Texte intégral
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames, Messieurs,
L'Association René Cassin, le Collège de France, ne pouvaient mieux célébrer le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme qu'en rendant hommage publiquement à son principal artisan René Cassin et en mettant l'accent sur l'actualité de sa pensée.
Pour le Président du Sénat, dont un lointain prédécesseur, Gaston Monnerville, a été le plus actif soutien de René Cassin pour le Prix Nobel de la Paix, comme pour le gaulliste - cela ne vous étonnera pas - qui voit en lui, le grand légiste de la France Libre, l'ouverture de ce colloque revêt une signification particulière.
Une signification forte, bien sûr, parce que c'est l'occasion pour nous tous de rappeler l'oeuvre éminente de René Cassin en faveur des droits de l'homme et de souligner notre attachement à ces valeurs universelles, attachement qu'il nous faut rappeler constamment.
Mais l'amour des grands principes ne suffit pas. Il est d'ailleurs souvent le paravent de moins nobles actions. La défense des droits de l'homme nous paraît aujourd'hui naturel et nous aurions tendance à oublier ce qu'elle impliquait de courage et d'audace intellectuelle pour les pionniers. Ce colloque doit donc aussi être l'occasion de nous livrer à un exercice un peu oublié ou décrié aujourd'hui, l'exercice d'admiration pour l'homme et son parcours. C'est le parcours personnel de René Cassin, son engagement, qui sont modernes et doivent inspirer les nouvelles générations plus que les principes qu'il a posés qui doivent chaque jour être affinés et actualisés pour répondre aux menaces nouvelles qui pèsent sur les droits de l'homme. Retenons donc la leçon de René Cassin.
D'abord, René Cassin est un combattant. Il n'a cessé sa vie durant de défendre la paix et les valeurs universelles. Pour autant, ces valeurs n'étaient pas pour lui des mots creux, utiles seulement pour susciter de grands sentiments et soulager les consciences. Son pacifisme n'avait rien de naïf.
En 1914, il combat sur le front avec un courage très grand et il en revient grièvement blessé. Dès après la guerre, loin de seulement crier " plus jamais ça ", loin de sombrer, comme certains intellectuels, dans un pacifisme capitulationniste, loin de se détourner de ceux qui ont vécu la boucherie de Verdun, il se consacre entièrement à la défense du droit des anciens combattants. Il combat avec la même énergie les accords de Munich. Et il fallait du courage pour s'opposer alors au sentiment dominant. Relisez les grands médias de l'époque : un journal avait titré : " accords de Munich : la paix sauvée pour trente ans ".
En 1940, il n'attend pas deux jours après l'appel du Général de Gaulle pour le rejoindre à Londres et lui proposer ses services aux fins de formaliser les relations entre l'Empire britannique et la France Libre.
Le Général de Gaulle a écrit que la résistance française s'était accrochée en ces heures sombres à deux môles : le tronçon de l'épée et la pensée française. En René Cassin, la pensée juridique française s'alliait à l'esprit combattant.
René Cassin est moderne aussi et peut encore nous inspirer aujourd'hui par sa capacité à se projeter en avant et à accepter les défis. Au sortir de la Première Guerre, il choisit d'aller enseigner à Lille, dans l'Université la plus délabrée et la plus décimée par la guerre. Il prend l'initiative, dès 1933, de donner des cours de droit radiodiffusés. Dès 1942, alors que la guerre est loin d'être finie ni même gagnée, il met sur le chantier les principes d'un nouvel ordre international et commence à préparer ce qui sera la Déclaration universelle de 1948.
Cette marche continue en avant, ce déséquilibre même, sont la marque d'un esprit perpétuellement voué à la chose publique.
René Cassin est l'exemple même - et c'est peut-être la leçon la plus féconde qu'il puisse nous léguer - de ce que la République était capable de produire et de ce qu'elle doit nous donner encore. A l'heure où les lycéens manifestent, peut-être n'est-il pas inutile de nous demander si l'école remplit encore pleinement la mission de former des citoyens et de les faire tous adhérer à la République.
Ecrivant ses souvenirs de la France Libre, il les intitula " les hommes partis de rien ". Il était lui-même parti de rien. Cet homme d'origine modeste, juif, qui se qualifiait lui-même d'homme des trois frontières par ses origines italiennes, espagnoles et allemandes, a pu devenir un combattant exemplaire, un ancien combattant patriote, le plus haut représentant de la tradition juridique française, le légiste de la France Libre.
Lorsque le Général de Gaulle consacre ce parcours et lui confie le Commissariat à la Justice et à l'instruction publique du Comité national de la France libre, il rapproche symboliquement les domaines que la République française, mère des Arts, des Lettres et des Lois, ne sépare pas : le droit, la culture, la langue. Et le Général, en lui confiant cette mission en 1942, lui dit : " vous voilà préposé à la langue française ", langue française qu'il contribuera puissamment à répandre en tant que président de l'Alliance israélite universelle à laquelle il se consacra à la demande du fondateur de la Vème République
En René Cassin donc, plusieurs caractères originaux de la civilisation française se retrouvent. A la fois la fusion dans le creuset national, la dévotion à la République et à la Nation et en même temps le rejet du nationalisme étroit, l'esprit de liberté, l'attachement intransigeant aux droits de l'homme et du citoyen face à ceux de l'Etat tout puissant. C'est tout le sens du combat intellectuel de René Cassin, face au nazisme et face ensuite aux souverainetés nationales, que de tenter d'inscrire dans le bronze les droits imprescriptibles de la personne humaine. René Cassin réussit cette synthèse qui est la véritable image de la République, cette synthèse qui lui permet d'être originaire des marges et d'être un très grand Français, d'être un grand Français et de tendre sans répit à l'universel.
Ce message d'humanisme, René Cassin l'a délivré en clôture de son discours de réception du Prix Nobel en déclarant : " J'adore mon pays d'un coeur qui déborde ; et plus je suis Français, plus je me sens humain ".
Voilà, Mesdames et Messieurs, à l'heure où l'intolérance gagne, où des esprits systématiques défendent soit la primauté absolue de l'individu dans tous ses caprices sur les exigences de la vie sociale, soit la prééminence absolue de l'Etat au nom parfois d'un modèle jacobin un peu exalté, au moment où des esprits inquiets opposent la France et l'Europe, la France et la mondialisation, et s'enfoncent dans des contradictions stériles, le vrai message moderne que la France apporte au monde : la France n'est jamais autant elle-même que quand elle tend à l'universel , elle n'est en même temps jamais plus utile au monde que quand elle préserve son génie propre. A l'opposé des systèmes, c'est le message de culture, d'humanisme et d'équilibre que la France apporte au monde. J'ai la faiblesse de penser aussi que c'est cet esprit d'équilibre que le Sénat veille souvent à préserver
(source http://www.senat.fr, le 18 février 2002)
Mesdames, Messieurs,
L'Association René Cassin, le Collège de France, ne pouvaient mieux célébrer le cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme qu'en rendant hommage publiquement à son principal artisan René Cassin et en mettant l'accent sur l'actualité de sa pensée.
Pour le Président du Sénat, dont un lointain prédécesseur, Gaston Monnerville, a été le plus actif soutien de René Cassin pour le Prix Nobel de la Paix, comme pour le gaulliste - cela ne vous étonnera pas - qui voit en lui, le grand légiste de la France Libre, l'ouverture de ce colloque revêt une signification particulière.
Une signification forte, bien sûr, parce que c'est l'occasion pour nous tous de rappeler l'oeuvre éminente de René Cassin en faveur des droits de l'homme et de souligner notre attachement à ces valeurs universelles, attachement qu'il nous faut rappeler constamment.
Mais l'amour des grands principes ne suffit pas. Il est d'ailleurs souvent le paravent de moins nobles actions. La défense des droits de l'homme nous paraît aujourd'hui naturel et nous aurions tendance à oublier ce qu'elle impliquait de courage et d'audace intellectuelle pour les pionniers. Ce colloque doit donc aussi être l'occasion de nous livrer à un exercice un peu oublié ou décrié aujourd'hui, l'exercice d'admiration pour l'homme et son parcours. C'est le parcours personnel de René Cassin, son engagement, qui sont modernes et doivent inspirer les nouvelles générations plus que les principes qu'il a posés qui doivent chaque jour être affinés et actualisés pour répondre aux menaces nouvelles qui pèsent sur les droits de l'homme. Retenons donc la leçon de René Cassin.
D'abord, René Cassin est un combattant. Il n'a cessé sa vie durant de défendre la paix et les valeurs universelles. Pour autant, ces valeurs n'étaient pas pour lui des mots creux, utiles seulement pour susciter de grands sentiments et soulager les consciences. Son pacifisme n'avait rien de naïf.
En 1914, il combat sur le front avec un courage très grand et il en revient grièvement blessé. Dès après la guerre, loin de seulement crier " plus jamais ça ", loin de sombrer, comme certains intellectuels, dans un pacifisme capitulationniste, loin de se détourner de ceux qui ont vécu la boucherie de Verdun, il se consacre entièrement à la défense du droit des anciens combattants. Il combat avec la même énergie les accords de Munich. Et il fallait du courage pour s'opposer alors au sentiment dominant. Relisez les grands médias de l'époque : un journal avait titré : " accords de Munich : la paix sauvée pour trente ans ".
En 1940, il n'attend pas deux jours après l'appel du Général de Gaulle pour le rejoindre à Londres et lui proposer ses services aux fins de formaliser les relations entre l'Empire britannique et la France Libre.
Le Général de Gaulle a écrit que la résistance française s'était accrochée en ces heures sombres à deux môles : le tronçon de l'épée et la pensée française. En René Cassin, la pensée juridique française s'alliait à l'esprit combattant.
René Cassin est moderne aussi et peut encore nous inspirer aujourd'hui par sa capacité à se projeter en avant et à accepter les défis. Au sortir de la Première Guerre, il choisit d'aller enseigner à Lille, dans l'Université la plus délabrée et la plus décimée par la guerre. Il prend l'initiative, dès 1933, de donner des cours de droit radiodiffusés. Dès 1942, alors que la guerre est loin d'être finie ni même gagnée, il met sur le chantier les principes d'un nouvel ordre international et commence à préparer ce qui sera la Déclaration universelle de 1948.
Cette marche continue en avant, ce déséquilibre même, sont la marque d'un esprit perpétuellement voué à la chose publique.
René Cassin est l'exemple même - et c'est peut-être la leçon la plus féconde qu'il puisse nous léguer - de ce que la République était capable de produire et de ce qu'elle doit nous donner encore. A l'heure où les lycéens manifestent, peut-être n'est-il pas inutile de nous demander si l'école remplit encore pleinement la mission de former des citoyens et de les faire tous adhérer à la République.
Ecrivant ses souvenirs de la France Libre, il les intitula " les hommes partis de rien ". Il était lui-même parti de rien. Cet homme d'origine modeste, juif, qui se qualifiait lui-même d'homme des trois frontières par ses origines italiennes, espagnoles et allemandes, a pu devenir un combattant exemplaire, un ancien combattant patriote, le plus haut représentant de la tradition juridique française, le légiste de la France Libre.
Lorsque le Général de Gaulle consacre ce parcours et lui confie le Commissariat à la Justice et à l'instruction publique du Comité national de la France libre, il rapproche symboliquement les domaines que la République française, mère des Arts, des Lettres et des Lois, ne sépare pas : le droit, la culture, la langue. Et le Général, en lui confiant cette mission en 1942, lui dit : " vous voilà préposé à la langue française ", langue française qu'il contribuera puissamment à répandre en tant que président de l'Alliance israélite universelle à laquelle il se consacra à la demande du fondateur de la Vème République
En René Cassin donc, plusieurs caractères originaux de la civilisation française se retrouvent. A la fois la fusion dans le creuset national, la dévotion à la République et à la Nation et en même temps le rejet du nationalisme étroit, l'esprit de liberté, l'attachement intransigeant aux droits de l'homme et du citoyen face à ceux de l'Etat tout puissant. C'est tout le sens du combat intellectuel de René Cassin, face au nazisme et face ensuite aux souverainetés nationales, que de tenter d'inscrire dans le bronze les droits imprescriptibles de la personne humaine. René Cassin réussit cette synthèse qui est la véritable image de la République, cette synthèse qui lui permet d'être originaire des marges et d'être un très grand Français, d'être un grand Français et de tendre sans répit à l'universel.
Ce message d'humanisme, René Cassin l'a délivré en clôture de son discours de réception du Prix Nobel en déclarant : " J'adore mon pays d'un coeur qui déborde ; et plus je suis Français, plus je me sens humain ".
Voilà, Mesdames et Messieurs, à l'heure où l'intolérance gagne, où des esprits systématiques défendent soit la primauté absolue de l'individu dans tous ses caprices sur les exigences de la vie sociale, soit la prééminence absolue de l'Etat au nom parfois d'un modèle jacobin un peu exalté, au moment où des esprits inquiets opposent la France et l'Europe, la France et la mondialisation, et s'enfoncent dans des contradictions stériles, le vrai message moderne que la France apporte au monde : la France n'est jamais autant elle-même que quand elle tend à l'universel , elle n'est en même temps jamais plus utile au monde que quand elle préserve son génie propre. A l'opposé des systèmes, c'est le message de culture, d'humanisme et d'équilibre que la France apporte au monde. J'ai la faiblesse de penser aussi que c'est cet esprit d'équilibre que le Sénat veille souvent à préserver
(source http://www.senat.fr, le 18 février 2002)