Déclaration de Mme Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes, sur l'opération de lancement du guide "égalité professionnelle femme/homme, des entreprises s'engagent", Paris le 12 octobre 2016.

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Je suis heureuse d'être parmi vous pour participer au lancement de ce nouveau guide qui met en lumière des actions concrètes en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde du travail. Je tiens à saluer votre engagement : ce guide sera, à n'en pas douter, un outil particulièrement utile, à la fois pour les employeurs, les salarié.e.s, mais également pour l'ensemble des citoyennes et des citoyens.
[Pourquoi est-il nécessaire d'agir pour l'égalité professionnelle?]
Nous entendons encore trop souvent certains s'exclamer : « Mais qu'est-ce qu'elles peuvent bien vouloir encore ? », comme si l'égalité entre les femmes et les hommes était aujourd'hui acquise, comme si elle était une évidence qui ne demanderait plus à la société de se mobiliser.
Or, à l'occasion de cette 4ème édition de la semaine de l'égalité professionnelle, vous avez été nombreuses et nombreux à montrer à quel point la mobilisation est encore aujourd'hui nécessaire. Concentration des femmes dans quelques filières professionnelles, difficultés d'accès aux postes à responsabilité, faible présence des femmes parmi les entrepreneurs, écarts de rémunérations toujours importants, difficultés d'articulation entre vie familiale et vie professionnelle, violences et sexisme ordinaire : les problématiques perdurent.
Votre guide dresse, d'ailleurs, un état des lieux solidement étayé de la situation des femmes sur le marché du travail. Chacune des informations que vous apportez a vocation à nommer ce que les femmes vivent tout au long de leur parcours professionnel, à leur faire prendre conscience qu'elles ne sont pas seules, et donc leur donner la possibilité d'agir en conséquence. Et ce constat ne peut qu'inciter les employeurs et l'ensemble du collectif de travail à mener une politique volontariste au sein de leur entreprise.
Parce qu'en laissant perdurer les inégalités, nous ne nous ne montrons pas à la hauteur des principes érigés au plus haut niveau de notre droit, ni des valeurs républicaines de justice, d'égalité et de liberté qui guident notre vie en société.
Nous disposons, en plus, désormais d'un argument de poids : l'argument économique ! Le rapport de France stratégie a récemment démontré que dans l'environnement professionnel, le fait d'être femme reste le premier facteur d'inégalités. Mais aussi et surtout, que garantir l'accès des femmes à l'emploi et à des postes élevés permettrait un gain de 7% de PIB. Autrement dit, nous nous privons actuellement de formidables talents, nous excluons de notre économie les forces vives qui résident dans la moitié de l'humanité. Une absurdité, en somme !
Pourtant, de nombreuses entreprises témoignent des effets positifs générés par une politique volontariste de féminisation de leurs équipes. C'est le cas de l'entreprise Sodexo dont le conseil d'administration est présidé par Sophie BELLON qui compte parmi les très rares patronnes du CAC40 (elles ne sont que deux !). Depuis que la composition de leurs équipes managériales est plus équilibrée, l'entreprise a clairement constaté un meilleur taux d'engagement des équipes, un potentiel de croissance interne plus élevé et une image de marque qui s'en est trouvée fortifiée. (http://fr.sodexo.com/home/actualites/notre-actualite/mixite.html)
[La mobilisation des entreprises est un gage de réussite]
L'égalité professionnelle est souvent perçue comme une contrainte, imposée de surcroît par l'Etat. Or, c'est un enjeu qui engage la responsabilité des entreprises et qui leur révèle de formidables opportunités. Aux côtés des dispositifs portés par ce Gouvernement et sur lesquels j'aurais l'occasion de revenir, la culture de l'égalité professionnelle demande à être portée par des actrices et des acteurs de terrain impliqué.e.s au quotidien dans la gestion des ressources humaines. Car la mobilisation des entreprises est un gage de réussite :
- non seulement, pour qu'elles respectent les obligations qui leur incombent (notamment en matière de nomination paritaire ou de négociations),
- mais également, pour créer un environnement de travail qui globalement offre aux femmes les mêmes chances, les mêmes droits qu'aux hommes, et ouvre le champ des possibles.
Prenons l'exemple de la féminisation des instances dirigeantes. Pour encourager l'ascension des femmes aux postes à responsabilités, la loi impose aux entreprises d'une taille importante (plus de 500 salariés) de compter au moins 40% de femmes dans les conseils d'administrations et de surveillance.
La mise en oeuvre de cet objectif de 40% demande une gestion des ressources humaines volontariste en matière de féminisation. Régulièrement, j'entends que l'on voudrait bien nommer des femmes, mais qu'il n'y en a pas ! Mais la question dépasse le fait de « trouver » des femmes, il faut aller les « chercher ». Au regard des contraintes qui pèsent sur elles, elles n'apparaissent pas naturellement, aux yeux de ceux qui aujourd'hui peuvent leur faire cette place.
Je suis convaincue qu'une politique des talents ambitieuse doit faire de la féminisation un objectif à part entière des recruteur.e.s. Croyez-moi, une fois l'incitation financière mise en place, de nombreuses femmes compétentes apparaîtront dans vos dossiers de candidatures !
Je tiens également à saluer des initiatives - comme celle de Nestlé ou de la SNCF présentée dans votre guide – qui veillent à ce qu'au moins un profil féminin soit mis en avant à chaque candidature ou promotion. C'est également ce que s'attache à faire l'Etat au travers de la « Mission cadre dirigeants » qui impose d'identifier au minimum 30% de femmes parmi le vivier de fonctionnaires à haut potentiel.
Le déploiement de réseaux féminins joue aussi un rôle essentiel.
Sans pour autant les nommer comme tels, les hommes ne nous ont pas attendu pour constituer leurs propres réseaux et remplir leurs carnets d'adresses! Alors, Mesdames, faites jouer la solidarité féminine ! Il ne s'agit pas là de faire s'affronter les femmes et les hommes, mais bien de mettre en lumière des parcours remarquables, de s'échanger des conseils et de se donner confiance, de déployer toutes ses compétences. J'ai eu l'occasion de le constater en me rendant auprès de cheffes d'entreprises de mon département mais également en rencontrant le réseau des femmes d'Engie. Les échanges dans le cadre de ces réseaux ont un effet déclencheur, une « impulsion extérieure et bienveillante qui peut faire toute la différence ! » comme le disait une créatrice d'entreprise.
[Agir collectivement sur tous les obstacles posés sur le parcours professionnel des femmes / PIEP]
Evidemment, la question de l'égalité professionnelle ne se résume pas à l'accès des femmes aux postes de pouvoirs. Le Gouvernement est pleinement mobilisé pour lever tous les obstacles qui se posent aux femmes dans leur parcours et qui existent au seul motif qu'elles sont des femmes.
Nous disposons aujourd'hui d'un socle législatif solide et fourni. La loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes de 2014 s'inscrit dans la ligne des grandes avancées portées depuis plusieurs décennies, de la loi Roudy de 1983, la Sauvadet de 2012 ou encore la loi Copé-Zimmerman de 2011.
Les mesures sont nombreuses et la politique d'égalité professionnelle est par nature transversale : elle mobilise l'éducation, le travail, l'économie, la justice ou encore la politique familiale.
C'est pourquoi j'ai lancé, mardi dernier, au nom du Gouvernement, le premier plan interministériel en faveur de l'égalité qui rassemble toutes ces mesures pour les ancrer durablement dans le paysage institutionnel et surtout permettre à chacune et chacun de s'approprier tous les dispositifs qui existent.
Je ne pourrais être exhaustive dans la présentation de ce plan, mais permettez-moi de vous en présenter trois axes prioritaires.
- Notre premier objectif est d'encourager la mixité professionnelle.
Aujourd'hui, nous comptons seulement 30% de femmes parmi les entrepreneurs. Aujourd'hui, la moitié de l'emploi féminin se concentre dans seulement 12 des 87 familles professionnelles existantes, dans des secteurs liés principalement au domaine du « soin » (éducation, santé et social).
A titre d'exemple, le secteur du numérique présente des évolutions tout à fait inquiétante :
- Jusqu'en 1985, le secteur informatique, prédécesseur du numérique, était la deuxième filière comportant le plus de femmes ingénieures ;
- avec le temps, elles se sont évaporées et disparaissent peu à peu des effectifs.
Et les stéréotypes ont la vie dure puisqu'au sein de la filière numérique, les femmes sont surreprésentées dans des métiers dits « féminins » : 96% des secrétaires et 65% des emplois administratifs qualifiés tandis que leur part dans les métiers techniques ne dépasse pas 20% (ingénieur.e.s et cadres d'études, recherche et développement, chef de projet informatique).
C'est pourquoi je lancerai avant la fin de l'année un plan mixité dans les métiers du numérique. Féminisation des noms de métiers, programmes de mentorat, annuaire d'expertes femmes dans les métiers du numérique, autant d'actions qui feront avancer concrètement les choses !
- Un second objectif est d'accompagner les entreprises dans la mise en oeuvre de leurs obligations en matière d'égalité professionnelle.
Evidemment, certaines sont sanctionnées. Mais la politique d'accompagnement menée par les DIRECCTE produit peu à peu ses fruits : en janvier 2014 moins de 28% des entreprises concernées par la loi, étaient couvertes par un accord ou un plan égalité professionnelle. En mai 2016, elles étaient près de 40%.
Nous nous inscrivons dans une démarche constructive : nous voulons que la sanction fasse évoluer les comportements. Par exemple, dans la fonction publique, nous prévoyons que les pénalités versés par les administrations, lorsqu'elles ne respectent pas leurs obligations en matière de nomination paritaire, soient utilisées pour financer des actions de formation et de sensibilisation en faveur de l'égalité professionnelle.
Les entreprises seront également accompagnées, au travers de fiches réflexes, pour mettre en oeuvre les nouvelles obligations prévues par la loi travail en matière d'agissement sexiste. L'interdiction de l'agissement sexiste doit figurer dans le règlement intérieur des entreprises et la prévention de tels agissements relève de la responsabilité de l'employeur et fait aussi partie des missions du CHSCT.
Au-delà des obligations, il est bien sûr essentiel de mettre en lumière les entreprises exemplaires. C'est pourquoi le plan interministériel prévoit notamment de présenter, chaque année, le palmarès de la féminisation des instances dirigeantes.
- Enfin, un troisième objectif, auquel je tiens particulièrement, consiste à favoriser l'articulation entre vie professionnelle et vie familiale.
En tant que Ministre des Familles, de l'Enfance et des Droits des femmes, je suis particulièrement vigilante à cette question.
L'arrivée du premier enfant crée souvent une rupture dans le parcours professionnel des femmes et n'impacte qu'à la marge celui des hommes : après une naissance, seul un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux (INSEE, étude de juin 2013: http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1454/ip1454.pdf). De surcroît, même au travail, les femmes continuent de « penser à tout » (http://www.la-croix.com/Famille/Parents-et-enfants/Quand-femmes-pensent-tout-2016-09-20-1200790409) : que va-t-on manger ce soir ? Ai-je bien dit à ma fille de prendre son sac de sport? Qui ira la chercher au judo mercredi prochain? Cette charge mentale est à l'image de leur sur-implication.
Le Gouvernement mène donc une politique active, avec la réforme du congé parental (La durée du congé parental est désormais portée à un an (contre 6 mois avant) pour le 1er enfant, s'il est partagé entre le père et la mère) ou le développement des modes d'accueil (+ 100 000 places d'ici la fin du quinquennat), pour permettre une meilleure répartition des rôles au sein du couple, car nous devons cesser de voir l'articulation des temps de vie comme une problématique qui concerne uniquement les femmes.
Pour aller plus loin, le plan interministériel prévoit notamment que les professionnel.le.s de la petite enfance soient sensibilisés et formés à la question des stéréotypes et à l'implication des deux parents. Encore trop souvent, nous voyons passer ces petits mots qui s'adressent directement à « la maman de … » en lui demandant de bien vouloir se présenter à la visite médicale de sa fille ou de se rendre disponible pour la prochaine sortie.
Les entreprises ont évidemment leur part de responsabilité car l'articulation des temps de vie implique bien évidemment l'organisation du travail au sein de l'entreprise. Les marges de progression en la matière sont importantes : le baromètre réalisé par l'Observatoire de la parentalité en entreprise relève aussi que 61% des salariés considèrent que leur employeur « ne fait pas beaucoup de choses » pour les aider à équilibrer leurs temps de vie (Observatoire de la parentalité en entreprise, baromètre 2016 : http://www.observatoire-equilibre.com/wpcontent/uploads/2016/05/Barom%C3%A8tre-OPE-de-la-conciliation-VPVP-Volet-Salari%C3%A9s-Edition-2016-VD-2juin2016-13h.pdf).
Le sujet du présentéisme est fondamental. Cette règle non écrite qui prévaut aujourd'hui dans les entreprises françaises pénalise les femmes particulièrement lorsqu'elles aspirent à devenir dirigeante ou à prendre davantage de responsabilités. C'est pourquoi j'ai demandé au Conseil supérieur de l'égalité professionnelle de mener une réflexion sur le télétravail. La loi Travail ouvre la possibilité d'une concertation entre les partenaires sociaux sur ce sujet. J'attends du CSEP qu'il produise des recommandations favorisant un recours équivalent et sans considération de genre pour tous les salariés.
[Agir à la source en mobilisant l'ensemble de la société contre le sexisme / PAMS]
De façon plus générale, je suis convaincue que c'est une révolution culturelle de fond que nous devons mener collectivement au sein de notre société. Nous aurons beau mettre en oeuvre des lois, créer de nouveaux dispositifs, prendre des engagements, tant que le sexisme restera ancré dans les mentalités ou perçu comme quelque chose de finalement « pas si grave », nous ne pourrons progresser.
Le sexisme, c'est ce plafond de verre, souvent invisible mais tellement résistant, qui constitue le principal et probablement le dernier obstacle à une réelle émancipation des femmes.
Le sexisme, ce sont ces stéréotypes, ces propos, ces comportements qui stigmatisent, délégitiment, infériorisent les femmes : de la remarque anodine, sous couvert d'humour ou de paternalisme, jusqu'aux violences psychologiques et physiques les plus graves. Quelle perte de temps ! Le sexisme pourrit la vie des femmes.
Vous êtes, ici, particulièrement concernés par cette question. Car les femmes perçoivent le travail comme un environnement propice à l'expression du sexisme. Près d'une femme active sur deux a déjà subi des remarques, des propositions ou actes très déplacés de la part d'un client ou d'un collègue.
J'aurais eu beau prendre une loi qui proclame la fin du sexisme, cela n'aurait pas eu grand effet. C'est pourquoi j'ai tenu à lancer le plan d'actions et de mobilisation contre le sexisme, le 8 septembre dernier. Il rassemble des associations, des entreprises, des personnalités qui collectivement prennent la parole pour rendre visible le sexisme et mettent en lumière des initiatives qui participent à lutter contre celui-ci, partout où il se manifeste (à l'école, dans l'espace public, dans le sport, la culture, …).
Chère Nora Bersali, vous avez déjà rejoint la démarche puisque ce nouveau guide que vous lancez aujourd'hui a d'ores et déjà été labellisé « Sexisme, pas notre genre ». Je souhaite, à ce titre, qu'il bénéficie d'une visibilité accrue et qu'il puisse être connu par le plus grand nombre !
[Conclusion / L'intérêt de ce nouveau guide labellisé « Sexisme pas notre genre »]
A nouveau, je tiens à vous féliciter pour votre action qui s'inscrit en pleine cohérence avec la politique menée par mon Ministère.
Ce guide constituera un outil précieux pour permettre aux entreprises de mettre en oeuvre des actions concrètes en faveur de l'égalité professionnelle. Mais, ce guide constitue également une mine d'informations pour permettre aux femmes de faire pleinement valoir leurs droits. L'intervention de Sarah Bénichou qui travaille auprès du Défenseur des droits va venir nous éclairer à ce sujet.
Je vous remercie.
Source http://www.defis-rse.fr, le 3 novembre 2016