Interview de Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé à Public Sénat le 26 avril 2016, sur la situation économique et sociale.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Public Sénat

Texte intégral


CYRIL VIGUIER
Marisol TOURAINE, tout d'abord, votre département ministériel, nouvelles perturbations dans les transports en commun ce matin, les syndicats veulent peser sur les négociations concernant leurs conditions de travail avec une nouvelle journée galère pour les usagers, malheureusement ; Est-ce que vous craignez une France prise en otage à nouveau ? Vous dites à ces gens-là « eh oh, il faut se moderniser ».
MARISOL TOURAINE
Je dis il faut que le dialogue permette d'aboutir et de trouver une issue positive, parce que effectivement c'est une grève qui est suivie, qui provoque des difficultés pour beaucoup de voyageurs, pour beaucoup de personnes qui vont travailler le matin, et je souhaite que rapidement entre la direction de la SNCF et les syndicats une voie de sortie soit trouvée et que le dialogue porte ses fruits.
CYRIL VIGUIER
Modernisation, modernisation.
MARISOL TOURAINE
Oui il faut moderniser, et en même temps être attentif aux demandes lorsqu'elles sont légitimes. Il faut dialoguer et voir comment on peut avancer.
VERONIQUE JACQUIER
Hier vous avez pris la parole pour défendre le bilan de François HOLLANDE lors de la soirée publique « eh oh la gauche ». Bilan pour évoquer notamment les avancées sociales ce de gouvernement. Mais les Français n'ont pas la même perception que vous, il y a un fort mécontentement dans le pays, il y a plus de 5 millions de chômeurs, un jeune sur quatre au chômage. Est-ce que hier soir ce n'était pas de la méthode Coué franchement ?
MARISOL TOURAINE
Il ne s'agit pas du tout de nier les difficultés et le doute qui existe, les inquiétudes qui s'expriment dans l'opinion publique. Simplement, il faut engager un travail de conviction. Je ne dis pas que tous les Français vont bien, à l'évidence il y a des Français qui ne vont pas aussi bien qu'on le voudrait, mais la France, elle, va mieux que ne le pensent les Français. Il y a dans notre pays des sources de dynamisme, d'innovation, de transformation, de modernité, que les Français …
VERONIQUE JACQUIER
Un exemple de France qui irait mieux, pour éclairer les Français justement.
MARISOL TOURAINE
Un exemple de France qui irait mieux c'est évidemment ceux qui sont au chômage et qui attendent un emploi. C'est une préoccupation pour le gouvernement, c'est quasiment l'obsession politique quotidienne du gouvernement…
VERONIQUE JACQUIER
Mais il n'y a pas de résultat madame la Ministre.
MARISOL TOURAINE
Il y a des premiers résultats qui ne sont pas suffisants, mais en même temps il y a des emplois qui se créent plus l'année dernière que l'année précédente, et on voit que les signaux sont plus encourageants en ce début d'année 2016. Et ce que je veux dire, et c'était ça la réunion d'hier, c'était non pas de prétendre que tout va très bien dans le meilleur des mondes possibles, mais qu'une mobilisation pour montrer ce qui a été fait est nécessaire, et notamment dire à ceux qui nous font un procès en reniement, qui passent leur journée et leur temps à dénigrer l'action du gouvernement en disant que nous aurions renoncé à nos valeurs, que nous aurions renoncé à nos engagements, dire à ceux-là « vous vous trompez, ça n'est pas vrai, et regardez ce qui a été fait avec la mise en place…. »
VERONIQUE JACQUIER
Donc c'est le premier meeting de la campagne présidentielle, clairement.
MARISOL TOURAINE
Ce n'est pas un meeting, c'est un moment où on s'arrête pour dire « mobilisons nous »… Vous savez aucune élection ne se gagne sur un bilan, aucune.
CYRIL VIGUIER
En province il pourrait y avoir ce type de réunion ?
MARISOL TOURAINE
Mais pour avoir un projet il faut que nous soyons bien au clair avec ce qui a été fait, et évidemment ce qui s'est fait hier à Paris doit toucher l'ensemble du pays. Les réunions c'est bien, ça ne suffit pas, il faut écrire, parler, venir dans les médias, mais moi je veux rappeler que depuis quatre ans le bilan social n'est pas uniquement social de ce gouvernement, il est extrêmement important.
CYRIL VIGUIER
C'est le fameux « ça va mieux ».
MARISOL TOURAINE
Il porte de la modernité, et la modernisation pour reprendre le mot que vous aviez…
MICHAEL SZAMES
…
MARISOL TOURAINE
Ecoutez-moi je ne connais pas les chiffres et je ne commente pas évidemment.
MICHAEL SZAMES
Vous attendez une éclaircie.
MARISOL TOURAINE
Evidemment on souhaite tous que les chiffres soient meilleurs. Moi je ne vais pas commenter des chiffres à quelques heures de leur présentation, je ne les connais pas et nous les attendons au gouvernement évidement avec attention…. Je veux insister sur le fait que depuis quatre ans non seulement nous avons assumé ce qui est au fond une responsabilité de la gauche qui est de dire « les gens qui sont pauvres, les gens qui sont en situation de difficulté et de fragilité nous devons les soutenir et les aider ». Là où la droite dit « assistanat »….
VERONIQUE JACQUIER
Pour autant ces gens là n'ont pas le sentiment de sortir de la pauvreté.
MARISOL TOURAINE
Enfin, les chiffres sont là. Il y a évidemment trop de gens en situation de pauvreté, mais il y en a moins qu'en Allemagne, moins qu'en Angleterre, moins que dans la plupart des pays européens. Et pour la première fois depuis la crise de 2008 nous avons stabilisé la situation. Donc nous devons soutenir en l'assumant. Moi je récuse le procès en assistanat, je revendique la solidarité et le soutien, mais en même temps, à côté de ça, on doit moderniser les politiques sociales et faire en sorte qu'elles accompagnent les gens, les Français au plus près de leur vie. On ne peut pas avoir les mêmes politiques qu'il y a 20 ou 30 ans alors qu'aujourd'hui notre environnement s'est transformé ; et donc un exemple, la retraite, nous devons assumer, je l'ai fait, de dire qu'il faut travailler plus longtemps parce que nous vivons plus longtemps, et que nous devons rétablir les comptes des régimes de retraite, mais il y a des gens qui peuvent partir avant parce que leur vie a été plus difficile. Eh bien le résultat il est là, pour la première fois depuis le début des années 2000 les régimes de retraite sont à l'équilibre, il y a donc des gens qui travaillent plus longtemps, et puis il y a ceux qui partent…
MICHAEL SZAMES
Ça veut dire qu'il n'y aura pas besoin d'une autre loi en 2017 sur les retraites ?
MARISOL TOURAINE
Ceux qui prétendent, comme la droite le fait, qu'il faudra partir plus retard, c'est de l'idéologie.
MICHAEL SZAMES
Aujourd'hui on a arrêté 62 ans.
VERONIQUE JACQUIER
C'est quand même du réalisme, c'est évident qu'il va falloir ….
MARISOL TOURAINE
Mais pourquoi c'est évident !
MICHAEL SZAMES
Qu'il faudra cotiser plus longtemps !
MARISOL TOURAINE
C'est ce que j'ai pris comme décision dans la loi que j'ai fait voter. Nous travaillons 43 ans, la loi que j'ai fait voter fait passer, c'est un effort important, de 41,5 à 43 ans le nombre d'années pendant lesquelles il faudra travailler pour avoir une retraite à temps complet.
MICHAEL SZAMES
Donc si la gauche est au pouvoir en 2017, il n'y aura pas besoin d'une nouvelle loi sur les retraites.
MARISOL TOURAINE
Mais les régimes sont équilibrés cette année, je le dis…
MICHAEL SZAMES
Donc pas de nouvelle loi madame TOURAINE ?
MARISOL TOURAINE
Je le dis, j'insiste là-dessus, il n'y a aucune raison d'avoir une loi qui demande des efforts supplémentaires. Honnêtement, aujourd'hui pour la première fois nous arrivons à l'équilibre pour les régimes de retraite. J'insiste parce que à force d'entendre la droite dire « il faudra travailler jusqu'à 65, 67 ans », l'âge légal de départ en retraite, on finit par penser que l'équilibre est encore sur la ligne d'horizon. L'équilibre il est là avec des efforts qui ont été demandé, l'allongement de la durée de cotisation, et en même temps des droits nouveaux pour ceux qui ont des métiers pénibles, et je l'ai dit l'année dernière 500 000 personnes ont d'ores et déjà bénéficié de points pénibilité dont ils pourront faire usage.
MICHAEL SZAMES
Vous appuyez sur ce clivage gauche-droite, on l'a encore entendu hier chez « Eh oh la gauche ». Et hop dans les dents d'Emmanuel MACRON alors ?
MARISOL TOURAINE
Non.
CYRIL VIGUIER
Qui n'était pas là hier soir.
MARISOL TOURAINE
Mais moi je ne rentre pas dans un débat avec telle ou telle personne. Emmanuel MACRON est au gouvernement donc ….
VERONIQUE JACQUIER
Il n'était pas là hier soir, faut-il qu'il quitte le gouvernement franchement ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, tout le gouvernement ‘n'était pas là et ensuite nous disons nous que nous revendiquons notre bilan. Et que nous partons ce qui a été réalisé. Le clivage il est là pour marquer les orientations. Est-ce qu'on peut travailler ensemble ? Est-ce que des recompositions politiques sont envisageables ? Pourquoi pas. Ce n'est pas à un an d'une élection présidentielle et pas sans…..
VERONIQUE JACQUIER
Est-ce que vous allez pouvoir travailler longtemps avec Emmanuel MACRON ? Emmanuel MACRON qui dit « cette gauche ne me satisfait pas ». Est-ce que vous allez pouvoir travailler longtemps avec lui ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, moi je ne rentre pas dans ce débat, c'est le Premier ministre et le président de la République ….
VERONIQUE JACQUIER
…
MARISOL TOURAINE
Je ne crois pas qu'on ait intérêt à passer son temps à regarder les positions individuelles des uns ou des autres. C'était aussi le message d'hier soir. Nous travaillons pour un bilan collectif. Mon bilan social c'est celui du gouvernement. Ca n'est pas que le mien.
MICHAEL SZAMES
17 % trouvent le président de la République impopulaire, c'est un record, très fort rejet.
VERONIQUE JACQUIER
C'est un très fort rejet de la gauche.
MARISOL TOURAINE
Mais j'entends ce que vous me dites.
CYRIL VIGUIER
Et même pour Manuel VALLS qui passe de records aussi sur sa gauche. 57 % des sympathisants de gauche rejettent … C'est la première fois à ce point là.
MARISOL TOURAINE
Je vous disais lorsque nous avons commencé notre entretien que j'entends les doutes, je vois les inquiétudes et cela se traduit par les sondages. Alors il y a deux attitudes face à cela. Ou on dit ah les sondages ils sont là et donc on baisse les bras, on arrête et on rentre chez nous ; ou on se dit il est temps de se mobilier, il est temps d'expliquer, de faire apparaitre la cohérence de l'action qui a été menée, et d'affirmer notre bilan.
CYRIL VIGUIER
Et on a bien compris que vous faisiez partie de cette deuxième catégorie.
MARISOL TOURAINE
Oui clairement, parce que je pense que nous avons des raisons d'assumer avec fierté le bilan notamment social.
CYRIL VIGUIER
Justement, en plein état d'urgence, les intermittents - à deux pas d'ici d'ailleurs - ont été virés de force par les CRS hier soir, ils étaient accompagnés par les « nuit debout », alors tout ça en attendant une manifestation importante jeudi, la colère elle est quand même là, c'est quand même un secteur …Ce sont des secteurs où ça ne va pas mieux.
MARISOL TOURAINE
« Nuit debout » ça n'est pas un secteur c'est une expression politique qui d‘ailleurs dans les débuts du mouvement était, je dois le dire, assez intéressante, et moi j'entends à travers ce mouvement, ou je vois dans ce mouvement la nécessité de réfléchir à de nouvelles formes d'expression démocratique. On voit bien que nous touchons une limite…
VERONIQUE JACQUIER
Il faut donc tolérer un tel mouvement en plein état d'urgence ?
MARISOL TOURAINE
Je vous dis il y avait au début de ce mouvement des choses intéressantes et de toute façon je crois que nous avons besoin d'introduire des modes d'expression de démocratie directe comme il y en a d'ailleurs en Grande-Bretagne, aux Pays-Bas, dans des démocraties tout à fait ….
CYRIL VIGUIER
Vous ne comptez pas sur les réseaux sociaux ?
VERONIQUE JACQUIER
Un mode d'expression qui ne prend pas sincèrement ? Donc ça va durer jusqu'à quand ?
MARISOL TOURAINE
En revanche, je trouve que la suite de ce mouvement aboutit à des mouvements de violence, d'intolérance qui sont préoccupants et ….
VERONIQUE JACQUIER
Donc des mesures vont être prises ?
MARISOL TOURAINE
Ecoutez, tant qu'il n'y a pas de violence, l'expression et possible. Vous pouvez remarquer que régulièrement lorsqu'il y a des actes de violence des personnes sont interpelées et il y a même déjà eu des comparutions directes et des jugements.
CYRIL VIGUIER
Sur les intermittents, vous ne m'avez pas répondu.
MARISOL TOURAINE
Sur les intermittents il y a là la question de l'avenir de l'indemnisation de chômage d'une catégorie de la population des intermittents du spectacle. Moi je souhaite évidemment qu'un accord soit trouvé, que le patronat fasse des efforts, que chacun puisse, avant la période de l'été qui est une période culturellement importante, puisse trouver les voies d'un accord satisfaisant, responsable, et en même temps respectueux de ce que sont ces métiers de la culture.
MICHAEL SZAMES
Le paquet neutre arrive le 20 mai, le paquet de cigarettes. Vous voulez vous le prix du paquet de cigarettes à 10 euros. C'est pour quand ?
MARISOL TOURAINE
Alors le paquet neutre, pour que les choses soient bien claires, c'est un paquet sur lequel il n'y a plus de marque et de signe, enfin la marque est écrit de façon banalisée, c'est à partir du 20 mai pour que les choses soient bien claires, c'est le 20 mai que les industriels doivent produire le paquet neutre, et ensuite il y a six mois pour écouler les anciens stocks, ce qui est raisonnable.
MICHAEL SZAMES
Mais vous voulez augmenter le prix du paquet ?
MARISOL TOURAINE
Je dis par ailleurs que dans la lutte contre le tabagisme, qui pour moi est une priorité, parce qu'en France on fume plus qu'ailleurs, et on meurt plus du tabac qu'ailleurs, la question du prix du tabac doit être posée ; et pour ma part je souhaite que nous allions à un paquet à 10 euros. Mais j'ai déjà eu l'occasion de le dire, que ça ne serait pas sous ce quinquennat parce qu'on ne passe pas d'un paquet à 7 euros à un paquet à 10 euros en l'espace de quelques mois, et ce sont des décisions qu'il appartiendra au gouvernement de prendre, mais moi pour ma part, comme ministre de la Santé, je souhaite que la question du prix du tabac soit clairement posée.
VERONIQUE JACQUIER
C'est la semaine européenne de la vaccination, pourquoi - c'est une question que beaucoup de Français se posent – pourquoi quand on se fait vacciner contre la diphtérie et le tétanos et la polio est-on obligé de se faire également vacciner, puisque tout est dans la même dose, contre l'hépatite B, la coqueluche, bref, une autre maladie qui n'est pas obligatoire. Pourquoi est-ce qu'on ne trouve plus en pharmacie le fameux vaccin DT polio simple ? Est-ce que parce que les laboratoires se font beaucoup d'argent ?
MARISOL TOURAINE
On le trouve si on le demande, il est livré en moyenne en 48 heures dans les pharmacies. Il est arrivé qu'il y ait des moments difficiles, et que donc le vaccin qui comporte uniquement les trois vaccins obligatoires – DTP – donc ce vaccin-là on l'a en quelques jours en pharmacie. Donc si on le souhaite on le demande et on peut l'obtenir. Je veux quand même faire observer que dans tous les autres pays il n'y a pas de vaccin obligatoire, ce ne sont que des vaccins recommandés, et que ce sont les 5 ou 6 vaccins que l'on trouve dans les produits habituellement présents en pharmacie qui sont préconisés. C'est pour cela qu'en France aussi on les préconise, parce que un vaccin recommandé ça ne veut pas dire que c'est un vaccin inutile. C'est un vaccin dont nous recommandons fortement qu'il soit administré.
CYRIL VIGUIER
L'OMS estime que le virus Zika pourrait arriver en Europe très rapidement, est-ce qu'on a minimisé les risques de ce virus ?
MARISOL TOURAINE
Je ne crois pas qu'on ait minimisé les risques. J'ai moi-même alerté et pas simplement alerté, mis en place des moyens supplémentaires dans les départements français d'Amérique, où l'épidémie de Zika est là et bien là, elle va même maintenant arrivée en Guadeloupe, qui jusque-là était relativement épargnée ; il y a plus de 25 000 cas qui ont été enregistrés Guyane-Martinique-Guadeloupe, et à partir du 1er mai prochain nous sommes en mobilisation supplémentaire, nous envoyons des alertes aux professionnels de santé dans les territoires de la France hexagonale dans lesquels les moustiques peuvent arriver ; donnons des recommandations précises, de protection. Nous donnons aussi des recommandations. Lorsqu'un homme revient des départements français d'Amérique ou revient d'un territoire où il y a du Zika les relations sexuelles qu'il a avec sa partenaire doivent être protégées parce que sinon il y a un risque de contamination.
CYRIL VIGUIER
Merci Marisol TOURAINE, ministre des Affaires sociales et de la Santé d'avoir été l'invitée de notre matinale d'info.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 avril 2016