Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale et candidat à l'élection présidentielle de 2002, à RTL le 18 octobre 2001, sur les opérations militaires américaines et anglaises en Afghanistan, l'annonce par Laurent Fabius d'un plan de relance de la consommation et la cohabitation.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

La psychose à l'anthrax qui domine aux Etats-Unis, mais qui nous touche aussi, est-ce la vraie victoire des terroristes ?
- "C'est sûrement un élément qui nous menace et qui menace la croissance, puisque ceci provoque une peur, une inquiétude et un ralentissement des échanges internationaux."
Est-ce que cela veut dire que les bombardements sur l'Afghanistan ne sont pas vraiment efficaces ? Des voix s'élèvent, comme celles de J.-F. Deniaux, ancien ministre des Affaires étrangères, J. Le Carré, influent romancier britannique.
- "J'ai plutôt tendance à faire confiance à celles et ceux qui sont en position de décision qu'à un romancier pour juger de la pertinence, et notamment à mes amis de l'Alliance du Nord qui sont sur le terrain et qui attendent beaucoup des interventions chirurgicales de l'armée américaine, notamment des frappes aériennes, pour pouvoir lancer une offensive afghane pour libérer l'Afghanistan."
Vous y croyez ? Vous avez vu tout ce qui se dit aujourd'hui sur un gouvernement afghan dans lequel il y aurait aussi des taliban modérés, dans lequel l'Alliance du Nord ne serait peut-être pas dominante ?
- "Il y a la tendance d'une certaine diplomatie, comme on l'a vu au lendemain de la Seconde guerre mondiale, à essayer de faire un plan de reconstruction de la France, mais sans les forces françaises, sans la Résistance et sans le général de Gaulle. Ceci ne parait pas très raisonnable. Bien évidemment, il ne faut pas qu'il n'y ait que l'Alliance du Nord, mais celle-ci qui lutte depuis longtemps contre le régime des taliban mérite d'être au premier rang de la libération de Kaboul. Et puisque nous parlons de ce sujet, je voudrais dire qu'il faut faire attention à ce qui se passe ailleurs. Il n'y a pas un régime taliban qu'en Afghanistan : au Nigeria, en ce moment, il y a la loi islamique dans certains Etats, où on a annoncé qu'une femme enceinte allait être lapidée parce qu'elle avait commis un délit d'adultère. Vous vous souvenez de ces images d'exécutions de femmes dans un stade qui nous avaient ému, mais cela n'est pas qu'en Afghanistan, c'est aussi au Nigeria. Et vous savez pourquoi au Nigeria ? Ce n'est pas de la seule responsabilité du gouvernement nigérian, mais c'est parce que l'Arabie Saoudite promet une aide financière massive à ceux qui appliquent la loi islamique et de tels actes de barbarie. C'est dire qu'au-delà de l'Afghanistan, la communauté internationale doit réfléchir, et s'agissant de cette femme enceinte menacée de lapidation, elle doit aussi agir."
G. Bush a annoncé la prochaine offensive terrestre. La France doit-elle y participer d'une façon ou d'une autre ?
- "D'abord, je ne sais pas si on nous l'a demandé et si c'est dans nos possibilités."
Comme vous avez beaucoup critiqué la timidité de la présence française dans cette affaire, est-ce que vous le souhaitez, aujourd'hui ?
- "Nous avons une politique africaine - enfin, nous croyons avoir une politique africaine. Voici que les Africains eux-mêmes, A. Wade en tête, le président du Sénégal, nous propose un pacte africain contre le terrorisme. On pouvait penser que la France allait faire la tournée des capitales africaines, pour essayer de ramener tous ces pays africains - je parlais du Nigeria tout à l'heure - dans le pacte contre le terrorisme. Rien ! On parle de la politique arabe de la France. On pouvait penser que, là encore, notre diplomatie pouvait être active. Rien ! Sur le plan militaire, en tant que de besoin, nous avons des forces formidables - le 11ème CHOC, le 13ème Dragon, etc. -, qui sont tout à fait capables d'aller sur le terrain, qui sont des forces spéciales exceptionnelles et, en tant que de besoin, nous sommes capables de figurer vraiment très bien aux côtés des Américains et des Anglais."
Parlons de ce qui se passe en France et de l'économie française : L. Fabius a annoncé, dans le cadre de la discussion budgétaire, quelques nouvelles mesures. Est-ce que ce sont des mesures qui vont être efficaces économiquement ou, selon vous, ne seront-elles que psychologiques - je parle du doublement de la Prime à l'emploi ou des aides aux investissements des entreprises ?
- "Je ne sais pas si c'est psychologique. Je suis en tout cas certain que c'est électoral. Il s'agit de faire semblant de relancer la consommation à la veille des élections, en donnant une petite prime à tous les Français."
Faire semblant ! Parce que vous croyez que c'est inutile ?
- "Oui. Je crois que le problème n'est pas tant d'ajuster la politique économique et de rajouter quelques centaines de millions ou de milliards. Le problème est de changer de politique économique. La politique économique suivie par la France, celle du budget 2002, celle qui consiste à des bricolages invraisemblables pour équilibrer le budget - ponctionner la dette de la Sécurité sociale, l'EDF-GDF, recruter des fonctionnaires en plus -, non ! On a besoin d'une toute autre politique. Vraiment, la croissance, l'emploi, la prospérité des Français sont aujourd'hui menacés. Nous avons deux gisements formidables de croissance, aujourd'hui, dans ce pays. Le premier gisement, c'est celui des petites entreprises, des très petites entreprises : des artisans, des commerçants, des professions indépendantes, de tous ces Français qui voudraient créer leur entreprise."
C'est "Madelin le libéral" : toujours pour la création des entreprises plus que jamais ?
- "Cela fait 3 millions de personnes qui, si on savait les libérer, si on savait faire une réforme fiscale qui les motive..."
C'est votre programme électoral ?
- "Non, ce sont les mesures qu'il faudrait prendre aujourd'hui."
C'est ce que je disais : c'est un programme électoral.
- "Si nous savions donner une TVA à taux réduit sur l'hôtellerie, la restauration, et plus généralement sur toutes les industries de main-d'oeuvre, supprimer l'impôt sur les successions - au moins sur l'outil de travail -, je vous garantis qu'il y a la possibilité, là, de donner un formidable coup de fouet à ces entreprises pour les inciter à créer de l'activité, de la croissance et faire grimper les feuilles de paie par une croissance retrouvée. Il faut suspendre les 35 heures, permettre à toutes celles et ceux qui veulent travailler plus dans cette période de crise de travailler plus. Le deuxième gisement que nous avons en France, c'est le bas de laine des Français. Il y a un formidable bas de laine - nous en avons le record. La meilleure façon de relancer l'économie est de dégeler ce bas de laine des Français, de faire en sorte qu'il puisse être transformé dans l'économie, sans contrôle, un peu à la manière de ce qu'avait fait Pinay lorsqu'on était passé de l'ancien franc au nouveau franc. Le passage à l'euro est l'occasion de libérer cette épargne pour relancer l'économie."
Un tout dernier mot, très brièvement : l'affaire Schrameck, la cohabitation. Comment l'avez-vous regardée ?
- "Si, dans le livre de monsieur Schrameck, que je n'ai pas lu et que, pour être très franc, je n'ai pas l'intention de lire, il y a les propos de haine contre le président de la République dont on a parlé, ce livre doit être condamné."
Il y a des extraits qui démontrent le contraire.
- "Sinon, il s'agit d'un épisode de plus dans le feuilleton de la cohabitation, qui ne peut que nous inciter à imaginer des institutions renouvelées, un régime présidentiel équilibré, parce que ce qui se passe aujourd'hui en France - vous lisez la presse étrangère comme moi - est très sévèrement jugé ailleurs."
(Source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 18 octobre 2001)