Interview de M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement, à Europe 1 le 23 août 2016, sur les propositions de la droite, notamment de Nicolas Sarkozy, en vue des élections présidentielles.

Prononcé le

Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Bienvenue, Jean-Marie LE GUEN bonjour.
JEAN-MARIE LE GUEN
Bonjour Jean-Pierre ELKABBACH.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous avez lu le SARKOZY ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, je l'ai lu, hier soir, c'était une soirée intéressante.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, c'est un livre personnel, il y prend goût, qui servira de référence, dit-il, à son action jusqu'à la primaire et peut-être au-delà. C'est d'abord un livre original, ou la démarche est originale.
JEAN-MARIE LE GUEN
En tout cas elle est importante, c'est important qu'on ne soit pas dans les procès d'intention et dans les faux-fuyants. Il écrit un certain nombre de choses, qui resteront, peut-être pas au-delà de la primaire, je n'en sais rien, mais en tout état de cause il y a du contenu et il y a matière à critiquer, je le crois.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va voir à partir d'exemples, mais vous avez remarqué que ce n'est pas un programme, que c'est cinq défis, la vérité, l'identité, la compétitivité, de l'autorité et de la liberté.
JEAN-MARIE LE GUEN
Enfin ça y ressemble quand même, il y a des mesures précises, qui sont d'ailleurs très dirigées vers certaines clientèles. On voit bien que l'esprit de la primaire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quelles clientèles ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi je n'appellerais pas ça « Tout pour la France » mais « Tout pour les riches », oui, ça c'est sûr, et ça pose d'ailleurs un certain nombre de problèmes, à la fois parce que ce serait une explosion – on y reviendra – des inégalités, mais aussi une certaine forme de rupture avec l'identité nationale. Et là, sur ce terrain de l'identité, je ne suis pas d'accord avec l'identité nationale telle qu'elle est promue par Nicolas SARKOZY, je pense qu'il s'éloigne du cadre républicain traditionnel, au-delà du débat normal entre la droite et la gauche.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, mais il y a une pierre dans le jardin d'Alain JUPPE et peut-être de tous ceux qui croient à l'identité heureuse, vous aussi.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je crois à l'identité sérieuse moi, voyez-vous, je crois à une identité d'une France qui se bat, dans la mondialisation, qui est pour la cohésion sociale. Ce programme est un programme de rupture entre les Français, ce n'est pas un programme de rassemblement, c'est un programme qui est tourné… En fait, quelle est la pensée de Nicolas SARKOZY ? Il se dit « la gauche est divisée, alors je peux en profiter pour mettre à bas tout ce qui existe.. »
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Eh bien ne soyez pas divisés.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ça c'est… ceux qui, à gauche, ont expliqué, au regard de la politique de François HOLLANDE depuis 5 ans, que la gauche et la droite c'est la même chose, je leur conseille de lire le livre de monsieur Nicolas SARKOZY. Monsieur MARTINEZ il va pouvoir faire ses gammes un petit peu sur le livre de Nicolas SARKOZY, je pense.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Nicolas SARKOZY s'installe pour le face à face de 2017 déjà, Jean-Marie LE GUEN, il aura qui en face de lui, Marine LE PEN ou François HOLLANDE, si vous y croyez encore ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Je pense que d'abord François HOLLANDE sera devant, si Nicolas SARKOZY était désigné dans cette primaire de la droite, je le crois et je l'espère, parce que ce qu'il nous faut c'est un candidat du rassemblement républicain. En réalité, c'est toute l'ambiguïté de la démarche de Nicolas SARKOZY, en fait, sur certaines questions, il essaye de se rapprocher des questions du Front national, sur les questions économiques et sociales il est pour une petite partie de la France, il s'adresse peut-être à 5 % des Français les plus riches. Il leur propose – on y reviendra dans les éléments du détail – non seulement ce qui est le contenu classique, c'est-à-dire la suppression de l'impôt sur la fortune, souvent annoncée, jamais réalisée, mais en tout cas promis par Nicolas SARKOZY. Mais il y a un certain nombre de mesures très précises, sur l'impôt sur la succession, qui est déjà très inégalitaire en France, il est pour la succession pour les plus riches, vous vous rendez compte que c'est 400.000 euros par enfant qui seraient aujourd'hui détaxés de l'impôt sur la succession, c'est-à-dire c'est vraiment les très riches qui sont concernés par les propositions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais vous ne voulez pas reconnaître qu'aujourd'hui beaucoup de Français considèrent que le pays est en train d'étouffer, qu'il y a trop de carcans, de corsets.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, je suis le premier à dire qu'il faut effectivement une politique pour l'entreprise, mais toute la position, les positions économiques et fiscales de Nicolas SARKOZY s'adressent aux individus riches, il ne s'adresse pas aux entreprises.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous dites ce n'est pas possible ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Je dis, un, que ça ne sera pas possible parce que les Français ne voteront jamais majoritairement pour ce type de programme, et de ce point de vue, à la fois copier un certain nombre de propositions du Front national et s'éloigner du cadre républicain au plan économique et social, c'est prendre le risque de faire élire le Front national, car peu de Républicains peuvent voter le programme tel qu'il est avancé par Nicolas SARKOZY.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En fait vous avez peur de ce programme, non ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je n'en n'ai pas peur, enfin j'en ai peur pour la France oui, et de ce point de vue je n'ai pas la mme vision de l'identité nationale que lui.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors, je prends des exemples sur l'identité, et d'abord l'économie. Travailler davantage, la fin des 35 heures, il dit « mais au moins 35 heures pour les agents des collectivités locales », qui sont aujourd'hui à 32 heures, voire à 28 heures par semaine, il y a des tas d'enquêtes là-dessus, et 35 heures payées 37. Pour beaucoup de Français c'est nécessaire, est-ce que ce serait possible ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, dans certaines… Oui, qu'il faille revoir un certain nombre de statuts qui ont pu exister dans telle ou telle collectivité territoriale, mais il va bien au-delà de ça, il propose la suppression de 300.000 fonctionnaires.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En 5 ans.
JEAN-MARIE LE GUEN
En 5 ans, il y en a eu 150.000…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il dit « pas dans la justice… »
JEAN-MARIE LE GUEN
« On ne touchera pas à la justice », c'est-à-dire que fondamentalement…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il ne parle pas de l'Education nationale.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, mais c'est l'Education nationale et les hôpitaux, qui sont en fait les pourvoyeurs essentiels, qui seront, aujourd'hui, la cible de ces suppressions de 300.000 emplois. Est-ce que la France, du 21e siècle, doit se séparer à ce point de ses enseignants et de ses soignants ? Est-ce que c'est une politique juste ? Est-ce que c'est l'identité nationale ? Non.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais est-ce qu'il n'y a pas trop de fonctionnaires et qu'il faudrait qu'il y en ait peut-être un peu moins, mieux rémunérés, avec des statuts qui évolueraient ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Mais il ne faut pas avoir de vision dogmatique sur le sujet, bien sûr qu'il faut faire évoluer les statuts, bien sûr qu'ici ou là ; la révolution numérique va peut-être pouvoir faire en sorte qu'il y ait des redéploiements de fonctionnaires, mais pas avec une vision dogmatique où on supprime en réalité l'Etat et ses fonctions.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il y aura du débat. Mais quand il dit, page 69 : « il y a une proportion croissante de Français qui ne veulent plus de ce communautarisme religieux de plus en plus provoquant, d'un côté l'affirmation d'une identité musulmane qui se sent humiliée, de l'autre une Nation qui se considère attaquée et menacée. Le risque d'affrontements est beaucoup plus élevé qu'on ne croit, ne pas évoquer ces problèmes c'est prendre le risque d'une explosion. » Est-ce que là il a tort ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je suis d'accord avec cette phrase, je ne suis pas d'accord avec les conclusions qu'il en tire, à savoir ce qu'il dit, la manière dont il traite les musulmans, est irrespectueuse. Il y a une volonté, qu'il déploie de façon très claire…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
De l'islamisme radical, des djihadistes.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, mais ça, l'islamisme radical, vous savez, des gens comme moi n'ont pas de leçon à recevoir de Nicolas SARKOZY.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais soyons précis.
JEAN-MARIE LE GUEN
Moi, je n'ai pas été me faire applaudir par le congrès de l'UOIF, c'est-à-dire les Frères musulmans. Par contre, ce que je critique fondamentalement, c'est l'idée d'une assimilation pure et simple. Par exemple, il revient sur une polémique à mon avis insensée sur l'idée d'obliger les petits Français dans les cantines à manger du porc. Est-ce que vous croyez franchement que c'est à la hauteur d'une politique de laïcité et de combat contre l'islamisme radical ? Non ! C'est un irrespect, c'est une violence faite à d'autres enfants, par exemple les enfants juifs aussi qui n'en mangent pas. Bref, je ne comprends pas qu'on ne puisse pas avoir une attitude ouverte sur ce détail.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Jean-Marie LE GUEN, il va obliger la gauche à se réinventer. Contre le terrorisme, il dit : faire évoluer l'Etat de droit. Il dit placer les Français fichés S dans des centres de rétention ou assignés à résidence sous surveillance électronique. Vous êtes pour ou contre là ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Bien sûr que nous sommes contre parce que encore une fois, on l'a bien vu, il y a aussi tout un tas de gens qui sont simplement sur dénonciation, sur suspicion. Là, on en revient à la loi des suspects. Vous savez, la loi des suspects ou les assignations, c'était du temps de la Bastille. On ne met pas les gens en prison ou dans des centres de rétention administrative parce que…
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il faut les créer dit-il. Créer une cour de sûreté antiterroriste comme le général de GAULLE l'avait fait contre l'OAS.
JEAN-MARIE LE GUEN
Ça me paraît inutile aujourd'hui. Les condamnations sont parfaitement faites par les juges.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Suspendre le regroupement familial crée en 70 par Valéry GISCARD D'ESTAING dans d'autres circonstances.
JEAN-MARIE LE GUEN
Regardons précisément. Ça concerne exactement 50 000 Français, 50 000 personnes plus exactement qui sont regroupées familialement, dont la moitié d'entre eux sont des épouses ou des époux de citoyens français. On va interdire à un Français d'épouser une personne étrangère ? C'est ça que veut monsieur SARKOZY ? Qu'il réponde sur cette question. Est-ce qu'il est contre le fait que les Français se marient avec des personnes étrangères ?
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En tout cas, il a réussi avec « Tout pour la France » à vous déchaîner.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, je ne suis pas déchaîné.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Des anciens ministres de François HOLLANDE pilonnent en ce moment le président de la République, veulent sa défaite et même l'invitent comme Arnaud MONTEBOURG à ne pas se représenter, donc à l'exclure de la primaire, comme s'ils avaient d'ailleurs peur de la perdre. Est-ce que la primaire à gauche aura lieu à votre avis ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Ecoutez, je pense que d'abord un livre comme celui-là, et faisons la continuité entre les deux sujets, va remettre un peu de plomb dans la cervelle d'un certain nombre de gens à gauche. Je veux dire, quand j'entends les critiques irresponsables, outrancières qui sont faites à l'action de ce gouvernement depuis quatre ans, je pense que la lecture de la véritable alternative à la politique de François HOLLANDE, ce n'est évidemment pas les politiques plus ou moins gauchistes de certains.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il vous rend service.
JEAN-MARIE LE GUEN
Non ! Il remet, si j'ose dire, l'église au milieu du village. Il sera content de cette...
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Dernière remarque : votre candidat, est-ce qu'il sera prêt à 2017 pour le débat d'idées qu'il réclame ? Vous avez vu dans son livre, il termine avec une anaphore pas « Moi, président de la République » mais « Nous sommes la France, nous sommes la France, nous sommes la France ». Qui « nous » d'ailleurs ? Les Sarkozystes ou la droite ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Bien sûr, vous avez raison, il n'a pas le monopole de la France, loin de là. Et la France républicaine à laquelle je crois, pour laquelle nous combattons, c'est une France qui rassemble les Français. Ce n'est pas une France qui les oppose, qui les divise.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
En tout cas, il vous a réveillés.
THOMAS SOTTO
Merci beaucoup, Jean-Marie LE GUEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Merci à vous.
THOMAS SOTTO
On entendra aussi Alain JUPPE et savoir ce qu'il pense. Ce sera dimanche dans Le Grand Rendez-vous Europe 1-iTélé-Les Echos, et demain ce sera François BAROIN qui sera votre invité.
JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le fidèle chiraquien qui choisit Nicolas SARKOZY.
THOMAS SOTTO
Vous tweetez Jean-Marie LE GUEN ou pas ?
JEAN-MARIE LE GUEN
Non, assez peu. Assez peu, oui.
THOMAS SOTTO
Assez peu ? Gardez quand même une oreille avec nous parce que Twitter et les politiques, je tweete voire j'hyper tweete donc je suis, c'est le sujet de la morale de l'info tout de suite avec notre philosophe Raphaël ENTHOVEN.
JEAN-MARIE LE GUEN
Oui, c'est très dangereux. C'est pour ça que je suis assez parcimonieux.
THOMAS SOTTO
Ecoutez Raphaël, vous allez voir.Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 août 2016