous avons progressivement dérivé - non pas tant sous l'effet de décisions gouvernementales, mais en raison d'une dynamique salariale très décorrélée entre les principales économies de la zone euro. Nous avions donc perdu en compétitivité ; c'est pourquoi nous avons pris des mesures destinées à corriger cet état de fait, à commencer par le pacte de responsabilité et le CICE. Elles fonctionnent, puisque les marges s'améliorent, comme l'a dit Christian Eckert. Dans le PNR, nous faisons notamment état de notre volonté de pérenniser le CICE, par sa transformation en baisse durable de cotisations sociales, de la mise en oeuvre du dernier volet du pacte - un peu de 6 milliards d'euros d'allégements de charges complémentaires résulteront de son entrée en vigueur au 1er avril, avec un ciblage important pour la compétitivité de l'industrie, puisque les charges seront allégées jusqu'à 3,5 SMIC - et de la poursuite de la suppression progressive de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Cette stratégie en matière de compétitivité-coût comprend une composante conjoncturelle, avec en particulier le dispositif «embauche PME», qui vient accélérer et accompagner la reprise ; il devrait permettre de créer 60.000 emplois supplémentaires d'ici à la fin 2016.
La compétitivité revêt également une dimension hors coût : ce qui importe, c'est de réussir une différenciation de l'offre, une montée en gamme tant de la production que de la formation, afin de désensibiliser notre économie à la concurrence des pays à bas coût et de conquérir de nouveaux marchés.
Le gouvernement apporte donc son aide à la recherche et développement et à l'innovation. Les derniers chiffres de l'attractivité confirment que cette stratégie est bonne. Nous avons notamment pérennisé le crédit d'impôt recherche et prorogé pour un an le dispositif de suramortissement mis en place en 2015 - qui permet d'amortir 140 pour une décision d'investissement productif de 100. À cela s'ajoutent les mesures prises en matière de simplification de la vie des entreprises.
Ces mesures seront complétées par des dispositions structurantes pour l'entrepreneuriat. Certaines seront comprises dans le projet de loi présenté par Michel Sapin. Il s'agit de faciliter la création d'entreprises, notamment en poursuivant le mouvement de simplification des exigences de qualification pour chaque métier, tout en continuant naturellement de protéger la santé et la sécurité de tous. Il s'agit également de faciliter la croissance des entreprises, en simplifiant le passage du régime fiscal et social de la microentreprise au régime de droit commun, et en allégeant autant que faire se peut les obligations et les procédures. Enfin, l'amélioration de l'environnement économique passe par les simplifications en matière de numérique et par l'ouverture des données. La loi pour la croissance et l'activité a pris des mesures pour plusieurs secteurs ; ce mouvement sera poursuivi par voie réglementaire comme par voie législative, avec le projet de loi pour une République numérique. Il s'agit par exemple de donner une valeur juridique probante aux documents numériques. Nous amenderons également le projet de loi pour y inclure de nouvelles mesures visant à ouvrir les données dans les secteurs de l'énergie et du foncier notamment.
Le troisième axe concerne le fonctionnement du marché du travail.
Depuis 2012, nous avons adopté des réformes visant à permettre à nos entreprises de s'adapter à une conjoncture incertaine : nous avons ainsi, en 2013, réformé les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), à la suite de la signature de l'accord national interprofessionnel (ANI) ; nous avons également mis en place, en 2013, les accords de maintien dans l'emploi, qui ont été réformés et simplifiés en 2015.
Nous prenons également des mesures destinées à offrir plus de protections et à améliorer la qualité des accompagnements offerts aux salariés comme aux demandeurs d'emploi, dans un environnement où la fréquence des transitions professionnelles s'accélère : je pense à la portabilité des droits, à la réforme de la formation professionnelle, à l'instauration du compte personnel d'activité.
Nous avons enfin renforcé le cadre du dialogue social, que la loi relative au dialogue social a également permis de simplifier. D'autres mesures sont en discussion dans le cadre de la loi «travail», visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.
Nous voulons continuer de donner plus de visibilité aux employeurs afin de faciliter la création d'emploi et de sécuriser les transitions pour les salariés.
Enfin, le quatrième axe concerne la promotion de l'inclusion sociale et de l'égalité des chances. C'est en parvenant à renforcer la sécurité individuelle que nous pourrons donner plus de flexibilité à notre économie. Cet équilibre est nécessaire pour affronter un monde où les ruptures de parcours sont plus nombreuses et les risques plus grands.
Il est essentiel de rendre plus facile pour les entreprises de s'organiser de façon flexible, par le dialogue social, et de renforcer l'entrepreneuriat ; mais ces mesures doivent être complétées par d'autres, visant à lutter contre la précarité et la pauvreté. On constate d'ailleurs, à cet égard, que la situation se dégrade fortement chez nos voisins.
Le gouvernement a donc décidé une revalorisation des minima sociaux et pris des mesures en faveur de l'inclusion bancaire et de l'accès au logement. Il apporte un soutien particulier aux jeunes à travers le dispositif «garantie jeunes».
Les mesures destinées à ouvrir le marché des biens et des services aux nouveaux entrants font également partie de cette stratégie d'inclusion sociale - je veux souligner ici la cohérence de notre politique. Ces mesures, qui rendent notre économie plus efficace, la rendent aussi plus juste, en permettant aux plus fragiles d'accéder qui au crédit, qui à la mobilité, qui à certaines professions.
Voilà, rapidement brossés, les quatre axes du PNR.
J'ai aussi parlé de résultats et d'évaluation.
Les marges des entreprises se redressent, même si nous n'avons pas encore retrouvé les niveaux d'avant la crise : cela doit nous conduire à rester à la fois prudents et volontaristes. Dans beaucoup d'entreprises, et notamment de PME, les marges demeurent très fragiles.
En matière de coût unitaire du travail, nous avons enrayé la dégradation du différentiel. Je rappelle qu'au début de la décennie 2000, le coût unitaire du travail pour des emplois industriels peu qualifiés était moins élevé en France qu'en Allemagne. Au début de cette décennie, il est devenu plus important. Depuis la fin de l'année 2014, nous avons réussi à inverser cette tendance sous l'effet conjugué des mesures de compétitivité que j'évoquais et de l'inflation salariale allemande liée aux négociations sociales, d'une part, et aux mesures décidées par le gouvernement de grande coalition d'autre part.
À plus longue échéance, selon les évaluations de nos services, qui sont toujours réalisées avec une grande prudence et qui sont cohérentes avec d'autres études, notamment de l'OCDE, les mesures présentées dans le PNR auront un impact brut de l'ordre de 4,8 points de PIB à l'horizon 2020 et de plus d'un million d'emplois créés. L'impact net est estimé à 2,5 points de PIB et de 670.000 emplois à horizon 2020, ce qui reste robuste et non négligeable. La décomposition de cet impact par catégorie de mesures figure page 19 du document. L'un des plus gros écarts entre le brut et le net concerne le CICE et le pacte de responsabilité et de solidarité pour une raison simple : il faut tenir compte de l'effet récessif des économies qui financent ce dispositif. On passe d'un impact sur le PIB de 1,7 point à l'horizon 2020 à un impact de 0,1 point, ce qui est tout à fait normal. On observe par contraste le caractère particulièrement robuste de toutes les mesures de soutien à l'investissement et à l'innovation dont l'impact est de 0,6 point en brut et de 0,5 point en net.
Voilà les quelques éclairages que je souhaitais vous apporter en complément des documents qui vous ont été transmis.
(Interventions des parlementaires)
M. le ministre. Je vais d'abord répondre aux questions sur la croissance et notamment à celle que vous avez soulevée, Monsieur le Président, à propos de la croissance potentielle. Que ce soit par le Haut conseil des finances publiques, la Commission européenne ou nous-mêmes, ce sujet doit être abordé avec beaucoup de modestie parce que le débat académique n'est absolument pas stabilisé. Si consensus il y a, il se fait plutôt autour de l'idée que personne ne sait vraiment intégrer certains facteurs - en particulier l'impact du numérique et de l'économie collaborative - dans la croissance potentielle de nos économies. Nous sommes face à une sorte de nouveau paradoxe de Solow. Nous devons donc rester très prudents et préciser que nos calculs ont un caractère très conventionnel. L'économie collaborative fait sortir beaucoup de notre richesse du PIB, mais elle crée aussi de l'emploi, des transferts de valeur. La modestie s'applique à nos propres prévisions.
Le Haut conseil des finances publiques s'est appuyé sur un débat récurrent entre la Commission européenne et nos services. Ce débat, qui relève de la casuistique, a connu une parenthèse éphémère l'année dernière quand nous nous étions alignés sur les positions de la Commission qui avait elle-même fait un pas vers nous. Rappelons que, l'an dernier, la Commission avait évalué la croissance potentielle à 1,3% pour 2016. Le point de divergence est toujours le même : elle ne prend pas en compte les mesures nouvelles que nous avions intégrées en estimant leur effet à 0,2%. Revenant sur l'accord méthodologique que nous avions obtenu, la Commission a refait un calcul décalé de 0,2%. C'est ce qui explique l'écart de 0,4% qui existe en 2016 entre ses chiffres et les nôtres : 0,2% de révision méthodologique et 0,2% de mesures non prises en compte par la Commission. Nous allons vivre avec cet écart dans l'évaluation de la croissance potentielle : 1,1% contre 1,5% pour 2016 ; 1,2% contre 1,5% pour 2017.
Monsieur le Député, vous nous avez interrogés sur la contribution des stocks à la croissance, dont l'INSEE a publié le chiffre pour 2015. L'essentiel de la contribution des stocks à la croissance en 2016 vient d'un effet d'acquis, c'est-à-dire de l'élan pris à la fin de l'année 2015. Comme l'ont souligné vos collègues, le FMI a une approche particulièrement pessimiste, sachant qu'il est toujours plus pessimiste que d'autres institutions chargées de la prévision qui, elles, sont traditionnellement optimistes. Quoi qu'il en soit, tout cela montre que nous devons être extrêmement prudents.
Monsieur le Président, vous m'avez aussi posé une question sur les mesures prises en faveur des jeunes. Pour clarifier les choses, j'indique qu'il n'y a pas de RSA pour les moins de vingt-cinq ans dans les mesures annoncées. Nous prévoyons une garantie jeunes qui n'est pas une mesure d'assistance car elle suppose un engagement actif dans un parcours - formation ou stage - et qui est ciblée. Pour 2017, le coût de cette mesure est évalué à 200 millions d'euros. Quant aux mesures jeunes, qui prolongent les bourses pendant quatre mois afin de favoriser le retour à l'emploi, elles sont conditionnées et limitées. Leur coût est estimé à 100 millions d'euros en 2017. Les deux mesures représentent donc un montant annuel de 300 millions d'euros. Elles sont conditionnées à des obligations de formation et, en particulier la première, visent le public des jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en études, ni en formation, une catégorie que la Commission européenne désigne sous le terme de NEET (not in employment, education or training). S'il s'agissait d'un RSA jeunes, les masses financières n'auraient rien à voir avec les 300 millions d'euros prévus pour 2017.
La question qui nous est posée - et qui dépasse très largement notre débat du jour - est celle-ci : compte tenu des changements économiques et sociaux en cours, comment pouvons-nous repenser nos politiques d'entrée et d'évolution dans l'emploi ? La réforme de la formation professionnelle n'est qu'une partie de la réponse. Dans une économie de rupture, l'entrée dans l'emploi et le changement de parcours d'une entreprise à l'autre ou d'un secteur à l'autre sont de plus en plus difficiles pour les jeunes, en particulier pour ceux qui sont peu qualifiés. Il faut privilégier cette approche plutôt que de se focaliser sur le ciblage d'un public ou le coût d'une mesure. Quoi qu'il en soit, j'y insiste, les mesures annoncées ne relèvent pas d'une politique de l'assistance ; elles constituent un filet de sécurité dans un ensemble qui est actuellement imparfait, compte tenu des difficultés de l'entrée sur le marché du travail et des politiques de formation ou d'accompagnement.
Votre approche de la généralisation du tiers payant est un peu biaisée. On peut penser que la mesure aura un impact sur la trésorerie. Pour autant, posera-t-elle un problème structurel en contribuant à décaler nos dépenses de santé en général ? Je ne le crois pas, et d'autant moins quand je compare avec des pays comme les États-Unis qui ont des mécanismes plus forts en matière d'incitation ou de contrôle des individus. Aux États-Unis, le ratio des dépenses de santé rapportées au PIB est l'un des plus élevé au monde, et le système de santé est le plus inefficient. La généralisation du tiers payant permet l'accès aux soins, ce qui est bénéfique pour la croissance potentielle à long terme, mais elle a un effet sur la trésorerie à court terme. D'un point de vue structurel, cette mesure est loin d'être négative : son caractère inclusif est bon pour notre croissance potentielle.
La revalorisation du point d'indice dans la fonction publique n'est pas une mesure structurelle. Quand on compare la trajectoire - hors mesures catégorielles - des fonctionnaires avec celle des autres actifs, on constate qu'un effort leur a été demandé au cours des dernières années par deux majorités successives. Il n'était pas illégitime de revoir le niveau du point. Si réforme structurelle de la fonction publique il doit y avoir, elle doit porter sur les missions, les périmètres, etc. En revanche, la revalorisation du point d'indice est une mesure conjoncturelle qui ne me paraît pas illégitime.
Madame la Présidente, vous avez soulevé le sujet de l'investissement pour lequel deux actions sont en cours : le plan Juncker, qui représente 315 milliards d'euros pour l'ensemble des pays de l'Union européenne ; la nouvelle génération de programmes d'investissements d'avenir (PIA). Rappelons que le PIA a des composantes d'avances remboursables, de subventions ou de dotations, avec une partie maastrichtienne et l'autre non, alors que l'essentiel du plan Juncker est constitué de financements du type prêts à long terme. La part en fonds propres du plan s'élève à 21 milliards d'euros, et c'est l'effet de levier public et privé qui permet d'atteindre 315 milliards d'euros. La France est le premier pays bénéficiaire du plan avec 28 projets approuvés pour un montant de 11,3 milliards d'euros d'investissements, principalement dans les domaines du très haut débit et des énergies renouvelables.
M. le secrétaire d'État. Je vais être très impoli et interrompre le ministre pour appuyer son propos. Lundi dernier, j'étais avec le Premier ministre à la Banque européenne d'investissement (BEI), où nous avons signé pour 2,1 milliards d'euros d'engagement dans sept ou neuf projets : usine de traitement du lait, soutien aux PME, en partenariat notamment avec La Banque postale et la Banque publique d'investissement (BPI), etc.
M. le ministre. La troisième tranche du PIA, à partir de 2017, représentera 10 milliards d'euros, un montant fondé sur les évaluations réalisées par M. Maystadt, ancien responsable de la Banque européenne d'investissement, et par France Stratégie. Elle complétera et poursuivra le dispositif actuel du «PIA 2», qui vient à expiration cette année, en rouvrant des crédits. Les deux actions sont complémentaires du point de vue du pilotage, et nous avons notre propre évaluation du PIA.
J'ai été interrogé par M. le député sur les investissements ferroviaires et, plus largement, publics. Le gouvernement a engagé un effort sans précédent s'agissant de la sélectivité des investissements publics, au moyen d'une méthode générale et d'une nouvelle procédure d'évaluation horizontale. Grâce à l'évaluation que nous avons instaurée au-delà de 100 millions d'euros, avec l'appui du Commissariat général à l'investissement (CGI), les investissements ne sont pas automatiques et leur sélection est beaucoup moins discrétionnaire qu'auparavant. Le document de présentation qui vous a été remis synthétise à la page 157 les avis du CGI.
Dans le domaine ferroviaire, la priorité a été accordée à la rénovation du réseau plutôt qu'aux nouveaux investissements. Ce choix me paraît relever d'une bonne stratégie, car nous sommes confrontés à la vétusté du réseau après avoir privilégié pendant plusieurs décennies les nouveaux projets, sans nous donner la possibilité d'entretenir le réseau existant. Nous avons fait preuve de cohérence, dans le cadre de la réforme ferroviaire puis de la loi pour la croissance, en instaurant cette règle d'or qui garantit à l'établissement public la préservation de ses capacités à investir - dans le renouvellement exclusivement.
Au niveau industriel, cette politique d'investissement implique une contrainte, voire une gageure. En effet, nous avons développé des acteurs industriels français qui sont par construction captifs de la commande publique, et d'une commande publique en quelque sorte infinie. Le dimensionnement de l'appareil productif a été déterminé par ces politiques très volontaristes. Nous menons donc actuellement une politique d'accompagnement - je vous renvoie aux annonces récentes de commandes de trains par Alain Vidalies, qui marquent le maintien de notre volontarisme s'agissant du renouvellement, que les régions devront compléter -, mais afin de désensibiliser nos acteurs industriels vis-à-vis de l'investissement public. Ainsi cette politique s'articule-t-elle à celle qui vise la compétitivité.
Un exemple : Alstom Transport a besoin de se moderniser, de se différencier, d'accéder à de nouveaux marchés ; nous y oeuvrons très régulièrement - le week-end dernier encore, en Algérie, où l'extension de la joint-venture Cital a permis à l'entreprise, en particulier à son site de Reichshoffen, très menacé, d'obtenir un nouveau marché, donc de dégager des volumes en étant beaucoup moins sensible qu'auparavant à la commande publique.
Sans cette politique, nous en resterons à une économie relativement fermée et essentiellement tributaire de la commande publique. Tel est le défi que nous devons relever, dans plusieurs secteurs, dont le ferroviaire et le BTP : réussir cette transition qui ne se produira pas du jour au lendemain.
Le chiffrage en matière de nucléaire est très difficile, particulièrement en ce qui concerne l'emploi où il suppose de tenir compte du développement futur des activités de démantèlement et, surtout, de toute la nouvelle production, laquelle dépend de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) ainsi que des travaux que nous sommes en train de finaliser avec EDF. C'est un sujet important dont je sais qu'il vous tient à coeur, monsieur le député. Je suis à votre disposition si vous souhaitez que nous consacrions une audition à ces questions. Notre visibilité n'est pas totale, mais il est certain que l'évolution ne sera pas sans conséquences, et celles-ci doivent être bien évaluées. Il y a ici une approche très conservatrice de la part du nucléaire : vous avez raison ; mais je ne veux pas non plus adopter une approche catastrophiste. Il faut donc progresser sur cette question, en l'abordant du point de vue industriel.
S'agissant des énergies renouvelables, ce sont essentiellement des investissements privés qui justifient la dynamique de création d'emplois, dans la rénovation thermique comme dans la production de nouveaux ensembles ou dans le développement d'activités nouvelles.
Enfin, les chiffres d'emploi cités dans le document correspondent à des montants bruts. J'ai donné tout à l'heure quelques chiffres nets. Je vous propose, par souci de transparence, de transmettre à votre commission, pour chaque bloc de mesures, le chiffrage détaillé, en brut et en net, de leur effet sur le PIB et du nombre d'emplois qu'elles permettent de créer. Vous pourrez ainsi vérifier que l'écart entre le brut et le net est faible pour toutes les mesures d'investissement et d'innovation, contrairement à celui qui caractérise les effets du CICE et du pacte de responsabilité : 1,7 point de PIB et 520.000 emplois créés en brut, contre 0,1 point et 280.000 emplois en net. Je ne cite que cet exemple, qui va dans votre sens, Monsieur le Député. Le différentiel s'explique bien par la capture de l'effet des mesures au niveau des collectivités locales, du fait des destructions d'emplois.
M. le secrétaire d'État. Je commencerai par un point de méthode. Il est d'usage que nous venions vous présenter le programme de stabilité, de même que le budget, à l'issue du Conseil des ministres, par respect pour votre commission qui a ainsi la primeur de ces documents. Mais si les commissaires souhaitent avoir davantage de temps pour les consulter, c'est tout à fait possible : nous sommes à votre disposition.
Madame la Présidente de la commission des affaires européennes, nous avons toujours été favorables au reporting public pays par pays - chaque mot compte. Je me souviens parfaitement de l'épisode du mois de décembre. Vous vous en souvenez aussi bien que moi. J'ai toujours dit que la France demandait à l'Europe d'instaurer ce reporting public pays par pays. J'ai toujours dit que, dès que l'Europe l'aurait instauré, nous nous engagions à le transcrire dans notre législation. Pierre Moscovici s'est exprimé ces jours-ci et s'exprimera de nouveau très prochainement sur cette question ; Michel Sapin emporte à Washington des propositions précises, y compris à ce sujet. Je précise que, dans la décision qu'il a rendue après nos travaux de décembre, le Conseil constitutionnel a clairement dit qu'il acceptait le reporting pays par pays dans la mesure où celui-ci n'était pas public, mais réservé aux administrations fiscales, et ce afin de ne pas entraver la liberté d'entreprendre. Il apparaît donc de plus en plus nécessaire qu'un autre principe constitutionnel, celui qui oblige à transposer les règles européennes, nous permette de procéder au reporting de manière solide, constitutionnellement fondée. J'ai été violemment pris à partie à ce sujet en décembre, et je le regrette. Mes propos ont toujours été clairs et nets. Afin de dissiper toute inquiétude s'il en était encore besoin, j'ajoute que le reporting public figure dans les propositions 12 et 13 de la liste de propositions que Michel Sapin et moi-même avons publiée à la suite de l'affaire des Panama papers.
En ce qui concerne le STDR et Panama, Mme la députée a eu raison de citer les chiffres de 2015. Ils méritent explication. J'ai entendu, en effet, que trois affaires concernant le Panama auraient été traitées au STDR. Mais, si le STDR est saisi d'une affaire dans laquelle un compte est localisé au Luxembourg, concernant une société basée aux Îles Vierges et créée par une autre société elle-même créée au Panama et ayant des bénéficiaires français, dans quelle catégorie faut-il la classer : France, Îles Vierges, Panama ou Luxembourg ? Nous avons adopté, notamment pour présenter le rapport auquel il a été fait allusion - et dont la publication, curieusement, était prévue avant l'affaire Panama -, le principe d'une classification selon la localisation du compte bancaire. Nous avons néanmoins cherché à savoir, à la suite de cette affaire, combien de dossiers traités en 2014 et 2015 concernaient Panama à un stade ou à un autre ; nous en avons trouvé 750 environ, qui représentent quelque 4 milliards d'euros d'avoir et 1,2 milliard d'impôts et de pénalités perçus.
Les effectifs sont aujourd'hui de 159 agents, en place au service central du STDR et dans les annexes régionales que nous avons créées. Avant l'affaire Panama, nous avions déjà décidé de porter leur nombre à 200 environ. En effet, nous avons 45.000 dossiers, et nous en traitons 6.000 ou 7.000 par an : il nous faut donc plus de personnel pour écluser le stock.
Y a-t-il plus ou moins de dossiers qu'auparavant ? Nous en avons reçu 341 en mars ; il n'est pas sûr que ce soit lié à l'affaire Panama, compte tenu du calendrier des événements. Cela représente 4.000 à 5.000 dossiers par an. Voilà les informations que je puis vous donner à ce stade.
Michel Sapin et moi-même avons rencontré Wolfgang Schäuble à Metz jeudi dernier pour nous mettre d'accord, ainsi qu'avec d'autres pays, sur les propositions qui seront défendues en commun aujourd'hui à Washington, et dans les deux semaines à venir en vue du prochain sommet européen.
Monsieur le Président, le lanceur d'alerte que vous êtes sera bientôt protégé par la «loi Sapin» ! En la matière, vous êtes un récidiviste : l'année dernière à la même époque, vous donniez l'alerte dans les mêmes termes - il n'y avait pas assez d'inflation, il allait nous manquer 10 milliards d'euros de recettes, nous avions engagé des dépenses non prévues et le déficit de la France allait exploser. Voilà qui appelle les réponses suivantes.
Vous avez évoqué la faible inflation. Celle-ci a trois effets sur nos comptes publics. Elle a, premièrement, un effet, qui peut paraître négatif, sur les dépenses puisque l'on peut penser qu'elle provoque mécaniquement une diminution des recettes, de TVA par exemple, si la croissance ne compense pas ce déficit d'inflation. Or, nous avons prévu une croissance de 1,5% - tout a été dit sur l'humilité des prévisionnistes ; je n'en rajouterai pas. Au demeurant, l'an dernier, nous étions dans la même situation : l'écart entre nos prévisions et l'inflation réelle était le même que cette année. Or, il a manqué tout au plus 1 milliard d'euros sur les 170 milliards de recettes de TVA. Ces dernières ont donc été au rendez-vous. Certes, je ne peux pas vous garantir que ce sera encore le cas cette année.
Elle a, deuxièmement, un effet sur les dépenses : une faible inflation permet de mieux tenir les budgets, puisque l'on achète à un prix moins élevé. Je prends un exemple caricatural. Si l'on a alloué à un ministère les crédits nécessaires pour acheter cent véhicules en tenant compte d'une inflation de 1%, on peut penser que, si celle-ci est finalement de 0,1%, ces véhicules lui coûteront moins cher et qu'il pourra donc économiser de l'argent. Je pourrais également mentionner le coût plus faible de l'énergie, dont tous les ministères - de même que les collectivités territoriales, nous y reviendrons - bénéficient, car tous doivent chauffer des bâtiments. Une faible inflation favorise donc la tenue des crédits budgétaires et permet même, parfois, d'en annuler un certain nombre. Tel est l'exercice auquel nous sommes en train de nous livrer avec tous les ministères. Faut-il traiter la justice et la défense à part, et considérer que tout est prioritaire, donc sanctuarisé ? Vous comprendrez que le secrétaire d'État au budget ne peut pas tenir ce type de discours. Je reviendrai, du reste, sur la situation du ministère de la justice.
Enfin une faible inflation a un troisième effet : elle diminue le coût de la charge de la dette, car les taux d'intérêt à dix ans et un certain nombre de produits financiers sont indexés sur l'inflation, de sorte qu'une moindre inflation, y compris au niveau européen, produit au moins autant d'économies que des taux d'intérêt faibles.
L'an dernier, les effets de ces trois facteurs se sont assez largement compensés et se sont même montrés, en définitive, plutôt favorables. Mais je ne dis pas que ce n'est pas un souci : nous avons corrigé nos prévisions sur ce point et nous y sommes attentifs.
Je voudrais dire un mot des collectivités territoriales. Mme la députée a rappelé l'hétérogénéité des situations, mais nous parlons, ici, de moyennes. En moyenne, donc, les recettes réelles de fonctionnement de l'ensemble des collectivités territoriales - communes, intercommunalités, départements et régions - ont augmenté d'1,5%, en incluant la baisse des dotations, laquelle ne s'élève pas à 28 milliards, Mme la députée - comme le prétend également M. le député, qui prend en compte quatre années de baisse de dotations -, mais à trois fois 3,667 milliards, soit 10,5 milliards. Les dépenses réelles de fonctionnement des collectivités ont, quant à elles, augmenté de 1,46%.
Leur capacité d'autofinancement a donc, généralement, progressé. Du reste, les comptes au Trésor ont, je le redis, bénéficié d'environ 4 milliards de dépôts supplémentaires, ce qui signifie qu'il existe un certain nombre de disponibilités qui n'ont pas été mises en oeuvre, et ce, pour diverses raisons que je n'aurai pas le temps d'exposer. Les dépenses de fonctionnement, qui s'accroissaient d'environ 3% par an, augmentent donc cette année de 1,46% et les recettes, comme nous l'avons toujours dit, n'ont pas baissé : elles ont même continué à augmenter, malgré la baisse des dotations.
Se pose donc la question de savoir à quoi est due cette augmentation des recettes. Pour le savoir, nous avons examiné attentivement les produits fiscaux : celui de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises reversée aux collectivités a progressé de 4,5% et celui des droits de mutation à titre onéreux de 16%, en raison d'une certaine reprise du marché immobilier. Par ailleurs, une augmentation des taux des impôts locaux a été décidée dans moins d'un tiers des communes et des intercommunalités. Nous avons donc également examiné les raisons de l'accroissement des recettes de taxe d'habitation, de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière des entreprises, augmentation qui est de l'ordre de 2,6 milliards d'euros, soit 4% à 5%. Vous savez tous que l'augmentation des recettes d'impôts locaux peut avoir trois causes : l'augmentation de l'assiette générale - que vous avez votée et établie à 0,9%, sans grande pression du gouvernement -, l'augmentation physique des bases d'imposition et celle des taux. Les travaux de nos services nous ont permis de repérer que cette hausse de 4 à 5% est due, pour un quart, soit 726 millions exactement, à l'augmentation des taux et pour 521 millions d'euros à la revalorisation forfaitaire, le reliquat étant lié à l'augmentation physique des bases. Je livre ces faits à votre réflexion.
Si vous souhaitez - j'ai également fait cette proposition au Sénat, qui semble faire la sourde oreille - que nous consacrions une séance de travail à la fiscalité locale, je suis prêt à répondre à vos sollicitations. Ensuite, toutes les questions politiques et stratégiques peuvent se poser.
Madame la Députée, je vous signale que la baisse des dépenses de 1,4 milliard d'euros est calculée hors intérêts de la dette, pensions et comptes d'affectation spéciale (CAS). À ce propos, je précise que nous avons transféré 2 milliards de dépenses militaires d'un CAS vers le budget général, ce qui vient nous «pénaliser», si j'ose dire. En revanche, vous avez raison à propos de la baisse du prélèvement sur recettes au profit de l'Union européenne, qui s'établit à 600 millions d'euros.
Un mot, enfin, sur le gel et le surgel des crédits budgétaires ainsi que sur la situation du ministère de la justice. Tout d'abord, geler des crédits ne signifie pas qu'on ne les dépensera pas. Il arrive en effet régulièrement que nous en dégelions, et pas seulement à la fin de l'année, mais dès juin - ce qui est plutôt rare - et septembre, ce qui est un peu plus fréquent. À ce propos, j'ai eu une explication de texte avec M. Urvoas, qui souhaite s'en remettre à un arbitrage qui dépasse ma modeste compétence. Vous en lirez certainement, un jour, le résultat dans les documents budgétaires, ou dans les journaux puisqu'il a choisi de parler davantage à ces derniers qu'à son collègue.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 avril 2016