Déclaration de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur la rentrée scolaire des inspecteurs généraux de l'éducation nationale et l'aboutissement de la Refondation de l'école, Paris le 7 septembre 2016.

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Texte intégral


Dans une rentrée 2016 où les changements sont nombreux, il y a des choses qui ne changent pas.
Le soleil se lève toujours à l'Est, l'automne succède à l'été, et la rentrée scolaire s'accompagne du discours de la ministre de l'Éducation Nationale au séminaire de rentrée des deux inspections générales.
Nous voici donc au jour de cet exercice traditionnel. Mais pour être traditionnel, ce discours, aujourd'hui, n'en demeure pas moins singulier. Ce n'est pas n'importe quelle rentrée : c'est celle qui voit l'aboutissement de la Refondation de l'École. Ce n'est pas n'importe quel discours. C'est celui qui va accompagner la dernière année du quinquennat de François Hollande.
L'année scolaire commence, mais notre action, sur ce quinquennat, s'achève – même si je ne désespère pas la voir se prolonger dans les années qui viennent.
Cette dernière année de quinquennat, vous vous en doutez, est l'occasion de faire un bilan et de se retourner sur le travail accompli depuis bientôt cinq ans.
La première chose qui doit nous frapper, c'est, naturellement, l'ampleur de la tâche qui a été accomplie.
Nous avons fait beaucoup, et ce travail, je tiens à insister sur ce point, est un travail collectif.
C'est le travail de l'institution toute entière, pas uniquement celui de la ministre, ou de ses prédécesseurs, mais le travail de chacune et de chacun d'entre vous.
Ces réformes ont impliqué les directions d'administration centrale, les services déconcentrés, les corps d'inspections territoriaux, les chefs d'établissements et, bien sûr, la communauté éducative.
Je sais aussi la part que vous y avez prises, selon les modalités propres à chacune de vos inspections.
Cette action ne pouvait être que collective, étant donnée l'ambition immense qui l'a nourrie, et qui apparaît clairement dans la loi de Refondation de l'École.
Entre la loi et la réalité, il peut parfois exister un écart, plus ou moins vaste. C'est pour cette raison que je veux insister : l'ensemble des mesures annoncées autour de la Refondation de l'École ont été mises en œuvre ou le seront cette année. Sur l'ensemble du champ ministériel, tous les décrets d'application des deux lois du 8 et du 22 juillet 2013 ont été pris.
Je parlais de l'ampleur de la tâche ; elle s'est traduite par de nombreux chantiers : priorité réelle accordée au premier degré ; réforme de l'éducation prioritaire ; réforme en profondeur du collège ; refonte complète des cycles et des programmes d'enseignement ; nouveau mode de répartition des moyens ; reconstruction d'une véritable formation des enseignants ; redéfinition des obligations de service des enseignants ; revalorisation des professeurs des écoles ; développement du numérique ; relance de l'apprentissage dans l'enseignement public ; mesures d'orientation des bacheliers technologiques et professionnelles. Et une telle liste reste encore incomplète.
L'énumération ne doit cependant pas masquer la cohérence de toutes ces réformes. Elles poursuivent un objectif clair : améliorer l'École. Et que signifie améliorer l'École ? C'est s'assurer qu'elle accomplisse, pour tous les élèves, la mission qui est la sienne depuis toujours : former des citoyens instruits, éduqués, cultivés, et autonomes.
Le voilà notre objectif ! Et pour l'accomplir, il fallait bien tenir compte de toutes les dimensions de notre système scolaire, depuis la formation des personnels jusqu'au financement des établissements, sans oublier, naturellement, de repenser nos pratiques pédagogiques et le contenu des enseignements !
Nous avons, ainsi, recherché une plus grande équité, sans jamais sacrifier les objectifs de qualité et d'excellence de l'enseignement. C'est, évidemment, difficile à accomplir. Plus difficile que de choisir de ne former que les meilleurs ; plus difficile que d'ouvrir grand les portes de nos établissements, et de regarder, en leur sein, les inégalités économiques et sociales peser sur la scolarité de nos élèves.
Nous avons voulu, nous, réconcilier ce que l'on a trop souvent opposé.
Nous avons voulu montrer qu'il n'y avait pas de fatalité à voir 25% des élèves ne pas maîtriser les fondamentaux à la fin du collège.
Nous avons voulu montrer qu'il n'y avait pas de fatalité à voir 140 000 élèves quitter le système scolaire sans qualification.
Et la preuve qu'il n'y a pas de fatalité, c'est que nous avons déjà obtenu, s'agissant du décrochage, des premiers résultats. J'ai pu annoncer, en décembre 2015, qu'ils n'étaient plus que 110 000, et tous nos indicateurs de tendance montrent que la baisse se poursuit.
C'est encore trop, bien sûr. Mais cela montre que la fatalité, si elle a toute sa place dans une tragédie grecque, n'a rien à faire dans l'École de la République, où l'on ne subit pas un destin, mais où l'on se construit un avenir !
En cette année scolaire 2016-2017, la Refondation devient une réalité.
Cette rentrée, est-il besoin de vous le rappeler, sera importante, avec, en particulier, la mise en œuvre de la réforme du collège dans tous ses aspects : nouveaux modes d'organisation pédagogique ; nouveaux programmes ; réforme de l'évaluation. Et tout cela, pour la première fois, traité en même temps et de manière cohérente !
C'est, pour nos personnels, et en particulier pour les enseignants, un changement, je le sais, très important. Comme l'écrivait Anatole France : "Tous les changements, même les plus souhaités, ont leur mélancolie [...]".
Ce n'est donc pas une surprise si ce changement a pu susciter un certain nombre de réticences, voire de résistances. Celles-ci devaient sans doute davantage à l'image déformée qui a été faite de cette réforme, qu'à sa réalité.
Je suis donc convaincue que les professeurs sauront s'emparer d'une réforme qui, par l'autonomie qu'elle leur offre, par l'importance qu'elle donne aux évolutions pédagogiques, exprime la confiance que nous leur accordons.
Cette confiance s'est aussi traduite par un important soutien, et un effort de formation absolument inédit, auquel vous avez pris part. Je tiens donc à ce que vous continuiez le travail d'accompagnement de la mise en œuvre de cette réforme.
Je sais, nous savons, qu'une réforme ne s'apprécie jamais que sur la durée. Ce n'est pas pour rien que j'ai exprimé, lors de la conférence de presse de rentrée, mon souhait de voir la Refondation jugée à l'aune des résultats PISA 2025, et pas avant !
Cependant, la Refondation s'étant toujours caractérisée par la concertation et l'attention portée au terrain, je souhaite que vous preniez soin de me faire remonter les premiers éléments d'analyse, pour que nous puissions améliorer ce qui doit l'être, et rapidement remédier aux difficultés qui surgiraient.
Je tiens sur ce sujet – celui du suivi des réformes – à évoquer en particulier l'importance des notes de suivi des correspondants académiques des deux Inspections Générales. Ces notes, ont représenté, j'en suis consciente, un travail considérable. Mais elles ont été, pour moi, et pour l'institution dans son ensemble, extrêmement précieuses.
Je tiens donc à remercier les correspondants académiques pour leur engagement et leurs efforts, et je ne peux que vous encourager à poursuivre ce travail. Nous avons besoin de vos retours, de vos remarques, et de vos propositions.
Je sais aussi toute la part qu'a prise l'IGEN dans l'élaboration de ressources pédagogiques pour accompagner les réformes ou dans la professionnalisation des concours de recrutement, même si des marges de progrès existent – mais où n'existent-elles pas ?
Et je salue le travail de l'IGAENR qui nous permet de toujours travailler à davantage d'efficacité dans la structuration même de notre système scolaire et de son administration, cette administration sans laquelle rien ne se ferait, et dont le rôle, pour être méconnu du grand public, n'en est pas moins essentiel, qu'il s'agisse de celle de l'Éducation Nationale ou de celle de notre système d'enseignement supérieur et de recherche.
Mais je veux surtout insister sur le nécessaire travail collectif de vos deux corps d'inspection. En croisant vos regards et vos compétences, en mettant à profit votre complémentarité, vous avez permis la production de rapports absolument remarquables et d'une utilité immense pour la ministre que je suis. Je songe, par exemple, à celui sur les ESPE ou à celui sur le décrochage.
Ce dernier, intitulé "Agir contre le décrochage scolaire : alliance éducative et approche pédagogique repensée" a nourri le plan d'action décrochage, dont j'ai évoqué les bons résultats.
La priorité donnée à la prévention y compris précoce du décrochage, l'accent sur la formation des enseignants, les aspects pédagogiques et le déploiement des alliances éducatives et du PAFI (parcours aménagé de la formation initiale) doivent beaucoup à votre expertise et à votre engagement.
Je tiens donc, en cette rentrée, à vous remercier, très sincèrement, pour votre contribution à la politique de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Vous nous permettez d'avancer, de changer, d'évoluer, de nous améliorer, et je sais que vous témoignez, vis-à-vis de vos corps d'inspections, d'un même souci et d'une même exigence.
Les orientations qui ont été prises, par vos responsables, et notamment la recherche d'un caractère plus opérationnel à vos travaux me paraissent aller dans le bon sens.
La meilleure articulation avec les directions, dont les demandes contribuent à enrichir votre programme de travail participent de cette recherche d'un caractère opérationnel.
Je sais l'importance des travaux conjoints de l'IGEN avec la DGESCO et le CSP en termes de contribution aux programmes et à l'élaboration de ressources pédagogiques. Je connais également l'importance du travail entre l'IGAENR et la DGESIP pour l'accompagnement des établissements d'enseignement supérieur.
Je salue, enfin, le travail qu'accomplissent vos inspections générales respectives, lorsqu'elles agissent en concertation, soit l'une avec l'autre, soit avec les inspections d'autres ministères.
J'ai déjà cité l'exemple de la formation des enseignants et de l'association étroite des deux inspections à la mise en œuvre de cette réforme fondamentale. Ce n'est pas le seul.
Je l'avais déjà évoqué l'an passé, mais je veux, tant le sujet est essentiel, le rappeler encore cette année : toutes les mesures législatives et réglementaires prises pour améliorer les relations entre justice et éducation en matière de signalement des actes de pédophilie sont issues d'un rapport conjoint entre l'IGAENR et l'inspection des services judiciaires. Et je sais tout ce que pouvez apporter pour contribuer au renforcement de l'École de la République face aux événements tragiques qu'a vécus notre pays.
Cet esprit de recherche de solutions opérationnelle fondée sur des observations de terrain et d'une bonne articulation entre vos deux inspections ne doit pas vous quitter.
C'est avec ce même esprit que vous devrez mener votre programme de travail, que Thierry Mandon et moi-même vous avons assignés pour cette année 2016-2017.
Alors, je vous rassure, je ne vais pas revenir, point par point sur cette lettre de mission.
Vous avez, je pense, suffisamment d'expérience, d'expertise, et de connaissances, pour pouvoir vous emparer des missions et des études qui vous sont demandées.
Je souhaite cependant, parce que ce discours, je vous l'ai dit, est particulier, prendre le temps de revenir sur certains aspects de la Refondation – et notamment de la réforme du collège, et insister sur le sens de cette action.
Ce sens a trop souvent été occulté, il mérite cependant d'être rappelé, martelé, et défendu dans les années qui viennent.
Je l'avais dit au début de ce discours, certaines choses ne changent pas. Y compris au sein de cette institution scolaire à laquelle nous sommes si profondément et si viscéralement attachés.
Les ministres s'en vont. Les inspections générales demeurent.
En disant cela, je n'ai aucune nostalgie. Je suis consciente, évidemment des accents apollinariens de la formule. Je n'ai ni mélancolie, ni, pour reprendre un mot cher à l'un des anciens élèves de Louis le Grand, Charles Baudelaire, de spleen. Au contraire.
Savoir que les inspections générales demeurent me donne, pour la suite des événements, quelle qu'elle soit, une immense confiance.
Je l'ai dit, la Refondation a été une entreprise collective. Elle a été achevée collectivement, et elle se poursuivra collectivement. C'est cette continuité sur laquelle je veux insister aujourd'hui.
L'objectif de cette Refondation, vous les savez, est d'assurer, à tous les élèves, une formation exigeante, de qualité, tout en s'assurant d'une véritable égalité sur l'ensemble du territoire. C'est là un objectif, je le sais, partagé par chacune et chacun d'entre nous.
Davantage encore qu'un objectif, c'est un défi. Un grand défi. Un défi, qui vaut non seulement la peine d'être relevé, mais qui doit l'être, absolument. Nous n'avons pas le choix.
Nous ne pouvons continuer à nous satisfaire de la situation que nous avons rencontrée en 2012. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la réussite de quelques-uns, et de l'échec des autres. L'École est un pilier de la République : elle ne doit jamais être le volcan sur lequel danseraient quelques privilégiés, qui, à terme, mettrait en péril l'unité même de notre société. Rien de durable, rien de pérenne, ne peut se construire sur des inégalités aussi flagrantes.
Le propre de la Refondation, c'est d'avoir relevé ce défi, avec réalisme. C'est un équilibre subtil, délicat, que nous avons recherché, entre l'exigence et la démocratisation réelle, entre les nécessaires évolutions, la prise en compte de notre époque, et la poursuite des missions fondamentales de l'institution scolaire.
Cet équilibre, ce sens de la nuance, ont peut-être contribué aux difficultés et aux résistances que nous avons rencontrées. Je suis consciente de ce qu'un programme fondé sur une école fantasmée peut avoir de séduisant. Le rêve, après tout, fait partie intégrante de l'humaine condition.
Mais je vois, moi, dans cette nuance, dans cet équilibre, le signe d'une autre faculté, non moins précieuse, à laquelle je vous sais attachés : cette faculté, c'est la pensée.
La pensée, ce n'est pas s'arracher au réel, c'est y faire face. Mais la pensée, ce n'est pas non plus se restreindre au réel : c'est l'envisager pour se donner les moyens de le changer.
J'ai dit que vous y étiez attachés, parce qu'inspecter, pour reprendre une formule d'Edgar Morin, "c'est non seulement voir, mais voir ce que l'on pense, et penser ce que l'on voit".
C'est ce qui fait votre importance, et c'est ce qui explique que j'encourage, comme je le disais, les deux inspections, à continuer à avancer ensemble vers plus de solutions opérationnelles, vers davantage de propositions, parce que je connais, moi, pour les avoir lus, la justesse de celles qui accompagnent vos rapports
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L'élève, mesdames et messieurs, n'est pas une idée. L'École n'est pas un concept ! Ce sont des réalités. Avec leurs qualités, leurs forces et leurs faiblesses. Nous avons tenu compte de ces réalités, pour permettre, à tous nos élèves, de réussir.
Je pensais, voyez-vous, qu'un tel but rencontrerait un certain consensus. Je me trompais – et j'ai été parfois surprise devant la piètre qualité du débat sur l'école dans notre pays et devant les arguments de certains opposants.
Que n'ai-je pas entendu pour avoir osé parler de réussite pour tous ! Je ne vais pas me livrer à l'inventaire sordide des accusations ubuesques de nivellement par le bas et de haine du mérite dont j'ai été, et dont je suis, encore aujourd'hui, la cible. Je pense que vous voyez aisément ce à quoi je veux faire allusion.
Ces accusations sont souvent liées à un défaut d'imagination. On dit réussite et aussitôt surgit une idée unique de réussite, un cliché, un parcours type, dont l'aboutissement peut être, par exemple, une célèbre école sise au 45 rue d'Ulm, non loin d'ici.
Je salue, naturellement, cette réussite. Mais je sais aussi, et c'est heureux, qu'il existe bien d'autres manières de réussir. Dire "la réussite" ne doit jamais occulter que, dans les faits, il existe des réussites variées. Pourquoi le singulier d'un mot devrait-il masquer la diversité des phénomènes qu'il recouvre ?
Cependant, ces réussites, ont souvent des compétences, des connaissances, des valeurs en commun. C'est cela que signifie "la réussite de tous nos élèves". Non pas les amener tous vers une même filière, vers un même diplôme, vers une même école !
Cette réussite partagée n'est pas dans l'aboutissement, dans le but, qui, lui, reste propre à chacun.
Cette réussite, elle est dans ce qui va soutenir leur parcours, où qu'il mène, et que l'on désigne par le socle commun de connaissances de compétences et de culture.
Le faire acquérir à tous les élèves, en tenant compte de la diversité de leurs profils, de leur capital culturel ou de leur milieu économique et social nécessite une action sur trois plans : faire évoluer les pratiques pédagogiques ; faire évoluer le contenu des programmes et améliorer l'évaluation ; mieux former nos professeurs.
C'est pourquoi je voudrais insister sur deux points qui constituent une évolution considérable, et qui, je le sais, peuvent susciter, chez les enseignants, chez les équipes, des inquiétudes : je veux parler de la mise en place des EPI, et de l'autonomie.
Les EPI, répondent à une exigence : celle de la complémentarité, de la complexité, et de l'importance de l'expérience vécue dans l'acquisition des savoirs.
En favorisant l'interdisciplinarité – qui, comme son nom l'indique, ne supprime pas les disciplines, mais favorise les interactions et les dialogues entre elles – on renoue avec une haute ambition, celle de l'humanisme, qui portait une certaine conception de l'être humain et de l'ouverture au monde.
Oui, c'est une évolution conséquente, car l'ensemble de notre système scolaire et de qualification s'est depuis longtemps appuyé sur la spécialisation.
Cependant on ne demande pas à chacun de mettre seul en œuvre cette interdisciplinarité, mais de la construire à plusieurs, en équipe. Je tiens à ce que vous soyez particulièrement vigilants sur ce point.
Ce que nous demandons aux enseignants, ce n'est pas de renoncer à leurs savoirs disciplinaires, mais de mettre en commun leurs connaissances et leurs savoir-faire, comme vous savez d'ailleurs, mesdames et messieurs, très bien le faire dans certains groupes de travail.
Ces EPI sont précieux : ils sont l'occasion d'articuler non seulement les différents savoirs entre eux, mais aussi de les ancrer dans l'expérience pratique.
Cette seconde articulation est tout aussi essentielle : c'est par elle que l'élève peut acquérir profondément, durablement, les connaissances que l'école lui transmet. Afin que le mot ne reste pas qu'un mot, mais prenne la saveur inimitable et la puissance du vécu.
Et si l'expérience a tant d'importance, c'est qu'il n'y a jamais de théorie qui ne trouve ses racines dans la vie, dans la pratique. Ceci est un outil précieux et puissant pour un enseignant, que de permettre à ses élèves de renouer avec l'étonnement initial qui a précédé une philosophie, une théorie, une découverte scientifique, jusque que dans ses prolongements concrets.
Dans la société des savoirs qui est la nôtre, face aux développements considérables des sources d'informations, auxquelles nous prenons soin d'éduquer aussi les élèves, nous avons besoin de former des individus capables de créer des liens, des relations entre les différents domaines. Capable, en somme, de donner du sens.
Nous sommes friands, en France, avouons-le, des oppositions tranchées.
Nous aimons les catégories bien compartimentées. Dès que l'on s'aventure à montrer qu'il existe des nuances entre le noir et le blanc, entre l'opposition acharnée et l'adhésion aveugle, on est rapidement accusé de trahison ou de naïveté.
Oui, notre société se complaît tellement dans le choix exclusif, qu'à certains moments, on a le sentiment que tout doit être gouverné par le "ou", à l'éducation comme ailleurs : c'est "connaissances" ou "compétences" ; humanités ou insertion professionnelle ; pédagogie traditionnelle ou pédagogie de projet.
Et l'on oublie, tout d'un coup, que le propre de l'humain, c'est de pouvoir être plusieurs choses à la fois. C'est de pouvoir être touché, ému, et en même temps faire appel à sa raison. Et ce n'est pas l'un ou l'autre. C'est l'un et l'autre.
Voilà pourquoi, ce que j'ai voulu faire, à la tête de ce ministère, c'est de créer des liens. De rapprocher les savoirs. De généraliser aussi, ce qui, jusqu'à présent, était réservé à quelques-uns. De rappeler, en somme, la force de cette simple conjonction de coordination : le "et".
Non, l'apprentissage des fondamentaux ne se réduit pas aux heures qui y sont explicitement consacrées, mais il est mis en jeu dans toutes les situations offertes par l'école.
Comment pourrait-il en aller autrement ? Un savoir fondamental est précisément celui qui est à la base de tous les autres.
Donc si l'on me demande si je considère, par exemple, que des élèves travaillant sur une pièce de théâtre travaillent aussi leurs fondamentaux, je répondrais oui !
Et j'ajouterai même qu'ils travaillent très spécifiquement une compétence essentielle, qui porte, dans certains écrits spécialisés, le doux nom de "compétences inférentielles". Elles mettent en jeu, pour le dire plus simplement, la compréhension de l'implicite d'un texte, de ses sous-entendus et des intentions des personnages.
Alors, oui, les fondamentaux sont au cœur de l'École de la République, mais leur acquisition passe par une diversité de situations d'apprentissages qui se renforcent l'une l'autre.
Oui, on peut à la fois ne rien négliger de l'instruction, et en même temps ne pas méconnaître la formation du citoyen !
Oui, on peut défendre et développer l'enseignement professionnel et en même temps s'assurer que tous nos élèves connaissent l'Histoire, les mathématiques et les sciences !
Petite parenthèse, s'agissant de l'enseignement professionnel, de nouvelles mesures entrent en vigueur en cette rentrée 2016, et je compte sur l'Inspection Générale pour accompagner les équipes sur le terrain pour faciliter leur mise en œuvre. Je referme ma parenthèse.
Oui, nous avons besoin du numérique et des langues et cultures de l'Antiquité.
Et oui, on apprend en suivant des cours, mais aussi en faisant, en s'engageant dans des projets, et c'est tout le propre des parcours comme des EPI que de lier constamment les connaissances et l'expérience, les savoir et les savoir-faire.
Mais cette complémentarité n'a de sens que si nous tenons compte, aussi, de la spécificité de chaque établissement.
L'Éducation, pour être Nationale, n'en doit pas pour autant occulter la singularité et la diversité de nos territoires et de nos élèves.
Ici intervient l'autonomie accordée aux enseignants et aux établissements dans le cadre de la Réforme du collège.
A quoi bon créer des liens, si nous négligions le plus important ? Celui qui lie chaque établissement à son territoire, et à ses élèves.
C'est un aspect de la réforme qui a été peu souligné. Vous ne le trouverez pas dans les 20h, ni sur les chaînes d'information en continue. C'est pourtant un point fondamental, qui passe par un travail en équipe des enseignants, avec leurs principaux.
C'est un changement culturel important, mais il permet à chaque établissement de s'adapter, et de mettre en œuvre des projets pédagogiques adaptés à la fois aux points forts et aux points faibles de leurs élèves.
L'autonomie, comme le disait Jankélévitch dans Le je ne sais quoi et le presque rien, est "la liberté du sage", parce qu'elle "associe la spontanéité à la loi".
Qui mieux que les principaux et les enseignants pour adapter, au mieux, leurs pratiques à la réalité du terrain ? Qui mieux que des acteurs de terrain, pour articuler la dimension nationale aux enjeux locaux ?
Voilà pourquoi je souhaite que cet aspect, dans le suivi des réformes, ne soit pas oublié. Un collège est un lieu vivant, bien réel : il est essentiel de permettre aux équipes et aux personnels de conserver leur autonomie, afin de répondre au mieux à la spécificité de leurs élèves.
Notre ambition pour l'école et pour nos élèves ne se déploie pas dans un monde éthéré ! Elle plonge ses racines dans la diversité et la richesse du terrain.
C'est tout le sens de cette marge d'autonomie que d'en tenir compte le mieux possible, et de ne jamais méconnaître la réalité de nos établissements.
Voilà, mesdames et messieurs, pourquoi je ne peux qu'insister sur l'importance de ce que nous avons réalisé ensemble, et surtout sur l'importance de poursuivre ce travail.
Je compte sur vous, sur vos corps d'inspections respectifs, pour accompagner la Refondation dans les années qui viennent.
Et quand je parle d'accompagnement et de formation, je pense naturellement au travail technique, spécifique, pour s'emparer de ces évolutions, mais je souhaite aussi, et j'ai vu avec quel talent vous le faisiez dans vos journées magistère, articuler ce pragmatisme avec un horizon plus vaste, celui du sens.
Comme le disait Saint-Exupéry : "Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas [l]es hommes et [les] femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose ... si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur [des] hommes et [des] femmes le désir de la mer."
Eh bien oui, il est important de faire naître un désir pour une École qui ne renonce pas à concilier exigence et démocratisation, qui ne renonce pas à l'égalité au nom d'un prétendu "réalisme", mais d'une École consciente que notre réussite future, notre avenir commun, passe nécessairement par plus d'égalité, plus de justice, et par les réussites de tous nos élèves.
C'est ainsi que nous ferons du futur, non plus quelque chose qu'il faudrait craindre, mais un temps riche d'opportunités et de chances qu'il nous appartient de saisir !
Oui, le monde professionnel change, oui, les carrières vont demander davantage de formation continue, et oui, avec le numérique, avec cette masse gigantesque d'informations et de désinformation accessible à chacune et à chacun, il est essentiel, pour nos élèves, "d'apprendre à apprendre". Il est essentiel de leur donner un esprit critique, qui est la condition nécessaire pour qu'ils puissent donner, au monde qui les entoure, du sens !
Dans les crises que nous traversons, celle du sens n'est pas la moindre. Elle n'est pas aussi manifeste que les autres crises. Elle n'apparaît jamais dans les statistiques boursières et les bilans économiques.
Pourtant, elle traverse la société toute entière.
Devant une telle crise, l'École a un rôle central à jouer. Un rôle d'autant plus important qu'elle est bien souvent esseulée dans la société actuelle, qui tend à préférer la surface à la profondeur, le matériel à l'esprit, et méconnaît l'importance des savoirs et de la culture.
Quand l'attention devient un enjeu économique majeur, quand l'on recherche la passivité d'un consommateur davantage que l'esprit critique du citoyen, quand l'on cultive l'ignorance du fonctionnement d'un environnement numérique qui occupe une telle place dans notre vie quotidienne, on met à mal ce que défend, au quotidien, l'École.
Il nous appartient, à nous, de la défendre. L'École continuera ainsi, sans jamais méconnaître la question de l'insertion professionnelle, à cultiver le goût du savoir, de l'effort, et de la connaissance, par lequel se forge l'autonomie de chaque personne, de chaque citoyen.
Voici ce à quoi je suis heureuse et fière d'avoir pu contribuer avec vous. Et voici ce pour quoi je souhaite que nous continuions à agir, dans les années qui viennent !
Je me rends compte que j'ai été plus longue que je ne le pensais. Je conclurais donc simplement en ajoutant deux choses.
La première, c'est que je vous souhaite, mesdames les inspectrices générales, messieurs les inspecteurs généraux, une excellente rentrée, et un bon travail en cette année 2016-2017.
La seconde, c'est que c'est un réel plaisir, pour la ministre que je suis, de pouvoir compter sur vous, sur des femmes et des hommes dévoués, engagés, d'un professionnalisme exemplaire, et qui, dans ces temps où elle est si souvent mise à mal, ne cessent de défendre l'exigence d'une pensée nuancée et profonde, dont j'ai pu, au cours des deux dernières années, apprécier la valeur.
Je vous remercie.
Source http://www.education.gouv.fr, le 23 septembre 2016