Déclaration de M. Christophe Sirugue, secrétaire d'Etat à l'industrie, sur l'avenir du nucléaire, à l'Assemblée nationale le 10 janvier 2017.

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Mme la présidente. L'ordre du jour appelle les questions sur l'avenir du nucléaire.
Je vous rappelle que la Conférence des présidents a fixé à deux minutes la durée maximale de chaque question et de chaque réponse.
Nous commençons par les questions du groupe de l'Union des démocrates et indépendants.
La parole est à M. Charles de Courson, pour trois questions qu'il pourrait peut-être poser à la suite, de façon que M. le secrétaire d'État y réponde de façon groupée.
M. Charles de Courson. Bien volontiers, madame la présidente.
Monsieur le secrétaire d'État, l'un des grands objectifs de la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte est la réduction de la part du nucléaire dans la production d'électricité française de 77 % aujourd'hui à 50 % d'ici à 2025. Le nucléaire représente la principale source d'électricité produite et consommée en France, grâce à cinquante-huit réacteurs répartis dans dix-neuf sites.
L'étude d'impact de la loi de transition énergétique a retenu une augmentation annuelle de 1 % de la consommation d'électricité en volume : dans cette hypothèse, il faudrait fermer environ 30 % des tranches. Mais si l'on prend pour hypothèse une croissance nulle – ce qui semble plus réaliste puisque la consommation française d'électricité stagne depuis 2010 –, il faudrait fermer environ la moitié des tranches. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous préciser à la représentation nationale quelles sont les tranches que vous entendez fermer et dans quels délais ? Quel est le coût de la fermeture de ces 30 à 50 % des réacteurs français d'ici à 2025 ?
Alors qu'un ménage français paie son électricité 22 % moins cher que la moyenne européenne et presque deux fois moins cher qu'en Allemagne, la substitution par de l'électricité renouvelable destinée à compenser la chute de la part du nucléaire se traduira inéluctablement par une forte augmentation du prix de l'électricité pour les ménages et les entreprises. Quel serait l'ordre de grandeur de l'évolution des prix d'ici à 2025 ? Voilà pour la première question.
Monsieur le secrétaire d'État, l'énergie nucléaire représente 77 % de la production d'électricité française et la filière électronucléaire emploie près de 220 000 personnes dans notre pays, dont 28 000 appartiennent au groupe Areva. Longtemps considéré comme un fleuron de notre industrie nucléaire, Areva, détenu à 87 % par des capitaux publics, s'est retrouvé au bord de la faillite en 2015. L'origine de cette situation est liée à la gestion désastreuse de la COGEMA puis d'Areva par Mme Lauvergeon, doublée de malversations qui ont conduit la Cour des comptes à saisir le parquet national financier en 2014. Les résultats de l'entreprise se sont constamment dégradés et ont accusé une perte de 4,9 milliards d'euros en 2014, 2 milliards en 2015 et, selon les prévisions, 1,5 milliard en 2016. L'endettement financier du groupe a bondi pour atteindre environ 9 milliards d'euros à la fin de l'année 2016.
Le Gouvernement a annoncé en janvier dernier une recapitalisation de 5 milliards d'euros, dont 4,5 milliards à la charge de l'État français, que la Commission européenne a estimé cet après-midi conforme aux règles de l'Union européenne en matière d'aides d'État, sous deux réserves toutefois. La première est que les tests effectués à la demande de l'Autorité de sûreté nucléaire, l'ASN, sur la cuve de l'EPR – réacteur pressurisé européen – de Flamanville soient positifs ; la deuxième est que les règles européennes de concentration soient respectées dans le rachat d'Areva NP par EDF. Monsieur le secrétaire d'État, où en est le contrôle de la cuve de l'EPR de Flamanville ? Dispose-t-on de premiers éléments de réponse à la question posée par la Commission européenne ? Quelle est la probabilité que l'intégration dans le groupe EDF de la production des réacteurs avec New Areva NP respecte les règles de concentration de l'Union européenne ? Voilà pour la deuxième question.
Enfin, la fiabilité technique et la compétitivité économique de l'EPR font l'objet de vives controverses. En effet, la construction de l'EPR d'Olkiluoto, en Finlande, accuse dix ans de retard ! Les pertes sur le coût du seul investissement atteignent à ce jour 5,5 milliards d'euros, sans que l'on ait de certitudes sur la réception définitive de ce réacteur par le client – souvenons-nous que l'ancien ministre de l'économie, M. Emmanuel Macron, pensait trouver une sortie de crise à la fin du mois de février 2016, car il ne s'agissait selon lui que d'une affaire « d'une quinzaine de jours » !
La construction de l'EPR de Flamanville accuse, quant à elle, un retard prévisionnel de mise en fonctionnement de six ans et son coût devrait être environ trois fois supérieur au budget initial – pour un coût minimal de l'électricité compris entre 100 et 130 euros le mégawattheure, soit près du double de celui de l'éolien.
Le projet de la centrale nucléaire de Hinkley Point soulève pour sa part de très vives inquiétudes : non seulement les difficultés techniques de l'EPR n'ont toujours pas été résolues, mais ce projet constitue un risque majeur pour EDF, qui y investit 24 milliards d'euros, soit davantage que sa capitalisation boursière. En effet, on a caché, même aux membres du conseil d'administration, monsieur le secrétaire d'État, les conditions financières de l'engagement du partenaire chinois – à hauteur d'environ 6 milliards d'euros – qui font reposer le risque financier de la totalité des 24 milliards d'euros sur EDF. N'est-il pas temps de faire preuve de lucidité et de courage politique sur cette technologie et de soutenir une nouvelle génération de réacteurs, plus fiables techniquement et plus rentables économiquement que l'EPR ? Êtes-vous prêt, monsieur le secrétaire d'État, à reconsidérer les engagements de la France avant qu'il ne soit trop tard et que le contribuable français, seul comme d'habitude, paie une nouvelle fois les surcoûts liés à l'erreur stratégique que constitue l'EPR ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de l'industrie.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État chargé de l'industrie. Monsieur le député, vous m'avez interrogé sur des éléments importants, le premier étant relatif aux objectifs que le Gouvernement se fixe en matière de production d'électricité. Les principes de la loi sur la transition énergétique combinent le développement des énergies renouvelables, la nécessaire interrogation sur la prolongation des centrales existantes et la question de la fermeture de certains sites.
La programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit, d'ici à 2023, d'augmenter de plus de 70 % la capacité installée dans les énergies renouvelables électriques et de plus de 35 % la production de chaleur renouvelable par rapport à 2014. La consommation finale d'énergie sera réduite de 12 % et celle d'énergie fossile de 22 %. Les décisions concernant certains réacteurs nucléaires, vous le savez, seront prises après 2018, sur le fondement des évolutions effectivement constatées de la consommation d'énergie et de la production issue de renouvelables, ainsi bien sûr que des décisions de l'ASN. Il y aura donc, conformément aux orientations retenues, des fermetures et des prolongations de réacteurs. Le développement des énergies renouvelables et la maîtrise de la consommation d'énergie engagent la réduction de la production annuelle d'électricité d'origine nucléaire ; cette réduction résultera de la fermeture de la centrale de Fessenheim et de plusieurs paramètres qui seront connus au fur et à mesure des visites décennales conduites par l'ASN. La disponibilité des réacteurs nucléaires baissera en raison de travaux de maintenance et d'investissements de sûreté, certains réacteurs étant par ailleurs fermés et d'autres prolongés. Voilà les éléments de réponse à votre première question, monsieur de Courson.
S'agissant de votre deuxième question, relative à l'autorisation par la Commission européenne de la recapitalisation d'Areva, nous avons annoncé la réalisation des augmentations de capital d'Areva SA et de NewCo, que la Commission conditionne à deux éléments préalables, sa propre autorisation de l'opération de concentration entre EDF et New Areva NP et les conclusions de l'ASN sur les résultats du programme de justification concernant le problème de ségrégation du carbone, identifié dans les pièces de la cuve du réacteur EPR du projet de Flamanville 3.
Nous tiendrons bien évidemment compte des éléments avancés par la Commission. La procédure de concentration d'EDF et de New Areva NP suit son cours, sous la responsabilité d'EDF, et une décision est attendue à la fin du mois de mars 2017. Les autorités françaises, que je représente ici, sont plutôt confiantes pour voir cette condition réalisée dès le mois d'avril. S'agissant de la condition relative aux conclusions de l'ASN sur les résultats du programme de justification concernant le problème de ségrégation du carbone, identifié dans les pièces de la cuve du réacteur EPR du projet de Flamanville 3, Areva et EDF ont terminé la phase de test et ont transmis les résultats à l'ASN ; nous pensons que cette condition sera remplie d'ici à la fin du premier semestre de cette année, compte tenu du retour des entreprises sur le programme d'essais réalisé à la demande de l'ASN selon un protocole qu'elle a validé.
Votre troisième question, monsieur de Courson, a trait au principe même des EPR et de celui de Hinkley Point. Qu'un pays comme le Royaume-Uni ait choisi de construire deux EPR à Hinkley Point est plutôt encourageant : cela prouve la pertinence de continuer à développer ce type de réacteur – de laquelle on aurait pu douter à entendre votre question. Les programmes des EPR que vous avez cités, celui de Finlande tout particulièrement mais aussi celui de Flamanville, ont été recalés ; depuis ces décisions, nous tenons à la fois le calendrier et les différents « process » programmés. Ces éléments permettent d'apprécier la question des EPR dans sa globalité, même si nous pouvons nous interroger, comme nous le faisons d'ailleurs, sur le développement d'autres formes de production.
Dans le dossier de l'EPR de Hinkley Point, une revue des risques a été lancée après que certaines remarques ont été formulées. Cette revue a permis d'identifier une manière de sécuriser financièrement EDF, qui passe d'abord par des économies à l'échelle de l'entreprise, puis des ventes d'actifs et une recapitalisation dans laquelle l'État s'est engagé. Il y a là de quoi protéger EDF des impacts financiers que vous avez mentionnés, tout en continuant de porter un projet pour la filière nucléaire qui réponde aux attentes de celles et de ceux qui font confiance au nucléaire français pour développer dans leur territoire une production de cette nature.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Tuaiva.
M. Jean-Paul Tuaiva. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant de poser ma question, je souhaiterais remercier mes collègues Leroy, Viala et Gille, et tous ceux qui, de près comme de loin, apportent leur contribution à l'interminable traitement de ce dossier de l'indemnisation des victimes des essais nucléaires en Polynésie.
En février dernier, lors d'un déplacement à Papeete, le Président de la République a admis que les essais nucléaires menés en Polynésie française avaient eu un impact environnemental et des conséquences sanitaires, et annoncé une modification du décret d'application de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Ce projet transmis au président de la Polynésie française en novembre dernier a pour objectif d'abaisser le seuil de probabilité au-delà duquel le risque ne peut être considéré comme négligeable de 1 à 0,3 % afin de permettre au CIVEN – le Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires français – d'indemniser un plus grand nombre de victimes.
Le conseil des ministres de la Polynésie française a estimé que, bien que comportant certaines avancées, le texte ne modifiait pas significativement le processus d'indemnisation. Par ailleurs, une étude démontre l'inefficacité de la mesure d'abaissement du seuil de probabilité.
Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement envisage-t-il de modifier le décret afin de prendre en compte les remarques des associations et des élus polynésiens ? Le gouvernement de la Polynésie française a en effet proposé de supprimer la notion de risque négligeable et de porter une plus grande attention aux difficultés rencontrées par les victimes pour entamer une démarche d'indemnisation.
Par ailleurs, il semblerait que les dossiers ayant fait l'objet d'une décision de rejet prononcée par le CIVEN et ayant donné lieu à une décision juridictionnelle ne puissent être présentés de nouveau. Il conviendrait que ces dossiers d'indemnisation initialement refusés soient réexaminés sur la base de nouveaux critères d'éligibilité. C'est pourquoi je vous demande de bien vouloir m'indiquer vos intentions à ce sujet. En outre, quels moyens supplémentaires l'État prévoit-il de mettre en œuvre pour accompagner et informer les victimes ? Comment leur permettre de prétendre à l'attribution d'une reconnaissance honorifique pour avoir participé à la grandeur de la France ?
Pour conclure, je souhaiterais rendre hommage à une grande figure locale, John Doom, qui a mené de nombreux combats contre le nucléaire en Polynésie.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Monsieur le député, je vous remercie de votre question, qui va me permettre de faire le point sur la mise en œuvre des engagements pris par le Président de la République lors de son déplacement en Polynésie française en février dernier, déplacement que vous avez mentionné.
À cette occasion, le Président de la République a souhaité que le régime d'indemnisation des victimes des essais nucléaires mis en place par la loi Morin soit modifié. Vous le savez, tel qu'il fonctionne depuis 2010, le dispositif n'est pas pleinement satisfaisant, les indemnisations étant inférieures à ce qui pourrait être attendu. Le contenu de la réforme a été présenté par la ministre de la santé aux associations de victimes lors d'une réunion organisée le 6 juillet dernier à Paris. Une concertation a été menée à la fois avec ces associations, le Haut-Commissaire de la République en Polynésie française et les parlementaires afin que la réforme soit la plus utile et la plus juste possible.
Permettez-moi d'en rappeler les contours. Tout d'abord, le seuil du risque négligeable sera abaissé à 0,3 %, ce qui correspond à une division par trois par rapport à la pratique actuelle. Ensuite, la jurisprudence protectrice du Conseil d'État sera reprise si les mesures s'avèrent insuffisantes ; voilà un élément de réponse à votre question. Enfin, un effort particulier sera réalisé en direction des victimes. Leur accès au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires sera facilité et la méthodologie utilisée par cette autorité administrative indépendante sera rendue plus lisible.
Ces avancées sont importantes pour les victimes, et vous avez raison de vous faire ici leur porte-parole, monsieur le député. C'est d'ailleurs l'ensemble de la France qui, comme vous, se sent concernée. Concrètement, ces avancées permettront à un plus grand nombre de victimes de demander et d'obtenir une indemnisation en raison des pathologies qu'elles présentent. L'engagement du Président de la République sera donc tenu, et ce, très prochainement, puisque la réforme du dispositif devrait intervenir dans les toutes prochaines semaines.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.
La parole est à M. Joël Giraud.
Puisque vous avez deux questions, mon cher collègue, je vous suggère, comme l'a fait M. de Courson tout à l'heure, de les présenter concomitamment.
M. Joël Giraud. Volontiers, madame la présidente.
Monsieur le secrétaire d'État, le groupe de l'Union des démocrates et indépendants a pris l'habitude de proposer des débats et des séances de questions sur l'énergie et le nucléaire, et je les en remercie, car le sujet est stratégique, et les dernières actualités peuvent inquiéter.
Nous n'oublions pas que, pour réussir le Grenelle de l'environnement, il avait été décidé de ne pas évoquer le sujet du renouvellement du parc nucléaire. Ce sera l'objet de ma première question, que je poserai sans parti pris et sans prétention d'expertise scientifique.
Le sujet semble d'une infinie complexité, et l'une des principales difficultés reste l'évaluation des coûts. Le fameux grand carénage, dont le coût était initialement chiffré à 55 milliards d'euros par EDF, a été réévalué par la Cour des comptes à 100 milliards d'euros. Et cette dernière enveloppe n'inclurait pas certains travaux supplémentaires exigés par l'Autorité de sûreté nucléaire. Pour autant, certains de nos plus grands spécialistes en France prétendent que la Cour surestime le coût de ce grand carénage, qu'ils chiffrent quant à eux aux alentours de 60 milliards d'euros.
Dans ce débat parfois un peu trop passionnel où chacun avance des chiffres très différents, il me semble que nous avons d'abord besoin de raison, d'une boussole scientifique afin de pouvoir faire des choix politiques les plus rationnels possible. Toutes les évaluations financières préalables réalisées jusqu'à aujourd'hui sur les installations nucléaires se sont révélées fausses et largement sous-estimées au final. L'exemple du projet Cigéo est parlant : sans entrer dans le débat sur le stockage, force est de constater que nous ne sommes pas en mesure d'en donner une évaluation crédible. Et je ne parlerai pas des EPR de Hinkley Point ou des provisions pour les futurs démantèlements nécessaires.
Il me semble donc que nous manquons d'un outil permettant une évaluation fine et fiable des coûts, monsieur le secrétaire d'État. Est-ce à mettre sur le compte du nombre trop important d'inconnues dans l'équation ? Ce n'est pas impossible. Il y a cependant peut-être d'autres raisons, politiques et financières, qui entravent une estimation et un chiffrage plus sincères. Ma question sera simple : afin d'effectuer des choix en connaissance de cause et de tempérer les débats idéologiques, que pourrait faire le Gouvernement pour limiter les marges d'erreurs dans les évaluations financières sur le sujet du nucléaire ?
Ma seconde question porte sur le mix énergétique, dont la diversification a été engagée dans la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte.
Le développement des énergies renouvelables, conjugué aux efforts pour la maîtrise de la dépense en énergie, est censé engager la France vers des objectifs ambitieux que nous avons fixés dans la loi : un mix électrique comprenant 50 % de nucléaire à l'horizon 2025 et 40 % d'énergies renouvelables en 2030. 2025 et 2030, c'est un horizon à la fois proche, pour une industrie qui se pilote comme un paquebot et où les virages sont nécessairement très lents, et lointain, qui ne nous engage pas réellement.
Pour surmonter cette contradiction, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, notamment votre serviteur, avait proposé et défendu des amendements visant à inscrire dans la loi des paliers intermédiaires afin de donner plus de crédibilité à ces objectifs de moyen et long termes. En effet, une fois ces objectifs fixés dans la loi, la question essentielle devient celle de la pente que devrait suivre la courbe pour les atteindre. Bien que n'ayant pas réussi à convaincre une majorité de députés de voter ces amendements, nous restons convaincus qu'il nous faut tenir un discours clair et crédible à nos concitoyens. Nous sommes quasiment unanimes pour faire de la transition énergétique une priorité, mais nous devons aussi nous garder d'opposer vainement les différentes énergies.
Selon le bilan de RTE – Réseau de transport d'électricité –, le parc nucléaire a produit 77 % de la production d'énergie totale en 2015. À ce stade, les objectifs fixés dans la loi semblent des sommets lointains et, vu notre allure, il paraît peu probable que nous les atteignions en temps et en heure. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous donner des précisions sur les objectifs intermédiaires pour parvenir au mix énergétique équilibré voté pour 2025 et 2030 ? Pouvez-vous par ailleurs nous indiquer dans quelle mesure les économies d'énergie nous donnerons les moyens d'accélérer le pas sur ce chemin, que le président du Conseil national de la montagne que je suis trouve aujourd'hui bien étroit avec une pente un peu raide ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Monsieur le député, votre première question, tout d'abord, regroupe plusieurs sujets distincts. Concernant le grand carénage, dont le coût est chiffré entre 50 et 100 milliards d'euros selon les études, nous pouvons convenir entre nous que l'incertitude résulte assez logiquement du fait que l'Autorité de sûreté nucléaire n'a pas encore rendu son avis générique sur la prolongation du parc nucléaire et les travaux que celle-ci imposera de réaliser. Cet avis sera rendu en 2018, comme je l'ai rappelé voilà quelques instants. Chacun a néanmoins fait ses calculs. Je précise toutefois que la Cour des comptes a publié deux rapports sur le sujet, et parce que vous êtes un parlementaire attentif à ces questions, vous savez qu'il a également fait l'objet de plusieurs rapports parlementaires.
Concernant le coût du démantèlement et de la gestion des déchets, des évaluations régulières sont menées. Je rappelle qu'EDF doit provisionner et constituer des actifs dédiés chaque année afin de garantir le financement des futurs démantèlements. Ce processus est transparent, et le coût du stockage géologique de Cigéo, que vous avez mentionné, a par exemple été réévalué l'année dernière par ma collègue Ségolène Royal après plusieurs années d'expertise et de concertation entre l'ANDRA, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l'ASN et les producteurs de déchets. Le fait que les travaux ne commencent que dans de nombreuses années introduit une certaine incertitude, et il faudra prendre en compte les évolutions techniques qui seront intervenues.
Vous avez évoqué en outre les dérives des coûts des grands projets comme l'EPR de Flamanville ou celui d'Olkiluoto en Finlande. On peut convenir ensemble que des projets d'une telle ampleur, premiers dans leur genre, peuvent malheureusement induire des surcoûts. Ils résultent de l'effet premier de série et, sans doute, d'une mauvaise gestion des chantiers, nous ne le nions pas. Il faut là encore souligner que depuis deux ans un travail a été mené pour à la fois améliorer l'organisation d'EDF et d'Areva et revoir les programmations de ces chantiers. À ce jour, les programmations sont respectées. Notre priorité est donc à présent d'achever les chantiers dans les délais qui ont été fixés et en maîtrisant davantage le budget.
Votre seconde question a pour objet le mix énergétique. La position du Gouvernement est la même que la vôtre, monsieur le député : nous souhaitons ne pas opposer nos productions d'énergie nucléaire et d'énergies renouvelables. Historiquement, la proportion d'électricité d'origine nucléaire est importante en France. L'objectif fixé d'une part du nucléaire réduite à 50 % est une orientation que nous souhaitons maintenir.
Nous avons besoin de ces deux sources d'énergie, tant pour le respect de l'environnement et la prise en compte des risques que pour des considérations financières. Nous avons besoin de pouvoir nous appuyer sur le prix actuel de l'électricité produite à partir du nucléaire, même si des progrès significatifs sont aujourd'hui accomplis en matière d'énergies renouvelables.
L'accident de Fukushima et, à une autre échelle, les problèmes de qualité sur certaines pièces forgées ont montré qu'il n'était pas bon de dépendre à 80 % de cette seule source d'énergie. C'est la raison pour laquelle nous engageons ce processus. Je veux vous redire ici, monsieur le député, que notre intention est de maintenir cet objectif et de nous donner les moyens de l'atteindre. C'est cette volonté qui doit avant tout être réaffirmée ; cela a été fait. J'aimerais souligner enfin combien il est important de tenir compte de la PPE, la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui est tout de même l'élément de référence pour la réalisation de ces objectifs.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.
La parole est à M. Patrice Carvalho.
M. Patrice Carvalho. Monsieur le secrétaire d'État, voici ma première question. Le sauvetage d'Areva est entré en ce début d'année dans sa phase finale. Le groupe a en effet convoqué ses actionnaires le 3 février prochain en vue d'autoriser une augmentation de capital qui sera conditionnée en dernier ressort par le feu vert de la Commission européenne. Dans le cadre de cette restructuration, Areva va regrouper ses activités du cycle du combustible au sein d'une nouvelle société baptisée provisoirement NewCo, tandis que l'activité de construction de réacteurs sera reprise par EDF.
La cession à EDF de la division réacteurs nucléaires d'Areva soulève de nombreuses interrogations. Le dossier des pièces nucléaires fabriquées dans l'usine Areva du Creusot pourrait mettre au jour de nouvelles falsifications et faire peser des risques sur la cession de ces actifs de production à EDF. En outre, le groupe EDF, lourdement endetté, est confronté, selon l'expression consacrée, à un « mur d'investissement ». À court terme, EDF devrait investir 55 milliards d'euros selon l'entreprise ou 100 milliards selon l'estimation de la Cour des comptes pour permettre la prolongation pendant dix ans de l'activité des réacteurs nucléaires construits dans les années soixante-dix.
L'entreprise s'est engagée par ailleurs dans le fameux projet d'Hinkley Point dont le coût de construction est estimé à 24 milliards d'euros et excède donc sa valorisation boursière.
L'Autorité de sûreté nucléaire se prononcera enfin, à la fin du premier semestre, sur la conformité de la cuve de l'EPR en construction à Flamanville.
La réduction des effectifs et des budgets ainsi que les transferts de technologies à l'étranger font peser de lourdes menaces sur l'avenir de cette filière industrielle. Dans ce contexte, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous éclairer sur l'avenir des sites d'Areva en France et sur les mesures que le Gouvernement compte prendre pour préserver l'emploi, les savoir-faire, les compétences et les technologies ?
J'en viens à ma seconde question. Fortement endetté et confronté à des lourds investissements dans le parc nucléaire français, EDF se trouve en grande difficulté. Pour financer ses investissements, en particulier le projet controversé de deux réacteurs EPR à Hinkley Point au Royaume-Uni, le groupe a présenté en avril dernier un projet d'augmentation de capital de 5 milliards d'euros dont 3 milliards apportés par l'État. En outre, le conseil d'administration d'EDF a validé en décembre la cession de 49,9 % du capital de sa filiale RTE, chargée du transport d'électricité, à la Caisse des dépôts et consignations et à CNP Assurances. S'il ne s'agit pas d'une privatisation, dès lors que la majorité du capital de RTE est conservée par EDF et que le restant est confié à des entreprises détenues majoritairement par l'État ou ses satellites, l'opération représente néanmoins un coup de canif dans l'unicité du groupe EDF.
D'ailleurs, le pacte d'actionnaires n'est valable que pour cinq ans. Rien n'interdit à la Caisse des dépôts et consignations et à CNP Assurances de chercher à vendre leurs parts ensuite. Cette ouverture du capital du réseau de transport d'électricité s'inscrit dans la logique qui prévaut depuis vingt ans de démantèlement du service public de l'énergie et de privatisation du secteur. De fait, la cession de la moitié du capital de RTE pour 4 milliards d'euros s'inscrit dans un programme plus large de cession d'actifs d'un montant de 10 milliards d'euros d'ici à 2020. Nous avons tout à craindre des conséquences de ces choix sur l'emploi, la qualité du service public et les tarifs de l'énergie. Quelles solutions le Gouvernement préconise-t-il pour stopper cette fuite en avant dans la course au désendettement, qui ne saurait tenir lieu de stratégie industrielle et de politique énergétique ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Vous évoquez, monsieur le député, la situation globale de la filière nucléaire dans notre pays. Il était temps, en effet, que l'État se préoccupe d'une situation difficile caractérisée par des relations entre Areva et EDF que chacun sait complexes. Tous ceux qui comme moi sont issus de territoires où cette réalité constitue le quotidien de notre activité économique le savent. Le choix du Gouvernement consiste à restructurer cette filière en désignant un chef de file, EDF, et en organisant une vraie coopération entre Areva et EDF. Comme vous le savez, Areva connaît depuis dix ans une baisse assez significative de son chiffre d'affaires et de sa rentabilité qui découle à la fois de la gestion complexe de certains projets que nous venons de mentionner, d'investissements que je pourrais qualifier de hasardeux – je pense bien évidemment à Uramin – et d'une crise économique aggravée par l'accident de Fukushima.
Un premier plan de redressement a été arrêté en 2011, mais il n'a pas suffi. Il a donc fallu reprendre l'organisation de l'entreprise dans son ensemble. La gouvernance a été revue et un conseil d'administration a été mis en place, ce qui renforce la transparence. La nouvelle direction d'Areva, installée fin 2014, a engagé un dialogue stratégique avec EDF. Sur cette base, nous avons organisé la filière comme je l'ai indiqué et pris nos responsabilités en engageant l'État dans la recapitalisation d'Areva et d'EDF. S'agissant d'Areva, je tiens à rappeler plusieurs points importants. Il n'y aura ni fermetures de sites ni licenciements. Nous cherchons par ailleurs à préserver les compétences, car les départs engagés font courir un grand risque, celui de les perdre. Sur ce point, nous avons engagé un plan qui se déroule dans de bonnes conditions, même si nous devons rester très vigilants.
Vous m'interrogez par ailleurs sur la situation d'EDF. Comme je l'ai dit tout à l'heure, des alertes ont été lancées afin de s'assurer que sa situation financière soit suffisamment consolidée pour éviter tout risque à l'avenir. Il en est résulté un travail approfondi mené avec EDF afin que l'entreprise se penche sur les préoccupations mentionnées et mène une revue des risques qui a défini trois priorités : rechercher des économies internes à EDF, vendre certains actifs et recapitaliser l'entreprise conformément à l'engagement de l'État. Grâce à ce travail, nous avons assuré l'existence d'une filière enfin structurée. Aux yeux de toutes celles et tous ceux qui suivent ces questions depuis fort longtemps, il était grand temps que l'État assume sa responsabilité et réorganise l'ensemble de la filière formée par Areva et EDF.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe socialiste, écologiste et républicain.
La parole est à Mme Marie-Noëlle Battistel.
Mme Marie-Noëlle Battistel. Dans notre pays, le nucléaire représente environ trois-quarts du mix énergétique. Toutefois, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte votée ici en 2015 a fixé des objectifs menant à une politique énergétique plus équilibrée qui repose sur trois piliers : la sobriété énergétique, le développement des énergies renouvelables et la réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix énergétique, ce qui permettra à la France de réduire sa dépendance aux énergies fossiles importées et donc d'améliorer la sécurité de son approvisionnement, sa performance climatique – le kilowatt-heure français est le moins carboné de tous les grands pays européens – et sa compétitivité économique – le kilowatt-heure français est 40 % moins cher que la moyenne dans la zone euro. La loi a également fourni un cadre économique clair aux acteurs du secteur de l'énergie leur permettant de se développer et de créer des emplois, dans le secteur de l'efficacité énergétique comme celui des énergies renouvelables, dont les coûts de production sont de plus en plus compétitifs.
S'agissant plus spécifiquement de la filière nucléaire qui nous occupe ce soir, le Gouvernement a annoncé son soutien à un plan de réorganisation prévoyant d'une part d'importants efforts de réduction des coûts menés par les entreprises concernées et d'autre part une participation de l'État actionnaire au renforcement de leur bilan. La Commission européenne a d'ailleurs validé, sous certaines réserves, le principe de la recapitalisation d'Areva. Même si vous avez déjà partiellement répondu à cette question, pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, indiquer où en est le processus de redressement des entreprises du secteur permettant la remise sur pied de la filière et préciser l'action de l'État ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Votre question, madame la députée, reprend des points que j'ai mentionnés et que je m'efforcerai de compléter. Tout d'abord, nous ne souhaitons pas opposer l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Toutes sont décarbonées et nécessaires, même si des orientations très précises ont été prises consistant à développer les énergies renouvelables et limiter la part du nucléaire dans la production d'énergie. À cette fin, il fallait structurer la filière ou plus exactement la réarmer, si je puis dire, afin qu'elle soit compétitive à l'export, sécurisée sur ses bases et capable de faire travailler ensemble Areva et EDF, ce qui supposait une opération menée d'abord par les responsables de ces deux entreprises, qui ont travaillé à réorganiser la structure et les priorités de leurs entreprises respectives.
L'État a assumé son rôle et s'est très fortement investi dans cette restructuration en faisant d'EDF le chef de file et en engageant des capitaux dans un processus de recapitalisation. Celui-ci est en cours selon un calendrier qui sera tenu dans les premiers mois de cette année. Nous devons être vigilants car il s'agit d'enjeux majeurs, tant énergétiques que stratégiques et financiers. Le coût de l'énergie nucléaire est d'environ 42 euros le mégawatt-heure alors que celui des énergies renouvelables est compris entre 60 et 120 euros le mégawatt-heure, même s'il enregistre une amélioration assez substantielle qui participe d'une ambition générale. Pour résumer notre position, nous réorganisons la filière, nous faisons confiance aux équipes d'EDF et d'Areva et nous accompagnons les reconversions en termes de capital en prenant une participation tout en restant vigilants à la préservation du mix énergétique. Tel est tout l'enjeu de la stratégie définie par le Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Luc Laurent.
M. Jean-Luc Laurent. Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'État, je commencerai par une petite interrogation pour nous tous.
M. Julien Aubert. Oui !
M. Jean-Luc Laurent. Qui a dit : « Pour répondre à nos besoins et éviter la catastrophe climatique, nous devons augmenter notre capacité nucléaire, c'est aussi simple que cela » ? Premier indice : ce n'est pas un polytechnicien nucléocrate.
M. Jean-Frédéric Poisson. Voilà qui enlève du monde !
M. Julien Aubert. Denis Baupin !
M. Jean-Luc Laurent. Second indice : il s'agit d'une personnalité forte à qui on attribue communément une certaine hauteur de vue.
M. Julien Aubert. Ah non, ce n'est pas lui ! (Sourires.)
M. Jean-Luc Laurent. C'est Barack Obama qui a tenu ces propos voici un an, lors d'un sommet nucléaire organisé à la Maison Blanche ! En France pourtant, trop de voix répètent inlassablement que le nucléaire est une énergie du passé et ses défenseurs des gens anachroniques. C'est pourtant bien Barack Obama qui porte ce jugement, et avec lui l'ensemble des grands pays nucléaires historiques, États-Unis et Russie en tête, les grands pays émergés que sont la Chine et l'Inde et les pays émergents. Finalement, les pays que l'on nous donne en modèle, tels que l'Allemagne et l'Italie, constituent l'exception. La lecture de la programmation pluriannuelle de l'énergie publiée à la fin de l'année dernière donne le sentiment que la France a le nucléaire honteux.
M. Jean-Frédéric Poisson. C'est bien vrai ! Et c'est dommage !
M. Jean-Luc Laurent. Pourtant, le Gouvernement agit, organise le sauvetage d'Areva et soutient EDF, mais il semble qu'une perspective de long terme manque. Achever Flamanville, lancer Hinkley Point, mener le grand carénage : ces trois grands chantiers, il faut les réussir mais il faut aussi préparer le renouvellement du parc nucléaire. La France aura besoin de nouveaux réacteurs en 2030 et probablement même avant. C'est un choix énergétique mais aussi une question industrielle à laquelle je suis sûr que vous êtes sensible, monsieur le secrétaire d'État. Député du Mouvement républicain et citoyen, je considère que nous avons passé cinq ans à parler fermetures, diversification et plafonnement, alors qu'en réalité il faudra renouveler le parc ! Nous sommes en fin de législature, il importe donc de regarder au loin et de tracer une route. J'aimerais connaître la réflexion que mène le Gouvernement sur ce sujet.
M. Jean-Frédéric Poisson. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Je ne veux pas laisser penser, comme le suggère votre question, monsieur le député, que le modèle économique du nucléaire est clos et achevé. En tout état de cause, telle n'est pas la position du Gouvernement. Nous n'avons pas le nucléaire honteux.
M. Jean-Luc Laurent. Très bien !
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Pour autant, nous avons pris des engagements car il n'est pas sain, je le répète, d'être à ce point dépendant d'une force de production électrique quasi unique. Tout l'enjeu n'est donc pas de nuire au nucléaire, choix historiquement fait par la France, mais de favoriser l'émergence d'énergies renouvelables dont je refuse que l'on puisse imaginer qu'elles sont en contradiction avec la production d'électricité nucléaire. Tel est le cœur de la position du Gouvernement.
Il nous faut bien sûr relever les défis que vous avez mentionnés, et je crois que nous sommes en capacité de le faire.
Je l'ai dit, nous n'avons pas le nucléaire honteux, à telle enseigne que nous sommes plutôt fiers d'avoir remporté la construction de deux réacteurs EPR à Hinkley Point. Si nous avions dû être sur la défensive sur cette question, nous n'aurions pu développer autant d'énergie – si vous me permettez ce terme fort approprié dans le débat – pour permettre cette réalisation. Lorsque, à l'occasion du changement de Premier ministre, les Britanniques ont demandé un moment de réflexion, nous leur avons procuré les informations nécessaires pour leur permettre de faire ce choix. Nous assumons donc clairement cette position.
De la même manière, nous ne pouvons nier les questions qui se sont posées sur les EPR de Flamanville et de Finlande. Je l'ai dit, il s'agissait d'opérations pionnières, et de grande ampleur. Cela peut malheureusement expliquer une partie des difficultés que nous avons rencontrées, reconnaissons-le, qu'il s'agisse des retards dans le calendrier ou de l'explosion des coûts.
Mais comprendre ce qui s'est passé et recaler les éléments de ces deux chantiers très importants participe de notre capacité à vendre par la suite des réacteurs EPR, comme nous l'avons fait à Hinkley Point. Ce dernier projet s'est nourri des éléments tirés de l'expérience en Finlande et à Flamanville.
Je veux donc vous rassurer, monsieur le député, même si je sais que vous suivez particulièrement ces questions. Le choix qui a été fait, au travers de la loi de transition énergétique et de la PPE, est de permettre le maintien et l'évolution de la production nucléaire tout en mettant la même ambition au service de l'émergence des énergies renouvelables.
Mme la présidente. La parole est à Mme Audrey Linkenheld.
Mme Audrey Linkenheld. Monsieur le secrétaire d'État, avec la loi de transition énergétique, nous avons pris clairement l'engagement de contenir nos consommations, tout en faisant évoluer notre mix énergétique. Il s'agit ainsi de diminuer la part du nucléaire et de promouvoir les sources renouvelables, moins polluantes et moins dangereuses.
Si la production nucléaire doit être réduite, elle doit aussi être sécurisée. C'est la double raison des fermetures de centrales envisagées de manière définitive, mais aussi des fermetures temporaires de réacteurs qui viennent d'être décidées.
Cela a été dit, la mise en chantier et la finalisation de plusieurs projets d'EPR connaissent partout des retards. S'agissant de l'EPR de Flamanville, dont la construction a pris six ans de retard, un magazine économique en est venu à titrer au mois de juin sur « l'accident industriel » ! Ces retards semblent être dus notamment à une perte d'expérience des équipes chargées de la construction de ces nouvelles installations nucléaires.
Si ces retards sont évidemment problématiques, notamment sur le plan financier, plus graves encore sont les conséquences de la perte d'expérience des équipes sur le plan de la sécurité. Interrogé sur les anomalies relevées récemment sur plusieurs cuves, dont celle de Flamanville, le président de l'Autorité de sûreté nucléaire, auditionné par notre commission des affaires économiques en juin, a clairement pointé la perte d'expérience des équipes, ajoutant : « Il me paraît évident que si les équipes chargées du nucléaire en France, chez Areva ou EDF, ne font pas, pendant cinq ou six ans, d'autre construction que l'EPR de Flamanville, il y aura de nouveau une perte d'expérience, et il faut s'attendre à retrouver les mêmes problèmes ».
La question n'est pas de savoir, monsieur le secrétaire d'État, si le Gouvernement prévoit la construction d'autres équipements nucléaires en France, mais comment il peut, au-delà des missions de contrôle qui sont notamment celles de l'ASN, au-delà de la restructuration de la filière dont vous avez parlé, intervenir pour contrer cette perte d'expérience. Il s'agit sans doute de mieux détecter les faiblesses qui peuvent être liées au pilotage de projets complexes ou, plus concrètement, à la perte de certains savoir-faire opérationnels.
Sur ce point précis du renforcement des compétences, pouvez-vous indiquer à la représentation nationale si des réflexions ou des actions sont menées, par le Gouvernement et les entreprises chargées, de près ou de plus loin, à titre principal ou comme sous-traitants, des installations nucléaires en cours de réalisation ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Madame la députée, vous posez une question éminemment essentielle, celle de la sûreté de la filière nucléaire. Je le dis haut et fort : non seulement nous n'avons rien à craindre d'une autorité de sûreté nucléaire, mais celle-ci doit être dotée des moyens nécessaires pour travailler. Je me réjouis que, dans le cadre de la loi de transition énergétique, nous ayons pu lui donner, ainsi qu'à l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, des moyens supplémentaires. C'est un enjeu fondamental.
Nous avons aussi besoin de comprendre pourquoi nous avons rencontré des difficultés – l'élu de Saône-et-Loire, où se situe Le Creusot, que je suis en est persuadé –, même si, les pièces mises en cause, je me permets de le dire, ont été fabriquées il y a plusieurs années, sur la base d'éléments qui ne font plus référence aujourd'hui. Par ailleurs, les premières informations que nous avons sont plutôt rassurantes, ce qui a permis le redémarrage de certaines tranches de nos centrales. Nous avons remarqué que les pièces des réacteurs mis en cause étaient des pièces fabriquées au Japon. Selon les éléments dont nous disposons, l'analyse de ces pièces a abouti, là encore, à des conclusions plutôt positives, ce qui a permis aux réacteurs de redémarrer.
Le troisième volet, que vous avez mentionné, est fondamental : c'est celui des personnels et de leur savoir-faire. Le risque est de perdre une partie de ce savoir-faire quand il n'y est pas fait appel durant un certain temps ou lorsque les personnels les plus âgés quittent l'entreprise, élément qui a d'ailleurs été pris en compte lors de l'ajustement des effectifs d'Areva. Nous menons avec EDF et Areva une réflexion sur la gestion des compétences. Cette question est essentielle si l'on veut conserver une longueur d'avance sur nos concurrents – dont vous savez comme moi qu'ils émergent de manière assez forte – et garder la spécificité du nucléaire français, qui tient à la sécurité des pièces produites et à la sécurité de l'ensemble de la filière.
Cela pose la question de la filière et de la relation avec les sous-traitants. Il ne faudrait pas qu'en travaillant exclusivement sur EDF et Areva, on en vienne, par un effet de vases communicants, à affaiblir le réseau des PME sous-traitantes. J'ai eu à connaître de cette question il y a une quinzaine d'années sur mon territoire. Je souligne que c'est aujourd'hui un élément intégré par la filière, de telle sorte que notre réflexion couvre l'ensemble des entreprises.
La filière doit comprendre les difficultés auxquelles elle est confrontée, utiliser les moyens de contrôle de façon positive et non les vivre comme une agression, et faire le choix d'une formation permanente, afin que le savoir-faire et la qualité du nucléaire français soient préservés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Allossery.
M. Jean-Pierre Allossery. Monsieur le secrétaire d'État, je souhaite vous poser une question en marge du dossier nucléaire. L'année dernière, la diplomatie française a joué un rôle crucial, qui a mené à trouver un accord sur la question du nucléaire iranien. Cet accord place les installations iraniennes sous garantie de l'Agence internationale de l'énergie atomique – AIEA –, en contrepartie de la levée des sanctions économiques.
Pourtant autorisée depuis maintenant un an, la reprise des échanges économiques entre la France et l'Iran demeure faible. Il y a bien les grands contrats, comme celui récemment remporté par Airbus. Mais pour les TPE et les PME, les opportunités qu'on était en droit d'espérer se font attendre. La lutte contre la prolifération passe par un contrôle spécifique au niveau de l'ONU pour l'exportation des biens à double usage. Ce contrôle alourdit les procédures d'export des entreprises françaises, et pèse surtout sur l'administration. De plus, il fait courir le risque de voir les États-Unis s'opposer à certaines exportations.
L'extraterritorialité américaine induite par le Patriot Act fait peser une véritable menace de déstabilisation sur nos entreprises, comme le montre l'amende infligée à la BNP – une menace que les députés Berger et Lellouche ont mise en évidence dans leur récent rapport et qui cible les entreprises, voire les autorités françaises. Dans ces circonstances, peut-on vraiment parler de levée des sanctions ? Ou bien les États-Unis sanctionnent-ils maintenant leurs alliés plutôt que l'Iran ?
Dès lors, monsieur le secrétaire d'État, quel est le bilan des relations commerciales entre la France et l'Iran ? Quel message adresser aux entreprises qui voient en Iran de véritables perspectives de marché ? Comment parvenir à convaincre les banques d'accompagner nos fleurons à l'export sans craindre des pressions étrangères ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Monsieur le député, la France accorde la plus grande importance à la préservation de l'accord de Vienne, qui constitue un outil de non-prolifération indispensable pour les enjeux de sécurité régionale et internationale. Nous avons fait valoir auprès de l'administration américaine entrante notre souhait de continuer à mettre en œuvre l'accord de manière rigoureuse et complète.
La France maintient l'attitude de fermeté constructive qu'elle a adoptée dans le cadre de la négociation de cet accord. Elle demeure vigilante quant au respect strict par l'Iran de ses obligations, au titre de l'accord de Vienne mais aussi de la résolution 2231 du Conseil de sécurité des Nations unies à laquelle il s'adosse. Nous rappelons à l'Iran, lors des réunions de la commission conjointe, que c'est à cette seule condition que la confiance en la nature exclusivement pacifique de son programme nucléaire pourra être établie.
La France promeut également activement la transparence dans la mise en œuvre de l'accord. Nous avons été à l'initiative de la décision de la commission conjointe de rendre publics des documents adoptés en 2016, qui précisent les engagements iraniens.
Le commerce des biens à double usage est strictement contrôlé, compte tenu des limitations qui s'appliquent au programme nucléaire iranien pendant plusieurs années. Toutes les procédures, au niveau onusien, européen et national sont en place pour permettre l'examen des demandes d'exportation vers l'Iran de biens à double usage et leur conformité à l'accord. Plusieurs demandes ont été approuvées par le mécanisme dit du « canal d'acquisition », au niveau onusien.
Nous nous efforçons de développer nos activités en Iran, dans le respect des textes et de la résolution que je viens de mentionner, tout en étant conscients que nous devons discuter avec les États-Unis, afin de disposer des mêmes atouts que d'autres pour pénétrer le marché iranien.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Bailliart.
M. Guy Bailliart. Monsieur le secrétaire d'État, si l'avenir de la filière nucléaire est encore, à bien des égards, incertain, une chose au moins est certaine : il faudra gérer les déchets radioactifs qu'elle a produits. Ceux-ci deviendront rapidement plus abondants quand il faudra démanteler les centrales construites dans les années soixante-dix.
On distingue ordinairement entre les déchets de haute, moyenne, faible et très faible activité. Il est prévu de stocker les déchets de haute activité dans un centre de stockage profond, dont la construction est déjà bien avancée. Pour ces déchets, comme pour les déchets de moyenne activité à vie longue, la crainte qu'ils suscitent semble de nature à inciter tous les acteurs à la plus grande vigilance.
Par contre, et c'est l'objet de ma question, le sort des déchets à faible et très faible activité, dont le volume est beaucoup plus important, est moins clair. Pour le moment, il n'est pas prévu de seuil en dessous duquel ces déchets pourraient être traités comme des déchets ordinaires. Il n'est pas prévu non plus d'avoir recours à la dilution. Ces deux réserves indiquent bien qu'ils sont, même à faible activité, considérés comme dangereux, d'autant que, comme chacun le sait, on mesure l'exposition aux radiations de façon cumulative.
Pour le moment, le volume de ces déchets est apparemment gérable dans le cadre des centres de stockage existants, mais qu'en sera-t-il quand, bientôt, plusieurs dizaines de centrales seront démantelées sur une période relativement courte ? Privilégierons-nous des centres de stockage plus vastes ? Où seront-ils implantés ? Quelles en seront les contraintes techniques ? Comment et par qui seront-ils gérés ? Au vu des résistances que fait naître l'implantation de centres de stockage de produits industriels, même non radioactifs, il n'est pas prématuré de nous poser ces questions. Comment l'État envisage-t-il de faire face à cette situation ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Monsieur le député, la stratégie de gestion des déchets radioactifs est définie par le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs. Mis à jour tous les trois ans par un groupe de travail pluraliste, il définit les objectifs de gestion pour chaque type de déchet radioactif et fixe les calendriers de mise en œuvre des filières de gestion. Cette mise à jour devrait être prochainement publiée.
Les filières de gestion existantes permettent déjà de gérer, sur le long terme, 90 % des déchets radioactifs. Les déchets radioactifs de très faible activité que vous mentionnez sont aujourd'hui envoyés dans un centre de stockage dédié, exploité depuis 2003 dans le département de l'Aube par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.
Mais il est vrai que le démantèlement à venir des installations nucléaires conduira inévitablement à une forte augmentation des volumes de déchets radioactifs de très faible activité, qu'il faudra traiter.
Cela impose de réfléchir sur le fond à la mise en place d'une filière adaptée et proportionnée au flux prévisible. Le plan national de gestion des matières et des déchets radioactifs étudie plusieurs pistes complémentaires d'optimisation de cette filière : réduire à la source les volumes de déchets de très faible activité produits lors des démantèlements, recycler ou valoriser certains types de ces déchets, réfléchir à l'opportunité d'implanter des centres de stockage décentralisés, créer de nouvelles capacités de stockage avant la saturation du centre existant, prévue à l'horizon 2025.
La mise en œuvre de ces solutions sera discutée dans le cadre du plan national de gestion, en concertation étroite avec les parties prenantes et le public. Elle se fera dans le strict respect de la protection de l'environnement et sous le contrôle étroit de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Mme la présidente. Nous en venons aux questions du groupe Les Républicains.
La parole est à M. Julien Aubert.
M. Julien Aubert. Monsieur le secrétaire d'État, en effet, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a fixé pour objectif de réduire de 75 % à 50 % la part du nucléaire dans la production électrique en dix ans. La programmation pluriannuelle de l'énergie, que vous avez citée, était censée donner plus de visibilité à votre action mais reconnaissez qu'elle reste floue. Des objectifs sont fixés pour le développement des énergies renouvelables et l'on nous explique que c'est en fonction de la place que celles-ci auront prise en 2018 que l'on décidera de l'avenir du parc nucléaire.
Au final, au bout de cinq ans de mandat, que constatons-nous ? La très symbolique centrale de Fessenheim n'est toujours pas fermée, même si vous prendrez sans doute un décret dans quelques mois, pour des motifs purement électoraux. Les provisions destinées au démantèlement des centrales soulèvent des questions, notamment par rapport aux autres pays – un audit extérieur a d'ailleurs fait réagir EDF. Surtout, nous n'avons aucune visibilité sur l'avenir du parc nucléaire, c'est le principal problème.
S'agissant tout d'abord de ce que l'on appelle le démantèlement « jusqu'à l'herbe », il faudrait déterminer avec précision les sites qui seront ainsi totalement démantelés pour d'une part évaluer les provisions nécessaires, d'autre part anticiper les conséquences sociales puisqu'aucune centrale ne sera reconstruite à cet endroit.
Par ailleurs, le programme dit du grand carénage, destiné à allonger la durée de vie de centrales, permet certes d'abaisser la pression sur le démantèlement mais le temps joue contre la préservation des compétences : plus on attend, moins de personnes connaîtront la centrale, sans parler des anomalies détectées sur des pièces fabriquées au Creusot ou au Japon, et qui amènent l'Autorité de sûreté nucléaire à dire qu'il n'est plus possible d'attendre.
Quant à la construction de nouveaux réacteurs, elle est indispensable si nous voulons préserver notre filière d'exportation. Il faut construire un EPR de nouvelle génération, et ce dès 2019, pour pouvoir en profiter en 2030 avec un modèle économique stable.
Ma question est fort simple : quand publierez-vous la liste exacte des sites à démanteler, des sites à prolonger, des sites sur lesquels construire de nouveaux réacteurs, de sorte que l'on puisse anticiper l'avenir de la filière nucléaire et que les entreprises sous-traitantes puissent s'organiser ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Monsieur le député, ne perdons jamais de vue que ce n'est pas au Gouvernement qu'il appartient de choisir les sites à fermer ou à prolonger. Si nous avons décidé, avec raison, d'instituer une autorité de sûreté nucléaire indépendante, c'est bien pour nous en remettre à ses conclusions, et ce sont elles que nous attendons. Nous substituer à cette autorité nous ferait prendre un risque énorme qu'aucun gouvernement n'accepterait de courir.
Je le répète : nous n'avons aucun choix à faire, nous n'avons qu'à attendre les décisions de l'Autorité de sûreté nucléaire, et c'est très bien ainsi.
En revanche, vous avez eu raison de souligner les défis que nous devrons relever. Une fois que l'ASN aura rendu ses conclusions, nous devrons engager le débat autour du grand carénage. La préservation des compétences et des savoir-faire est un autre enjeu crucial, j'ai eu l'occasion de le dire tout à l'heure. Originaire d'un territoire marqué par l'histoire du nucléaire, je me souviens que l'on avait à un moment fait fabriquer des cuves, alors que l'on n'en avait pas nécessairement un besoin immédiat, pour la seule raison qu'il fallait maintenir le savoir-faire.
Nous avons conscience de ces enjeux mais il n'appartient pas au pouvoir politique de se substituer à la responsabilité de l'Autorité de sûreté nucléaire pour décider du sort des centrales existantes.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude de Ganay.
M. Claude de Ganay. Le mois dernier, j'interpellais le Gouvernement quant à l'impossibilité matérielle d'atteindre les objectifs arbitraires fixés dans le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie publié le 28 octobre dernier. Devant la vacuité de la réponse qui m'a été adressée par M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, je me vois obligé de poser de nouveau cette question. Je m'inquiète également de l'impréparation de votre gouvernement pour les prochains mois.
Ce décret exige d'EDF un plan de démantèlement de la filière nucléaire pour atteindre l'objectif de 50 % dans la production globale d'ici à 2025. Je vous le répète : fermer des centrales nucléaires sûres et opérationnelles est un non-sens économique, un désastre industriel et une farce environnementale.
Un non-sens économique, car vous dilapidez ainsi le fruit de précieux investissements, qui garantissent aujourd'hui aux consommateurs Français une électricité parmi les moins chères d'Europe.
Un désastre industriel, car vous sacrifiez un fleuron technologique français et condamnez des territoires ruraux dont l'activité économique y est intimement liée.
Une farce environnementale enfin, car dans un délai aussi court, la transition énergétique n'aura pas lieu.
À consommation d'électricité constante, il faudrait produire d'ici à huit ans, et chaque année, 130 térawattheures supplémentaires pour compenser les fermetures de réacteurs, ce qui représente la bagatelle de 30 000 éoliennes ou 1,3 milliard de mètres carrés de panneaux solaires !
Puisque votre gouvernement a choisi de persévérer dans l'erreur et de maintenir ce décret, je vous pose quatre questions précises, auxquelles vous apporterez, je l'espère, des réponses tout aussi précises.
Selon quels critères seront fermées les centrales ? Comment seront accompagnés les dizaines de milliers de chômeurs que vous allez créer ? Quelles activités économiques de substitution seront proposées aux territoires ainsi dévitalisés ? Les habitants et les élus seront-ils consultés sur ces démantèlements ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Monsieur le député, je vous renvoie à la réponse que je viens d'apporter à votre collègue. Nous attendons d'une autorité comme l'ASN que, forte d'analyses précises, elle désigne les sites pouvant être maintenus, voire prolongés pour certains – vous n'ignorez rien du débat qui existe autour de cette prolongation – et ceux, peut-être, pouvant être amenés à fermer.
Si je ne vous réponds pas, ce n'est pas que je fuie mes responsabilités, mais vous répondre serait nier le travail accompli par cette autorité, au risque de porter atteinte à l'un des éléments qui fonde notre confiance dans la filière nucléaire : son contrôle par une autorité indépendante.
Cela étant, vous avez raison, si des sites devaient être fermés – je dis bien si –, il faudrait bien entendu, par solidarité nationale, engager une réflexion sur leur reconversion. L'enjeu lié à la déconstruction de ces centrales est énorme sur le plan technique mais aussi en termes d'emplois, même si les salariés ont évidemment une approche assez différente, j'en suis conscient.
Enfin, nous avons foi dans la filière nucléaire, croyez-moi, monsieur le député. Si tel n'était pas le cas, nous n'aurions pas pris soin de la réorganiser et de définir un chef de file. Vous pouvez être en désaccord avec nos choix mais nous avons décidé de mettre fin à la situation inacceptable qui prévalait depuis quinze ans. Tous les élus des territoires concernés – vous en êtes comme moi –, savent parfaitement le coût d'avoir laissé deux entreprises s'affronter comme elles l'ont fait.
La réorganisation de cette filière est un élément déterminant. Les réponses de l'Autorité de sûreté nucléaire en sont un autre, mais nous sommes d'accord sur le défi que la solidarité nationale devra relever le cas échéant sur les territoires concernés.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Sermier.
M. Jean-Marie Sermier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, en cette fin de quinquennat, nous entrons forcément dans la période du bilan ! Dans le domaine de l'énergie, le point d'orgue des cinq dernières années de la présidence de François Hollande aura peut-être été la loi relative à la transition énergétique.
Ce texte a affaibli la solidité et la cohérence de notre politique énergétique. Tout d'abord, il a cassé le consensus national qui existait depuis le général de Gaulle sur le nucléaire civil. C'est une faute grave. Alors que les Français devraient être fiers de leur filière nucléaire et informés sur ses technologies, des membres du Gouvernement ont sciemment, par idéologie, attisé les peurs.
Par ailleurs, la loi de transition énergétique a opposé de façon manichéenne les énergies renouvelables au nucléaire. Or, le nucléaire n'émet quasiment pas de gaz à effet de serre. Mieux, il permet de financer la recherche et l'innovation dans le domaine des énergies alternatives dont il faudra d'ailleurs un jour dresser le bilan.
Enfin, cette loi a posé l'objectif irréaliste de réduire à 50 % la part du nucléaire dans le mix énergétique français. Tous ceux qui sont ici de bonne foi savent qu'il n'est pas tenable. La majorité issue des urnes au printemps prochain, quelle qu'elle soit, devra revenir dessus.
Dans un contexte de montée du cours du pétrole et d'incertitudes géopolitiques multiples, le nucléaire participe à l'indépendance énergétique de la France. Il permet également aux Français de bénéficier d'une électricité à un prix relativement bas – un ménage français paie son électricité 70 % moins cher qu'un ménage allemand. Enfin, il est la troisième filière industrielle française, derrière l'aéronautique et l'automobile. Il représente 2 500 entreprises et 220 000 emplois. Il doit être l'une de nos fiertés nationales.
L'État doit profiter de sa participation au capital d'EDF et d'Areva pour soutenir deux orientations stratégiques. La première est celle de l'innovation. La France est un grand acteur de la recherche sur les technologies du futur. Le nucléaire est encore une énergie jeune qui connaîtra immanquablement des sauts technologiques. Nous devons être en pointe sur le sujet.
La seconde orientation est celle des exportations. Alors que la Chine, par exemple, prévoit de construire cinq à huit réacteurs par an jusqu'en 2030, il est nécessaire de valoriser nos compétences françaises à l'export.
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre afin de relever ces deux défis pour la filière nucléaire française : la recherche-développement et l'exportation ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. On ne peut pas être partisan de la filière nucléaire, comme je le suis et comme vous l'êtes, monsieur le député, et baigner dans une vision idéalisée. Vous ne pouvez pas développer cet argumentaire sans constater que nous avons été interpellés sur la place du nucléaire, en oubliant que nous sommes aujourd'hui dépendants à 80 % d'une même source de production d'électricité et en ignorant les drames qui ont eu lieu à Fukushima ou ailleurs. Pour être l'élu d'un territoire où le nucléaire a une part essentielle dans l'organisation de l'économie, je le dis une nouvelle fois avec force : défendre le nucléaire, c'est reconnaître que nous avons besoin de cette source d'énergie. Et entre une majorité – puisque c'est sur ce plan que vous avez voulu vous placer – qui a laissé s'affronter pendant des années les deux dirigeants d'EDF et d'Areva, ce dont j'ai été comme vous le spectateur attristé, et une majorité qui décide de réorganiser la filière, laquelle, selon vous, fait confiance à la filière nucléaire ?
Du reste, vous semblez défendre ce que par ailleurs vous dénoncez. Vous me reprochez en effet d'opposer le nucléaire aux énergies renouvelables alors que toute votre démonstration vise à nier que ces énergies constituent un objectif vers lequel nous devons tendre. Or il nous faut et l'un, et l'autre !
M. Jean-Marie Sermier. Vous déformez mes propos !
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. C'est pourtant ce que vous avez dit, cela peut se vérifier aisément.
Bien évidemment, le nucléaire connaîtra une évolution, avec probablement moins d'emplois qu'il n'y en a aujourd'hui. Mais je vous renvoie aux objectifs très précis fixés par la PPE en matière de prévisions d'emploi dans le secteur des énergies renouvelables.
Nous nous connaissons assez, monsieur le député, pour que je puisse attester le sérieux dont vous faites preuve dans les dossiers que vous suivez. Je n'imagine pas que vous puissiez tenir un discours consistant à nier que le nucléaire ait à s'interroger sur sa place et sur le modèle qui est le sien et qu'il faille que les énergies renouvelables se développent. Nous avons besoin, je le répète, de l'un et de l'autre. Aussi, pour répondre à votre question, le Gouvernement soutient-il et l'un, et l'autre.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Rohfritsch.
Mme Sophie Rohfritsch. Monsieur le secrétaire d'État, nous savons que la demande en énergie primaire augmentera de 23 % d'ici à 2030, tandis que la demande en électricité dans la consommation d'énergie finale devrait passer de 18 % à l'heure actuelle à 24 % en 2040 Dans le même temps, la production d'électricité décarbonée devra satisfaire 70 % des besoins en 2040, contre 32 % aujourd'hui. Dans ces conditions, comme on l'a déjà dit et redit ce soir, l'énergie nucléaire fait bien évidemment partie des solutions pour que nos entreprises bénéficient d'une électricité décarbonée à des prix compétitifs.
À plusieurs conditions cependant : garantir le plus haut niveau de sûreté ; s'assurer de la surface financière nécessaire aux entreprises pour sécuriser le parc existant ; investir dans la recherche-développement pour les réacteurs de quatrième génération et les réacteurs de moyenne et petite puissance. Il faut d'urgence aider l'industrie nucléaire à redevenir compétitive, adapter les outils de formation pour renouveler les effectifs, encourager la création de start-up, aller vers la transition numérique de la filière, relancer une véritable coalition européenne autour de cette question, et enfin s'assurer de la stabilité des recettes des entreprises de la filière.
Bref, il faut avoir une stratégie !
Or, en lieu et place, nous avons assisté durant ce quinquennat à une série d'injonctions pour le moins contradictoires : refus de l'augmentation des prix de vente de l'électricité dans un premier temps, choix, dans la loi relative à la transition énergétique, de réduire la part du nucléaire dans la production d'électricité, et, dans le même temps, soutien à la construction de Hinkley Point mais annonce de la fermeture de la centrale de Fessenheim, sacrifiée sur l'autel des petits arrangements électoraux ; gestion chaotique s'il en est du dossier Areva, désormais inclus dans la corbeille d'EDF alors que celle-ci, on le sait, se trouve devant un mur d'investissement quasi infranchissable. Ces décisions d'une extrême gravité témoignent d'un réel manque de sérieux. Et ce n'est que maintenant, en fin de législature et après le vote de la loi relative à la transition énergétique, que l'on organise devant la représentation nationale un débat sur le nucléaire !
Ma question est simple : à défaut de stratégie, accepterez-vous du moins, comme je crois, à vous entendre, que cela peut être le cas, de remettre à plat les questions liées à l'avenir du nucléaire dans notre pays et d'engager sans plus attendre tous les efforts nécessaires à la pérennisation et au développement de son tissu industriel ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Ce n'est pas le Gouvernement qui est à l'origine de ce débat, madame la députée ! Sous le couvert de Mme la présidente, je me permets de vous rappeler que l'initiative en revient au groupe UDI. Si nous nous retrouvons ici, c'est donc parce qu'un groupe politique a souhaité, et c'est légitime, qu'il soit organisé.
Mme Sophie Rohfritsch. Un peu tard tout de même !
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. À notre sens, tout a été dit lors de la discussion du projet de loi relative à la transition énergétique. Vous ne pouvez feindre de découvrir aujourd'hui qu'une stratégie a été définie. Je comprends que vous puissiez ne pas la partager, mais elle a été définie.
Quant aux 8 milliards d'euros de recapitalisation – 5 milliards pour Areva et 3 milliards pour EDF –, ne sont-ils pas la traduction concrète de l'engagement de l'État ? Non seulement nous appelons de nos vœux, comme vous, une sécurisation financière, mais nous l'organisons. Si ce n'est pas la traduction d'un engagement, il faudra que l'on m'explique ce que c'est – à moins que l'on ne veuille pas le voir, ce qui est bien évidemment votre droit !
En outre, comme je l'ai dit à votre collègue Jean-Marie Sermier, nous faisons le choix de restructurer cette filière autour d'un chef de file, EDF, et de réorganiser Areva en séparant ses activités, de manière à tenir compte à la fois des engagements pris, notamment en Finlande, et des enjeux déterminants auxquels répond le rachat d'Areva NP. Il s'agit bien, là aussi, d'un choix stratégique.
Enfin, je vous remercie d'avoir mis en première place la question fondamentale de la sûreté nucléaire. Nous y consacrons des moyens substantiels en équivalents temps plein attribués tant à l'Autorité de sûreté nucléaire qu'aux autres organismes qui participent aux vérifications.
Sur tous les points que vous mettez en avant, nous sommes donc au rendez-vous. Certes, nous sommes en période électorale et j'ai moi-même pratiqué l'exercice. Attention cependant à ne pas adopter une position qui, en prétendant défendre le nucléaire, lui serait au bout du compte plus préjudiciable que vous ne l'imaginez !
Mme la présidente. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la dernière question.
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le secrétaire d'État, votre majorité a décidé de réduire de 75 à 50 % la part de l'électricité d'origine nucléaire à l'horizon 2025, dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique longuement évoquée ce soir. Dans la période électorale que nous allons traverser, nos concitoyens ont besoin de savoir comment cet objectif sera mis en œuvre et quelles en seront les conséquences et le coût. Or votre gouvernement ne leur apporte guère de réponses.
Vous avez envisagé le non-redémarrage de deux à six réacteurs d'ici à 2025, ce qui est du reste loin d'être suffisant si l'on veut atteindre la diminution prévue. Réduire d'un tiers la part du nucléaire nécessite de fermer, au total, un tiers des cinquante-huit réacteurs dont la France dispose, et cela sans tenir compte du démarrage effectif de l'EPR de Flamanville, qui devrait, nous l'espérons, intervenir prochainement.
Les Français sont également en droit d'obtenir des informations sur le coût de cette politique. Ayez le courage de tenir un discours de vérité sur le prix de l'énergie, sachant que le mégawattheure d'origine nucléaire revient moins cher que celui qui provient de l'éolien ou du photovoltaïque, sur le coût de l'indemnisation due à EDF pour la fermeture de ses réacteurs, sachant que celle que vous proposez pour Fessenheim est loin de convenir à l'entreprise, et sur les conséquences économiques pour le secteur nucléaire, qui est notre troisième filière industrielle, qui emploie plus de 220 000 salariés et dont les deux fleurons, Areva et EDF, sont aujourd'hui mal en point.
À l'heure où nous cherchons à exporter le modèle d'exploitation des EPR, plus efficaces, moins énergivores et produisant 30 % de déchets radioactifs en moins, votre politique ne favorise pas le déploiement d'une telle stratégie.
Je vous demande donc plus de lisibilité et plus de cohérence au sujet du devenir de cette filière qui a le grand avantage de ne pas produire de CO2. La France a besoin d'une politique énergétique cohérente afin de garantir sa compétitivité économique et le pouvoir d'achat de nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Le premier élément que je verserai au débat, monsieur le député, c'est que la loi relative à la transition énergétique date de 2015. Nous n'avons pas attendu la fin du quinquennat pour fixer les orientations et la stratégie du Gouvernement sur ces questions.
Deuxièmement, la PPE répond très clairement à votre question. Vous l'avez certainement examinée de près : tout y est inscrit, aussi bien l'évolution du recours aux énergies renouvelables que le coût de l'électricité produite. Du reste, entre le moment où je m'exprime et le moment où les débats ont eu lieu, nous faisons des progrès réguliers en matière de diminution du coût de la production électrique issue du renouvelable. Tout cela participe en effet d'une ambition dont nous nous donnons les moyens.
Comme les trois dernières questions tournent autour des mêmes thèmes, je voudrais en revenir au cœur du sujet : ce n'est pas le nucléaire contre les énergies renouvelables, ou, pour reprendre votre thématique, les énergies renouvelables contre le nucléaire. Quiconque examine les enjeux ne peut que constater notre dépendance, mais aussi l'atout que représente le nucléaire. Plusieurs orateurs ont évoqué la comparaison avec d'autres pays. Pour ma part, je me réjouis que les choix faits par la France depuis de très nombreuses années nous permettent de bénéficier de cette indépendance. Laquelle indépendance, toutefois, ne nous interdit pas, par exemple de prendre en considération des enjeux aussi fondamentaux que celui de la réduction des émissions de CO2. On ne peut à la fois se féliciter unanimement, et à juste titre, de l'accord de Paris, qui a permis de placer la France parmi les pays les plus ambitieux, et se refuser à en tirer les conséquences, y compris en matière énergétique.
Vous comprendrez donc que je mette de la conviction dans mon propos : nous avons fait ce choix et nous nous donnons des objectifs, qui sont au demeurant progressifs. Personne n'a dit que nous passerions du jour au lendemain à 50 % de production électrique d'origine nucléaire ! Nous avons eu la sagesse de ménager une progressivité, de prévoir d'examiner comment les territoires qui seront confrontés le cas échéant, si l'Autorité de sûreté nucléaire le décide, à des arrêts d'activité pourront réagir, de prendre en compte les questions économiques. Ce sont tous ces éléments qu'il faut réunir pour mener une réflexion d'avenir sur les besoins et la production énergétique dans notre pays.
Mme la présidente. Nous avons terminé les questions sur l'avenir du nucléaire.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 12 janvier 2017