Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Dans les circonstances présentes, marquées par la lutte contre le terrorisme et les opérations en Afghanistan, par un ralentissement de l'activité et des incertitudes notamment quant aux conséquences économiques des attentats du 11 septembre, certains d'entre vous sont inquiets. Cette inquiétude - soyons lucides - reflète le sentiment de nombre d'agents économiques, investisseurs, chefs d'entreprises, consommateurs. Durant quatre années, notre économie a connu une croissance forte et des créations d'emplois spectaculaires qui l'ont hissée parmi les toutes meilleures performances de la zone Euro. Aujourd'hui, la situation est plus difficile, la décrue du chômage est freinée, l'investissement ralentit. Le contraste n'en est que plus fort.
Dans ce contexte, ma responsabilité de ministre de l'économie et des finances est double : analyser au mieux possible la conjoncture ; réagir de façon appropriée à ces évolutions. J'aborderai ces aspects avant de traiter rapidement quelques points d'actualité spécifiques concernant le secteur bancaire et mutualiste.
Lucidité, oui, car la masse des informations et le flux des commentaires créent parfois un effet de brouillage, qui vient aggraver l'incertitude. Nous disposons d'éléments récents qui nous permettent de mieux comprendre les raisons du ralentissement qui a précédé les attentats et les conséquences possibles de ces événements graves.
Les dernières données américaines ainsi que celles disponibles pour la zone Euro jettent une lumière un peu nouvelle sur le ralentissement de l'activité dans les deux zones. Sauf en France, le ralentissement est intervenu plus tôt qu'on ne l'a généralement dit : dès le second semestre 2000. Même s'il a été plus marqué aux États-Unis, le ralentissement est intervenu de façon quasi simultanée dans les deux zones. Aux États-Unis, l'activité est passée d'un rythme annuel de croissance supérieur à 4 % à un rythme de l'ordre de 1,5 % dans la seconde moitié de l'année 2000, puis inférieur à 1 % au premier semestre 2001. Dans la zone Euro, après une activité très dynamique en 1999 et au début 2000, avec un rythme annuel de croissance proche de 4 % sur six trimestres d'affilée, le rythme a décroché à 2 % au second semestre 2000 puis à 1 % au premier semestre 2001. Dans les deux zones, ce n'est pas seulement l'investissement des entreprises qui a diminué, c'est aussi la consommation des ménages qui s'est tassée. Ce qui signifie qu'au-delà de la spécificité du choc américain (ce qu'on appelle la " crise des ordinateurs ") et de ses effets de transmission sur les entreprises de la zone Euro, quelque chose de semblable s'est produit au même moment dans les deux zones : ce quelque chose, c'est pour une grande part la hausse des prix du pétrole qui a grignoté du pouvoir d'achat et freiné la consommation. Ce choc de demande lié à la flambée des prix du brut a, me semble-t-il, été sous estimé. L'apprécier à sa juste valeur comporte des conséquences.
D'abord, cela nous permet de mieux analyser la situation française. Dans notre pays, le ralentissement est intervenu avec six mois de décalage par rapport aux États-Unis et à la zone Euro et il a été moins prononcé. Quand la consommation fléchissait en Allemagne et en Italie dès le milieu 2000, elle restait dynamique chez nous. L'exceptionnel mouvement de créations d'emplois en France l'explique en partie. Notre politique fiscale en est aussi responsable. Elle a permis d'absorber le choc pétrolier plus tôt et plus doucement qu'ailleurs : en 2000, baisse de la TVA en avril, première baisse de l'IR à l'automne, TIPP flottante en octobre, suppression de la vignette automobile en novembre et baisse de la TH à la fin de l'année. Ce mouvement de baisse d'impôts a donné une bouffée d'oxygène aux ménages qui contribue à expliquer la bonne tenue de la consommation. En revanche, beaucoup de nos entreprises ont été rattrapées par la dégradation de la conjoncture internationale dès le début 2001 : confrontées à une diminution de la demande externe, elles ont réduit la voilure et ralenti le rythme de leurs investissements.
Prendre la mesure du choc pétrolier survenu au cours de l'année 2000 nous permet aussi de mieux anticiper un scénario possible de rebond pour l'ensemble de la zone Euro. L'analyse que je viens de présenter laisse en effet supposer que le redémarrage de l'Europe, s'il dépend évidemment pour grande partie de la reprise de l'activité aux États-Unis, tient aussi à la baisse des prix du pétrole. Si cette baisse se confirmait dans les mois à venir, elle constituerait une très bonne nouvelle pour nos économies. Elle pourrait contrecarrer certains effets négatifs d'un ajournement de la reprise américaine.
Disant cela, j'en viens aux conséquences des attentats du 11 septembre sur la conjoncture internationale . Dès le lendemain des attentats, j'avais pointé trois risques immédiats : le risque pétrolier, le risque boursier, le risque psychologique. Le risque pétrolier ne s'est pas produit, nous devons naturellement rester vigilants sur ce front, surtout maintenant que la riposte militaire des États-Unis a commencé. Le risque boursier a bien eu lieu, même si une partie du choc a été rattrapée ; la réaction rapide et coordonnée des autorités financières et monétaires a été salutaire. Le troisième risque porte sur la confiance des ménages ; aux États-Unis, cette confiance a enregistré en septembre une secousse comparable à ce qui avait été constaté au début de la guerre du Golfe. Cette chute fait peser une menace sur la consommation, donc sur la reprise de l'activité.
À ce stade, je veux insister sur quelques points : le scénario de la crise systémique ne s'est pas produit, États et autorités financières ont tout fait pour le bloquer. Les mesures budgétaires et monétaires décidées aux États-Unis vont contrebalancer certains des effets récessifs des attentats. Il n'en reste pas moins qu'une chute du moral des ménages américains aurait, si elle se confirmait, de larges conséquences négatives partout. Dans le rapport économique, social et financier que nous avons remis la semaine dernière au Parlement, nous avons chiffré, pour ce qui nous concerne, cet effet à une perte brute d'un demi point de croissance. Nous avons aussi souligné que, dans une telle hypothèse, le ralentissement de la demande exercerait un effet modérateur sur l'inflation, ce qui dégagerait de nouvelles marges de manuvre pour la politique monétaire européenne et pourrait permettre de réduire cette perte.
Sur la conjoncture française en 2001 et en 2002, sur l'action du gouvernement par rapport à cette conjoncture, je souhaiterais apporter quelques précisions. D'abord, contrairement à ce que voudraient nous faire croire les Cassandre de tout poil, notamment celles et ceux qui pourraient vouloir miser sur le recul de la conjoncture pour espérer retrouver les faveurs de l'électorat, notre économie n'est pas au sens propre en récession. La dernière évaluation de l'INSEE révise l'activité des deux derniers trimestres 2001, mais elle maintient une progression de 0,3 % au troisième trimestre et de 0,3 % au dernier. Pour l'INSEE, la croissance devrait se situer autour de 2,1 % en 2001 : c'est l'hypothèse basse retenue lors de la présentation à la presse du budget 2002 et que réaffirme le rapport économique, social et financier. Ce chiffre doit beaucoup au dynamisme actuel de la consommation des ménages qui compense l'atonie de la demande des entreprises et un commerce extérieur mal orienté. Les opportunes baisses d'impôts survenues au mois de septembre - plus de six milliards d'euros - ont encouragé la bonne tenue de la consommation au moment même où les attentats auraient pu la déprimer.
S'agissant de la croissance dans le PLF 2002, elle doit être évaluée d'une façon particulièrement précautionneuse, elle se fonde sur une analyse et sur un choix. L'analyse, c'est que notre économie présente des fondamentaux solides qui rendent possible un rebond de l'activité. Ces quatre dernières années, l'emploi a enregistré sa plus forte croissance depuis trente ans. L'effort d'équipement des entreprises a été soutenu, avec une progression proche de 7 % par an. La rentabilité des entreprises est restée en général satisfaisante. Le déficit de nos administrations, même s'il est encore trop élevé, est nettement inférieur à ce qu'il était en 1997. Enfin, nous avons su moderniser notre outil industriel, public et privé, tout en développant nos activités de services. D'un point de vue plus conjoncturel, après une bouffée passagère de hausse des prix, l'inflation est de nouveau bien sous contrôle : elle est repassée sous la barre des 2 % en France au mois d'août et j'ai bon espoir que cette tendance se confirme pour l'ensemble de la zone Euro. Il y a des marges de manoeuvre pour la politique monétaire.
Notre choix, c'est l'utilisation la meilleure possible des politiques économiques pour aider le rebond. Avec les moyens qui sont les nôtres de façon à soutenir la consommation, à encourager l'investissement et à favoriser l'emploi. C'est ce que nous avons fait dans les budgets 2000 et 2001 et qui a déjà produit des effets : les baisses d'impôts nous ont permis de préserver notre consommation au second semestre 2000, elles agissent en ce moment dans un sens identique. Notre action pour 2002 doit continuer d'être forte et réactive. En n'oubliant jamais - j'y insiste - que ce sont les entreprises qui créent les emplois et qu'il faut donc dans notre politique générale les inciter et non pas les dissuader.
Une attitude réactive mais responsable. Le rebond attendu ne pourra avoir lieu si, par un recours excessif à la dépense publique, donc au déficit, nous compromettions le nécessaire assouplissement de la politique monétaire. Notre situation budgétaire - avec 200 milliards de francs de déficit annuel, soit 100 milliards de moins que lorsque ce gouvernement a été investi - n'est pas la même que les États-Unis, qui disposent de plus de 150 milliards de dollars d'excédent. C'est la raison pour laquelle nous ne compenserons pas d'éventuelles moins values fiscales par des coupes budgétaires massives, mais nous veillerons à maîtriser la dépense et maintiendrons à moyen terme notre objectif de consolidation budgétaire, souhaitant avec nos voisins européens que la BCE agisse en cohérence. En soulignant que les dépenses sociales ne peuvent pas s'accroître sans limite.
Au total, nous cherchons à créer les conditions d'une politique économique optimale pour favoriser le rebond de notre économie et, ce faisant, notre croissance. Naturellement, le gouvernement a besoin de l'ensemble des acteurs de notre vie économique pour atteindre cet objectif. C'est ce que certains ont appelé le patriotisme économique. Dans ce contexte, je tiens à souligner le rôle des établissements de crédit. Les banques, tout en évaluant correctement le risque, ne doivent pas faire preuve d'une frilosité qui pénaliserait l'économie, en particulier les PME. Le réseau mutualiste que vous représentez, par la place qu'il occupe dans notre paysage bancaire, par le dynamisme de ses résultats, par le nombre de ses sociétaires (plus de 5 millions), par son rapprochement réussi avec le CIC, jouera, j'en suis certain, pleinement son rôle dans cette stratégie.
Avant de conclure, je veux aborder rapidement quelques points d'actualité qui concernent particulièrement votre profession.
La lutte contre le financement du terrorisme. La mobilisation totale de la profession bancaire est nécessaire pour lutter contre ce financement. Je vous remercie de contribuer à la mise en oeuvre de la résolution 1333 du Conseil de sécurité des Nations Unies. L'heure est à l'application du gel des avoirs, en fonction des informations disponibles, mais également à une coordination accrue entre acteurs. La création auprès de moi du comité FINTER regroupant les administrations financières concernées et les autorités de régulation permettra d'assurer une pleine concertation et une bonne circulation de l'information sur ces questions, en étant tournés vers l'action. Au plan international, la France soutient et soutiendra activement la mise en place de tous les moyens pour lutter contre le terrorisme.
Le passage à l'Euro. L'implication de chacun est indispensable. Je salue en particulier l'opération " Bonjour l'euro " lancée dans vos caisses locales dès 1998 et destinée à favoriser une approche progressive de l'euro dans une logique de pédagogie et de clarté. Les banques doivent mettre tout en uvre pour faciliter le passage à l'euro fiduciaire de nos concitoyens, mais aussi dès aujourd'hui scriptural. A cet égard, il me paraît normal de stopper la délivrance de chéquiers en francs dès que vous délivrez déjà des chéquiers en euro à vos clients. Cela incite les particuliers à passer rapidement à l'euro, en cohérence avec le scénario de l'euro scriptural qui vise à créer, dès aujourd'hui, un environnement euro. De même, j'insiste sur la nécessité que tous les distributeurs automatiques de billets en euros fonctionnent au 1er janvier 2002, car s'il faut payer en euros fiduciaires dès le 1er janvier 2001, il est logique que les billets et les pièces en euros soient disponibles dès cette date.
La lutte contre l'exclusion bancaire et la modernisation de la relation de l'ensemble des Français avec leurs banques. Afin d'aider les Français confrontés à des difficultés, le Gouvernement a déjà pris plusieurs mesures. Un service de base bancaire gratuit pour les personnes en situation d'exclusion bancaire. La sortie de l'interdiction d'émettre des chèques a été considérablement facilitée sans priver le dispositif de son caractère dissuasif. La loi sur les nouvelles régulations économiques a réduit le nombre de personnes interdites de chéquiers en abaissant de 10 à 5 ans la durée de l'interdiction bancaire. Plus d'un million de personnes ont bénéficié de cette disposition. Le Gouvernement a inscrit dans le projet de loi MURCEF des dispositions qui complètent cette mesure en limitant les pénalités libératoires et les frais bancaires prélevés sur les chèques impayés de petit montant. Les travaux relatifs à la mise en oeuvre effective des dispositions sur la protection des sommes insaisissables sur les comptes bancaires ont aussi été repris.
En ce moment même, un dispositif complet de modernisation de la relation entre les banques et leurs clients est discuté dans le cadre de la discussion du projet de loi MURCEF. Ces dispositions constitueront, pour l'ensemble de la clientèle bancaire un progrès: transparence et contractualisation des services bancaires et de leur tarification ; protection contre les effets des ventes forcées et des ventes à primes ; accès direct au juge et recours à un dispositif décentralisé de médiation rapide et gratuite. L'ensemble de ces mesures sont une étape, je crois, utile de modernisation du secteur bancaire. Je suis heureux de pouvoir les évoquer aujourd'hui devant un réseau que son attachement à l'intérêt général et à la proximité de sa clientèle rend particulièrement sensible à ces préoccupations.
Enfin, le livret bleu. Ce sujet est en discussion à la Commission européenne depuis près de dix ans. Vous connaissez notre engagement en faveur de l'épargne populaire. Je veux vous le redire aujourd'hui : il n'est pas question pour ce gouvernement d'accepter une banalisation ou une remise en cause du livret bleu. Pas question non plus d'imposer au réseau un remboursement d'aides d'État qui serait excessif, contesté d'ailleurs dans son chiffrage et souvent même dans son principe.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, les terroristes peuvent malheureusement tuer des vies, ils ne doivent pas pouvoir tuer nos sociétés et nos économies. C'est le défi qui nous est lancé. Nous ne mesurons sans doute pas toujours assez la chance formidable que nous avons de vivre dans une société laïque. De même, nous devons être capables de proposer aux peuples de l'ensemble du monde, en particulier les plus pauvres, des voies et des raisons d'espérer, faute de quoi le terrorisme trouve et trouvera un terreau pour son fanatisme. Nous devons réagir vite - c'est ce que nous faisons - et en même temps nous garder de l'obsession du court terme, ce " court termisme " qui fait tant de mal dans tant de domaines. La France, l'Europe, le monde ont des moyens de réagir face à la barbarie. C'est ce message de détermination solidaire, bien à l'image des valeurs qui sont les vôtres, que je souhaitais vous adresser.
Je ne suis pas venu ici pour vous rassurer à bon compte ou, à rebours, pour vous inquiéter. J'ai voulu vous dire la vérité telle que je perçois, celle qu'il est permis de dégager des informations dont je dispose. Vérité sur la conjoncture, ses hésitations mais aussi ses potentialités. Vérité sur notre action. Comme l'ensemble des membres du gouvernement je suis convaincu qu'en ces heures incertaines, nos concitoyens attendent de l'État non pas tout, mais tout ce qu'il doit, et d'abord la lucidité et la volonté. C'est dans cet esprit que nous souhaitons agir, assurés que ces valeurs sont aussi les vôtres.
(source http://www.minefi.gouv.fr, le 11 octobre 2001)