Interview de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, sur les négociations sur le Brexit, les aides à la Grèce, la taxe sur les transactions financières, sur les nouvelles réglementations pour les banques avec l'accord dit "Bâle 3", Luxembourg le 10 octobre 2016.

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Circonstance : Réunion de l'Eurogroupe, à Luxembourg le 10 octobre 2016

Texte intégral

Q - Aurons-nous un accord sur la Grèce concernant les 2,8 milliards d'euros aujourd'hui ?
Michel Sapin : La Grèce fait beaucoup d'efforts. Ils sont légitimes, ce sont des efforts nécessaires c'est la contrepartie des accords qui ont été signés avec les institutions européennes. Je crois qu'il faut reconnaitre ces efforts. A partir de là, les engagements seront tenus par les institutions européennes, par l'Europe qui doit, sur ce sujet comme sur d'autres, tenir ses engagements.
Q - Nous avons vu que la position de la France dans les négociations sur le Brexit a été assez dure. La France est-elle toujours en faveur d'un « hard Brexit » dans lequel la Grande-Bretagne n'aurait pas la possibilité d'accéder au marché unique si elle renforce ses contrôles sur l'immigration ?
Michel Sapin : Jusqu'à présent il m'a semblé que le « hard Brexit » était plutôt prôné de l'autre côté du « channel » que de ce côté-ci. C'était donc plus une réponse à une manière d'affirmer un certain nombre d'objectifs. Nous sommes dans une discussion, c'est notre volonté. Un « Brexit » a été décidé, il aura lieu. Il ne faut pas perdre de temps. Une date a été fixée pour mars prochain. Les négociations doivent être des plus coopératives. Mais il y a des principes et sur les principes aucun pays de l'Union Européenne restante ne cédera. Ce n'est pas une position de la France, c'est tout autant une position de l'Allemagne. Comme vous le savez, la Chancelière a été particulièrement claire sur un point : s' il y a un accord avec la Grande-Bretagne, comme d'ailleurs avec tout autre pays extérieur à l'Union Européenne, il faut se rappeler que les quatre grandes libertés de l'Union européenne sont indissociables, et la liberté de circulation des citoyens européens dans l'ensemble de cette nouvelle zone géographique est une liberté absolument fondamentale. Il n'est pas question de transiger avec cela.
Q - La semaine dernière, le Président de la République François Hollande a contribué à la chute de la livre sterling vendredi avec ses commentaires sur le « Brexit ». Ne pensez-vous pas que les pays européens devraient montrer la voie d'un compromis pour les marchés ?
Michel Sapin : Les marchés réagissent comme ils le souhaitent. Je ne suis pas sûr d'ailleurs que la livre ait chuté simplement pour des raisons de déclaration des uns ou des autres d'un côté ou de l'autre du « channel ». Ce qui compte pour les marchés c'est d'avoir une visibilité, il faut un calendrier. Il est tardif, mais il est là. Il faut une compréhension des problématiques des négociations. Je vous ai dit quels étaient les principes par rapport auxquels l'Europe restante, l'Europe largement majoritaire, ne cédera pas. A partir de là, il faut trouver les solutions qui seront les plus rassurantes. Une chose est certaine, après le « Brexit » cela ne peut pas être comme avant le « Brexit ». C'est même d'ailleurs une manière de respecter le vote des britanniques. Ils ont voulu un changement, il y aura un changement.
Q - En ce qui concerne la réunion qui aura lieu après l'Eurogroupe entre les dix pays qui cherchent la mise en place d'une taxe sur les transactions financière. Qu'attendez-vous aujourd'hui ? Est-ce la fin de cette initiative ?
Michel Sapin : Je ne sais pas si ce sera la fin ou cela ne peut être qu'une fin heureuse s'il y avait une décision et un accord. Je ne sais pas si ce sera aujourd'hui ou si ce sera un peu plus tard car il y beaucoup de considérations techniques complexes. Certains pays se posent des questions, parfois légitimes sur ce que cela coûterait de recevoir une taxe sur les transactions financières. Quelle pourrait-être, à partir de là, l'aide apportée par les autres pays ? Ce sont des questions parfaitement légitimes. La France est favorable à une taxe sur les transactions financières. Nous la soutenons depuis le début . Je participe moi-même à cette initiative. C'est une question de crédibilité concernant la coopération renforcée. C'est la première fois qu'il y a une coopération renforcée dans le domaine fiscal. Nous devons conserver cette crédibilité et avancer sur la taxe sur les transactions financières.
Q - Dans le cas de l'Espagne, cela a-t-il un sens de débattre d'un budget en octobre alors qu'il y aura peut-être un nouveau budget en décembre avec un nouveau gouvernement ?
Michel Sapin : La difficulté, je ne la critique pas, c'est le résultat de la démocratie. La difficulté en Espagne est qu'il n'y a pas de gouvernement en capacité de prendre des décisions fortes et lourdes depuis déjà de nombreux mois. Il faut que nous travaillons dans les meilleures conditions possibles, avec compréhension vis-à-vis de la situation espagnole mais avec l'exigence du respect minimal des règles qui nous lient.
Q - Sur Bâle 3, quel est le message de la France ?
Michel Sapin : Le message est clair sur Bâle 3, je l'ai d'ailleurs déjà exprimé au FMI. Nous sommes favorables à Bâle 3 mais nous pensons qu'il est inutile et qu'il serait même dangereux de vouloir rajouter des couches aux couches, de rajouter encore des obligations qui s'imposeraient aux banques et en particulier aux banques européennes. Il faut trouver l'équilibre entre une sécurité nécessaire et le financement de l'économie, le financement des entreprises, le soutien à la croissance. Le soutien à la croissance, très important pour nous aujourd'hui.
Q - La France a-t-elle des plans pour attirer des banques qui pourraient quitter Londres ?
Michel Sapin : Toutes ces grandes institutions financières réfléchissent, elles n'agissent pas sur des coups de tête. Ces grandes institutions financières prennent des décisions qui les engagent pour des années. Donc, elles prendront leurs décisions. Il n'est pas interdit de les aider à réfléchir, de leur donner des informations sur les qualités, en particulier de la place de Paris. C'est ce que nous faisons sans animosité vis-à-vis évidemment de la City de Londres, qui continuera à être une grande cité financière dans le monde d'aujourd'hui.
Q - La situation de la Deutsche Bank met-elle en danger la stabilité financière en Europe ?
Michel Sapin : Non, il n'y a pas de danger particulier ni sur cette banque ni sur d'autres. C'est aux autorités concernées de prendre les bonnes décisions. On a beaucoup parlé de telle ou telle banque, et même trop, cela ne correspond pas à la réalité des préoccupations qui sont les nôtres.
Q - Sur la Grèce, combien de milliards lui seront versés ?
Michel Sapin : 2,8 milliards. La Grèce a fait beaucoup d'efforts et elle continue, beaucoup plus qu'elle n'en avait fait pendant des années. La Grèce remplit son contrat et donc la solidarité européenne s'exprime, elle devrait s'exprimer cette après-midi tout à fait naturellement.
Q - Le Premier Ministre de votre gouvernement a affirmé vouloir mettre fin à l'austérité, même si cela ne plaît pas à l'Allemagne. Qu'en pensez-vous ?
Michel Sapin : Non il n'a pas parlé d'austérité. Il n'y a pas d'austérité en France. Ce fût peut-être le cas dans tel ou tel pays en grande difficulté mais il n'y a pas d'austérité aujourd'hui en Europe. Il y a des interrogations légitimes pour les années à venir sur l'évolution non pas du traité de Maastricht qui nous lie de manière très durable, mais sur tout ce qu'on appelle les « two-packs », « six-packs » qui ont été une réponse nécessaire à la situation difficile en 2012 et 2013. Nous verrons cela au cours des prochaines années. Aujourd'hui, la France a pris l'engagement de passer sous les 3% en 2017, et elle tiendra cet engagement.
Source http://www.rpfrance.eu, le 11 octobre 2016