Interviews de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordées aux radios françaises et à TF1 le 3 juin 1999, sur le bilan de l'action diplomatique et militaire des alliés et des Russes dans le conflit du Kosovo et sur la mise en place d'un plan de paix.

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Média : Site web TF1 - Le Monde - Télévision - TF1

Texte intégral

ENTRETIEN AVEC LES RADIOS FRANCAISES :
Q - A Cologne, le ministre français des Affaires étrangères qui participe au sommet des Quinze, Hubert Vedrine parle pourtant à un de nos envoyés spéciaux, Quentin Dickinson, un résultat qu'il qualifie de considérable.
R - C'est un résultat considérable qui confirme le bien fondé de l'action non seulement diplomatique qui avait été entamée depuis des mois et des mois mais de l'action militaire à laquelle il avait fallu se résoudre qui a été menée avec constance et ténacité avec pour seul objectif un Kosovo libre et en paix. Il fallait en passer par là, c'est-à-dire l'acceptation par Belgrade du plan de paix de la solution élaborée pour le Kosovo par il y a longtemps déjà le Groupe de contact, ensuite par le G8. Il semble bien qu'aujourd'hui ce soit acquis.
Nous voulions imposer une solution au Kosovo parce que les pratiques employées par les autorités de Belgrade au Kosovo étaient tout simplement devenues intolérables. Intolérables, dans l'Europe d'aujourd'hui. C'est ce qui a justifié cette réaction unanime de l'ensemble des alliés soutenus par l'ensemble des pays voisins de la Yougoslavie, soutenus par la communauté internationale à travers les déclarations du Secrétaire général des Nations unies. C'était un mouvement général : il fallait mettre fin à cela. Notre tâche maintenant est de commencer la mise en oeuvre et plus immédiatement encore de transcrire les principes du plan de paix dans une résolution au sein du Conseil de sécurité le plus vite possible.
Q - Est-ce que c'est l'ébauche d'une Identité européenne de défense ou au contraire la démonstration qu'on ne fait rien sans les Américains ?
R - C'est ni l'un, ni l'autre parce que il y a eu à la fois une parfaite cohésion, une parfaite harmonie et une parfaire cohérence des Européens. Je vous rappelle le rôle considérable joué dans cette affaire par les grandes diplomaties européennes françaises, britanniques, allemandes, italiennes, mais en même temps les Quinze se sont toujours à chaque moment montrés en accord parfait avec ce qui était fait. Il se trouve que ce cas de figure arrive nous avons été à chaque moment décisif en accord avec les Américains qui arrivaient aux mêmes conclusions que nous, en même temps que nous. Non pas parce qu'ils nous les imposaient, non pas parce que nous leur imposions, mais parce que nous faisions la même analyse de l'événement au même moment. Et pendant toute la période politique et diplomatique nous avons eu la même convergence avec les Russes. Il y a eu un désaccord avec les Russes sur les frappes mais cela n'a jamais brisé la relation de travail que nous avions gardé avec eux et nous les avons suffisamment gardé pour qu'ils aient toutes leurs forces dans la recherche de la solution. Aujourd'hui si nous y arrivons, c'est parce qu'il y a eu cette convergence exceptionnelle et je crois comparable à aucun autre cas, entre les Européens, les Américains et les Russes, avec un soutien politique et moral du monde entier en réalité. Pour atteindre cette solution de paix au Kosovo, il faut maintenant réaliser, concrétiser, bâtir et faire vivre cette convergence dans la durée.
ENTRETIEN AVEC TF1 :
Q - Avec nous maintenant en direct de Cologne le ministre français des Affaires étrangères, Hubert Védrine. Vous venez de rencontrer et d'écouter le président finlandais de retour de Belgrade. Eclairez-nous d'abord sur cette question que nous venons de poser : qui sera le patron de cette force internationale ?
R - C'est une décision qui va être prise entre les Alliés. Mais l'organisation est presque entièrement au point parce que les travaux ont énormément avancé ces derniers jours non seulement entre occidentaux mais aussi avec les Russes. Et c'est ça qui a permis que l'acceptation obtenue aujourd'hui du Parlement serbe et du président Milosevic marque ce jour d'une pierre blanche. C'est un grand jour aujourd'hui. Nous voyons enfin la paix. Mais la paix reste un processus qui bien sûr est à bâtir.
Q - Est-ce qu'on peut dire que c'est le début de la fin ? Est-ce que vous voyez très nettement la décélération et on peut dire que c'est de ce jour, de ce jeudi que commencera la paix là-bas ?
R - La paix reste à construire. Mais je crois qu'on pourra dire que c'est la date clé. Cette acceptation, c'était la condition pour le vote de la résolution, qu'elle-même était la condition pour la suspension des opérations militaires. Après 19 mois d'action diplomatique ininterrompue et après plusieurs semaines d'action militaire parce qu'on était obligé de le faire, je crois qu'on touche au but. Mais il faut être encore très exigeant, resté unis et s'occuper maintenant de la mise en oeuvre de chaque détail. Cela commence par un accord entre l'OTAN et les autorités de Belgrade qui concerne le retrait des forces, leur contrôle, le calendrier, l'entrée de la KFOR, la future force de sécurité et le plus vite possible le vote de la résolution. Nous allons nous y atteler dès ce soir à peaufiner ce texte de façon à ce qu'il puisse être transmis rapidement au Conseil de sécurité. Il ne faut pas brûler les étapes.
Q - On pourrait imaginer, Hubert Védrine, que ce vote de l'ONU intervienne par exemple ce week-end ?
R - Il ne faut rien prédire d'aussi précis. Ce que je veux dire, c'est que, maintenant, nous avons le processus de solution. Nous n'allons plus le lâcher. Le diable peut être dans le détail mais le compte-rendu fait par le président Ahtisaari tout à l'heure devant le Conseil européen nous a confirmé que nous avons maintenant le processus. Il ne faut plus relâcher l'effort et il faut régler chaque question notamment les détails extrêmement fins du calendrier des prochains jours.
Q - Est-ce qu'on peut dire que tous les Alliés sont au clair, sont d'accord entre eux notamment Européens et Américains avec les Russes bien entendu sur cette affaire notamment de commandement de la force internationale ?
R - Oui, parce que sinon le déplacement à Belgrade n'aurait pas pu avoir lieu. Le président Ahtisaari a sagement attendu le moment opportun où il pouvait aller avec M. Tchernomyrdine à Belgrade sur une base parfaitement claire. Tout ce dont on a parlé pendant des semaines, tous ces sommets, ces rencontres, ces réunions, c'était en réalité pour travailler sur chacun de ces points, la future résolution, l'administration civile du Kosovo, l'organisation de la force, la combinaison de "acceptation, vote de la résolution, suspension". C'est parce qu'il y a ces semaines de travail derrière nous que nous allons pouvoir maintenant peaufiner la solution assez vite. Je ne veux pas faire de pronostic précis parce qu'il y a quand même encore une discussion au sein du Conseil de sécurité, et quelques points qui restent à vérifier. Il faut qu'il y ait cet accord dont je parlais entre les autorités militaires de l'OTAN et les autorités yougoslaves pour la mise en oeuvre. Mais nous le voyons, le processus et nous n'allons pas le lâcher.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 juin 1999)