Interview de M. Michel Sapin, ministre de l'économie et des finances, à "RTL" le 28 octobre 2016, sur les récentes estimations de la croissance et leurs conséquences sur l'économie, l'emploi et l'investissement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI Elizabeth MARTICHOUX, vous recevez ce matin le ministre de l'Economie et des Finances, Michel SAPIN.
ELIZABETH MARTICHOUX
Bonjour Michel SAPIN.
MICHEL SAPIN
Bonjour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Merci d'être avec nous dans ce studio. Après un gros trou d'air au deuxième trimestre, l'estimation de croissance de l'INSEE du troisième trimestre était très attendue, merci d'être là pour la commenter à chaud. Le verdict est tombé à 07h30 précises : + 0 ,2 %, légère croissance, performance médiocre, comme l'expliquait il y a quelques instants François LENGLET.
MICHEL SAPIN
Oh, c'est grès exactement ce que l'INSEE prévoyait il y a de cela quelques semaines, donc nous sommes exactement en ligne avec les prévisions.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est une déception, néanmoins, pour l'économie française ?
MICHEL SAPIN
Ce n'est pas une déception, me semble-t-il, au fond ça n'a pas été présenté comme tel. Si le constat est de dire qu'en Europe et donc en France la croissance est là mais qu'elle pourrait être plus forte, c'est exact, et d'ailleurs il faut faire tous ensemble, au niveau européen comme au niveau français, le maximum pour que cette croissance puisse s'accélérer. Mais, ce que je peux observer, c'est que la reprise en France est là depuis l'année 2015, en 2016 elle sera à des niveaux légèrement supérieurs à celle de 2015 et en 2017, elle sera aussi légèrement supérieure ou égale à celle de cette année. Donc la croissance évolue.
ELIZABETH MARTICHOUX
Pour la caractériser, vous diriez qu'elle est faible cette croissance ? Quelle est molle ?
MICHEL SAPIN
Je dirais qu'elle est là. La croissance est là, par rapport à une situation où la croissance n'était pas là. En 2012 la croissance n'était pas là, en 2013 la croissance n'était pas là, en 2014 la croissance n'était pas là. Et puis ce qui compte, au fond, le chiffre de croissance, nous le commentons ici, mais je ne suis pas sûr que beaucoup de nos auditeurs les croisent au coin de la rue, donc ce qui compte c'est qu'est-ce qu'il y a derrière ce chiffre de la croissance, et ce qu'il y a, même si ce mois-ci on peut regarder le chiffre de l'investissement des entreprises, qui est légèrement négatif, mais globalement, sur l'année, les entreprises ont repris leurs investissements, c'est la première fois, on est aux alentours de + 4 % d'investissements, c'est la première fois depuis 2011. Et deuxième chose, on l'a vu aussi, les emplois, les créations d'emploi, dans le secteur privé, qui est effectivement le seul indicateur solide du point de vue économique, dans le secteur privé, ont repris, puisque c'est à peu près 130 000 emplois nets, et c'est ce qui explique d'ailleurs que le chômage recule. Donc, dernière notre croissance...
ELIZABETH MARTICHOUX
Il y a eu un bon chiffre du chômage effectivement cette semaine, très bonne nouvelle mardi pour les Français, mais ce 0,2, on dit en général que ça ne permet pas, mécaniquement de faire baisser le chômage, ce sont les politiques, éventuellement, qui les accompagnent.
MICHEL SAPIN
Je vous fais remarquer que ce 0,2 correspond très exactement au dernier trimestre, qui est celui qui a vu globalement reculer le chômage.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ça n'aura pas d'effet sur l'emploi.
MICHEL SAPIN
Le chiffre que nous commentons, c'est un chiffre du passé, qui correspond exactement à la période pendant laquelle le chômage a baissé. Donc il faut s'habituer et au fond peut-être est-ce une bonne nouvelle, à ce qu'il faille moins de croissance, pour créer plus d'emploi. Il fut un temps où on disait : il faut 2,5 % de croissance. Aujourd'hui, aux alentours de 1,3, 1,4, 1,5 %, nous créons suffisamment d'emploi pour faire reculer le chômage. Mais c'est nouveau, c'est un résultat, c'est un résultat positif. On peut dire : le verre est à moitié plein ou il est à moitié vide, chacun le fera en fonction...
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, il est un peu décevant, effectivement, 0,2. Vous aviez...
MICHEL SAPIN
... mais chacun le fera avec son caractère, mais la croissance est là, elle a des effets positifs en termes d'investissement des entreprises, donc de capacité à créer des richesses supplémentaires et en termes d'emploi, c'est ça qui est important.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, il y a quelque chose qui ne fonctionne plus, qui est aussi nouveau, c'est cette consommation française, qui portait l'économie et qui n'est plus au rendez-vous. Qu'est-ce qui explique cela ? Est-ce que les attentats, puisque le troisième trimestre a commencé très précisément au moment où Nice était frappée, est-ce que ça a un poids ?
MICHEL SAPIN
Il y a trois points qui ont pesé négativement sur la croissance cette année. Le premier point, c'est les grèves du printemps. Bon, ben c'était là, je ne vais pas dire que c'est dommage, du point de vue économie, elles étaient là, et elles ont pesé, elles ont pesé, parce que nous avons surtout atteint l'énergie, et l'énergie ça compte énormément dans la croissance française. Il y a un deuxième élément, vous venez de le citer, les effets des attentats sur le tourisme et tout particulièrement sur le tourisme à Paris, et c'est vrai qu'aujourd'hui, parmi les mauvais chiffres que l'on peut regarder, quand on regarde à la loupe les chiffres du dernier trimestre, en termes de croissance, il y a l'évolution du tourisme, qui est à la baisse, en particulier...
ELIZABETH MARTICHOUX
Et on peut mesurer le poids de ces attentats sur cette croissance atone ?
MICHEL SAPIN
Oui, l'INSEE fait tout un travail, nous donnera des chiffres plus précis, mais c'est très significatif.
ELIZABETH MARTICHOUX
Très significatif.
MICHEL SAPIN
Et puis il y a un troisième phénomène que pour l'instant personne ne commente, qui est la situation très dégradée dans le domaine de l'agriculture, et en particulier des très faibles, on le sait bien, on l'a vu, de très faibles récoltes et ça pèse très significativement sur la croissance française. Donc ça, ce sont des évènements ponctuels, dont on peut dire et espérer qu'ils ne se reproduiront pas, et c'est ça qui me fait penser...
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, justement, vous disiez...
MICHEL SAPIN
... je terminerai par cela, que le chiffre de cette année, même s'il rend aujourd'hui difficile, ce chiffre qui vient de tomber, rend difficile d'atteindre 1,5 % cette année, je ne vais pas le nier, ne remet pas en cause les chiffres de croissance pour l'année prochaine.
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que, Michel SAPIN, vous aviez fait votre prévision de croissance, sans savoir que la France serait effectivement à nouveau frappée par le terrorisme, récemment vous aviez dit 1,5, aux alentours de 1,5, vous ne révisez pas ce chiffre ?
MICHEL SAPIN
Je vous dis, les derniers chiffres on le savait d'ailleurs, rendent difficile d'atteindre 1,5 %. Mais ceci n'a pas...
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc ça va être juste. Vous diriez quoi ? 1,3, 1,4 ?
MICHEL SAPIN
... de conséquence sur les deux points importants, les deux points que les Français comprennent, est-ce que l'investissement dans les entreprises ou l'investissement en France va s'arrêter ? Non, il a en particulier repris très fortement, et c'est très bon, dans la construction, parce que dans la construction il y a de l'emploi, derrière ça il y a de l'emploi, et donc, il n'y a pas d'effet négatif non plus sur l'emploi.
ELIZABETH MARTICHOUX
Michel SAPIN, on va essayer d'être clair pour nos auditeurs. Vous dites : ça va être juste d'arriver à 1,5, c'était votre prévision.
MICHEL SAPIN
Je dis que ça sera plus difficile d'arriver à 1,5.
ELIZABETH MARTICHOUX
Ça sera plus difficile, donc est-ce que vous allez réviser ce chiffre, sachant cela ?
MICHEL SAPIN
Ça n'a pas d'effet, ça n'a pas de conséquence. Si vous me dites, pourquoi essayer d'être compréhensible, passer de 1,5...
ELIZABETH MARTICHOUX
Eh bien une croissance de 1,3 ou 1,5, ça n'a pas tout à fait le même...
MICHEL SAPIN
... passer de 1,5 à 1,4, pour les Français, ça ne veut rien dire. Est-ce que ça a des conséquences négatives, ma réponse...
ELIZABETH MARTICHOUX
Passer de 1,5 à 1,4, ça coûte deux milliards, sauf erreur de ma part.
MICHEL SAPIN
Ma réponse est non, ça n'a aucun effet à ce stade-là de l'année, ni sur l'investissement, ni sur l'emploi, ni, puisque vous venez de citer le chiffre du déficit, sur le chiffre du déficit, nous avons un objectif de 3,3 % de déficit cette année, je peux vous dire avec certitude, que nous l'atteindrons.
ELIZABETH MARTICHOUX
Sur le déficit, oui, sur la croissance, vous restez dans une forme de flou, excusez-moi de vous dire...
MICHEL SAPIN
Je vous vois très obsédée par le chiffre de la croissance.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non mais parce que j'aimerais avoir une réponse claire à ma question, et je ne l'ai pas.
MICHEL SAPIN
Je vous dis que c'est encore plus difficile de l'atteindre, et ça ne change rien, et je vais vous le répéter encore, à ce qui compte pour les Français. Est-ce que ça pèse sur l'emploi ? Non. L'emploi est aujourd'hui positif, et le chômage recule. Est-ce que ça pèse sur l'avenir, l'investissement des entreprises, la réponse est non. Et ça ne remet pas en cause nos prévisions de croissance pour l'année prochaine.
ELIZABETH MARTICHOUX
Laissez-moi vous poser encore une question. Vous disiez : les conséquences du terrorisme sur notre économie sont ponctuelles. Est-ce qu'on en est sûr, est-ce qu'ils ne vont pas se prolonger encore les trimestres suivants, sur la croissance ?
MICHEL SAPIN
Dans le domaine du tourisme, c'est pas simple, parce que l'effet est profond. L'effet est profond en particulier à l'étranger. Il y a des images qui ont été perçues à l'étranger, qui font que le flux d'un certain nombre de touristes étrangers s'est réduit dans la région parisienne et dans la région de Nice, Cannes, la Côte d'Azur. Donc il faut que nous fassions tous nos efforts, c'est bien entendu aux professionnels de le faire...
ELIZABETH MARTICHOUX
Un plan de relance, un plan de soutien pour le secteur ?
MICHEL SAPIN
Un plan de relance, ça ne veut pas dire grand-chose en l'occurrence, on ne va pas payer des gens pour partir en vacances à Paris, mais il faut soutenir ce secteur, il faut leur permettre de faire des campagnes de promotion à l'extérieur, et il faut montrer que la France est une France courageuse, une France qui est digne d'être respectée, admirée et donc visitée par les touristes étrangers.
ELIZABETH MARTICHOUX
Alors, il y a un chiffre qui contraste quand même pour les auditeurs, c'est quand on dit que malgré le Brexit, l'économie britannique a une performance de + 0,5 de croissance, quand la France est à 0,2.
MICHEL SAPIN
Oui, François LENGLET vous expliquerait pourquoi, c'est parce que dans un premier temps, ce qui n'est pas forcément bon signe pour l'avenir, il y a une chute de la valeur de la livre, et donc ça facilite un certain nombre d'exportations en Grande Bretagne. Et donc il y a une sorte de bol d'oxygène immédiat, qui n'est pas forcément très annonciateur de bonnes nouvelles pour la Grande-Bretagne l'année prochaine.
ELIZABETH MARTICHOUX
Michel SAPIN vous êtes un très proche de François HOLLANDE, vous êtes un ami de longue date, est-ce que sa candidature est pour vous un peu moins évidente qu'avant le livre de confidences qui ébranle les socialistes ?
MICHEL SAPIN
Le fait d'être ami ou proche ne change rien, je fais une analyse politique...
ELIZABETH MARTICHOUX
Parce que vous le connaissez.
MICHEL SAPIN
Oui. Une analyse politique. Dans cette période qui se rapproche d'une date que le président de la République lui-même a fixé comme étant la date à partir de laquelle il donnerait sa décision...
ELIZABETH MARTICHOUX
Le 10 décembre.
MICHEL SAPIN
Le 15 décembre. En tout état de cause, plus on se rapproche de cette date et plus j'allais dire la tension monte, ou l'attention monte. Et c'est normal. Ça aurait été comme cela livre, pas livre. Le livre a créé, je le dis très clairement, un trouble dans cette période-là, c'est cette période-là que beaucoup ont commenté, ça ne me parait pas être le mouvement politique le plus profond. Le mouvement politique le plus profond c'est : est-ce que le président de la République a un rôle à jouer dans la période, est-ce que c'est le meilleur candidat pour rassembler la gauche ? Est-ce que c'est le meilleur candidat pour permettre à la gauche d'être présente au deuxième tour de l'élection présidentielle ? A ces deux dernières questions, ma réponse est oui.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc pour vous, ça reste le candidat naturel de la gauche aujourd'hui.
MICHEL SAPIN
Je n'aime pas trop le terme naturel, parce que ça donnerait le sentiment que, voilà, c'est comme ça et il n'y a pas à réfléchir, il n'y a pas à prendre une décision en conscience, c'est une décision en conscience. Donc il n'y a pas de candidat naturel. Mais quand je regarde le paysage politique français, et je le fais avec... le plus rationnellement possible, en laissant totalement l'affectif de côté, le président de la République, François HOLLANDE, est aujourd'hui le mieux à même de rassembler la gauche et donc le mieux à même de permettre à la gauche d'être présente au deuxième tour de l'élection présidentielle.
ELIZABETH MARTICHOUX
Au risque de perdre la primaire ?
MICHEL SAPIN
Ecoutez, s'il rassemble la gauche, il ne perdra pas la primaire. S'il rassemble la gauche, il sera présent au deuxième tour. Le candidat de la gauche doit être le plus rassembleur.
ELIZABETH MARTICHOUX
Donc vous lui dites, alors là, à titre amical, vous lui dites, vous : allez-y, François HOLLANDE, vas-y.
MICHEL SAPIN
Moi, je ne rentre pas dans ce jeu, allez-y ou vas-y, je...
ELIZABETH MARTICHOUX
Mais, le Premier ministre... alors...
MICHEL SAPIN
C'est une décision très intime, c'est une décision très personnelle. Vous me demandez, vous me posez une question, je vous réponds très naturellement à la question...
ELIZABETH MARTICHOUX
Et vous me dites : oui, il doit y aller.
MICHEL SAPIN
Non, je ne vous ai pas répondu comme ça. Je n'ai pas d'ordre à donner.
ELIZABETH MARTICHOUX
Non, mais...
MICHEL SAPIN
C'est celui, je vais le répéter, qui me semble être le plus à même de rassembler la gauche et de permettre à la gauche d'être présente au deuxième tour de l'élection présidentielle.
ELIZABETH MARTICHOUX
Manuel VALLS parlait il y a quelques jours chez nos confrères de France Inter, de la honte qui peut être ressentie à la lecture du livre. Vous ne l'avez pas lu, je crois, d'ailleurs, le livre. Vous avez fait... préservé...
MICHEL SAPIN
Oui, mais il y a tellement de livres, à la fin on finit par ne plus savoir lequel lire.
ELIZABETH MARTICHOUX
Oui, c'est cela, oui, on pense que c'est cela. Il parle de la honte...
MICHEL SAPIN
Parce qu'il y a ceux qui sont désagréables, ceux qui sont agréables, je ne lis ni les uns, ni les autres.
ELIZABETH MARTICHOUX
C'est cela. Et vous la comprenez cette honte, quand il parle de cela, le Premier ministre ? Qui lui l'a lu.
MICHEL SAPIN
Je ne sais pas si le terme de honte est bien approprié. Je comprends tout à fait qu'on se pose des questions sur tel ou tel passage, sur tel ou tel commentaire ou sur telle ou telle attitude. Ça fait partie me semble-t-il là aussi de la liberté d'esprit que l'on doit avoir les uns et les autres, et la liberté de jugement. Est-ce que ça remet en cause politiquement le paysage politique, la réponse est non.
ELIZABETH MARTICHOUX
Et dernière question, néanmoins, est-ce que Manuel VALLS peut être l'alternative si François HOLLANDE n'y va pas ?
MICHEL SAPIN
On ne va pas rentrer dans les si si, mais moi je vais vous dire mon...
ELIZABETH MARTICHOUX
Ah ben c'est important de savoir, quand même...
MICHEL SAPIN
Moi je vais vous dire mon sentiment.
ELIZABETH MARTICHOUX
... qui peut être l'incarnation, comme dirait Claude BARTOLONE.
MICHEL SAPIN
Au-delà des personnes, je suis fier d'une gauche qui a géré la France. Je suis fier d'une gauche qui a fait face à des problèmes extrêmement lourds, j'ai envie que cette gauche, qui est la gauche de la réalité, la gauche gestionnaire, la gauche de gouvernement, soit présente au deuxième tour.
ELIZABETH MARTICHOUX
Eloge de la fierté. Ce sera le slogan de campagne de Michel SAPIN, s'il fait la campagne de François HOLLANDE. Merci à vous d'avoir été dans ce studio.
YVES CALVI
Quels que soient les chiffres, la croissance est là, nous dit Michel SAPIN. Il faut s'habituer à ce qu'avec moins de croissance on crée quand même des emplois. L'entretien est à retrouver sur le site RTL.fr. Merci à tous les deux.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 novembre 2016