Texte intégral
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, Laurence ROSSIGNOL, bonjour.
LAURENCE ROSSIGNOL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci d'être avec nous ce matin. A Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis, c'était samedi soir, un restaurateur a refusé de servir deux femmes voilées, donc musulmanes, les propos tenus par le restaurateur sont des propos que vous qualifiez de racistes ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ah, je pense que c'est des propos racistes, dire à des gens, à deux jeunes femmes qu'on ne veut pas les servir en raison de leur appartenance ethnique, religieuse ou culturelle, c'est la définition du racisme et des discriminations. Donc c'est à la fois un refus de vente, ce qui n'est pas légal, et puis, en plus, c'est une discrimination à l'égard de deux clientes qui, manifestement, on ne connaît pas les circonstances, on ne sait pas comment ils en sont arrivés là, mais ce qui est sûr, c'est que, elles ne donnent pas l'impression de troubler l'ordre public dans ce restaurant, ces deux clientes. Donc ses propos ne sont pas acceptables
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui. Alors le restaurateur dit, leur a dit : les terroristes sont musulmans, et tous les musulmans sont terroristes, voilà ce qu'il a dit aux deux jeunes femmes, des gens comme vous, je n'en veux pas chez moi, ça a le mérite d'être clair, vous vous imposez ici, ce n'est pas clair, sortez. Mais depuis, il s'est excusé
LAURENCE ROSSIGNOL
Très bien
JEAN-JACQUES BOURDIN
Laurence ROSSIGNOL. Il a même dit : j'ai pété un plomb, je m'en excuse, j'ai un ami qui est mort au Bataclan, j'ai tout mélangé, ce que j'ai dit, je ne le pense absolument pas, mes propos ont dépassé ma pensée.
LAURENCE ROSSIGNOL
Très bien, je pense que cet homme a compris que ce qu'il avait dit était probablement déjà très blessant pour les deux jeunes femmes qui étaient dans son restaurant. Et en plus, il a observé quand même le buzz que ça a suscité, et il s'est rendu compte que ses propos le classaient vraiment dans le mauvais camp dans le pays en ce moment, dans ceux qui jettent de l'huile sur le feu et qui ne se comportent pas de la bonne manière pour garder la cohésion du pays. Il s'est excusé auprès des deux jeunes femmes, il s'excuse d'ailleurs auprès de la République, parce que ce n'est pas qu'une atteinte à la communauté, à une communauté ou à ces jeunes femmes, c'est une atteinte au principe de vivre ensemble de la République, après, il reviendra. Moi, pour ma part, j'ai saisi la DILCRA, c'est-à-dire la Délégation Interministérielle à la Lutte contre le Racisme, qui n'est pas une instance judiciaire, mais qui est chargée à la fois de recenser les actes racistes ou les propos racistes et d'alerter quand même...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-ce que vous pensez que cet homme devrait être poursuivi en justice et, franchement ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Ecoutez, je ne sais pas, et alors, j'ai pour principe de ne pas me mêler des affaires de justice, ni avant ni après
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, oui, mais est-ce que ça n'ajouterait pas un peu d'huile sur le feu, encore un peu plus, non ? Je ne sais pas, je ne sais pas, mais
LAURENCE ROSSIGNOL
Oui
JEAN-JACQUES BOURDIN
Parce que j'ai entendu les réactions des musulmans de Tremblay qui disent : bon, on condamne évidemment ces propos, c'est inadmissible, absolument inadmissible, mais en même temps, en même temps, bon, il a regretté ce qu'il avait dit
LAURENCE ROSSIGNOL
Je les ai trouvés très responsables d'ailleurs
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, oui, oui
LAURENCE ROSSIGNOL
Très, alors eux, très chargés du vivre ensemble justement, voilà. Enfin, bon, donc, il faut avoir quand même à l'esprit que des incidents comme ça, il faut nous en prémunir, parce que le climat dans lequel nous sommes est un climat de surenchère autour des questions à la fois d'islam politique, et de la manière dont on combat l'islam politique, et il faut être ni naïf, ni animé d'arrière-pensées dans ce qui nous attend, et ce qui nous attend est quand même assez sérieux ; pour la France, c'est une épreuve quand même, c'est une épreuve au sens c'est un test sur notre attachement aux valeurs de la République et la manière de les faire vivre. On a à la fois des...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors, est-ce que vous voulez dire que, par exemple, celles qui portent un burkini, elles sont très rares, mais celles qui portent un burkini, qui vont se baigner avec, testent la République ? Est-ce que c'est une forme de provocation vis-à-vis de la République ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Je pense que, il ne faut pas être naïf, c'est, tous ces vêtements couvrants, très couvrants, qui tous passent le message que les femmes seraient impudiques si elles ne le portaient pas, tous ces vêtements très couvrants sont les étendards d'un projet de société, ce ne sont pas simplement des affaires de libertés individuelles, d'ailleurs, on voit les mêmes femmes qu'il y a quelques années ne portaient pas ces vêtements couvrants qui sont filles de femmes qui se sont battues pour ne pas les porter, donc il y a un projet politique, un projet d'identité collective, et il faut que la République affronte ce projet politique, parce que c'est un projet qui est régressif pour nous ; ce projet de société est un projet de ségrégation entre les hommes et les femmes, c'est un projet qui est fondé sur des principes qui sont en particulier terribles pour les femmes, on les connaît ces projets politiques qui sont à l'oeuvre dans de nombreux pays, dans lesquels les femmes sont invisibles, donc on ne veut pas de ça pour la France.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais le voile intégral est interdit en France, est-ce que le burkini doit être interdit par la loi ? C'est ce que demandent beaucoup de responsables politiques ?
LAURENCE ROSSIGNOL
La réponse est non, et le ministre de l'Intérieur a été très clair hier soir, le Premier ministre l'a été également déjà, il n'y aura pas, nous ne proposerons pas, nous ne voterons pas, nous nous opposerons à une loi d'interdiction, parce que le combat
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pourquoi ?
LAURENCE ROSSIGNOL
Parce que le combat contre l'islam politique, qui est un combat politique, il ne passe pas par l'interdiction des tracts de l'adversaire, je considère que toute cette affaire, c'est des journaux de propagande, c'est des tracts
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le burkini, c'est un journal pour vous ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est une façon d'affirmer un projet politique
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est une façon d'affirmer
LAURENCE ROSSIGNOL
Et c'est une façon de dire quelle est la place des femmes, qu'est-ce qu'une femme pudique, celle qui porte des vêtements couvrants, et donc d'ailleurs, toutes les autres sont impudiques, seraient impudiques, c'est pour ça d'ailleurs que je me bats en tant que ministre Droits des femmes, contre l'extension, contre l'emprise rigoriste, religieuse, plus grande qui aujourd'hui tombe sur les populations musulmanes et nous laisse tous sidérés. Il faut protéger les musulmans qui vivent en France, et particulièrement les femmes de ces menées intégristes, parce qu'elles les déstabilisent
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais vous n'allez pas protéger des femmes qui, elles, souhaitent être voilées à la plage ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est pour ça que je vous dis que la
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'allez pas les protéger contre leur gré ?
LAURENCE ROSSIGNOL
C'est pour ça que je vous dis que le débat, la manière dont on se mènera la confrontation est avant tout politique, elle n'est pas juridique, le droit ne peut pas se substituer, quand vous êtes dans une bataille politique, vous n'interdisez pas les documents de campagne de votre adversaire pour gagner la bataille. Vous y allez et vous lui dites : voilà pourquoi je ne suis pas d'accord. Moi, mon rôle, c'est de dire : non, ces vêtements couvrants ne sont pas simplement un bout de tissu ou une liberté individuelle, c'est un projet de société, ce projet de société, il attaque les valeurs d'égalité femme/homme, et c'est pour ça que le Premier ministre a raison quand il dit, après la décision du Conseil d'Etat, le débat n'est pas épuisé, et d'ailleurs, la décision du Conseil d'Etat aurait été inverse, ce débat n'aurait pas été davantage épuisé, parce que, il y a un sujet politique, et puis, ayons aussi la modestie de reconnaître que ce n'est pas un sujet que français, il s'inscrit dans une affaire globale, où on peut quand même observer qu'une partie de l'islam rigoriste est en guerre contre les musulmans qui, eux, sont sécularisés. Ce n'est pas un hasard si ça tombe sur la France, la France a une identité, c'est son identité républicaine, et quand je vous disais, il y a un instant : il ne faut pas se tromper sur la manière dont on va affronter l'islam politique, ce n'est pas, comme le dit Nicolas SARKOZY ou la droite dure, au nom de l'identité chrétienne de la France qu'on va le faire, si on veut réussir. Il faut le faire au nom des valeurs de la République, parce que c'est elles seules qui garantissent l'identité plurielle de la France, bien sûr, la France a une histoire chrétienne, mais c'est aussi le pays de la plus ancienne communauté juive, c'est le pays dans lequel en Europe, il y a le plus de musulmans. C'est le pays de la révolution française, c'est le pays de l'égalité femmes/hommes. Et cette identité plurielle de la France, elle s'incarne dans la République, et c'est au nom des valeurs de la République que nous allons affronter politiquement, avec des mots, comme je le fais ce matin, le projet politique des islamo-conservateurs, qu'il n'est pas compatible avec l'idée que je me fais, moi, de l'émancipation des femmes et de l'égalité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Merci Laurence ROSSIGNOL d'être venue nous voir ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 septembre 2016