Texte intégral
CAROLINE FARHI
Bonsoir, bienvenue dans l'Hebdo, résumé de l'actualité très largement consacrée à la visite de la ministre de l'Éducation nationale en Polynésie, Najat VALLAUD-BELKACEM est notre invitée ce soir et commentera ces trois jours marathon dans un instant.
( ) Reportages.
CAROLINE FARHI
Madame la ministre, bonsoir.
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Bonsoir.
CAROLINE FARHI
Dix ans d'autonomie pour la Polynésie dans le domaine éducatif, un transfert de compétences concrétisé par cette convention décennale renouvelée à l'occasion de votre visite. Alors, avant de rentrer dans le détail du texte, un mot sur votre impression quant à ce partage de compétences, comment l'appréhendez-vous après ces trois jours sur le territoire ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Écoutez, moi je suis respectueuse du choix des Polynésiens, qui ont voulu le statut d'autonomie, qui ont dit leur attachement à la France, et donc en fait c'est ce qu'on retrouve aujourd'hui dans le découpage des compétences. Puisque, peut-être pour que vos téléspectateurs les aient à l'esprit, en matière éducative cela revient à dire que c'est le gouvernement polynésien qui a compétence pour le contenu de l'enseignement scolaire, depuis la maternelle jusqu'au lycée, et c'est l'Etat qui a compétence, lui, pour le recrutement et la gestion des enseignants, pour les titres et les diplômes nationaux, la reconnaissance des titres et des diplômes nationaux, et puis enfin pour l'université qui elle continue à relever de ma compétence. Donc, une fois que ces compétences sont bien claires, et dans la convention décennale, elles sont rappelées, l'idée c'est de voir comment est-ce que nous pouvons coopérer le plus possible et c'est vraiment l'objectif de cette convention et je veux me féliciter gouvernement polynésien. (coupure de son).
CAROLINE FARHI
Donc rien ne change en termes de répartition des compétences dans cette nouvelle convention ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Alors, en termes de répartition des compétences, non, au contraire, elles sont réaffirmées telles quelles, en revanche ce que la convention décennale permet d'améliorer c'est la gouvernance de tout cela, c'est-à-dire, par exemple, sur le numérique, dont il aura été question pendant mon déplacement, nous avons mis en place un dispositif de pilotage du numérique pour faire en sorte que du côté de l'Etat, comme du côté du gouvernement polynésien, on mette vraiment en commun tous nos moyens et nos efforts pour que ce déploiement numérique se fasse le plus rapidement possible dans toutes les îles.
CAROLINE FARHI
A quelle échéance ce déploiement du numérique à votre avis ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
J'ai eu le plaisir d'aller à Huanine pour voir que le numérique, dans cette île-là, était installé aussi bien à l'école primaire qu'au collège, ça reste malheureusement une exception, c'est dommage parce que c'est formidable quand c'est installé, ça donne de très beaux résultats scolaires. C'est une exception, il ne faut plus que ça le soit, c'est la raison pour laquelle nous souhaitons, l'Etat, accompagner le gouvernement polynésien dans le déploiement de la fibre optique dans le reste des îles, parce que c'est la première étape avant d'installer les infrastructures puis l'équipement. Mais c'est un sujet qui a été très évoqué pendant mon déplacement et je me ferai vraiment la défenseuse de ce sujet à Paris, parce que je crois qu'ici c'est une question quasi-vitale. Compte tenu de l'éloignement géographique des îles et donc des enfants, nous devons faire en sorte que le numérique, qui est un outil extraordinaire notamment pour développer l'enseignement à distance, puisse être mis à disposition du plus grand nombre.
CAROLINE FARHI
Vous l'avez vu dans le reportage précédent. La fameuse DGC, Dotation Globale de Compensation censée financer les investissements, n'apparaît pas dans la convention décennale. Pourquoi n'est-elle pas mise en place ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
J'ai vu cela mais c'est une question qu'a soulevée l'opposition ici, et je ne souhaite pas m'immiscer dans les débats politiques internes. Moi ce que je sais, c'est que ce qui importait c'était la signature de la convention décennale. Ce que je sais, c'est que nous avons décidé vraiment de rehausser le niveau d'efforts financiers que fait l'Etat à l'égard de la Polynésie en matière éducative. Vous aurez constaté par exemple que pour construire davantage d'internats ou en rénover davantage, j'ai annoncé une enveloppe nouvelle de six cent cinquante-six millions de francs pacifiques. Ça va permettre, je le dis à vos téléspectateurs, de construire trois cents places supplémentaires pour accueillir des collégiens ou des lycéens en internat. C'est très important. Nous avons fait aussi un effort pour augmenter notre contribution financière au transport scolaire, car ça aussi c'est un défi majeur. C'est trente millions de francs pacifiques supplémentaires cette année. C'est ainsi que je souhaite procéder. C'est-à-dire que, comme je l'ai dit hier soir en réponse au président FRITCH dans mon discours à la présidence, vous pouvez compter sur l'Etat pour être aux côtés des autorités polynésiennes pour les accompagner dans les défis majeurs auxquels vous êtes confrontés.
CAROLINE FARHI
Le taux de réussite au bac est nettement moins fort en Polynésie qu'en France métropolitaine, 54 % contre 77 %. A votre avis, avec les moyens dont est doté le pays, pourquoi un tel taux d'échec subsiste-t-il ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Précisément mon déplacement ici aura été très instructif pour moi. Peut-être qu'évidemment pour vous c'est une évidence, mais vu depuis Paris je crois qu'on appréhende difficilement. C'est pour ça que c'était important que la ministre de l'Éducation vienne pour la première fois. On appréhende difficilement ce que peut représenter ce caractère archipélagique de la Polynésie française. C'est-à-dire cet éloignement géographique qui fait que pour pouvoir aller au-delà de l'école primaire, des enfants d'à peine onze ans, douze ans, soient tenus de changer d'île, de se retrouver parfois en famille d'accueil et parfois même encore pire, quasiment à la rue. Ce n'est pas possible. C'est pour ça que c'était tellement important de s'attaquer à ce sujet des internats et que c'était là qu'il fallait mettre un coup de pouce financier très important. C'est ce que nous avons décidé de faire.
CAROLINE FARHI
Les élections présidentielles ont lieu l'an prochain. Est-ce qu'on peut compter sur les engagements de l'État avant ces échéances ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Oui, bien entendu puisque tout ce que j'ai annoncé ici est programmé dans la loi de finances pour l'année 2017 que nous nous apprêtons à faire voter au Parlement d'ici quelques semaines. Tout ce que j'ai annoncé ici, ce n'est pas pour demain ou après-demain. C'est pour tout de suite.
CAROLINE FARHI
Madame la Ministre, on va vous retrouver dans un instant, juste après l'hebdo qui revient sur ce séjour marathon de la ministre de l'Éducation nationale en Polynésie avec, entre autres, les visites d'établissements et une arrivée à Tahiti Fa'a'? sur fond d'accueil traditionnel et revendicatif. [ ]
Madame la Ministre, 1,2 milliard de francs engagés par l'État entre 2013 et 2016 pour la rénovation des bâtiments. Quand on voit la vétusté de l'ensemble des infrastructures, on peut se demander si les fonds sont utilisés à bon escient. Est-ce que l'Etat exerce un contrôle sur les dépenses ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Je peux vous assurer d'une chose. C'est que le gouvernement polynésien actuel, Edouard FRITCH, sa ministre de l'Éducation Nicole SANQUER, font preuve d'un attachement aux questions éducatives qui est remarquable. Sérieusement. Oui, je peux donc vous assurer que tous ces fonds qui sont mis à disposition des autorités polynésiennes aujourd'hui est-ce que c'était le cas par le passé ? Je ne le sais pas mais aujourd'hui sont utilisés et à bon escient. C'est vrai qu'il y a un retard à rattraper en matière de vétusté des établissements, mais vous avez dans vos images montré par exemple ce qu'on avait été capable de faire grâce notamment à ces 1,2 milliard (coupure de son) rénovés et c'est quelque chose d'assez formidable. Et c'est comme cela qu'il faut que nous procédions désormais. Il faut vraiment prendre un à un les sujets sans faire de politique, honnêtement. C'est pour ça que cette convention décennale, nous l'avons signée pour dix ans parce qu'elle doit transcender les clivages partisans. L'éducation est une question trop importante pour être ballotée au grès des alternances politiques. Sur ces dix ans, il faut vraiment que l'ensemble des sujets soient traités et ils le seront.
CAROLINE FARHI
La réforme, elle n'est pas toujours bien accueillie par les enseignants et les parents d'élèves qui dénoncent un manque de contenu des programmes et un nivellement par le bas. Vous comprenez l'inquiétude face à ces changements ?
NAJAT VALLAUD-BELKACEM
Il faut peut-être dire d'abord, parce que vos images étaient à la fois exhaustives puisque vous avez pu suivre quasiment tout le déplacement, et en même temps il faut peut-être remettre les choses dans le contexte. Il s'agissait de trois, quatre personnes qui attendaient à l'aéroport le jour de mon arrivée. Honnêtement, la discussion qui s'est engagée ensuite avec elle, comme vous l'avez montré sur vos images avec le vice-recteur, n'a pas été très fructueuse. C'est-à-dire que tout cela honnêtement n'était pas très sérieux. De quoi parle-t-on avec la réforme du collège ? La réforme du collège a donné (coupure de son). C'est-à-dire que d'ailleurs on l'a vu dans certains collèges où nous sommes allés on offre plus d'accompagnement personnalisé aux élèves. Des heures pendant lesquelles on va aider les élèves à comprendre leurs devoirs, à faire leurs devoirs pour ne pas se retrouver chez eux ou tout seul dans l'internat le soir à ne pas comprendre ce qu'on attend d'eux. Elle offre des langues vivantes, parlons des langues polynésiennes puisque je crois qu'Oscar TEMARU l'évoquait tout à l'heure, elle offre des langues vivantes qui sont plus disponibles au collège, qui s'apprennent plus tôt, au lieu d'attendre la classe de 4ème on apprendra la langue vivante 2 dès la classe de 5ème, donc plus d'heures, donc par exemple les langues polynésiennes en bénéficieront. Comment est-ce qu'on peut être contre ça ? Donc, derrière les postures, la vérité c'est qu'on a une réforme du collège qui a vocation à améliorer les apprentissages et à moderniser aussi notre collège et c'est très bien.
CAROLINE FARHI
Elle était jugée juste un peu rapide par les enseignants !
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Ah! D'accord. Alors, ça, c'est un autre sujet que je peux entendre c'est vrai, mais comme toujours lorsque vous êtes homme ou femme politique vous avez le choix entre deux possibilités : soit mener à bien une réforme rapidement quitte bien sûr à être l'écoute du terrain, à venir l'amender progressivement en fonction de ce qui vous remonte, etc., mais pour avoir la certitude que la réforme entre en vigueur ; soit la faire trainer sur plusieurs années avec les incertitudes que l'on suit et puis le manque de cohérence, parce qu'imaginez qu'on l'ai faite entrer en vigueur comme certains le demandaient niveau par niveau...
CAROLINE FARHI
Progressivement !
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Sur plusieurs années, c'est-à-dire d'abord la première année ça ne concerne que les classes de 6ème, puis la deuxième année les 5ème, etc., mais, si vous faites ça, vous n'avez plus la cohérence qui est introduite par cette réforme qui consiste à faire travailler tous les enseignants ensemble de tous les niveaux pour mieux suivre les difficultés et mieux lutter contre l'échec scolaire de leurs élèves parce qu'ils sauront où en sont leurs élèves en 6ème, en 5ème, en 4ème et qu'ils apporteront ensemble des réponses. Donc le choix que j'ai fait et il est complètement légitime et je l'assume ça été de faire entrer en vigueur cette réforme en une année, mais bien sûr en prenant le temps de former les enseignants, c'est la première fois que quand on fait une réforme aussi vaste dans l'Éducation on prend une année pour former les enseignants et les Polynésiens l'ont été aussi, et puis par ailleurs encore une fois de mettre des moyens supplémentaires puisqu'il y a 4.000 postes d'enseignants qui ont été créés pour accompagner cette réforme.
CAROLINE FARHI
On évoque souvent le copier-coller des textes français pas toujours en phase avec les spécificités locales, au final comment adapter le système éducatif à la culture du pays ?
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Je ne suis pas sûre qu'il y ait du copier-coller, c'est-à-dire que bien entendu les autorités polynésiennes s'inspirent des programmes, de ce qui se fait, mais il y a quand même une capacité à adapter les programmes qui est assez forte ici et, d'ailleurs, j'ai pu voir - par exemple puisqu'on parle de la réforme du collège je me suis intéressée à la façon dont cette nouveauté que sont les enseignements pratiques interdisciplinaires a été mise en place dans les collèges polynésiens et j'ai pu constater que souvent on en a profité pour travailler davantage autour de la culture et de l'histoire polynésienne, c'est-à-dire qu'en fait c'est devenu un outil ces enseignements pratiques interdisciplinaires pour faire travailler ensemble le professeur d'histoire, le professeur de lettre, pourquoi pas le professeur de langue tahitienne et, ensemble, de monter des projets qui valorisent la culture tahitienne, polynésienne. Donc, vous voyez que finalement il y a une capacité d'adaptation qui est très importante.
CAROLINE FARHI
En parlant de la langue tahitienne, Oscar TEMARU a été choqué vous l'avez vu par vos propos, il aimerait que la langue tahitienne soit la langue officielle, vous avez envie de lui répondre ?
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Écoutez je me contenterais juste de dire que j'aurais bien aimé le rencontrer, sincèrement, d'ailleurs j'ai voulu rencontrer le maximum d'acteurs possible ici, j'ai vu les organisations syndicales, les parents d'élèves, les autorités polynésiennes bien sûr, les enseignants, les élèves, j'aurais aimé qu'il vienne à ma rencontre.
CAROLINE FARHI
Il n'a pas souhaité le faire. On pourra à l'avenir apprendre les mathématiques en langue tahitienne, j'ai vu ça dans votre discours, comment cela sera-t-il possible ?
NAJAT VALLAUD BELKACEM
S'agissant du collège, c'est ce que je vous disais à l'instant, c'est-à-dire les fameux enseignements pratiques interdisciplinaires, peut-être - pour que vos téléspectateurs comprennent - l'idée c'est de faire travailler ensemble en co-enseignement des enseignants de disciplines différentes. Donc imaginons que vous mettiez un enseignant de mathématique et un enseignant de tahitien, vous les faites travailler ensemble une heure par semaine, par exemple faire le cours de mathématique en tahitien, pour que les élèves s'approprient mieux leur langue, enfin la langue en l'occurrence, parce qu'ils l'utiliseront dans le cadre d'un autre cours et, donc, c'est tout simplement une amélioration de leurs compétences. Ça, c'est pour le collège. Pour le lycée, on souhaite développer de plus en plus les options de langues vivantes et notamment de tahitien et, là encore, on va avoir ce qu'on appelle de la discipline non linguistique, c'est-à-dire la possibilité de faire un cours d'histoire par exemple en tahitien ou en langue polynésienne ; et puis, ensuite, j'ai souhaité aussi que dans les études supérieures - et je pense notamment aux BTS on puisse revoir ce qu'on appelle les référentiels, c'est-à-dire les textes qui encadrent exactement ce qu'on apprend en BTS, pour bien inscrire l'apprentissage de la langue tahitienne également, ce qui n'était pas forcément le cas jusqu'à présent. Donc, je crois que c'est par tous ces leviers-là qu'on permettra à ces jeunes gens de continuer tout simplement à valoriser ce qui est leur patrimoine.
CAROLINE FARHI
Avec des diplômes au Centre des métiers d'art notamment qui seront reconnus aussi par l'État...
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Oui.
CAROLINE FARHI
Ca, c'est une avancée ?
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Alors vraiment c'est l'occasion pour moi de vous dire que j'ai été séduite, terriblement séduite par ce que j'ai vu dans ce Centre des métiers d'art - c'est juste incroyable - et dans lequel en effet on développe des compétences et des capacités, des talents artistiques desquels il faudrait que tout le pays s'inspire, et c'est pour ça que c'est important de reconnaître par des diplômes de CAP qui sont des diplômes nationaux cet art de la sculpture, du tressage, du tatouage et c'est ce que nous allons faire.
CAROLINE FARHI
En termes de culture, ce sera la dernière question Madame la Ministre, un mot sur la pratique du Oréro, vous avez déclaré qu'elle vous inspirera à votre retour dans l'hexagone, vous pourrez peut-être déclamer un oréro au prochain conseil des ministres ?
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Non, mais alors vraiment j'étais sérieuse en disant cela, c'est-à-dire que je trouve que cette pratique du oréro donne aux élèves une confiance en eux, une maîtrise de l'oral qui est impressionnante et je pense vraiment que nous gagnerions partout en France à nous inspirer de ce type de compétence-là parce qu'on voit bien que ce dont souffrent souvent nos élèves c'est d'un manque d'estime personnelle, d'un manque de confiance en soi, je connais peu d'élèves en métropole qui seraient capables comme ça de se produire devant vous aussi aisément, j'ai été fascinée par cela et en effet ça m'inspire à... et c'est l'occasion, pardon, pour moi de rappeler que dans le cadre de la réforme du collège pour la première fois cette année au diplôme national du brevet nous avons introduit une épreuve orale, ça n'existait pas avant, ce n'était que de l'écrit, désormais il y aura une épreuve orale, donc c'est une compétence qu'il faut développer.
CAROLINE FARHI
Najat VALLAUD BELKACEM, merci d'avoir répondu à nos questions.
NAJAT VALLAUD BELKACEM
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 27 octobre 2016