Interview de M. Matthias Fekl, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, avec BFMTV le 21 octobre 2016, sur le président de la République, la politique gouvernementale et sur les accords de libre échange entre l'Union européenne, les Etats Unis et le Canada.

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Média : BFM TV

Texte intégral


JEAN-JACQUES BOURDIN
Notre invité ce matin est Matthias FEKL, bonjour.
MATTHIAS FEKL
Bonjour.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, vous êtes secrétaire d'État au Commerce extérieur, à la Promotion du tourisme et aux Français de l'étranger. Nous allons beaucoup parler des traités TAFTA et CETA, TAFTA avec les États-Unis, CETA avec le Canada, mais je voudrais commencer avec la politique. Votre ministre de tutelle s'appelle Jean-Marc AYRAULT, c'est bien cela ?
MATTHIAS FEKL
Oui, le ministre des Affaires étrangères.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ministre des Affaires étrangères. François HOLLANDE dit de lui « il est tellement loyal qu'il est inaudible. » « Tellement loyal, qu'il est inaudible. »
MATTHIAS FEKL
Il est extrêmement loyal et il est aujourd'hui totalement impliqué sur la crise syrienne, sur Alep, avec une mobilisation à Moscou, à Washington, à New York, au Conseil de sécurité.
JEAN-JACQUES BOURDIN
« On ne parle pas comme ça de ses ministres » dit Jean-Marc AYRAULT, à François HOLLANDE. Vous êtes d'accord avec lui ?
MATTHIAS FEKL
Moi je suis d'accord avec ce qu'a dit Jean-Marc AYRAULT sur le titre du livre qui est la seule chose valable dans ce livre, ça me semble un excellent résumé de la situation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est un suicide politique ce livre ?
MATTHIAS FEKL
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous ne pouvez pas ignorer tout ce qu'il contient, quand même Matthias FEKL. Le titre c'est bien, mais vous ne pouvez pas ignorer tout ce qu'il contient.
MATTHIAS FEKL
Ne comptez pas sur moi pour défendre le contenu de ce livre et ces déclarations, ça, certainement pas.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Déclarations du président de la République.
MATTHIAS FEKL
Oui, oui, mais je pense que ce livre n'aurait pas dû être fait, mais ce qui compte c'est l'action, et quand vous regardez, il y a une grande polémique sur la justice, qui, à juste titre, a beaucoup blessé les magistrats, mais la justice, le bilan du quinquennat, c'est quoi ? C'est la fin des interventions dans les affaires judiciaires, c'est des moyens supplémentaires pour la justice, c'est le retour de la justice dans des territoires. Moi j'ai réussi à faire revenir la justice à Marmande, où elle avait été fermée dans le précédent quinquennat. Donc, il faut regarder les faits, et il faut regarder l'action.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors regardons les faits justement, puisqu'on parle de faits, est-il vrai qu'il y a eu une grosse explication à l'Élysée entre François HOLLANDE et Manuel VALLS, vous êtes au courant ou pas ?
MATTHIAS FEKL
Je n'en sais rien.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous n'en savez rien, bien. L'appel à la candidature de François HOLLANDE, cet appel est un peu mort-né, vous l'avez constaté ? Vous, vous êtes prêt, aujourd'hui est-ce que vous souhaitez que François HOLLANDE soit candidat ?
MATTHIAS FEKL
Moi j'ai été très clair sur cette affaire-là, j'ai toujours dit je ne crois pas du tout au candidat de droit divin, on est dans une démocratie moderne, et ce qu'il faut c'est donner un chemin et un sens pour le quinquennat à venir. Et donc, ce qui est important maintenant, moi j'y participe à ma manière avec Movida, avec beaucoup de gens qui s'implique là-dessus…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Movida, nous allons en parler, c'est votre mouvement.
MATTHIAS FEKL
Mais c'est de donner un chemin, pourquoi se représenter et pourquoi, qu'est-ce qu'on veut faire sur l'Europe, qu'est-ce qu'on veut faire sur la réforme démocratique, à un moment où notre pays traverse une crise démocratique profonde, comment on travaille au retour de la puissance publique là où la droite veut supprimer des centaines de milliers, parfois 1 million, d'agents publics, dans la police, dans les hôpitaux…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Million !
MATTHIAS FEKL
Si, 1 million…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qui a dit 1 million ?
MATTHIAS FEKL
Vous avez une surenchère permanente dans les différents projets, donc…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais on n'est pas allé jusqu'au million.
MATTHIAS FEKL
On n'en n'ait pas loin ; et donc, ce qui compte c'est le projet, c'est le chemin qui est tracé, c'est là-dessus qu'il faut se déterminer, c'est le sens d'une candidature.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est le sens d'une candidature ?
MATTHIAS FEKL
Mais oui, c'est quelles sont les propositions…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc la candidature de François HOLLANDE a du sens, si j'ai bien compris.
MATTHIAS FEKL
Il doit la construire, il doit donner un sens, s'il souhaite être candidat. C'est lui qui indiquera…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il a donné du sens avec un livre tel que celui qui est paru ?
MATTHIAS FEKL
Je vous ai dit que je n'allais pas défendre ce livre, on ne va pas y revenir 36 fois.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, il a dit ce qu'il pensait dans ce livre.
MATTHIAS FEKL
Mais, il a dit beaucoup de choses.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce qu'il pensait.
MATTHIAS FEKL
Il a dit beaucoup de choses dans une excellente interview du Nouvel Observateur, manque de bol, sortie le même jour que le livre, je reconnais qu'elle a sans doute moins retenu l'attention, il a dit des choses très fortes dans la revue Le Débat, à Wagram, c'est ça que doit faire le président de la République, c'est-à-dire être à ce niveau-là, de vision, de propositions, de chemin pour le pays, ça me semble beaucoup plus important et indispensable que ce genre de bouquin.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'être dans le caniveau quoi !
MATTHIAS FEKL
Je vous ai dit ce que j'avais à dire sur ce livre.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'accord. Notre-Dame-des-Landes, faut-il évacuer la zone où sera construit l'aéroport ?
MATTHIAS FEKL
Il y a des décisions de justice, il y a eu un référendum, et moi je pense qu'il faut, là-dessus, s'en tenir à ce qui a été décidé, à la fois par des autorités de l'Etat, par des autorités judiciaires, et par une consultation.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire qu'il faut évacuer la zone.
MATTHIAS FEKL
Je pense qu'il faut appliquer les décisions de justice, je pense toujours que dans un Etat de droit…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Malgré l'avis de Ségolène ROYAL. C'est extraordinaire que dans le même gouvernement on ait deux avis différents !
MATTHIAS FEKL
Ce n'est pas…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Entre un Premier ministre et un ministre important.
MATTHIAS FEKL
Ce n'est pas quelque chose de nouveau, un gouvernement ce n'est pas quelque chose de neutre, d'insipide, il y a des personnalités, ça ne me semble pas, franchement ça ne me semble même pas la spécificité de ce gouvernement-là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, on dit que vous êtes poussé par l'Elysée pour devenir le rival d'Emmanuel MACRON. Vous avez lu ça ?
MATTHIAS FEKL
Je ne sais pas qui dit ça…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez lu ça ?
MATTHIAS FEKL
Oui, on lit beaucoup de choses, vous savez bien, on entend beaucoup de choses, heureusement qu'on ne croit pas tout.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ça je sais.
MATTHIAS FEKL
Non, moi je ne suis poussé par personne, j'ai toujours été, dans la vie publique, libre, engagé, je dois ma légitimité politique à mon élection en Lot-et-Garonne, où les gens m'ont fait confiance, je leur dois des comptes, et je dois mon action au gouvernement au fait d'avoir été nommé par le président et le Premier ministre, donc je suis un membre du gouvernement loyal, mais j'ai toujours tenu à ma liberté d'engagement dans la vie publique.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous avez la même loyauté qu'Emmanuel MACRON ?
MATTHIAS FEKL
Je vous ai dit que j'étais loyal, donc vous en déduisez ce que vous voulez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'il n'est pas loyal.
MATTHIAS FEKL
Vous en déduisez ce que vous voulez.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Qu'il est déloyal.
MATTHIAS FEKL
Je pense que quand on est dans un gouvernement il faut en assumer les choses, il faut, quand on n'est pas d'accord, essayer d'infléchir les lignes, mais encore une fois, moi, ma légitimité vient du suffrage, tant que je suis dans un gouvernement j'en assume les conséquences, j'en assume la loyauté, le jour où je ne souhaite plus y être, j'en tirerai les conséquences aussi.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, parlons de TAFTA et de CETA. Vous étiez venu nous voir sur RMC il y a 1 mois à peu près, pour nous dire nous arrêtons les négociations concernant le traité TAFTA avec les États-Unis, entre l'Union européenne et les Etats-Unis. Où en est-on ?
MATTHIAS FEKL
J'étais venu il y a 1 an, plus d'1 an, chez vous, vous avez été un des premiers à vous intéresser à ce sujet-là, qui maintenant commence à intéresser plus de monde, mais parce que c'est des enjeux énormes. J'ai demandé au Conseil européen de Bratislava, en septembre, officiellement, au nom de la France, la fin de ces négociations. Mais la vérité est que nous sommes assez seuls, à ce stade, à demander la fin des négociations, et que l'Union européenne est en droit de continuer les négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est-à-dire qu'elles vont continuer ces négociations ?
MATTHIAS FEKL
Ce qu'on a constaté, pour la première fois, à Bratislava, en septembre, c'est un changement de ton sur la politique commerciale, c'est l'idée que le libre-échange n'apporte pas nécessairement des choses parfaites et qu'il faut regarder exactement ce qui est écrit dans les accords. Et vous avez maintenant une part importante d'Etats, pas encore majoritaire, mais importante, qui reconnaît parfaitement qu'il n'y aura pas d'accord rapide avec les États-Unis et qu'il n'y aura pas d'accord bâclé, comme certains le souhaitaient.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais les négociations se poursuivent ?
MATTHIAS FEKL
Je pense que maintenant, grâce à ce qu'a demandé la France, c'est-à-dire la fin des négociations, ces négociations-là ne verront pas le jour, le traité ne verra pas le jour, et que nous devons, avec une nouvelle Administration américaine, reprendre sur des bases totalement nouvelles, transparentes…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Tout réécrire.
MATTHIAS FEKL
Je pense qu'il faut arrêter totalement avec le TAFTA parce que ça ne va pas, ce n'est pas transparent, la démocratie n'est pas garantie, les parlements ne sont pas assez impliqués malgré les efforts que j'ai obtenus pour que les parlementaires aient au moins accès aux documents, mais il faut, sur ces sujets-là, aller beaucoup plus loin. Il faut faire de l'open data, il faut tout mettre sur la place publique, les citoyens ont le droit de savoir ce qui se dit dans ces négociations, sinon on arrive à des blocages sur tout, parce que les gens, légitimement, se disent pourquoi on négocie tout ça en cachette ? Mais, j'ai été le premier membre d'un gouvernement, il y a plus d'1 an, à indiquer que si les choses ne bougeaient pas, je demanderai la fin des négociations. J'ai été confirmé là-dessus par le président de la République, par le Premier ministre, par le ministre des Affaires étrangères, par les plus hautes autorités de l'État, et notre pays a été le premier, et pendant longtemps, le seul à demander la fin pure et simple de ces négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, autre traité, le CETA, c'est un peu le même traité, pas tout à fait…
MATTHIAS FEKL
On aura un débat là-dessus.
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'allais le dire, on va avoir un débat là-dessus, avec le Canada cette fois. L'Union européenne est prête à signer cet accord avec le Canada, le 27 octobre, la semaine prochaine, est-ce qu'il sera signé la semaine prochaine ?
MATTHIAS FEKL
Alors plusieurs choses. D'abord ce n'est pas le même traité…
JEAN-JACQUES BOURDIN
On va entrer dans le traité, mais je voudrais qu'on parle de la signature.
MATTHIAS FEKL
Ah mais ça, ça dépend. Il y a aujourd'hui une situation en Wallonie, où Paul MAGNETTE, depuis très longtemps, a fait part d'un certain nombre de préoccupations…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les Wallons ne veulent pas de ce traité.
MATTHIAS FEKL
C'est plus compliqué que ça. Regardez, lisez en détail l'interview de Paul MAGNETTE dans Le Monde, qui dit « je suis pour le libre-échange, j'espère qu'on pourra avoir un accord avec le Canada, mais en l'état ça ne me vas pas. » Pourquoi ? Parce qu'aujourd'hui les Wallons sont mis devant le fait accompli, c'est exactement ce que je dis sur le manque de démocratie. Les parlements arrivent en fin de processus et ont le choix entre dire oui ou non, et certains même voudraient qu'ils aient le choix entre dire oui ou oui. Et donc, monsieur MAGNETTE, qui a fait part d'objections sur plusieurs points, qui rejoignent ce qu'on a dit nous, on a à aucun moment pu rencontrer les différents négociateurs, donc ne peut pas revenir devant son Parlement en disant « voilà, j'ai pu faire part de vos préoccupations. » Donc moi je comprends parfaitement qu'aujourd'hui il soit dans une situation de dire…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Vous comprenez la Wallonie.
MATTHIAS FEKL
Ah mais je comprends parfaitement, et non seulement je comprends, mais j'ai mis sur la table un certain nombre de propositions pour que les parlements soient associés tout au long du processus de négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Mais oui, mais attendez…
MATTHIAS FEKL
Attendez. Si les différents parlements, qui ont leur mot à dire, étaient associés au début, si comme c'est le cas aux États-Unis, ils étaient autour de la table des négociations, on n'en serait pas là.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, mais ils ne le sont pas.
MATTHIAS FEKL
Ils ne le sont pas, ils le seront à la fin. J'ai obtenu, avec Sigmar GABRIEL, le vice-chancelier allemand, que ce soit ce qu'on appelle un accord mixte, c'est-à-dire que les parlements nationaux soient nécessairement consultés par un vote pour pouvoir dire oui ou non, mais ça, ça vient à la fin, il faut les impliquer beaucoup plus tôt.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors attendez, j'ai trois questions précises, ensuite nous entrerons dans le traité, mais trois questions précises. Est-ce que la signature aura lieu le 27 octobre ?
MATTHIAS FEKL
Ça, ça dépend. La Wallonie…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Ce n'est pas certain ?
MATTHIAS FEKL
Ce n'est pas certain. L'Europe ça ne peut pas se construire à coups d'oukases et à coups d'ultimatums.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc ce n'est pas certain, première chose.
MATTHIAS FEKL
Ce n'est pas certain.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Imaginons que l'on signe, le Parlement européen s'exprimera en janvier, c'est bien cela, sur le traité ?
MATTHIAS FEKL
Ça c'est un calendrier qui est fixé par les instances communautaires, ça peut être en fin d'année ou en début d'année prochaine.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le Parlement français sera consulté quand ?
MATTHIAS FEKL
Alors d'abord c'est le Parlement européen qui doit voter, donc nous on pourra fixer le calendrier un fois que le Parlement européen aura voté. Mais, et ce n'était pas sûr avant l'été, on s'est bagarré comme des fous, ensemble avec l'Allemagne et d'autres pays, pour qu'on soit sûr que les parlements soient amenés à ratifier le traité, parce que la Commission européenne voulait zapper les parlements nationaux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Alors si le Parlement, en France, ne ratifie pas le traité, que se passe-t-il ?
MATTHIAS FEKL
Alors, deux choses, d'abord sur tout ce qui concerne les compétences nationales, là ça tombe immédiatement, parce que vous savez qu'il y a une partie qui relève de l'Europe, une partie qui relève des pays, ça, ça tombe immédiatement. Et, ce qui s'est passé au Conseil européen de Luxembourg mardi, c'est que même ce qui est européen, et qui est appliqué de manière provisoire, sera remis en cause si des Etats membres s'y opposent.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc le traité ne s'appliquera pas si le Parlement français s'y oppose ?
MATTHIAS FEKL
Absolument, avec une partie qui s'applique de manière provisoire, c'est la partie européenne, je veux être tout à fait…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Le problème c'est qu'une partie du traité s'appliquera quand même.
MATTHIAS FEKL
Non.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Pardon Matthias FEKL, c'est comme ça que je comprends les choses.
MATTHIAS FEKL
Attendez, est-ce qu'on peut pousser le raisonnement au bout ?
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MATTHIAS FEKL
Il y a une partie qui relève de l'Europe, ça les États ont confié à l'Europe cette responsabilité, ils peuvent la retirer, mais aujourd'hui c'est comme ça, ce qui relève de l'Europe est appliqué…
JEAN-JACQUES BOURDIN
Donc là ça s'appliquera.
MATTHIAS FEKL
Si le Parlement européen vote oui, c'est aussi quelque chose que nous avons obtenu, qui n'est même pas prévu dans les traités.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quel que soit l'avis du Parlement français ?
MATTHIAS FEKL
Ça c'est de manière provisoire pour ce qui relève de l'Europe, et le Parlement français, ensuite, sera, parce que je l'ai demandé, amené à ratifier, et s'il dit non, l'ensemble du traité sera invalidé. Ça ce sont des avancées que nous avons obtenues les unes après les autres, et encore cette semaine, parce qu'on se bat, jusqu'au bout, sur tout ce qui nous semble contestable.
JEAN-JACQUES BOURDIN
En attendant que le Parlement français se réunisse, soit rassemblé, on appliquera une partie du traité s'il est voté par le Parlement européen. Voilà !
MATTHIAS FEKL
Mais, pardon, pardon, excusez-moi. Monsieur BOURDIN...
JEAN-JACQUES BOURDIN
J'ai résumé, c'est comme ça Matthias FEKL, je ne dis pas de bêtise ?
MATTHIAS FEKL
Mais vous avez résumé, vous ne dites pas souvent des bêtises, vous avez bien résumé, mais parce qu'au niveau européen il y a des Etats qui ont choisi ensemble de donner des compétences à l'Europe et donc quand l'Europe...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, nous la France on a choisi de donner des compétences à l'Europe ?
MATTHIAS FEKL
Eh bien voilà, eh bien voilà.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui.
MATTHIAS FEKL
Et donc, nous, nous avons exigé...
JEAN-JACQUES BOURDIN
On a perdu une part de notre souveraineté, pardonnez-moi ?
MATTHIAS FEKL
Mais évidemment.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, oui ?
MATTHIAS FEKL
Évidemment, et d'où l'importance au niveau européen de construire la démocratie et la démocratie européenne c'est d'une part le Parlement européen, d'autre part – et ça c'est un combat que je mène depuis deux ans – l'implication permanente des Parlements nationaux dans les processus, je suis allé plus de 20 fois devant le Parlement français, Assemblée nationale et Sénat, pour rendre des comptes, je reçois au quai d'Orsay les ONG et les syndicats pour rendre des comptes, c'est un travail indispensable pour que les choses puissent marcher et qu'il y ait de la transparence et de la démocratie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Les tribunaux d'arbitrage dans le traité CETA vont régler les différends entre entreprise et État ?
MATTHIAS FEKL
Non !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non ! Alors, allez-y.
MATTHIAS FEKL
J'ai porté une proposition que j‘ai élaborée pendant de longs mois, j'ai été le premier membre d'un gouvernement à m'attaquer à l'arbitrage privé international qui est un scandale démocratique, j'ai été le premier membre d'un gouvernement dès fin 2014 à dire : « cette anomalie ne peut pas persister » et j'ai proposé qu'on crée une cour de justice commerciale publique avec des juges payés par les États et pas par les entreprises, avec l'interdiction de s'attaquer aux politiques publiques – c'est-à-dire quand un pays décide telle ou telle politique d'alimentation, de santé, de nucléaire – et l'Europe a repris cette proposition très largement, on a travaillé là aussi avec les Allemands et avec d'autres, très largement repris, et le Canada après l'élection de Justin TRUDEAU comme Premier ministre est le premier Etat avec un gouvernement de gauche à accepter cette cour de justice commerciale. Donc, il y a un choix très simple : soit on rejette le CETA, ça veut dire que cette cour sera mort-née, on reste sur l'arbitrage, il y a 3.500 traités dans le monde aujourd'hui qui prévoient l'arbitrage, la France en a signés plus d'une centaine ; soit on accepte l'avancée de cette cour, dont je souhaite à la fin que ce soit une cour mondiale pour régler les différentes situations. Mais ça c'est dans le CETA, c'est TRUDEAU qui l'a accepté, et pourquoi croyez-vous que le Portugal du Bloc des gauches, que la Grèce de monsieur TSIPRAS se retrouvent dans ces propositions-là ? C'est bien parce qu'il y a des avancées fortes.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, j'ai envie de vous poser une question, je vais renverser le problème...
MATTHIAS FEKL
Allez-y.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Quel est l'intérêt pour le Canada de signer cet accord ?
MATTHIAS FEKL
Mais il y a un intérêt pour les deux.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, mais je vous parle du Canada, je me mets à la place du Canada, quel est son intérêt ?
MATTHIAS FEKL
Mais il y a un intérêt très simple c'est que les entreprises, en particulier les PME aujourd'hui entre l'Europe et le Canada, qui sont quand même des pays et des...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je suis patron...
MATTHIAS FEKL
Attendez !
JEAN-JACQUES BOURDIN
Je suis agriculteur Canadien ou patron de PME Canadien...
MATTHIAS FEKL
Vous êtes patron d'une PME canadienne, vous voulez aujourd'hui exporter en France, vous avez de la paperasse dans tous les sens, des doubles contrôles sur tout, ça vous complique la vie et franchement une grande boite elle n'en a rien à faire parce que vous avez 1.000 personnes dans la direction juridique qui règlent ça, vous êtes le patron de PME en Lot-et-Garonne ou ailleurs qui galère déjà suffisamment comme ça et vous devez refaire les papiers...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, mais je suis Canadien là ce matin, je ne suis pas dans le Lot-et-Garonne.
MATTHIAS FEKL
Ou canadien, même chose.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bon ! Je suis agriculteur Canada, je veux exporter ma viande vers l'Europe, ça sera plus facile ?
MATTHIAS FEKL
Mais ça sera plus facile, mais ça sera plus facile aussi pour les Indications géographiques françaises d'être reconnues...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Sans contrôles particuliers ?
MATTHIAS FEKL
Mais il y a des contrôles extrêmement stricts qui existent...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Au Canada !
MATTHIAS FEKL
Sur la viande...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Au Canada !
MATTHIAS FEKL
Sur la viande, la viande qui peut être importée, c'est de la viande sans hormone, ça été précisé dans le traité, enfin vous ne pensez quand même pas qu'on va brader l'alimentation et la santé des Français, que j'ai bradé la santé de mes enfants, en disant : « demain on va importer n'importe quoi », c'est de la viande sans hormone. Mais moi je suis d'un département où il y a plus de 70 productions agricoles, donc je connais parfaitement la difficulté des agriculteurs, les angoisses qu'ils ont, mais l'agriculture, l'agroalimentaire français c'est notre deuxième ou en fonction des années notre troisième poste excédentaire dans le commerce externe, donc on a besoin si on veut demain que nos vins, nos fromages rentrent sans droit de douane – il y a aujourd'hui parfois jusqu'à 100 % ou plus de droit de douane – si on veut être compétitifs face aux vins du Nouveau monde qui viennent d'Australie, qui viennent de Nouvelle-Zélande ou d'ailleurs, on a besoin de pouvoir avoir cette équité, cette réciprocité-là et le Canada a donné de la réciprocité très importante. Et pourquoi croyez-vous que la diplomatie américaine est furieuse contre le Canada d'avoir accepté la réciprocité, d'avoir accepté des avancées agricoles, d'avoir accepté cette cour de justice qu'on...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Il y a des entreprises américaines installées au Canada qui, elles, ne sont pas furieuses.
MATTHIAS FEKL
Non, ça c'est la théorie du cheval de Troie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, voilà.
MATTHIAS FEKL
Ça c'est la théorie du cheval de Troie.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Exactement, elle existe ou pas ?
MATTHIAS FEKL
Ah ! La théorie existe.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Elle existe ou pas ? Non, non, pas la théorie mais la pratique, la réalité ?
MATTHIAS FEKL
Non, l'image est parfaite, elle est redoutable, elle est parlante, elle est imagée, elle fait peur et elle est quasiment complotiste. Mais la vérité c'est quoi ? C'est d'abord que pour profiter de l'accord il faut avoir une vraie activité économique, c'est fini le temps où il suffisait d'ouvrir une boite aux lettres comme ça pu être fait à Hong Kong ou dans d'autres endroits et ensuite vous profitez de tout, ça c'est fini ; et puis il y a plus de 3.000 entreprises américaines présentes en France, près d'un demi-million d'emplois créé, c'est le premier investisseur étranger hors Union européenne dans notre pays. Vous croyez qu'ils ont besoin de passer par le Canada pour travailler en France ? Franchement, ce n'est pas la réalité de l'économie française ça.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Matthias FEKL, j'ai une dernière question – parce qu'il est déjà 8 h 54 – qui concerne les migrants, parce qu'il y a des négociations au niveau européen, vous les suivez de très près, fini les quotas, c'est fini l'idée des quotas ?
MATTHIAS FEKL
C'est Bernard CAZENEUVE qui suit ces négociations-là au niveau européen, qui est très attentif à cela, et qui travaille beaucoup avec son homologue allemand Thomas DEMAIZIERE...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Est-il vrai qu'on est... est-ce que la France est d'accord avec l'Allemagne et l'Italie qui voudraient reproduire avec les pays d'Afrique l'accord passé avec la Turquie ?
MATTHIAS FEKL
Non, je ne suis pas dans les négociations, donc franchement je ne veux pas vous dire de choses...
JEAN-JACQUES BOURDIN
Non, non, non, mais...
MATTHIAS FEKL
Je ne sais pas exactement où en sont ces négociations...
JEAN-JACQUES BOURDIN
C'est très bien...
MATTHIAS FEKL
Mais moi je préfère ne pas vous dire n'importe quoi, je ne suis pas dans les négociations.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Oui, non, mais vous avez raison.
MATTHIAS FEKL
Ce que je sais c'est que Bernard CAZENEUVE est mobilisé sur ce sujet comme sur l'ensemble des sujets qui concerne l'immigration, qui concerne bien sûr la situation sécuritaire ici en France et que c'est un ministre auquel on peut faire confiance sur ces sujets.
JEAN-JACQUES BOURDIN
Bien ! Merci beaucoup Matthias FEKL...
MATTHIAS FEKL
Merci à vous.
JEAN-JACQUES BOURDIN
D'être venu nous voir ce matin.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 octobre 2016